So Foot

Booba.

À l’image de Zlatan Ibrahimovi­c à son arrivée au PSG, il ne connaît pas grand-chose de la ligue 1, mais la plupart des footballeu­rs de l’Hexagone le connaissen­t bien. Une popularité qui devrait faire les affaires de Booba, puisque après avoir mitraillé le

- Par Mathias Edwards et Javier Prieto Santos, à Boulogne-Billancour­t / Photos: Nicolas Rivals

Après avoir mitraillé le rap français avec ses punchlines, le duc de Boulbi se lance dans la gestion de joueurs avec JeanMarc Guillou. 2018 est décidément pleine de surprises.

“Quel que soit le domaine, je n’aime que les tops. L’arrière gauche de Dijon, je m’en bats les couilles”

PPourquoi t’es-tu lancé dans la gestion de carrières de sportifs avec ta société,

LifeTime Players? Parce que j’ai rencontré beaucoup d’agents de joueurs, et ce sont souvent des gars qui n’ont rien à voir avec le schmilblic­k. Ils n’ont pas grandi comme les jeunes qui essaient de s’en sortir. Parfois, ils n’ont même pas joué au foot. Exactement comme dans la musique: dans les bureaux des maisons de disques, tu trouves des mecs qui n’ont jamais écouté de rap mais qui vont te donner des conseils. Quand j’ai débuté, les portes étaient fermées. Je ne suis même pas arrivé jusqu’au bureau. Donc j’ai créé mon propre bureau. C’est ça, la démarche de LifeTime Players: un jeune qui sort de banlieue ou qui vient du bled, il va plus se sentir à la maison chez nous qu’avec un agent classique, qui ne parle que de business. Chez nous aussi c’est du business, mais avec un aspect social.

Mais ça reste avant tout du business… Tout est du business. T’es payé pour faire cette interview, non? Tu ne fais pas du bénévolat, et moi non plus. Mais on le fait aussi parce qu’on aime ça, ce n’est pas qu’une histoire d’argent.

Pourtant, tu as toujours dit que tu n’étais pas un grand fan de football… Quel que soit le domaine, je n’aime que les tops. L’arrière gauche de Dijon, je m’en bats les couilles. J’aime quand il y a de la pression, donc je ne regarde que la Champions League et la coupe du monde. Comme les meufs, quoi. C’est la même chose pour la NBA, je ne regarde plus que les playoffs.

Tu suis une équipe en

particulie­r? Le PSG et le Real, parce qu’il y a Benzema.

Tu suis le sens du vent, en fait… Non, c’est ta coupe qui suit le vent. (Il sourit)

Quelque part, n’aimer que les équipes qui gagnent fait de toi un footix. T’en as conscience? Je suis parisien, donc je supporte le PSG, normal. Et au Real, à part Benzema, il y a aussi Cristiano Ronaldo, ce n’est pas Clermont-Ferrand.

Quel est le profil des joueurs ciblés par LifeTime

Players? Il n’y a pas de profil type, le seul critère, c’est l’efficacité. Comme dans la musique.

Vu ta personnali­té, on s’attend à ce que tu prennes des jeunes avec des aspérités, ou tout du moins avec du charisme. Ce sont des questions qu’on ne se pose pas quand on cherche un joueur.

À nos yeux, il n’y a que le talent qui compte. Le dernier bouquin que le joueur a lu, je m’en bats les couilles… Mike Tyson est un peu simplet, c’est un “cassos”, tu ne lui demandais pas de réfléchir. Je veux gérer des mecs qui mettent deux buts par match. S’ils sont capables de faire ça, leur charisme ou le fait qu’ils soient beaux gosses, je m’en bats les couilles. C’est bon pour la presse people et les réseaux sociaux. Et s’il n’arrive pas à décrocher des contrats publicitai­res, tant pis. Il n’y a pas que des Cristiano Ronaldo, il y a aussi des Pius N’Diefi. On fait quoi avec les Pius, on ne les signe pas? On crée la Fondation Pius, pour les moches sans charisme?

Tu as conscience que certaines familles pourraient avoir peur de confier la gestion de carrière de

leurs enfants à Booba? Oui, c’est possible. Après, s’ils ne font pas la distinctio­n entre les textes de mes morceaux et ce que je suis vraiment, tant pis pour eux. Mais pour les convaincre, j’ai toute une équipe, des contrats, etc.

Djamel Boukir (directeur général de LTP): Cela arrive tous les jours que des parents aient peur de s’associer à Booba. Mais après, ils rencontren­t une équipe et ils comprennen­t très vite que nous sommes des gens sérieux. On a signé un partenaria­t exclusif avec JeanMarc Guillou, qui a des académies au Mali, au Sénégal, au Ghana, au Maroc, en Algérie et à Madagascar. C’est quelqu’un qui connaît très bien l’Afrique et le football. S’il nous a fait confiance, c’est qu’on doit être compétents. Son business model, c’est la formation, pas le management. L’inverse de nous. Donc on est totalement complément­aires. Il avait le choix entre toutes les agences du monde, mais il a choisi de travailler avec nous.

Booba: Guillou n’a pas eu peur de Booba! Tu l’as rencontré, Jean-Marc Guillou? Non. Tu as demandé à le rencontrer? Non. Il sait qui tu es, au moins? Oui.

Il aime bien ce que tu fais? Je n’en sais rien et je m’en fous. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne s’est pas arrêté à l’image que je peux renvoyer. Les familles des jeunes espoirs devraient en faire de même. En fait, ils devraient avoir plus peur des autres que de Booba. Soit t’as peur de Booba, soit tu le vois comme un exemple de réussite. Booba sait où il met les pieds, quand il fait quelque chose, il le fait bien. Je ne fais pas du business pour faire du business. Tous mes business me ressemblen­t. Je suis dans le sport, le whisky, les vêtements, la musique, OKLM Radio, OKLM TV. Ce ne sont que des domaines autour desquels je gravite. Je ne vais pas me lancer dans le business de l’art demain, je n’y connais rien et ça ne m’intéresse pas. Alors que détecter le prochain Messi, ça me fait kiffer.

Tu le dis toi-même: tu n’es pas un spécialist­e de football. Mais tu en parles beaucoup sur les

réseaux sociaux, pourquoi? Quand je parle de Karim Benzema et de ce qui gravite autour de lui, cela va au-delà du football… Ça ressemble à ce que j’ai vécu, c’est très représenta­tif de la France. Ce qui lui arrive n’est pas justifié. Ils le font passer pour la racaille algérienne.

Comment peux-tu être sûr qu’il a sa place chez

les Bleus, sans être un spécialist­e de football? Je ne suis pas un spécialist­e, mais je ne suis pas non plus un mongol. Karim Benzema, je sais qui c’est. C’est gros comme une maison qu’il a sa place en équipe de France. D’où il n’a pas sa place dans cette équipe? Qui joue à sa place? Olivier Giroud? Mais personne n’aime Giroud! Il est pourri! C’est l’avis de tout le monde, sinon cela ne créerait pas de polémiques. Benzema doit être en équipe de France, c’est tout. C’est du sport, on parle de performanc­es sur le terrain.

Affirmer que Giroud est pourri, ce n’est pas forcément vrai lorsqu’on compare ses statistiqu­es

en Bleu avec celles de Benzema. Pourquoi? Il est bon, Giroud? Il est meilleur que Benzema? Il ne joue pas en équipe de France! Il faudrait déjà le mettre sur le terrain pour savoir! S’il ne joue pas, il ne peut pas être bon.

Comment tu expliques que Benzema ne soit pas

convoqué avec l’équipe de France? Il y en a qui disent que c’est à cause du racisme, mais c’est à cause de tous les côtés! On lui reproche de ne pas chanter La Marseillai­se, et il y a cette histoire avec Valbuena, dans laquelle il a été jugé coupable avant même le verdict.

Justement, dans cette histoire, tout le monde l’a oublié, Valbuena, alors qu’à la base, c’est lui

le plaignant… Mais il joue bien, Valbuena? Il n’avait rien à faire en équipe de France, Deschamps ne sait pas ce qu’il fait. C’est l’avis du peuple. Le football, c’est les arènes. C’est Rome, mec. Pour moi, les sondages qui expliquent que les Français préfèrent Giroud à Benzema, c’est du vent. Il faut voir la manière dont Benzema est décrit à la télévision, ça n’aide pas l’opinion publique à se faire une véritable idée du personnage.

Canal+ vient de consacrer une soirée entière à la gloire de Benzema, tu étais même présent dans le documentai­re

diffusé. Oui bah le documentai­re, c’est lui qui l’a produit. Je te parle d’avant. Comment veux-tu que les Français soient objectifs quand on ne parle de Benzema qu’à cause de faits divers, jamais pour son talent? C’est de la manipulati­on médiatique. Les sondages ne veulent rien dire. Tout le monde sait que Benzema doit être en équipe de France. C’est ça, le sondage.

On a parfois l’impression que les footballeu­rs semblent plus fascinés par les rappeurs que

l’inverse. C’est le cas? Il y a un peu de ça. Les footballeu­rs n’ont pas vraiment de vie sociale. Ils sont toujours soit en déplacemen­t, soit à l’entraîneme­nt. Ils font plus de sacrifices que nous.

Qu’est-ce qui te fascine chez eux, alors? Ils ne me fascinent pas. Ce qui me fascine chez les sportifs, c’est le succès dans la durée, la constance. Un Ronaldo ou un Messi qui rentre, et chaque fois, voilà, quoi… Ronaldo, il est Ronaldo tout le temps. J’aime sa régularité, au même titre que j’aime celle de Mayweather. 50 combats, 50 victoires.

Tu aurais pu devenir footballeu­r? J’aurais pu être sportif de haut niveau, peut-être dans un sport de combat. Mais pas footballeu­r. De toute façon, le rap est un sport. Il y a des clashs, de la compétitio­n. Et puis on est un peu des équipes: je viens du 92, l’autre du 93 ou du 94…

Dans ton dernier album, tu rappes “Allez les Bleus, allez les Lions, moi je suis un peu des deux”, tandis qu’en 2010, tu chantais “Fuck la France, fuck Domenech”. Qu’est-ce qui a changé entre-temps?

“Au mondial, je supportera­i la France et le Sénégal, mais je fuck toujours Domenech. Fuck Deschamps, même…”

Dans ce dernier titre, je parle de mon métissage, tout simplement. Au mondial, je supportera­i les deux équipes, mais je fuck toujours Domenech.

Fuck Deschamps, même.

Donc tu n’es pas soudaineme­nt devenu fan des

Bleus? Je supporte l’équipe de France quand c’est une vraie équipe de France. Là, Deschamps fait n’importe quoi. Cela n’a aucun sens.

Il a fait une finale en 2016 et il a facilement

qualifié la France pour la coupe du monde… La qualificat­ion, je m’en bats les couilles. Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’important est de participer. Il faut gagner. Selon moi, il manque un Zidane, un mentor. Quand ton entraîneur c’est Zidane, t’as envie de jouer pour lui. C’est un mec qui te tire vers le haut, comme Michael Jordan.

Donc là, en gros, tu pointes du doigt l’absence de

charisme… C’est un vieux piège ça. Je ne me contredis pas du tout. Chez LifeTime Players, on signe des joueurs qui ont du talent, pas des mentors.

Aliou Cissé, le sélectionn­eur sénégalais, chausse des Air Force 1 tandis que Didier Deschamps écoute du Michel Sardou. Comment tu t’y prendrais pour réduire la fracture génération­nelle qu’il y

a entre les joueurs et les dirigeants du foot

français? Domenech faisait ses listes de joueurs avec l’astrologie. À partir de là… Après, ce qui se passe dans le foot est à l’image de la France. C’est la même chose dans la musique. On ne peut pas retourner la situation. Ils font ce qu’ils veulent, ce sont des multinatio­nales. Ils nous regardent blablater de là-haut. Pour eux, on n’existe pas. L’influence que je peux avoir, ils s’en battent les couilles, tout Booba que je suis. Comparé à Bolloré, par exemple, je n’ai aucun pouvoir. Je ne suis rien du tout.

“Je ne vais pas signer un joueur parce qu’il est beau gosse, je m’en fous de ça. On fait quoi avec les Pius N’Diefi, on ne les signe pas? On crée la Fondation Pius, pour les moches sans charisme?”

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 ??  ?? “Excusez la tenue, je sors de la douche.”
“Excusez la tenue, je sors de la douche.”

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