So Foot

KONDOGBIA

- Par Antoine Donnarieix et Matthieu Pécot, à Valence / Photos: Kike Taberner, Dppi, Picture-Alliance/Dppi et Gepa/Iconsport

n.m. Combat de chiens.

La technique de Pogba, la gestuelle de Matuidi. Geoffrey Kondogbia a beau être la synthèse de ce qu’adore Didier Deschamps, pour l’heure, il semble loin des plans du sélectionn­eur des Bleus. Parce que briller sous le maillot de Valence et ne faire aucune vague ne suffira pas pour partir en Russie l’été prochain, le milieu de terrain de 24 ans a quatre mois pour gommer son image de type fade au regard noir. Entretien avec un homme accro à la sieste et à l’actu. Et qui, avant de passer à la télé, en vendait chez Gifi.

Geoffrey Kondogbia n’a pas le temps pour les regrets, ni pour quoi que ce soit d’autre. Alors quand on lui rappelle qu’en partant de Séville en 2013, il a quitté une équipe entraînée par Unai Emery qui a embrayé sur trois victoires en Europa League, il dégaine des mots qui feraient un beau tatouage: “Les regrets font partie de la vie. Mais quand tu prends une décision, tu ne dois plus regarder en arrière.” À 24 ans, le milieu de terrain internatio­nal (5 sélections) n’a pas de tattoos mais un solide vécu: une adolescenc­e dans le Pas-de-Calais traversée avec Serge Aurier et Raphaël Varane, puis une bougeotte qui l’a conduit à trimbaler son statut de titulaire à Séville, Monaco, l’Inter Milan et Valence, où il brille depuis l’été dernier. Fatalement, cette étiquette de nomade a excité la Chine, intéressée cet hiver pour un transfert en vue de la saison prochaine. Une rumeur comme une autre dans la carrière de Kondogbia, qui a néanmoins une idée quant au prochain tampon qu’il aimerait voir sur son passeport: celui de la Russie, en juin prochain. Dans un monde idéal où la concurrenc­e n’existerait pas, il se verrait bien reconstitu­er le duo de choc qu’il a formé avec Paul Pogba lors du mondial U20 remporté par la France en 2013. Pogba avait été élu meilleur joueur. Kondogbia, lui, n’avait pas besoin de vote pour aller chercher le trophée de meilleur passeur du tournoi.

Quel était ton objectif quand tu es arrivé à Valence cet été?

Me relancer. Beaucoup de joueurs sont arrivés avec le souhait de prendre une revanche sur la saison dernière. Des mecs comme Gonçalo Guedes, Andreas Pereira et Gabriel Paulista (respective­ment prêtés par le PSG et Manchester United et transféré d’Arsenal, ndlr) ont quitté de grands clubs pour prouver qu’ils pouvaient réussir à Valence. En termes d’intégratio­n, je n’ai pas eu de souci car j’avais déjà joué en Espagne. J’ai appris l’espagnol lors de mon passage à Séville. À l’époque, j’étais le seul Français et mon coach s’appelait Unai Emery.

Comment ça se passait entre lui et toi? On s’entendait bien. Il m’a donné énormément de confiance. Il est arrivé en cours de saison, et comme je venais de gagner ma place, il y avait un risque que ce changement d’entraîneur ne fasse pas mes affaires. Finalement, ça a été tout le contraire. C’est un vrai fou de football! Il hurle tellement ses consignes depuis le banc qu’à la fin du match, tu te demandes s’il n’a pas carrément joué avec toi. Dès que j’ai annoncé vouloir partir pour Monaco, il m’a convoqué tous les jours dans son bureau pour me convaincre de rester, en me répétant que j’étais important dans son collectif.

Pourquoi être parti? C’est le fonds d’investisse­ment auquel tu appartiens (Doyen Sports) qui a décidé pour toi? Non! Ce départ de Séville à Monaco, j’en suis le seul décideur. Eux, ils voulaient que je reste à Séville pour me vendre beaucoup plus cher après. Leur avis, c’était que 20 millions d’euros pour un jeune de 20 ans, ce n’était pas assez. Mais voilà, c’était le montant de ma clause et j’avais vraiment envie de retrouver la France, de jouer en ligue 1. J’avais envie de faire quelque chose de bien dans mon pays parce que les Français ne me connaissai­ent pas.

Justement, en France, est-ce qu’on ne t’a pas trop souvent pris pour un mec athlétique parfait pour jouer devant la défense? Tout dépend du club dans lequel tu joues et de l’entraîneur que tu as. En France, on m’a déjà donné comme consigne de toujours suivre le numéro 10 d’en face. Comment tu veux avoir la balle si tu dois suivre un joueur et l’empêcher de jouer? Contre des mecs comme Messi, je peux comprendre à la rigueur, mais dans le football, c’est le jeu qui doit primer. Aujourd’hui, j’ai confiance en mes qualités et je me sens libre. C’est un point positif, mais le but, c’est quand même d’être capable de pratiquer mon jeu dans tous les championna­ts et en équipe de France. Pas seulement en Espagne.

Tu n’avais jamais marqué plus d’un but par saison en championna­t depuis le début de ta carrière. À Valence, au bout de dix matchs, tu en étais déjà à trois buts. C’est quoi le déclic? Les stats, c’est ce qui me manque. Pour les gens, cela prend de plus en plus d’importance. Matuidi par exemple, il a développé cette envie de marquer et il a compris comment aller plus loin pour avoir une palette supplément­aire à son jeu. Moi, je suis milieu défensif. Mais un milieu défensif n’est pas uniquement fait pour défendre. Il suffit de regarder un mec comme

“J’étais quand même le troisième transfert le plus cher de l’histoire de l’Inter derrière Vieri et Crespo. J’ai coûté plus cher que Ronaldo, quoi!”

“Si l’entraîneme­nt démarre à 11 heures, un grand joueur doit arriver à 10 heures, voire 9 h 30. Et moi, à l’Inter, je n’étais clairement pas un grand joueur”

Busquets pour le comprendre. T’as vu les risques qu’il prend? Il fait des râteaux dans sa surface… Quand je le vois, je deviens fou. J’aime beaucoup sa façon de jouer. C’est de ça que j’essaye de me rapprocher.

Ton coach à Valence, Marcelino, a une cote folle en Espagne, mais le reste de l’Europe ne le connaît presque pas. Tu peux nous en dire plus sur lui? Quand je suis arrivé à Séville en 2012, il venait de se faire licencier. Il me connaît depuis cette époque et m’a toujours suivi depuis. C’est bizarre, j’ai l’impression de me voir en lui. Je crois qu’on a le même caractère. C’est quelqu’un qui est humble, mais ça ne l’empêche pas d’être très confiant. Et c’est un entraîneur qui respecte les gens. À Valence, il place tout le monde sur le même plan: joueurs, kinés, intendants, cuisiniers… Il est aussi très ouvert. Par exemple, il peut discuter avec un joueur et admettre qu’il a eu tort. Alors il revient sur son opinion et on passe à autre chose. À côté de ça, il a une vraie autorité naturelle.

Lors de tes deux années à l’Inter Milan, tu as croisé des entraîneur­s avec qui il y avait moins de dialogue. Frank de Boer t’a par exemple remplacé à la 26e minute contre Bologne… Sur le coup, j’étais énervé. Je sors et je vais directemen­t aux vestiaires. Je me douche, et à la mi-temps, mes coéquipier­s viennent pour me taper dans la main. J’attends la fin du match, je rentre chez moi. À ce moment-là, je suis toujours énervé, mais je peux comprendre la décision du coach et je me relaxe avec ma famille. Puis je l’entends à la conférence de presse d’après-match: “J’avais donné des consignes à Kondogbia, il ne m’a pas écouté. Je ne peux pas jouer avec des joueurs qui ne m’écoutent pas.” Et là, ça m’a rendu fou. Je suis quelqu’un qui a du respect pour les gens, donc je ne voulais pas aller au conflit avec lui, parler sous le coup de la colère et que ça parte en vrille. Le lendemain, il m’a convoqué pour me dire pourquoi il avait fait ça. Moi, je ne voulais rien entendre. Je lui ai dit: “Je ne sais pas pourquoi vous avez fait ça, mais vous n’aviez pas à le faire. Comment vous voulez gagner un match si vous critiquez ouvertemen­t vos joueurs devant la presse?” Il m’a répondu qu’il voulait donner un signal et qu’il attendait que le groupe comprenne ce signal.

Tu as été soutenu par tes coéquipier­s? Un cadre du vestiaire est intervenu pour me défendre et dire que sa façon de procéder était mauvaise. Dès son arrivée, De Boer a manqué d’humilité dans sa gestion du groupe. Un jour, il te serre la main, l’autre non. La veille du premier match de championna­t, il a fait une séance vidéo où il ne convoque que les titulaires… C’est là qu’il s’est mis dans une mauvaise situation avec beaucoup de joueurs. Maintenant, tout cela est terminé. Je ne lui en veux pas et je ne lui souhaite que du bonheur. Nous faisons tous des erreurs.

Quelles ont été tes erreurs à Milan? Tu as quand même été élu “Bidon d’or 2016”… Ma plus grosse erreur, c’est d’être arrivé trop décontract­é. En fait, je ne me suis pas rendu compte du boucan que mon transfert a suscité en Italie. Je n’étais pas prêt pour ça et je n’aime pas trop ce type de pression. Voir le Milan AC et l’Inter se chamailler autant pour un joueur étranger, c’était du jamais vu. Les deux clubs sont venus dans ma maison à Monaco pour me convaincre de signer. Ils étaient persuadés que si je signais chez eux, ils allaient gagner le championna­t. J’aurais dû comprendre que le prix de mon transfert

allait générer des grosses attentes. J’étais quand même le troisième transfert le plus cher de l’histoire de l’Inter derrière Vieri et Crespo. J’ai coûté plus cher que Ronaldo, quoi!

On imagine une vie moins tranquille qu’à Monaco…

À Milan, quand les caméras étaient présentes devant mon hôtel, je ne pensais même pas que c’était pour moi. Dans cette nouvelle vie, mon exigence envers moi-même devait passer un cap. Par exemple, si l’entraîneme­nt démarre à 11 heures, un grand joueur doit arriver à 10 heures, voire 9 h 30. Et moi, je n’étais clairement pas un grand joueur.

À Monaco, tu as connu Ranieri et Jardim. Quel est l’entraîneur qui t’a le plus marqué? Je n’ai pas d’entraîneur fétiche. Tous ceux que j’ai croisés pour l’instant ont posé leur pierre pour me construire et me faire progresser, même à l’Inter. Si on prend Jardim, il est si proche de toi qu’il va te dire “T’es nul, t’es une

merde” comme si c’était un pote de ton quartier qui s’adressait à toi. Les compliment­s, ça fait plaisir, mais je n’en ai pas spécialeme­nt besoin. Je préfère qu’on me parle de mes erreurs, ça me fait avancer.

Où est-ce que tu te situes par rapport à la concurrenc­e en équipe de France? Il n’y a pas 36 000 questions à se poser. J’ai envie d’aller en Russie, mais en ce moment, il y a un embouteill­age à mon poste. Tant mieux, c’est bien pour la France! C’est aussi bien pour moi, car cela me permet d’avoir un niveau d’exigence très élevé. Quand je vois les Matuidi, Tolisso, Rabiot, je ne me dis pas que je dois être meilleur qu’eux. Je me dis que je dois être meilleur qu’hier. Après, Deschamps est aussi un ancien joueur et il connaît très bien le poste de milieu de terrain. Il sait qu’on peut être utile même sans avoir des stats incroyable­s.

Tu penses que tu peux être pénalisé par le fait de jouer à Valence? Les gens qui ne connaissen­t pas Valence, ils ne connaissen­t pas le football. Un mec comme Jérémy Mathieu par exemple, il s’est fait appeler parce qu’il était performant à Valence. Après, c’est vrai que je ne joue pas la ligue des champions, alors j’ai moins l’occasion de marquer les esprits.

Tu es en contact avec Didier Deschamps? Je ne pense pas que le contact entre nous soit nécessaire. J’imagine qu’il doit suivre mes matchs, mais il a aussi son boulot à faire. Je ne suis pas un joueur cadre de l’effectif, donc il n’a pas à entretenir une relation forte avec moi. En début de saison, contre l’Espanyol Barcelone, tu as exhibé un tee-shirt en référence à la lutte contre l’esclavagis­me en Libye. Comment t’est venue l’idée? C’était vraiment une réaction normale pour moi, je me suis senti concerné parce que je trouvais qu’il s’agissait d’une injustice. Concrèteme­nt, beaucoup de choses sont tristes aujourd’hui dans le monde, et cette injustice-là m’a touché, m’a donné l’envie d’agir à mon échelle. Ce genre de nouvelle, c’est une honte parmi plein d’autres. Ça ne me met pas en colère, mais ça m’attriste. Parfois, j’ai honte de l’être humain. Depuis deux ans, je vais en Centrafriq­ue pendant les vacances. Je ne peux même pas décrire les paysages, il faut le voir pour le croire. Quand tu arrives là-bas, tu es sur une autre planète. Dans tous les domaines, c’est insalubre: les infrastruc­tures, l’eau, l’électricit­é… Imagine un truc élémentair­e que tu as chez toi, n’importe quoi, là-bas, ça n’existe pas. Les maisons, c’est de la taule qui ne filtre pas la pluie, les routes ne sont pas goudronnée­s… Mes parents font des voyages réguliers au pays, ils se sentent bien quand ils y sont. Ils restent deux, trois mois, ça les fait décompress­er. Mais ça les affecte aussi, parce que le pays a beaucoup souffert à cause de la guerre. Toutes les maisons de leur enfance, les endroits où ils allaient acheter des bonbons, tout est détruit… On s’intéresse à tout ça avec mon frère, on est en train de voir ce que je peux faire pour agir à mon échelle.

Est-ce un hasard si Paul Pogba et Serge Aurier, qui sont deux de tes meilleurs amis dans le foot, ont également marqué le coup à cette occasion? On n’avait jamais parlé de ce sujet précis entre nous. Mais le fait que l’on agisse chacun de notre côté pour la même cause sans le savoir, ce n’est pas un hasard. Il y a plein de trucs qui nous rapprochen­t, sur lesquels on a la même sensibilit­é. Serge, on dormait dans le même lit quand on était au centre de formation à Lens. On passait des nuits blanches à regarder Les Frères Scott, 90210 Beverly Hills ou des mangas… J’ai même dormi chez lui pendant un moment, le temps de trouver un appart à la reprise en ligue 2 avec Lens. Serge, il n’a pas l’image d’un garçon en or, mais c’en est un. Je le considère comme un membre de ma famille.

Cette affaire de Periscope, tu l’as prise comment?

C’est une vidéo complèteme­nt sortie de son contexte. Une fois que la machine est lancée, tu te dis qu’il n’y a rien d’autre à faire que d’en subir les conséquenc­es. Pour nous les footballeu­rs, ces dérapages médiatique­s peuvent arriver très vite, plus vite qu’on ne le pense. Ça fait peur parce que personne n’est parfait. Le temps d’une journée, tu peux te tromper. Par exemple, si je sors de chez moi, que j’ai un accident de voiture, que je me prends la tête avec l’autre conducteur qui m’a coupé la route, qu’on finit par se battre ou que cela s’échauffe avec un policier… Une connerie est vite arrivée. Mais si cela ne m’arrive pas pour l’instant, c’est aussi parce que je suis lucide sur le fait que ça peut m’arriver. Quand tu joues pour des grands clubs, tu es en quelque sorte obligé d’être plus mature que les gens de ton âge.

L’éducation que tes parents t’ont donnée explique-t-elle ta maturité? Mon père m’a toujours dit la vérité. Depuis que je suis tout petit, il n’a jamais essayé de me protéger. Il n’y a rien de négatif là-dedans, c’est juste qu’il m’a toujours considéré comme quelqu’un de mature, capable d’entendre des phrases véridiques et lourdes de sens, comme “Mon fils, tu n’as pas été bon”, ou “Si tu continues comme ça, tu vas finir à la rue”. Lui, il bossait à Argenteuil. Et je vais te dire un truc: je n’ai jamais vraiment su ce qu’il faisait et je ne lui ai jamais posé la question. Je sais juste qu’il allait à l’usine. Et le week-end, c’était le foot. Le samedi il me regardait jouer, le dimanche il partait voir mon frère au centre de formation de Lorient (Evans Kondogbia, 28 ans, a disputé un seul match de ligue 2 avec Arles-Avignon en 2014 et a notamment été internatio­nal centrafric­ain, ndlr). Il rentrait, se couchait, et le lendemain, il repartait travailler très tôt. La bagnole a fait des kilomètres. Elle est à la casse depuis un moment!

“Jardim est si proche de toi comme entraîneur qu’il va te dire ‘T’es nul,t’esunemerde’ comme si c’était un pote de ton quartier qui s’adressait à toi”

Il paraît qu’au départ, ton père était très réticent à l’idée que tu essayes de devenir pro…

Au départ, il ne voulait pas que j’aille à Lens, il préférait que mon grand frère veille sur moi. Mais l’erreur qu’il a faite, c’est qu’il m’a conduit là-bas. J’ai visité les installati­ons, les équipement­s, les crampons, les vrais terrains… J’ai vu les Charles Itandje, Daniel Moreira, Seydou Keita… Moi, à ce moment-là, je jouais à l’US Moissy sur un terrain rouge en terre battue. Alors là… Mon père a fini par craquer parce que j’ai fait un caprice. Et quand tu as un enfant et qu’il te fait un caprice, c’est difficile de lui dire non. Maintenant que je suis père, je sais ce que c’est.

Jusqu’à tes 11 ans, elle ressemblai­t à quoi, ta vie en Seine-et-Marne?

J’habitais à Nandy, un petit bled où mes parents avaient un pavillon. La ville avait construit de nouvelles maisons en face de bâtiments plus anciens. À cette époque, la vie était calme là-bas. Mes habitudes, c’était le foot, mais aussi le vélo. J’aimais bien partir en vadrouille et traîner avec les potes. On roulait des kilomètres, on partait loin. J’étais un enfant qui était tout le temps dehors, j’avais besoin de respirer… J’ai eu des problèmes à cause de ça. Quand ta mère te dit de rentrer avant qu’il fasse nuit mais que tu rentres beaucoup plus tard, ça se termine en dispute. Mes parents se faisaient du souci pour moi, se demandait ce que je pouvais bien faire. J’étais tout simplement trop occupé à faire du vélo ou jouer au foot dans la rue.

Du coup, tu t’intéresses au Tour de France?

Non! L’autre sport que j’aurais pu pratiquer, à la limite, c’est la boxe. Quand j’étais petit, les gens me disaient beaucoup que je regardais mal, que j’avais le regard méchant. Et puis, à force de me le répéter, on me disait que j’avais le regard du boxeur. C’est comme ça que je me suis mis à regarder des combats. Encore aujourd’hui, on croit qu’il y a de la méchanceté dans mon regard.

À Nandy, ton coach chez les poussins, Alberto Brandao, t’obligeait à jouer des matchs uniquement avec le pied droit pour te faire progresser…

Ouais, c’est vrai. C’est une catégorie où si tu es plus fort que les autres, tu fais gagner ton équipe tout seul. Mon record, ça doit être neuf ou dix buts dans un même match. J’ai pris aussi quelques raclées, hein! Bref, quand il m’empêchait de jouer avec le pied gauche, je me mettais à pleurer…

“Quand je vois les Matuidi, Tolisso, Rabiot, je ne me dis pas que je dois être meilleur qu’eux. Je me dis que je dois être meilleur qu’hier”

À Lens, tu avais l’habitude d’aller gratter des sous chez des coéquipier­s plus vieux pour t’acheter des bonbons… C’était pour aller acheter des Fraisoo… On se débrouilla­it pour récupérer vingt centimes par-ci par-là, puis on allait au distribute­ur au rez-de-chaussée en soirée quand il restait seulement les surveillan­ts. C’est marrant de repenser à cette époque, parce que je me rappelle de la manière dont je pensais: “Putain, faut que je réussisse dans le foot, comme ça, je pourrai m’acheter des bonbons quand je veux, aller au McDo quand je veux, prendre un kebab quand je veux…” Les premiers plaisirs avec ton argent, même quand tu grandis, c’est les bonbons, les gâteaux, les Kinder Bueno… Mes premiers salaires, c’était 400, 500 balles. Tout allait là-dedans dans les courses à Carrefour.

Tu te souviens de la période où tu vendais des télés chez Gifi?

J’étais en BEP vente, c’était un stage de deux semaines. C’était assez chiant en vérité: tu ranges, t’essayes de conseiller les clients, tu t’occupes de la mise en rayon… Je ne dénigre pas ce travail, mais ce n’était pas mon objectif de faire ça dans la vie, quoi. Attention, si demain je suis dans l’obligation d’aller bosser chez Gifi pour nourrir ma famille, je le ferai sans problème. D’une certaine manière, c’est aussi la vraie vie… (Il s’arrête) Au moment où je fais ce stage, la vie est quelque chose que je ne connais pas. Quand tu es dans un centre de formation depuis tes 11 ans, tu vis dans une bulle. Tu apprends à respecter les gens, à les saluer, mais ça reste de la théorie. La pratique, j’y ai été confronté en voyant le patron crier sur ses employés, mal leur parler gratuiteme­nt. Tu prends conscience de la réalité des choses, du concept de petit chef, tout ça… C’est là que je me suis dit que je ferai ce travail uniquement le jour où je n’aurai pas le choix. Heureuseme­nt, j’ai rapidement pu signer pro à Lens…

Ton surnom de “Caillou”, ça vient d’où?

Dès mes premiers jours au centre de formation, je joue au baby-foot avec Arthur Masuaku, qui est aujourd’hui à West Ham. On ne connaissai­t pas les prénoms des autres, on joue au baby, je touche la balle et je dis: “Putain, elle est dure, on dirait un caillou!” Et là, ils se sont marrés, ça devait être à cause de la manière dont je l’ai dit. Treize ans après, si je croise une personne du centre de formation à Lens, c’est sûr qu’elle va m’appeler comme ça!

Et puis dans tes catégories de jeunes, les rencontres face au Havre étaient l’occasion de jouer contre Paul Pogba. Paul, je le connais depuis les 14 ans fédéraux. Il était déjà très fort, suscitait pas mal de jalousie car des clubs étaient déjà sur lui. Il était capitaine en équipe de France… C’est un mec hyper simple, il te met direct à l’aise. En fait, il n’est énervé que sur le terrain quand ça se passe mal, parce qu’il est mauvais perdant. Son énergie, elle est incroyable. Moi, je suis presque l’inverse de lui. J’ai le visage fermé alors que lui est souriant. Et pourtant, on est très proches.

Au niveau de la notoriété et du rapport aux réseaux sociaux, tu es aussi à l’opposé de lui. Du coup, tu es aussi moins bankable. Est-ce que t’as l’impression que ça peut pénaliser ta carrière?

La notoriété, ça va et ça vient… Après, c’est clair qu’aujourd’hui, c’est utile de s’afficher sur les réseaux sociaux. Mais Paul est comme ça, c’est sa nature. Il ne s’invente pas de vie. Depuis tout petit, il est à 200 % dans la joie de vivre, ses frères aussi sont comme ça. Ensuite, tu peux aussi avoir des joueurs qui sont très casaniers et qui réussissen­t dans le foot. Quand tu vois un Iniesta ou un Xavi, tu te dis que c’est possible.

Tes entraîneur­s disent tous que tu as un rapport très particulie­r au sommeil…

Ça, c’était avant. Maintenant, avec mes deux enfants, c’est ingérable. Mais avant, c’était assez fou. À 17 ans, je faisais des nuits de douze ou quatorze heures. C’était comme ça presque tous les jours. Pendant les déplacemen­ts, au moment de voyager, que ce soit avec mon père ou avec mes coéquipier­s, c’était sieste à chaque fois. J’ai énormément de souvenirs de moi qui m’endors dans une voiture, un bus…

Quand tu jouais à Monaco, tu habitais à 500 mètres de La Turbie. Et là, à Valence, tu te trouves à cinq minutes du centre d’entraîneme­nt, écarté du centrevill­e. Pourquoi?

Pour des raisons pratiques. C’est plus simple. Même si je n’étais pas joueur de foot, je préférerai­s habiter à cinq minutes de l’endroit où je bosse. Je suis très casanier. Pourquoi j’habiterais dans le centre-ville alors que je n’y vais jamais? J’ai habité à Milan pendant deux ans, je n’ai quasiment jamais mis les pieds dans le centre-ville. Je regrette de ne pas m’être ouvert à la ville, de ne pas avoir été plus curieux. Mais c’est dû à l’âge. À 30, 35, 40 ans, tu as plus naturellem­ent envie de faire des visites, tout ça. Moi, si je n’en ressens pas l’envie, je n’arrive pas à me forcer. Alors je reste le plus souvent enfermé chez moi et je suis dans mes mangas. Tous les dimanches, j’attends le One Piece!

“Serge Aurier, on dormait dans le même lit quand on était au centre de formation à Lens. On passait des nuits blanches à regarder Les FrèresScot­t ,90210 Beverly Hills ou des mangas…”

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Geoffrey Kondogbia.
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 ??  ?? “Tu vas avoir confiance dans l’être humain, bordel?!”
“Tu vas avoir confiance dans l’être humain, bordel?!”
 ??  ?? Face à Drazen Kekez, match amical contre le club autrichien du WSG Wattens, en juillet 2016.
Face à Drazen Kekez, match amical contre le club autrichien du WSG Wattens, en juillet 2016.

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