So Foot

“Ils nous ont mis par terre”

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Philippe, gérant d’une sandwicher­ie

“Hé ho Philippe, ça va?” Dans son camion aux couleurs du Sporting posé à côté du stade de Furiani, Philippe entend sans tourner la tête. Pas le temps. Le figatellu maison dans la main, les yeux sur la cuisson des frites, l’homme de 49 ans lutte contre les secondes. Deux cents sandwichs à préparer en deux heures, ça réclame de la sueur. Devant lui? Des supporters fidèles du club, toujours. Des Lensois –“qui s’en foutent d’être mélangés aux autres”– ou des Stéphanois –“qui hurlent avec leur drapeaux”–, parfois. Des Parisiens

“dans leur coin”, plus rarement. “Ce genre de scène, je l’ai vécu avant chaque

coup d’envoi depuis la saison 2011-2012 (le retour de Bastia en L2, ndlr).

C’est-à-dire trois fois par mois pendant sept ans”, explique celui qui assure être le premier food truck à s’être installé à proximité de l’enceinte les soirs de match. Une fois la rencontre débutée, Philippe rechargeai­t les batteries dans sa voiture, le poste de radio allumé pour suivre son SCB, avant de retourner à ses merguez fraîches après le coup de sifflet final. Impossible pour lui de mettre un pied à Armand-Cesari depuis le 5 mai 1992: Philippe avait pris place dans cette tribune maudite pour assister à cette demi-finale de coupe de France face à l’OM, il y laissa trois vertèbres et une jambe cassés. “Ensuite, la rencontre se terminait à 22 heures, mais je ne rentrais pas avant minuit. Le temps de discuter des arbitres, de ranger… Et dans 98 % des cas, le lendemain était un dimanche de travail à domicile: nettoyage et dégraissag­e complets du camion!” Aujourd’hui, le “camion bleu de Philippe”, reconnu dans toute la Corse pour la qualité de ses casse-dalles, affiche toujours une écharpe “Forza Bastia” à côté d’un drapeau corse, mais ne s’installe plus aux abords immédiats du stade le samedi aprèm comme il le faisait tous les quinze jours depuis quinze ans, et reste désormais stationné le long de la route principale qui mène au centre-ville. Hormis pour de grands événements, comme l’inédit France 98-France Rugby du 14 mai prochain organisé par Pascal Olmeta. “J’ai reposé le camion à Furiani en début de saison, le temps d’un match. Niveau ventes, c’était lamentable. Donc c’est terminé, tranche Philippe, on ne déplace pas ‘le camion bleu’ pour vendre vingt sandwichs. C’est une perte de temps et d’argent.” Outre les supporters moins présents, Philippe explique ce four par le nombre exponentie­l de sandwicher­ies de fortune qui pullulent autour du stade. “Les gens ont cru qu’il y allait avoir la même fréquentat­ion, que l’histoire des socios allait tout changer… N’importe quoi!” Derrière ses fourneaux, l’organisate­ur de soirée (son autre boulot) a vu son chiffre d’affaires baisser de 15 % en neuf mois. “C’est clair que deux à trois grosses soirées de foot par mois, c’était vraiment parfait. Mais moi, je ne suis pas le pire, je n’ai pas d’employés. À peine un extra de temps en temps. Ils nous ont tous mis par terre”, ajoute Philippe, une dent contre les anciens dirigeants. Et de reverser très vite dans cette nostalgie encore fraîche mais déjà écrasante. “L’ambiance me manque forcément. Les chamailler­ies avec les fans… Quand j’étais dans le jus, ceux qui me connaissen­t me chambraien­t: ‘T’es bon à rien!’ Maintenant, le week-end, je ne fais… rien. Je gagne moins d’argent, mais j’ai plus de temps!” Comme quoi, même un food truck peut faire du chou blanc.

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