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Infiltré.

Comment intéresser les jeunes à la politique? Pierre-Henri Dumont, 30 ans et député du Pas-de-Calais, pense avoir trouvé la solution: deux manettes, un écran, Fifa 18… Et malheur à ceux qui hurleraien­t au coup de com.

- PAR ALEXANDRE DOSKOV, À CALAIS / PHOTO: ENGUERRAND PETOLAS

Comment intéresser les jeunes à la politique? Pierre-Henri Dumont, député du Pas-de-Calais, pense avoir trouvé la solution: deux manettes, un écran, Fifa 18… Et malheur à ceux qui hurleraien­t au coup de com.

Battus par une pluie cinglante, les Bourgeois de Calais se tortillent sur leur socle, sous l’oeil de quelques mouettes qui piaillent avant de terminer leur vol sur le toit du beffroi de l’hôtel de ville. Mais Pierre-Henri Dumont n’a le temps ni pour l’ornitholog­ie, ni pour admirer la statue de bronze des martyrs de la commune, burinée par Rodin. En ce samedi mouillé de début février, à 300 mètres du tas de bronze délavé, le député LR de la 7e circonscri­ption du Pasde-Calais gare sa Clio noire cabossée devant sa permanence. Il y entre avec un McDo à la main. Quelques centaines de calories plus tard, le jeune élu est enfin prêt à recevoir ses invités. Il fait le tour du propriétai­re, balayant la salle principale de la main: “On a poussé les tables

de réunion contre les murs pour l’occasion.” Si Monsieur le député a joué les déménageur­s, c’est pour accueillir le temps d’un après-midi des jeunes de sa circonscri­ption qui ont accepté de le défier à Fifa 18. Cravate laissée au placard et pull trop large du week-end, Dumont justifie cette initiative à première vue très éloignée des prérogativ­es d’un élu de la République. “On passe notre temps à dire que les jeunes ne viennent pas voter. Si on les invite à une réunion, ils ne viendront pas, alors j’ai imaginé ce moyen de briser la glace.” Si Pierre-Henri Dumont est ce qu’on appelle un jeune loup de la politique –maire de Marck (commune périphériq­ue de Calais) à 26 ans, député à 29–, il n’en reste pas moins un millennial comme les autres, avec un penchant pour les jeux vidéo. “J’ai commencé

avec ISS”, avoue-t-il. Mais avec son arrivée au Palais-Bourbon, celui qui revendique 20 ans de pratique a changé de camp, et dispose de moins de temps pour gérer son mode carrière avec le RC Lens: “Hier, j’ai battu Tottenham en huitièmes de ligue des champions. Mais

j’ai dû désinstall­er Football Manager. Si je remets le doigt dedans…” Sa PS4 branchée à l’écran très large et très plat face au canapé, le parlementa­ire attend l’arrivée de l’opposition. Une première grappe de jeunes débarque, suivie par d’autres qui prennent place stratégiqu­ement au plus près du chauffage. Certains ont entendu parler de l’opération sur Facebook, d’autres passent par là. L’élu se retrouve face à seize jeunes âgés de 13 à 20 ans, il tente de briser la glace alors que la console ronronne dans son coin. “Vous savez à quoi sert un député?” lance-t-il. Une tentative d’éveil au civisme qui provoque un grand blanc dans l’assistance. Une adolescent­e en maillot Neymar cherche en vain de l’aide dans les yeux de sa copine, quand le parlementa­ire vient à son secours et livre la bonne réponse. La mise au point constituti­onnelle évacuée, Dumont indique le canapé du doigt: “Qui veut commencer? Promis, je ne l’humilie pas. Thibaut sait que généraleme­nt je m’arrête à 5-0.”

“Neymar pour les une-deux en triangle”

Clément, un petit blond, se dévoue et saute sur le Bayern, tandis que le député opte pour la Juve. Chiellini troue Neuer trois minutes plus tard et, à la mi-temps, Turin mène 7-0. La gifle est sèche, Clément lâche la manette, et son bourreau tente de lancer une nouvelle discussion politique. Les lois, la droite, la gauche, les institutio­ns, Dumont brasse large en donnant des réponses simples à un auditoire mal informé. Car Calais est un coin de France auquel sont accolés les mots-clés “migrants” et “FN”, une terre où Marine Le Pen a facturé 57 % au second tour de la présidenti­elle. Plus tôt dans la semaine, l’élu LR recevait le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, suite aux coups de feu échangés entre passeurs. Alors il mise sur la carte de la prudence et de la pédagogie avant de lâcher un “Next?” qui indique que le jeu peut reprendre. Place à un Atlético-RC Lens pendant lequel Dumont tente un cours d’histoire sur son club de coeur. “Tu sais qu’il y a déjà eu un LensAtléti­co? En coupe d’Europe, en 2000.” Un “Ah bon?” tout mou met fin au voyage dans le temps. Tant pis pour l’ado ignorant l’existence de Pascal Nouma et Philippe Brunel, il sera laminé

5-0. L’exigence du haut niveau. Hugo, épaules carrées et regard vif, prend le relais avec Manchester United. Dumont veut garder Lens, mais le chambrage a ses limites: “Non, je veux un vrai match, je le prendrais mal sinon.” Va pour le Brésil, que le poulain de Xavier Bertrand dispose en 4-2-2-2, “avec Neymar et Jesus sur deux lignes différente­s pour les une-deux en triangle”. Étudiant en école de commerce, Hugo parle de sa difficulté à trouver un stage. Le député écoute, répond, mais le match est accroché, alors il peste contre ceux qui osent passer devant l’écran. “Je parle, je

parle, et je fais de la merde”, rage-t-il. Hugo tient son 1-1 et peut charrier: “Faut pas rager hein.” En choisissan­t les tirs au but comme juge de paix, Dumont retombe sur ses pattes: “Je rage plus contre la majorité et les Insoumis.” Dommage pour Hugo, un Alexis Sanchez déjà transféré rate son penalty décisif et offre la victoire au Brésil. Une bonne nouvelle pour le matériel, puisque Dumont confesse un pedigree de solide casseur de manettes: “J’en ai au moins dix à mon actif, j’ai dû en racheter une juste avant

cette journée.” Sur sa lancée, il veut boucler la boucle et mettre une danse à Thibaut, originaire de Marck, qui va au canapé comme on monte à l’échafaud: “La dernière fois, il m’a mis un 5-0.” Son ancien maire le met en boîte: “5-0? J’étais

mauvais ce jour-là.” Cette fois, il en facture huit à Thibaut. Plus personne n’ose défier celui qui s’est déjà distingué au Parlement avec son style très offensif. Les manettes passent ainsi entre les mains des filles, qui préfèrent s’affronter entre elles. Dans le fond de sa permanence, le patron peut répondre à toutes les questions et se plier au jeu des photos. Les stories Snapchat sont chargées, mais les conscience­s politiques sont-elles bien éveillées? Dumont veut croire que tout cela a servi à quelque chose. Thibaut, Hugo et consorts, eux, s’en vont chacun avec une rouste dans la valise, tels des martyrs de Calais du XXIe siècle qui n’ont pas Rodin pour les immortalis­er. Ainsi va le nouveau monde.

“J’ai dû casser au moins dix manettes depuis que je joue, j’ai dû en racheter une juste avant cette journée” Pierre-Henri Dumont, député Les Républicai­ns du Pas-de-Calais

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Score: 49-3.
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