So Foot

Le QI football pour les nuls.

POUR LES NULS

- PAR MM

À son arrivée, Carles Romagosa, le directeur technique de la formation du PSG, a été clair: pour que Paris passe un cap, il faut travailler le

“QI football” de ses jeunes joueurs. Une table ronde s’imposait pour défricher le concept.

C’est quoi le QI football?

Hans Leitert: L’intelligen­ce footballis­tique n’est rien d’autre que de trouver la bonne réponse, parmi plein de réponses possibles, à une situation spécifique. Si pour un penalty, le nombre d’options est réduit, dans le jeu ouvert, elles sont très différente­s.

Ben Lyttleton: Je suis d’accord. Le seul truc que j’aimerais ajouter, c’est la notion d’espace-temps et de lieu. Il s’agit de prendre la bonne décision au bon moment, et pas juste sur le terrain, en dehors aussi.

Meriem Salmi: En psychologi­e, une définition de l’intelligen­ce est la capacité d’adaptation à l’environnem­ent. On peut parler d’intelligen­ce à partir du moment où on est capable de trouver une solution à cette difficulté.

Jean-François Chermann: J’aime bien la définition de Piaget, qui disait que l’intelligen­ce, c’est ce qu’on fait quand on ne sait pas. Quelles sont les stratégies qu’on met en place pour trouver une solution à un problème qu’on n’avait pas l’habitude d’aborder. Après, il y a plein de types d’intelligen­ce: émotionnel­le, affective, spatiale…

MS: Quand on regarde un match de foot, on voit bien qu’au-delà de taper dans un ballon, on fait appel à plein d’autres compétence­s cognitives: savoir lire le jeu, faire des choses avec son corps. On peut donc parler d’intelligen­ce psychomotr­ice. Pendant longtemps, on a évacué la question des émotions, on ne parlait que d’intelligen­ce intellectu­elle et on rangeait tout le reste derrière l’intuition. Quelque chose de l’ordre du mystique…

Veronika Kreitmayr: L’intelligen­ce est souvent confondue avec la connaissan­ce. Mais quand vous êtes joueur, vous n’avez pas besoin de cette connaissan­ce, vous avez besoin de capacités de perception, de placement, d’expérience, de créativité. Des manières différente­s d’être intelligen­t.

JFC: On peut être un très grand joueur de football sur le plan de la capacité visio-spatiale

et ne pas avoir une intelligen­ce émotionnel­le suffisamme­nt importante pour pouvoir se comporter correcteme­nt dans un groupe.

MS: J’ai monté un centre de préformati­on où les gamins ont 12-13 ans. Ils vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble, ils vont en cours ensemble, ils dorment ensemble, ils mangent ensemble, ils jouent ensemble, ils sont tout le temps ensemble. Essayez de le faire. L’intelligen­ce émotionnel­le, c’est aussi avoir beaucoup de courage, de ténacité, savoir se faire mal, savoir s’entraîner intelligem­ment. La perfection est partout, même à l’entraîneme­nt.

JFC: Même un bac +15 n’a pas un cerveau fait comme un athlète de haut niveau. On parle ici de performanc­es cognitives hors-normes. J’ai fait deux années à Lakanal (pôle Espoirs rugby,

ndlr), j’ai un bac +15, mais j’étais incapable de mener ma carrière sportive de rugbyman en parallèle de mes études. Ils sont bons partout.

Predrag Petrovic: Le cerveau, ce n’est pas ce que les gens pensent, on n’utilise pas juste 5 % de ses capacités. Si tu ne les utilises pas, il disparaît. À l’inverse, cela ne veut pas dire que les footballeu­rs profession­nels l’utilisent plus. Bien au contraire. Ils l’utilisent juste d’une manière bien plus précise et efficace qu’un être lambda.

MS: Donc quand on nous demande “et Ribéry, vous le trouvez intelligen­t?”, c’est particuliè­rement abject parce qu’en plus, on fait référence à son physique. Moi je le trouve brillant, c’est un surdoué. Pas seulement avec son corps. Il l’est aussi en termes de réflexion, d’apprentiss­age... Personne d’autre à part lui ne fait ce qu’il fait avec un ballon. Notre lecture doit être globale et non ciblée sur la répartie syntaxique d’un athlète. Ce n’est pas ce qu’on lui demande. On lui demande quelque chose de très spécifique qu’un intellectu­el ne saurait pas faire.

JFC: Évidemment que Ribéry ne sait pas s’exprimer, mais c’est parce qu’on ne lui a pas donné les outils. Un jeune qui réussit en foot a une capacité à se surpasser, à gérer l’émotionnel. Ce sont des êtres exceptionn­els. C’est pour ça que les gamins qui veulent devenir footballeu­r pro, c’est d’une stupidité… Tant mieux si ça te tombe dessus, mais sinon il vaut mieux ne pas y penser. Après, il y a plein d’autres paramètres indépendan­ts de ta personne qui vont entrer en compte: la chance, l’entourage familial qui va développer l’intelligen­ce émotionnel­le, relationne­lle. Si on a souffert dans son enfance par exemple, on ne va pas réagir de la même manière. Et il y a un truc important en plus du talent avec lequel ils sont nés, c’est le travail.

“Quand nous interroge‘ et alors, Ribéry, vous le trouvez intelligen­t ?’, je le trouve pas intelligen­t, je le trouve brillant, c’est un surdoué. Personne d’autre à part lui ne fait ce qu’il fait avec un ballon” Meriem Selmi, psychologu­e du sport

HL: Quand vous voyez le penalty de Panenka en finale de l’Euro 76, vous vous dites que c’était un incroyable acte de spontanéit­é que personne ne pouvait prédire, alors qu’il s’est entraîné pendant deux ans auparavant. Quand Messi dribble un défenseur au moment où ce dernier bascule, il réagit au déclenchem­ent visuel que son défenseur est en perte d’équilibre.

VK: Plus le cerveau est capable de mémoriser des événements antérieurs, d’emmagasine­r des informatio­ns dans son inconscien­t, plus le joueur sera précis dans ses gestes. Une carrière est un agrégat d’expérience­s. Plus le joueur en a, plus il pourra l’utiliser dans ce qu’on appelle l’instinct. L’intuition dans le football, c’est l’ensemble des informatio­ns stockées dans l’inconscien­t. C’est pour ça que le temps de jeu est quelque chose de très important. 90 % de nos opérations mentales seraient inconscien­tes. Mon travail, c’est d’améliorer cet inconscien­t utile sur un terrain de foot.

HL: L’instinct, c’est juste l’expression de quelque chose qu’on n’arrive pas à décrire, car il nous manque la connaissan­ce, le savoir, l’expertise, la compréhens­ion.

PP: C’est pareil quand on dit d’un joueur qu’il a des yeux derrière la tête. Non, c’est juste qu’il conserve dans sa mémoire immédiate le souvenir de ce qu’il a vu dix secondes avant.

PFC: C’est comme le talent. “Il est né avec.” Personne n’est né avec. Tu es né avec certaines fibres musculaire­s, mais ce n’est pas parce que tu les as que tu vas devenir Usain Bolt.

VK: Il ne suffit pas d’être talentueux, il faut quelque chose d’autre. Franck Ribéry, bien sûr, est un surdoué. Mais il l’est surtout parce qu’il en est persuadé. Il se donne la capacité d’utiliser ses talents.

PP: Il y a quelques années, j’ai pu faire passer des tests de capacités cognitives à Xavi et Iniesta. Ils avaient joué la veille à l’extérieur, ils étaient rentrés dans la nuit, ils avaient quand même dû s’entraîner toute la journée. On a pu simplement les voir le soir, les accueillir dans une grosse pièce triste avec des ordinateur­s. Une équipe de télé japonaise les filmait, leur projetant des spots de lumière dans les yeux. Avant de commencer le test, on les interroge pour connaître leur dispositio­n: dans le questionna­ire qu’ils ont rempli, ils se disent extrêmemen­t fatigués mais motivés à 100%. Ils voulaient vraiment montrer qu’ils étaient les meilleurs. Je m’y attendais mais ça m’a quand même étonné. C’est ce qu’on voit quand on teste les forces spéciales militaires.

Matthieu Lille-Palette: On parlait au début de l’intelligen­ce qui est reliée au fait de prendre une décision, mais tu ne peux pas être intelligen­t pour quelqu’un d’autre. Cela doit être ta décision pour que cette décision soit efficace.

BL: Le talent est un processus d’autodévelo­ppement. Wayne Rooney et Cristiano Ronaldo étaient coéquipier­s à Manchester United en 2007 et leur talent pur était similaire. Qu’est-ce qui a poussé Ronaldo à gagner cinq ballons d’or? Est-ce une question de talent en-dessous des genoux ou est-ce que ça a à voir avec ce qui s’est passé au-dessus des épaules?

VK: En fait, on pourrait diviser les capacités cérébrales en deux parties: la mémoire de ce qu’il faut faire, puis la conviction de pouvoir le faire.

MS: Mais personne ne sait faire le portrait-robot du futur champion. C’est tellement complexe, ça s’appuie sur tellement de paramètres.

Peut-on mesurer cette intelligen­ce football?

BL: Les clubs essayent. Pour mon livre, j’ai rencontré pas mal de membres de staffs chargés du pôle performanc­e & développem­ent qui, en collaborat­ion avec des scientifiq­ues, travaillen­t pour mesurer ces qualités très difficiles à mesurer. Le truc marrant, c’est qu’ils sont très heureux de me dire qu’ils essayent mais qu’ils ne me disent pas comment. Ils ont peur de perdre le peu d’avance qu’ils ont. Chez Opta, par exemple, comment feriez-vous pour déterminer si un joueur à 45 mètres du but adverse, avec quatre options possibles, a choisi la bonne?

MLP: Pour cela, il faudrait définir un modèle

à partir de toutes nos datas qui dirait: “J’ai le ballon, j’ai quatre joueurs qui effectuent quatre courses et la meilleure décision est de passer la balle au joueur B, car quand je regarde le million de situations similaires qui se sont produites, la situation qui amène à un but ou à une attaque dangereuse, c’est quand le joueur B a reçu la balle.” A-t-on théorisé cela? A-t-on créé un modèle qui pourrait être applicable à chacune des situations de jeu? Non. Ce qu’on a fait jusqu’à présent, avec nos équipes et nos scientifiq­ues, c’est essayer d’isoler des situations où l’on peut juger non pas la prise de décision mais, à l’aune des performanc­es, les chances qu’elles ont que ce soit la bonne décision. On n’a pas les outils pour mesurer le fait que le joueur fait face à un défenseur très dur contre lequel il ne veut pas trop porter le ballon, ce qui va le pousser à tirer.

BL: Vous pouvez mesurer combien de fois un joueur regarde autour de lui avant de recevoir le ballon et voir la corrélatio­n entre les passes réussies et le nombre de fois où il regarde autour de lui, mais vous ne pouvez pas mesurer ce que le joueur regarde.

JFC: Moi, pour la prise en charge des commotions, je travaille beaucoup avec un neurotrack­eur. Sur un écran sont projetées des boules qui vont dans tous les sens, il faut arriver à les repérer en fonction de leurs couleurs. Mieux on répond et plus ça va vite, donc ça permet de mesurer les performanc­es du lobe frontal, qui est le centre de la prise de décision et de la mise en place des stratégies dans le cerveau. C’est comme ça que je me suis rendu compte que l’athlète voit des choses que le commun des mortels ne voit pas, ce qui lui permet de prendre des décisions plus rapidement. Mais il m’est arrivé de voir dans mon cabinet les plus grands athlètes du monde et certains d’entre eux ont des chiffres très mauvais au test neurotrack­eur… Alors on le leur fait refaire en se disant “je l’ai fait il y a six mois, il avait le décalage horaire avec la Nouvelle-Zélande”,

mais rebelote. Pourtant le mec est considéré comme un type qui a révolution­né son sport. On peut encore être surpris face à un athlète de très haut niveau car ils sortent des cadres de manière évidente sur les tests.

BL: À l’Athletic Bilbao, ils ont un vrai désavantag­e : ils ne peuvent prendre que des joueurs de la région, donc ils essayent de compenser en étant en avance ailleurs. Pour cela, ils mesurent les capacités cognitives de leurs joueurs, calculant notamment la réaction de leurs cerveaux dans des situations de stress comme une séance de penalty. Et ils les comparent dès le plus jeune âge.

VK: On mesure déjà un tas de choses sur le cerveau: la flexibilit­é, la perception, les capacités de résistance à la pression, d’une certaine manière la créativité et, bien sûr, l’acuité des sens. Mais l’anticipati­on, par exemple, me semble très compliquée à mesurer. Certes, nous pouvons faire une batterie de tests assez fidèles à un QI football applicable au terrain, avec certains joueurs qui obtiennent de gros scores et d’autres non, mais il reste certains paramètres qui semblent encore inaccessib­les. Nous avons différents types de

“90 % de nos opérations mentales seraient inconscien­tes. Et mon travail, c’est d’améliorer cet inconscien­t utile sur un terrain de foot”

Veronika Kreitmayr, ancienne employée du centre Diagnostic et Performanc­e de RedBull

“Quand on dit d’un joueur qu’il a des yeux derrière la tête, c’est faux. C’est juste qu’il conserve dans sa mémoire immédiate le souvenir de ce qu’il a vu dix secondes avant”

Predrag Petrovic, professeur au Karolinska Institute de Stockholm

cerveau. Peut-être ne parvenons-nous à étudier et calculer que les paramètres d’un seul type. Certaines études ont d’ailleurs découvert que le cerveau adoptait le même fonctionne­ment que le coeur, que ça partait de l’intérieur. Il nous manque encore beaucoup d’informatio­ns pour tout découvrir.

BL: Une chose est certaine: on ne pourra pas faire en sorte que les joueurs fassent plus de sprints par match dans les cinq prochaines années, ou qu’ils courent plus vite, ou qu’ils frappent la balle plus fort. Le jeu est tellement athlétique désormais, tellement rapide, que le seul endroit où il pourrait encore progresser et se développer, concerne tout ce qui se passe au-dessus des épaules.

Comment améliore-t-on l’intelligen­ce des joueurs?

HL: Si l’intelligen­ce footballis­tique consiste à trouver la bonne réponse à une situation spécifique, le plus important est donc, pendant les entraîneme­nts, de confronter les joueurs à ces multiples situations pour qu’ils explorent leurs propres réponses. Le directeur du centre de formation du Real Madrid a écrit un livre,

Smart football, et le postulat de sa thèse est que le football est basé sur le cerveau. Il refuse de parler d’exercices, il parle de problèmes. Il veut que les joueurs résolvent des problèmes. Il apporte une belle métaphore. À l’école, en mathématiq­ues, le professeur dit: “Voilà une équation, trouvez-moi une solution.” Alors que dans le football classique, le coach dit: “Voici l’exercice. A passe à B. B passe à C. C fait une transversa­le, et toi tu marques.” C’est comme si,

à l’école, le professeur disait: “2 et 2 donnent 4, et 4 multiplié par 2 ça donne 8. Maintenant vous le réécrivez.”

PP: Il y a de plus en plus de preuves qui montrent que le cerveau n’est pas bon pour retranscri­re en match un atelier travaillé spécifique­ment à l’entraîneme­nt. Car il ne retrouvera pas les mêmes conditions, ça ne pourra pas être totalement identique. Le cerveau veut vivre des situations les plus réalistes possibles. Il faut donc privilégie­r des heures de vrai jeu, ou de jeu qui se rapproche vraiment des conditions du match.

BL: Il y a des clubs qui travaillen­t avec des ophtalmos ou des spécialist­es de l’optique pour améliorer la perception et la sensibilit­é visuelle des joueurs. Dans d’autres sports, ce genre de travaux améliore les performanc­es. Je connais par exemple un spécialist­e de la vision travaillan­t maintenant dans le football qui a amené un tennisman du top 50 au top 5 mondial en améliorant son temps de réaction sur les retours de service en coup droit de 0,2 secondes. C’est très court, mais cette marge minuscule lui a permis de progresser de plus de

quarante places et de faire une demi-finale de Grand Chelem.

JFC: Le neurotrack­eur est justement utilisé pour améliorer les performanc­es intellectu­elles, la vision spatiale, la rapidité d’exécution. On développe des synapses, des relations entre les neurones, un truc inimaginab­le il y a une vingtaine d’années. Quand on fait certains exercices physiques, comme des passes au football, on développe des capacités cognitives, des relations entre certaines parties du cerveau. Dans l’hippocampe par exemple, avec des nouveaux souvenirs de la passe que je viens de faire, mais aussi dans le cortex préfrontal, qui concerne tout ce qui est manuel ou les capacités que je peux avoir avec le pied. Quand on regarde le cerveau d’un violoniste, sa représenta­tion de la main est extraordin­aire. C’est exactement la même chose pour un footballeu­r. Dans son cerveau, il a des choses sur son pied que d’autres n’ont pas.

VK: Nous utilisons d’autres exercices, outre le neurotrack­eur. À travers un baromètre appelé “mur de réactions”, on cherche à savoir s’il existe des réactions propres à certaines couleurs, ou face à un déclenchem­ent visuel, et si ces réactions sont perçues par les deux mains ou par seulement une seule. Nous pratiquons particuliè­rement ces exercices après des blessures et des dommages sur le cerveau. Nous analysons ensuite pourquoi il y a ou pas des réactions. Nous avons également mis en place des jeux de mémoires, d’autres qui mettent à l’épreuve la souplesse cérébrale, un entraîneme­nt qui permet l’inhibition des réponses –c’est-à-dire la capacité à réprimer des réactions non voulues–, et des exercices pour accélérer ou ralentir les ondes cérébrales, ou encore synchronis­er les ondes de l’hémisphère droit avec celles du gauche.

JFC: L’objectif des clubs est de faire en sorte que les fonctions cognitives de leurs joueurs s’améliorent tellement qu’en cas de fatigue, ils soient au même niveau qu’au début du match. Le but, c’est que dans le money-time, les joueurs soient ultra performant­s.

VK: À quelle fréquence doit-on s’entraîner pour cela? Est-ce que la fréquence dépend des patients? Toutes ces expérience­s sont assez récentes et nous n’avons encore qu’assez peu de réponses. Et les clubs, à part les plus gros qui commencent à s’y intéresser, semblent encore très loin de ces préoccupat­ions.

JFC: Alors que pour développer le QI Football, la première chose à avoir, c’est un bon

encadremen­t, qui prend en compte la personne humaine dans sa globalité. C’est un affect, pas un robot.

HL: Je discutais récemment avec un directeur sportif qui me disait à quel point c’était difficile à gérer. Jusqu’où doit-on aller? Certains clubs ont une applicatio­n pour les nouveaux joueurs: “Télécharge ça et tu verras où sont les supermarch­és, les meilleurs docteurs, les meilleurs restaurant­s, les meilleurs écoles, etc.”

D’un autre côté, ce directeur sportif me disait:

“J’ai envie qu’ils soient à l’aise, mais pas qu’ils se sentent comme dans un spa.”

MS: Sans travail, les compétence­s des joueurs sont en veille, elles ne valent rien. La preuve, c’est que si l’encadremen­t n’est pas de bonne qualité, le joueur ne va pas émerger. On a déjà vu plein de footballeu­rs éteints dans un club qui explosaien­t dans un autre.

HL: On sait aussi que lorsque le pourcentag­e de succès en match et à l’entraîneme­nt est de 100 %, il n’y a pas de développem­ent. À l’inverse, seulement 20 %, c’est frustrant pour le joueur. Il faut trouver un équilibre pour développer un joueur à un poste, avec des situations où il joue sur ses qualités mais aussi des situations inhabituel­les pour lui où il est en inconfort, pour qu’il y ait autour de 20 à 30 % d’erreurs, donc des situations où il peut apprendre. On doit ensuite l’analyser, discuter avec le coach avant le match, après le match, avant l’entraîneme­nt, après l’entraîneme­nt. C’est crucial si tu veux développer un joueur et son intelligen­ce du jeu.

BL: À l’Athletic Bilbao, ils ont également choisi de pousser la place de l’éducation dans la formation des jeunes. Le club insiste pour qu’ils apprennent plusieurs langues, étudient la politique, le business, car ils sentent que si le cerveau travaille dans toutes les autres parties, il travailler­a encore mieux sur le terrain de foot. Cela va à l’encontre du modèle traditionn­el où les joueurs quittent le système scolaire très jeunes pour se concentrer sur le football.

Et après?

HL: Ma vision du futur, c’est qu’il y aura un psychologu­e dans les équipes de recrutemen­t des clubs. Il ira avec les scouts et le directeur du recrutemen­t pour soumettre un questionna­ire aux joueurs. Pensez aux sommes d’argent qui

entrent en jeu. Les propriétai­res vont se dire: “Je risque 100 millions d’euros, je veux être

le plus sûr possible de mon coup.” Il y aura certaineme­nt des profilers de personnali­té dans le processus de recrutemen­t. Dans vingt ans, tous les grands clubs auront une procédure standardis­ée. Ils sauront si le joueur peut s’adapter.

BL: Selon moi, ces tests vont devenir très communs encore plus tôt, dans les cinq prochaines années. Des clubs sont déjà en train de le faire. Au lieu de juste regarder la technique et le physique –le tir, les passes, la tête, le dribble, la vitesse, la force, l’endurance– ils regardent le caractère et le psychologi­que, ta concentrat­ion, ton self control… Et cela diffère en fonction de la position. Pour un gardien, la capacité à rebondir après une erreur est très importante car il peut ne plus rien avoir à faire pendant les vingt minutes suivantes. Imagine que tu y penses pendant tout ce temps, un centre arrive, dans quel état d’esprit tu te trouves? Pour un joueur de champ, c’est moins dangereux.

HL: Pour les différents postes, tu as besoin de différente­s intelligen­ces, donc de différents entretiens de personnali­té. Un buteur devra être plus patient qu’un défenseur. Vous devez savoir de quoi vous avez besoin pour ensuite trouver le talent que vous cherchez.

PP: Pour un défenseur par exemple, vous pouvez faire passer aux recrues potentiell­es un test d’inhibition des réponses, pour savoir comment il réagira quand un attaquant arrivera à le tromper sur un dribble.

HL: Notre job en tant que technicien­s est d’expliquer le football aux scientifiq­ues, qui pourront ensuite nous aider et nous fournir des tests à faire. J’aimerais demander à un psychologu­e: “J’ai un défenseur très fort de la tête, très bon physiqueme­nt, mais il a des problèmes avec sa visualisat­ion. Comment peuton faire pour avoir la meilleure ligne de hors-jeu

du championna­t?” Dans quelques années, nous saurons ce qu’il faut faire avant de recruter un joueur, ce qu’il faut faire pour qu’il rentre dans l’équipe, pour qu’il s’améliore encore plus et pour qu’il soit au maximum de ses capacités en termes de prix de transfert et de flux de travail efficace, d’un point de vue scientifiq­ue.

MLP: On parle d’intelligen­ce des joueurs, mais on peut aussi parler d’intelligen­ce des organisati­ons. Structurel­lement, comment tu organises efficaceme­nt et intelligem­ment ton club pour permettre aux talents de se développer et de progresser? Regardez Barcelone, Dortmund, Arsenal, ce sont des clubs avec une stratégie basée sur une philosophi­e et/ou des gens qui restent en place des années.

BL: Tu vois souvent des clubs avec des listes de noms de coachs aux styles complèteme­nt différents. Par exemple, au PSG, qui va remplacer Emery? Il y a les noms de Simeone, Mourinho et Pochettino qui reviennent. Ce sont trois coachs totalement différents dont les philosophi­es de jeu sont adaptées à des styles de joueurs totalement différents. Cette idée d’intelligen­ce des organisati­ons et des relations entre le coach et les joueurs pour le développem­ent du club est très importante.

MLP: Des clubs viennent souvent nous demander: “On compte recruter ce joueur, vous pouvez nous dire si ça va fiter?” Et on leur répond: “Dites-nous d’abord ce dont vous avez besoin et nous viendrons avec le joueur adéquat.” Pour N’Golo Kanté, Leicester est venu nous voir et nous a dit: “Nous avons un problème avec nos milieux défensifs, regardez nos stats. Du point de vue d’Opta, quel serait le

meilleur joueur à recruter?” Kanté faisait partie de la liste qu’on leur a transmise. Mais cette manière de fonctionne­r marche pour Leicester, pas pour Manchester United, qui doit vendre des maillots à Pékin et ne peut donc pas faire venir un joueur de Caen. C’est marrant, car nous travaillon­s avec eux et ils sont venus nous voir avec des demandes pour deux zones du terrain: la défense et le milieu offensif. On leur a transmis un paquet de suggestion­s, et ils n’en ont suivi qu’une. Le poste sur lequel il y a le moins d’impact, commercial­ement parlant. C’était Éric Bailly.

VK: Je ne pense pas que le but soit de constituer la meilleure équipe en fonction de ces chiffres, mais plutôt de progresser avec l’équipe que tu as déjà, et d’en faire une vraie équipe. C’est comme ça que je vois mes tests, qui pourront d’ailleurs être collectifs. On peut imaginer des tests de créativité en équipe, pour calculer le champ magnétique. Les équipes avec de très bons joueurs qui perdent et celles avec des joueurs moyens qui gagnent ont une énergie totalement différente. Leicester, ils remportent la Premier League car ils ont été capables de majorer leur champ magnétique. Le monde s’ouvre, et beaucoup de choses vont devenir possibles. Pour le moment, chacun travaille encore trop pour soi, mais le jour où nous allons collaborer davantage, nous irons plus haut.

PP: Dans le futur, on sera plus précis, on dira

même “oh oui, vous savez ce truc mystique qu’on jeu.”• appelait l’intelligen­ce de

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