So Foot

Jupp Heynckes.

- Par Karlheinz Wild pour Kicker – ALLEMAGNE

Le coach allemand de 72 ans s’exprime sur le métier d’entraîneur et sur sa vie à l’hôtel sans sa femme ni son chien. Interview fastlife.

Depuis son retour mi-octobre, et malgré une avalanche de blessures, le Bayern est passé d’un retard de cinq points sur le leader à une avance de presque vingt points... Pas loin d’être aussi miraculeux que le triplé coupe-championna­t-ligue des champions réalisé en 2013 par ce même Jupp Heynckes, aujourd’hui âgé de 72 ans. Alors que tous les espoirs semblent désormais permis, le plus vieux coach de Bundesliga s’exprime sur le métier d’entraîneur, un hypothétiq­ue transfert de De Bruyne et sa vie à l’hôtel. Sans sa femme et son chien, Cando.

Vous êtes sorti de votre retraite au bout de quatre ans. Êtes-vous de nouveau complèteme­nt addict? Pas addict, non, mais mon métier m’a toujours donné un plaisir immense et n’a jamais été une source de stress. J’ai toujours été fort psychologi­quement, tout canalisé. Quand vous avez repris du service en octobre, avez-vous constaté que le ballon reste plus passionnan­t que le jardinage? J’ai aussi fait du pain et des confitures, mon sport quotidien, des balades avec mon chien Cando, regardé des documentai­res à la télé... Tout cela m’a donné du plaisir. Mais évidemment que le football est toujours resté ma première raison de vivre. C’est pareil chez les magnats de la finance ou les journalist­es. Et le public, comment vous le sentez? Quelle image vous renvoie-t-il? Comment réagit-il vis

à-vis de votre retour? De manière très respectueu­se. Même les enfants de Doha, lors du stage d’hiver, faisaient des références à 2013: “Mister

Heynck’, triple again.” Mon nom est assez difficile à prononcer. Ou bien: “Oh Mister, one more

year!” Depuis le triplé, des jeunes de 12-14 ans veulent prendre des photos avec moi, avoir un autographe... Ça m’a surpris car le Qatar est loin de l’Europe et je ne suis en poste que depuis quelques mois. Pourriez-vous perdre ce statut d’icône si la situation venait à se dégrader? Je ne me fais pas de souci à ce sujet, il n’en va pas de ma personne. Je pense qu’après le triplé de 2013, mon image restera toujours la même. Ce n’était pas un critère pertinent à prendre en compte au moment de ma décision d’aider le Bayern encore une fois, pas plus que les raisons financière­s. La question était de savoir si je le faisais pour le Bayern ou pas. Et si je pouvais le faire malgré des raisons personnell­es, comme l’opération du genou de ma femme, ou mon chien Cando qui ne se nourrit pas pendant deux jours lorsque je suis absent. En octobre, avez-vous repris les choses exactement là où vous les aviez laissées en mai 2013? Oui, pour plusieurs raisons: je connais le club et m’identifie à lui. De plus, j’ai une super équipe autour de moi, un profond ancrage subsiste depuis 2013. Je n’ai pas tout redressé moi-même, nous avons amorcé la transition tous ensemble. Cela m’énerve quand on me dit le contraire, parce que ce n’est pas juste. Tout le monde au Bayern remplit sa mission. Montrez-vous à la profession qu’au-delà du travail tactique détaillé, il faut avant tout de la psychologi­e et du pragmatism­e? Nous donnons aux joueurs un système de jeu, des zones de pressing et des modèles tactiques très précis. Ce qui est essentiel à la réussite, c’est le travail dans tous les domaines. En deuxième lieu vient l’aspect psychologi­que, la direction de l’équipe,

la communicat­ion. Ce qui fait la différence, c’est si l’entraîneur a une autorité naturelle ou si elle est due à sa fonction. Je n’ai jamais voulu devenir professeur d’école, mais footballeu­r. Avec le retour des nombreux blessés, vous allez devoir faire face à des décisions difficiles lors de la phase retour: cela vous ferait-il mal de devoir mettre sur le banc des cadres d’expérience comme Ribéry ou Robben? Non. Par exemple, avec Franck, on s’était mis d’accord sur un changement à l’heure de jeu lors du match de coupe contre Dortmund (en décembre dernier, victoire 2-1, ndlr). Mais il voulait continuer à jouer. Lui avez-vous dit lorsqu’il s’est approché de vous, qu’il ne devait pas balancer son maillot sur le banc, comme il

l’avait fait sous Carlo Ancelotti? Non, je l’ai pris dans mes bras, comme un signe de reconnaiss­ance pour son travail, tant sur le terrain d’entraîneme­nt qu’à la salle de fitness. Il a compris que je lui voulais le meilleur. De plus, je dois faire attention qu’il ne se blesse pas. Il doit respecter cela, comme tous les autres. Quand on se fait remplacer, il faut également respecter le joueur qui vous remplace. Les trois attaquants –Gomez, Mandzukic et Pizarro– ont été des exemples en la matière en 2013. À Doha, j’ai dit aux joueurs que l’on devait être une véritable communauté si nous voulions à nouveau réaliser quelque chose de grand. Le doublé coupe-championna­t est-il déjà envisageab­le? Je ne pense pas de cette façon. Pour moi, ce serait déjà une grande réussite que de gagner le titre, au vu du début de saison et du changement d’entraîneur.

“J’ai fait du pain et des confitures, des balades avec mon chien, regardé des documentai­res à la télé... Mais le football est toujours resté ma première raison de vivre”

La ligue des champions est-elle l’objectif ultime? L’objectif ultime, c’est le championna­t. En ligue des champions, on ne fait pas partie des favoris, mais du cercle élargi, dont font partie cinq clubs anglais, Manchester City en tête, le Real, Barcelone et peut-être aussi Paris. Lors de votre prise de fonction, vous avez déclaré que l’équipe actuelle était meilleure que celle du triplé de 2013. Cette qualité supérieure augmente-t-elle les chances de répéter l’exploit? Nous devons d’abord montrer de quoi nous sommes capables. Je ne peux et ne veux pas encore prédire si ce sera suffisant pour envisager un couronneme­nt européen. J’espère que cela fonctionne­ra, sachant que Philipp Lahm et Bastian Schweinste­iger, deux leaders de l’époque, sont partis entretemps.

Qui doit reprendre leurs rôles? Il y a des joueurs bien établis au sein du collectif. Robben a été un leader lors de la phase aller. Si Boateng retrouve sa forme optimale, il peut aussi l’être en défense avec Mats Hummels. Javi Martinez doit encore se donner davantage. C’est à moi de le pousser dans cette voie. Personne ne devrait faire l’erreur

de sous-estimer Ribéry et Robben. La façon dont Franck s’entraîne, c’est incroyable! Les deux ont mon soutien total. L’équipe a-t-elle néanmoins besoin d’un super

transfert? Qu’est-ce qu’un super transfert? Manchester United a acheté Paul Pogba pour 105 millions. Est-ce qu’il les vaut? Beaucoup de grands joueurs peuvent et doivent encore s’améliorer. Le Bayern doit faire son chemin avec des joueurs comme Süle, Kimmich, Tolisso ou Coman. Bien sûr qu’il faut qu’un joueur supplément­aire vienne, pour 40 ou 50 millions d’euros. Mais pour 50 millions, vous n’avez plus de joueur complet aujourd’hui. Prenez Kevin De Bruyne par exemple, l’année dernière, il n’a pas tellement

bien joué, mais pour lui, je donnerais jusqu’à ma dernière chemise. C’est un joueur comme lui dont on a besoin à son poste. À l’heure actuelle, De Bruyne est le joueur européen le plus exceptionn­el. Comment vous sentez-vous lorsque vous rentrez dans votre chambre d’hôtel munichoise? Satisfait de votre journée de

travail? Esseulé? Je ne suis pas esseulé. J’écoute de la musique, du rock, de la pop, de la soul, du jazz, du classique. Ou alors je lis, je me fais à manger et je repense à la journée et à d’autres choses. Évidemment, je téléphone à ma femme et vu mon âge, je vais au lit vers 22 heures. Le matin, je me lève à 6 heures. D’où vous vient cette ténacité?

De mes origines et de mon éducation. Je viens d’un environnem­ent social modeste. Ma mère tenait une épicerie. À 12-13 ans, je distribuai­s le lait. Les casiers de lait étaient posés sur un chariot que je devais tirer moi-même. Et pendant un kilomètre et demi, je déposais les bouteilles devant chaque porte. Cela te forge pour la vie. À vous entendre parler de la sorte, on imagine que Hoeness voudrait vous garder jusqu’en 2019. Pas besoin de creuser cette thématique. Pour mener cette mission avec mes collaborat­eurs, il faut une énorme discipline et de l’endurance. J’aurai 73 ans l’été prochain. On ne sait pas combien de temps la vie durera. Pour la saison 2018-2019, l’entraîneur du Bayern doit-il forcément être allemand ou germanopho­ne? Il doit correspond­re à l’équipe. La question ouverte du nouvel entraîneur peutelle être un problème lors de la deuxième partie de saison? Non, certaineme­nt pas. Mes joueurs ne se laissent pas influencer par ce genre de chose. La situation était la même en 2013. Quand faudra-t-il prendre une décision? Il n’y a

pas de délai. Que doit-il se passer fin mai pour que vous considérie­z votre contrat comme rempli? Nous devons être champions d’Allemagne. Une blague pour terminer? Jamais. – Traduction: Julien Duez / Photos: Imago/Panoramic

“Pour avoir Kevin De Bruyne, je donnerais jusqu’à ma dernière chemise. À l’heure actuelle, c’est le joueur européen le plus exceptionn­el.

 ??  ??
 ??  ?? Quand tu vas à la pêche après un match de Kurzawa.
Quand tu vas à la pêche après un match de Kurzawa.

Newspapers in French

Newspapers from France