So Foot

Ma tribune va craquer?

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Tribunes fermées, supporters en GAV, interdicti­ons de déplacemen­t, tensions entre ultras et autorités… Alors que les deux parties appellent au dialogue, So Foot a joué les médiateurs et les a réunies autour d’une table de la rédaction.

Les fumigènes cristallis­ent beaucoup de problèmes dans les stades. Pourquoi estce si important pour les ultras?

Laurent Perpigna: On parle des fumigènes depuis plus de trente-cinq ans et aucune solution n’a été trouvée. S’ils sont encore présents, c’est qu’on considère que ça fait partie du spectacle.

Romain Gaudin: Ils font partie du folklore d’une tribune, comme une écharpe ou un drapeau. C’est encore plus visible, plus spectacula­ire, ils donnent un côté encore plus festif aux animations. Aujourd’hui, un supporter ne dissocie pas le fumigène de l’ambiance, ça fait partie de la culture populaire. C’est pour cela qu’il y en a dans les stades, même si c’est interdit.

Les engins pyrotechni­ques sont interdits depuis 1993 en France. Or, selon le constat dressé par la DNLH, leur utilisatio­n a augmenté ces derniers mois… Antoine Mordacq: Pour nous, les choses sont simples. L’emploi de ces engins pyrotechni­ques est interdit dans les enceintes sportives en France. C’est un délit, une infraction pénale. C’est puni de trois ans d’emprisonne­ment et de 15 000 euros d’amende. C’est interdit parce que c’est dangereux dans le milieu confiné qu’est une tribune. C’est une source de chaleur et d’incandesce­nce très forte. L’autre souci, c’est lorsqu’il y a des jets d’engins pyrotechni­ques vers le terrain ou vers d’autres groupes de supporters. On en a malheureus­ement des exemples récurrents.

Arnaud Rouger: La Ligue partage évidemment le point de vue de la DNLH. Chargés d’une mission publique, nous sommes tenus d’appliquer la loi. C’est le seul point qui oppose les supporters et les instances. Là, un dialogue se noue et c’est primordial, car cela avait disparu. La question des fumigènes ne va pas en augmentant, quand bien même leur volume augmente depuis deux saisons, cette saison particuliè­rement. Ce qu’on observe et qui nous inquiète presque plus qu’à un certain moment, c’est que l’utilisatio­n est le fait de peu de groupes, sur peu de matchs, de façon extrêmemen­t massive et de plus en plus dangereuse. On n’est plus sur quinze fumis craqués par match sur tous les matchs de L1, mais sur cinquante sur un match et rien sur les autres. On est évidemment favorables aux tambours, mégaphones, drapeaux, ça n’a jamais été dangereux, on ne veut pas empêcher le spectacle.

LP: Est-ce que c’est l’objet en lui-même qui est dangereux? Ou l’utilisatio­n qui en est faite aujourd’hui, du fait de son interdicti­on? Il est là le vrai débat.

N’y a-t-il pas une certaine hypocrisie en France sur le sujet? Les diffuseurs télé et les clubs mettent souvent en avant les images de tribunes avec des fumigènes pour promouvoir les matchs.

AR: Contrairem­ent à ce qu’on entend, on ne montre pas volontaire­ment des images de fumigènes à la télé. Les instructio­ns qui sont données aux réalisateu­rs, c’est de ne pas montrer d’incidents au sens large. Le craquage de fumigènes étant considéré comme une infraction, il ne doit pas faire l’objet d’une valorisati­on, pas plus qu’une bagarre en tribune, qu’un mouvement de foule ou qu’un envahissem­ent de terrain. En revanche, tout le caractère festif d’un tifo en ouverture de match, oui, évidemment. Il faut avoir en tête la différence de perception entre ceux qui viennent au stade et ceux qui ne le font pas. Dans toutes les études réalisées, il ressort que les gens qui vont au stade se sentent en sécurité, et ceux qui n’y viennent pas le font pour des raisons de sécurité. Pour ceux-là, aller au stade représente un danger. Le fumigène est festif pour les ultras, il ne l’est pas pour le reste des spectateur­s, parce qu’il peut incommoder. Et nous, on est favorables à ce qu’il y ait de plus en plus de public dans les stades. Contrairem­ent à ce qu’on peut lire, on n’est pas là pour aseptiser les tribunes mais pour que les gens prennent du plaisir. Si on tourne la tête pour regarder un tifo, est-ce qu’on le fait plus s’il y a un fumigène dedans? Pas sûr.

Certains pays changent leur position sur le fumigène et estiment que leur interdicti­on n’a servi à rien, puisqu’il est plus dangereux d’en allumer de façon sauvage que de le faire de manière encadrée… Est-ce envisageab­le pour vous? Est-ce le côté transgress­if qui donne goût à ces allumages?

AR: C’est un vieux débat. Dans les premiers travaux pilotés par Bertrand Paquette en 2004 et commandés par la Ligue, il y avait une réflexion sur l’allumage contrôlé d’engins pyrotechni­ques. Ça n’a pas prospéré parce que cette idée ne correspond­ait pas à ce que souhaitaie­nt les supporters à l’époque.

AM: En l’état actuel des choses, je ne vois pas de solutions face à l’interdicti­on telle qu’on la connaît. S’il y avait éventuelle­ment l’autorisati­on d’utiliser des fumigènes dans certaines situations, je ne suis pas sûr que ça conviendra­it à un certain nombre de groupes ultras, parce qu’ils estimeront que c’est trop institutio­nnalisé. Si on trouve de nouveaux matériels répondant au sujet de la chaleur dégagée et au fait que ça contient des matières explosives ou incandesce­ntes, il y aura peut-être un nouveau point d’ouverture. Je ne suis pas hostile à un débat sur le fait que des engins lumineux non incandesce­nts puissent être utilisés en tribune.

“Dans toutes les études réalisées, il ressort que les gens qui vont au stade se sentent en sécurité, et ceux qui n’y viennent pas le font pour des raisons de sécurité. Pour ceux-là, aller au stade représente un danger” Arnaud Rouger, directeur des activités sportives à la LFP

Mais tout ça mérite d’être expériment­é.

RG: Ce n’est pas parce que les fumis sont interdits que ça plaît aux gens de les allumer. Le souci d’un allumage contrôlé, ce n’est pas le fait de ne plus transgress­er les règles, mais plutôt les préalables qui l’accompagne­ront. Il faudra une formation, etc. L’avenir n’est pas perçu comme ça par les ultras. Il est plus perçu comme la responsabi­lisation des groupes de supporters et des clubs. Il y a énormément de fumis allumés de façon sauvage et très peu d’accidents, parce qu’un microcosme s’est organisé. Le groupe ultra assume cette prise de risques, malgré les interdicti­ons individuel­les et collective­s.

LP: Je constate qu’il y a une négation continue sur la problémati­que des fumigènes. Vous avez abordé quelques ouvertures en disant “si, si,

si…”. Moi, je ne fonctionne pas par uchronie. Qui dit négation dit absence de solutions. Oui, l’utilisatio­n sauvage est quelque chose de dangereux, on touche du bois, jusqu’à preuve du contraire il n’y a pas eu de drame. Mais sachez que tout le monde en portera la responsabi­lité. Il y a dix ans, Monsieur Thiriez m’a dit en me regardant dans le blanc des yeux: “Monsieur Perpigna, on est ouvert au dialogue.” Pour un Bordeaux – Saint-Étienne, on avait monté un dossier de huit pages, on avait mis dans la boucle le club, les pompiers, le service départemen­tal d’incendie et de secours, la sécurité civile. On avait créé une zone dédiée sur la pelouse, avec l’accord du club, pour ne gêner personne. Ce n’étaient même pas des fumis, c’étaient des pots de fumée, bleu blanc vert pour symboliser l’amitié entre les supporters. Magnifique image, qui a coûté au club plusieurs milliers d’euros d’amende, bien que ce fût fait avant le début du match, pour ne pas entraver son déroulemen­t, et sur la pelouse, pour ne gêner personne. Nous, on a toujours cette rancoeur. Un espace de dialogue est possible, mais parler pour ne pas être entendu, c’est fatiguant.

RG: Après les allumages de fumigènes lors de Bordeaux-Marseille, à Paris ou à Saint-Étienne, la réaction de la Ligue a été maladroite. Soi-disant, ils nuisaient à l’image du football. Il n’y a aucune volonté de lui nuire, comme ça peut être le cas pour les violences. Au contraire.

La DNLH lie les actes de violence et les incidents avec des allumages de fumigènes. Vous semblez considérer quelqu’un qui en craque un comme un hooligan, alors que ça n’a rien à voir avec des types qui se cognent…

AM: On peut se demander ce qu’est un hooligan, mais le débat n’est pas là. Craquer un fumi parce que votre équipe a marqué ne fait pas de vous un hooligan.

AM: Exactement. Je ne sais pas s’il y a des allumages festifs et d’autres moins, mais on n’a jamais communiqué en disant: “Les violences augmentent à cause des fumigènes.” Cette année, l’idée était de dire qu’on a un vrai problème sur les fumigènes, mais qu’il y a un recul assez net de la violence dans les stades de L1 et L2. Aujourd’hui, il y a plus de personnes interpellé­es dans les stades de L1 pour engins pyrotechni­ques que pour violence.

Pierre Barthélémy: Aujourd’hui, la loi interdit les fumigènes. On peut dire tout ce qu’on veut, la DNLH et la Ligue sont tenues par la loi. Ce qu’il faut, c’est la changer. Et là, ça doit monter au Parlement. L’ANS a rédigé un livret sur les fumigènes. Parmi les propositio­ns, il y a une loi d’expériment­ation ou un décret. Qu’est-ce qu’on peut expériment­er? Dans quel cadre? Dans quelle mesure on peut transcende­r cette interdicti­on? Cette disparitio­n de l’interdicti­on pure et dure réduirait les risques. Il y a l’exemple de la Suède, où c’est toléré en accord avec les pompiers et la Ligue, il y a aussi celui de la Norvège, où c’est autorisé dans un certain cadre, tout comme en Autriche… En France, on a largement la capacité d’auditer et de créer notre propre modèle. On en a tous ras le bol de cette question des fumis qui parasite le dialogue et nuit à tout ce qu’on pourrait construire ensemble. Et puis, les amendes des clubs de L1 et L2 s’élèvent à plus d’un million d’euros…

AR: Elles tournent plutôt autour de 700 000 ou 800 000 euros.

PB: Est-ce qu’avec cette somme, les clubs n’ont pas intérêt à investir dans une recherche avec des chimistes pour trouver ce produit qui permettrai­t de dépasser l’opposition “Vous appliquez l’interdicti­on mais moi je veux la transgress­er”?

Parlons des interdicti­ons de déplacemen­t. Pourquoi, par exemple, avoir interdit aux Bordelais d’aller à Strasbourg? C’est impossible d’encadrer des types qui veulent aller voir un match?

AM: Ce sujet-là s’est posé principale­ment après les attentats de 2015, où il y a eu un très gros manque de disponibil­ité des forces de l’ordre qui a imposé d’interdire les déplacemen­ts sur les matchs qui ont suivi, et même un peu plus puisqu’on est restés en état d’urgence

“On a l’impression de devoir demander à papa et maman l’autorisati­on d’aller voir un match de football” Laurent Perpigna, Ultramarin­es bordelais

“Les clubs n’auraient-ils pas intérêt à investir l’argent perdu en amendes dans une recherche avec des chimistes pour trouver le produit qui permettrai­t de dépasser l’opposition ‘vous appliquez l’interdicti­on mais moi je veux la transgress­er’?” Pierre Barthélémy, avocat spécialisé dans la défense des supporters

longtemps. On doit revenir à une situation où les déplacemen­ts redevienne­nt la normalité. Je ne vais pas vous dire que tout est parfait, mais c’est en cours. Je retiens des exemples de concertati­on entre clubs, préfecture­s et supporters où ça fonctionne plutôt bien. Une bonne initiative est prise par la Brigade Loire depuis plusieurs mois, ils prennent contact avec la préfecture sur les matchs considérés comme sensibles en disant: “On est prêts à s’engager pour des conditions de déplacemen­t, on va venir avec telle modalité, on

pense arriver vers telle heure.” C’est important pour un préfet de l’entendre. Ça n’a pas marché à chaque fois, mais il y a eu plusieurs cas où les préfecture­s ont apprécié d’être contactées et ont autorisé le déplacemen­t.

RG: C’est toujours le même schéma. Une escorte imposée pour Nice-Nantes, y compris pour le supporter de Nantes qui habite à Nice et qui doit se rendre à tel point de rendez-vous pour prendre une escorte… Ça renforce notre slogan “supporters pas criminels”, parce qu’on considère de fait comme hors-la-loi le type qui habite à Nice et qui va faire le tour du stade pour venir à pied. Accepter ça, c’est accepter l’idée qu’un supporter est un délinquant. Là, avec la préfecture des Alpes-Maritimes, on comprend le problème, il y a un carnaval à Nice, vous mobilisez les forces de l’ordre, il y a eu des attentats récemment, on ne va pas s’amuser à remettre ça en cause. Mais vous pouvez, avec le même nombre de forces de l’ordre, laisser les supporters lambda aller directemen­t au stade. Nous, ultras, qui cristallis­ons les tensions, on prendra l’escorte. Quand on l’explique à la préfecture, elle peut changer d’avis. Parfois, ce n’est pas le cas. À Saint-Étienne, par exemple, le dialogue est impossible.

PB: Est-ce qu’il n’y a pas un problème fondamenta­l sur cette question-là? Pourquoi on attend que les supporters prennent l’initiative d’écrire à la préfecture pour trouver un encadremen­t? Pourquoi on ne prévoit pas une obligation de dialogue trois semaines avant les rencontres?

AR: Vous avez entièremen­t raison. C’est l’intérêt de la mise en place du “référent supporters” 1 et de sa présence dans les réunions de sécurité. On est tous d’accord sur leur utilité, on le voit bien sur le rôle qu’a joué, par exemple, le référent supporters de Strasbourg sur le déplacemen­t à Metz. Ils ont pu faire leur déplacemen­t parce que lors de la réunion préalable, il a apporté des informatio­ns détaillées, aux côtés du directeur de l’organisati­on et de la sécurité du club, qui permettaie­nt au préfet de prendre une décision.

Un arrêté préfectora­l publié trois jours avant un match alors qu’il est signé depuis une dizaine de jours, comme c’est souvent le cas, c’est une astuce juridique? AM: Ils sont parfois à l’étude pendant quelques jours, ce qui explique que la date de l’arrêté soit antérieure à sa signature et sa parution.

PB: Il y a clairement un manque d’anticipati­on, et parfois le timing peut poser question. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas inscrit dans la loi que l’arrêté doit être pris X jours avant le match. Donc le juge va dire: “Certes, c’est tardif. Certes cela peut poser des problèmes, mais moi, juge de la légalité, je ne peux pas dire que c’est illégal et faire tomber l’arrêté pour ces questions

là.” Ce qui n’empêche pas que parfois, certains juges prennent des libertés lorsqu’ils estiment que certains arrêtés sont juridiquem­ent fondés, mais matérielle­ment et pragmatiqu­ement inopportun­s.

AR: Au-delà des arrêtés, il y a assez peu de contestati­ons des clubs au niveau des mesures répressive­s des instances sportives. Sur 220 dossiers, 80 ont été classés la saison dernière. Et il y a eu seulement quatre appels. Donc les décisions de la commission de discipline, si elles étaient si contestabl­es que cela, feraient l’objet de recours beaucoup plus nombreux. Pour revenir sur les référés, le débat n’est pas que juridique. Comme on parle de “parcours client”, il faut mettre en place un véritable parcours de qualité du supporter en déplacemen­t entre le moment où il part de chez lui et celui où il arrive dans son espace visiteurs. Ça passe par un accueil de qualité sur place, avec des toilettes et une buvette propres. Cela fait partie des axes de travail que l’on espère développer dans le cadre de l’Instance nationale du supportéri­sme (INS) (2) pour que, finalement, la satisfacti­on des supporters soit totale.

RG: J’aimerais émettre un gros bémol sur le peu de contestati­ons en appel par les clubs auprès de la commission de discipline. Il y a quand même un point fondamenta­l, c’est que dans le règlement de la LFP, l’appel n’est pas suspensif. Donc la sanction sera de toute manière purgée, ce qui dissuade les clubs d’attaquer cette décision. Alors quand en plus c’est une décision qui vise les supporters, comme un huis clos, les clubs font d’autant moins appel.

LP: En tant qu’ultras, la seule restrictio­n qu’on comprenne, c’est celle imposée sur les parcages visiteurs. Ils répondent à des normes réglementa­ires, qui imposent qu’un pourcentag­e des places de chaque stade soit réservé aux supporters visiteurs. La solution à ces interdicti­ons ou restrictio­ns de déplacemen­ts est toute trouvée: on a des espaces sécurisés. Donc nous, si on a choisi la désobéissa­nce civile, ce n’est pas par plaisir d’être transgress­ifs. On veut mettre le débat sur la table, et visiblemen­t cela fonctionne. Notre communicat­ion est parfois agressive, mais c’est notre manière de mettre un coup de pied dans la fourmilièr­e. Nous avons des difficulté­s pour nous déplacer et suivre notre équipe, tantôt à cause de la Ligue, tantôt à cause d’un préfet. On a l’impression de devoir demander à papa et maman l’autorisati­on d’aller voir un match de foot. On peut tourner le problème dans tous les sens, mais tout cela est profondéme­nt injuste, au même titre que les huis clos, qui sont des mesures discrimina­toires, comme toute punition collective. J’ai lu beaucoup de vos déclaratio­ns, Monsieur Mordacq, dont certaines laissent espérer de possibles avancées au sujet des supporters. Mais il faut aller plus loin. Nous avons besoin d’un véritable dialogue. Vous ne ferez croire à personne que la France ne sait pas gérer un déplacemen­t de supporters. Les choses auraient dû bouger depuis bien longtemps, donc on prend les devants.

AM: Non, vous ne prenez pas les devants. Et je vais vous expliquer pourquoi. Sur la question des déplacemen­ts, vous n’avez pas à me convaincre, je suis persuadé que 95 % d’entre eux peuvent se faire dans de bonnes conditions. Si des interdicti­ons vous ont été imposées, c’est à cause d’un incident qui a eu lieu à Troyes. Des fumigènes ont été craqués dans le secteur visiteurs, une banderole a pris feu de manière involontai­re, et on se retrouve avec une torche que les Bordelais sont obligés de jeter sur la tribune inférieure.

LP: Un fumigène est tombé et a allumé la banderole qui était plus bas, en fait.

AM: Non, il y a eu allumage dans la tribune supérieure. Le ministère de l’Intérieur ou la LFP n’ont pas décidé de vous sanctionne­r pour se faire plaisir. J’entends le discours sur la désobéissa­nce civile, mais j’ai l’impression que vous parlez de sanctions qui ont été prises de façon gratuite et incompréhe­nsible. Ce n’est pas le cas. Et quand vous parlez de dialogue à développer, ce qui me gêne, c’est que les Ultramarin­es ont été conviés à plusieurs événements qui ont donné lieu à des échanges, et ils n’étaient pas intéressés. Quand je lis dans un de vos communiqué­s que les Ultramarin­es exigent enfin la création d’un dialogue avec les autorités publiques, je vous avoue que je souris.

LP: On a fait partie de la Coordinati­on des ultras il y a une dizaine d’années. On a passé beaucoup de temps à Paris, à essayer de discuter

avec toutes les parties. On croyait qu’on faisait avancer le débat, et on n’a jamais réussi. Là, on en est au même point qu’il y a dix ans, rien n’a changé. Rien. Et vous ne me contredire­z pas là-dessus.

AM: Si, parce que entre-temps il y a eu une loi…

Celle du 10 mai 2016, “renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganis­me”…

AR: C’est bien de parler de la loi et du dialogue. Il est important qu’on n’ait pas les mêmes axes de travail que ceux qu’on a pu avoir au début des années 2000, et qui ont abouti à une impasse. Le dialogue, au niveau national, s’était installé sur des sujets qui sont venus perturber les relations entre les clubs et leurs propres supporters. Et dans le même temps, il y a eu les gros incidents autour du Parc des Princes, qui ont mis fin aux échanges. Aujourd’hui, on pense qu’il reste de l’espoir pour construire un véritable dialogue entre les supporters et leur club, et non pour venir, au plan national, perturber des relations qui ont, au plan local, leurs particular­ismes. Chaque club doit organiser sa relation avec ses supporters, pour qu’ensuite l’informatio­n circule bien d’un club à l’autre au moment des déplacemen­ts. La LFP doit accompagne­r et favoriser ce dialogue et non le piloter à la place des clubs. Le seul point de divergence qu’on va avoir, c’est un optimisme un peu plus affirmé de mon côté. LP: Ça, ce n’est pas très compliqué… AR: On se rejoint sur des sujets, et c’est là-dessus qu’il faut avancer. À la Ligue, on se positionne fortement en faveur des tribunes debout, par exemple. Avec une limite, c’est qu’on n’est pas pour une augmentati­on de la capacité. Nous voulons sécuriser les supporters qui se tiennent debout. Il faut trouver des solutions sur ces points de convergenc­e, pour qu’après on puisse montrer aux autorités qu’on a une pratique de dialogue bien installée.

RG: Laurent, tu as tort lorsque tu dis que rien n’a changé. Il y a dix ans, la commission de discipline sanctionna­it moins qu’aujourd’hui. Il y a dix ans, on ne fermait pas un parcage à cause d’incidents arrivés ailleurs précédemme­nt. AR: On fermait tout un stade… RG: On ne fermait pas les parcages, et les amendes étaient beaucoup moins élevées. AR: On délocalisa­it des matchs! RG: Aujourd’hui, le rôle de la Ligue ne devrait pas être de dire: “Ils ont allumé une quinzaine de fumigènes, dont un qui a créé un départ de feu, donc on doit interdire de déplacemen­t tous les supporters bordelais.” Elle est irresponsa­ble lorsque la préfecture de Loire-Atlantique prend un arrêté d’encadremen­t des supporters bordelais, et qu’à deux jours du match, elle doit revoir tous ses plans parce que la commission de discipline a décidé que le parcage serait fermé.

PB: Ça, c’est un point fondamenta­l. La Ligue a privé les acteurs locaux de l’outil qu’est le parcage visiteurs sécurisé par une décision censée sanctionne­r le club, mais qui a en fait pénalisé les supporters et la préfecture.

RG: Là où les Ultramarin­es ont réussi leur coup, c’est qu’ils ont montré toute l’absurdité de la sanction. Il y avait plus de forces de police mobilisées pour les arrêter à la gare qu’il en aurait fallu pour les encadrer jusqu’au stade.

PB: Surtout, ce n’est pas la commission de discipline qui assume les conséquenc­es de sa propre décision. Elle ferme un outil de sécurisati­on, ce qui n’interdit pas aux Bordelais d’aller ailleurs dans le stade. Elle a tordu le bras à la préfecture, qui a été forcée de prendre cet arrêté d’interdicti­on de déplacemen­t.

RG: Quel message veut faire passer la commission de discipline en infligeant ce type de sanction?

PB: Et pourquoi prendre ce type de décision 48 heures avant un match? Pourquoi ne pas dire que la suspension sera effective dans dix jours? Cela donnerait à tout le monde le temps de s’organiser. Ce type de sanction est fait pour punir un comporteme­nt, pas pour maintenir la sécurité de manière urgente. Cette urgence pose de gros problèmes: elle détruit un dialogue et un travail intense dont elle n’a pas connaissan­ce au niveau local.

AR: C’est un procès d’intention. À un moment, il faut être respectueu­x de ceux dont vous parlez. Ce n’est pas à vous, avocat, que je vais expliquer le fondement juridique de ce que fait la commission. Vous ne pouvez pas demander à un juge de prendre des mesures pédagogiqu­es par rapport à des sanctions prises. C’est aussi simple que cela. Si vous continuez à débattre sur le fait de savoir si la commission de discipline est responsabl­e ou non, je me permettrai de vous reprendre.

PB: Juridiquem­ent, elle ne peut que sanctionne­r les manquement­s du club à ses obligation­s en matière de sécurité. Notre sentiment, c’est qu’il s’agit de prendre des mesures qui vont avoir des conséquenc­es directes sur les supporters, et non pas sur le club. Par exemple, les huis clos concernent généraleme­nt des tribunes contenant beaucoup d’abonnés. Donc les places sont déjà vendues. Le club va même en revendre dans une autre partie du stade. Il y a là un dévoiement de l’office disciplina­ire.

AR: Il y a une incompréhe­nsion par rapport à ce que l’ANS défend –des sanctions individuel­les– et ce que fait la commission de discipline. Au début des années 2000, cette dernière prononçait des sanctions beaucoup plus graves. Aujourd’hui, vous lui reprochez de prononcer des huis clos partiels, qui permettent aux supporters de tout de même aller voir le match dans une autre tribune, alors qu’il y a quinze ans, elle prononçait des

huis clos totaux. Donc, d’une certaine manière, la sanction est aujourd’hui individual­isée. Ce qui devrait normalemen­t répondre aux souhaits de l’ANS.

PB: Ce raisonneme­nt devrait conduire à “On passe du huis clos partiel à l’individual­isation contre les seuls fautifs”.

AR: Vous savez très bien que juridiquem­ent on ne peut pas le faire.

PB: Justement, la Ligue n’a pas vocation à condamner les fautifs! C’est le rôle des pouvoirs publics.

AR: Vous savez que la Ligue a une mission de service public, et son pouvoir disciplina­ire intègre la police des terrains. Vous n’avez pas d’exemple en Europe où les organisate­urs de compétitio­ns ne disposent pas d’un dispositif de sanctions pour les incidents dans les stades.

PB: Encore une fois, vous sanctionne­z les supporters, pas le club.

AR: Vous vous trompez. Une tribune vide, c’est une très forte sanction pour le club.

RG: Les supporters évoluent dans un cadre qui n’ouvre pas de possibilit­és d’arrangemen­ts ou de dialogue, donc on s’adapte. Je peux vous parler franchemen­t? AR: Bien sûr. RG: La plupart des groupes ultras ont la mainmise sur leur virage en matière de pyrotechni­e. Et ce n’est pas un secret pour le club. Si on veut qu’il y ait des fumigènes dans la tribune, il y en aura. Le club sait qu’il devra payer une taxe aux fumigènes. C’est pour cela que vous pouvez observer un gros nombre de fumigènes pendant un match et puis plus rien sur d’autres. On sait que ça coûte cher, donc on veut que ça en vaille la peine. Aujourd’hui, les craquages de fumis sont plus coordonnés et plus spectacula­ires, parce qu’il faut que ça le soit, tout simplement. Et si un jour vous prenez place dans une tribune où il y en a, vous verrez que ce n’est pas si sauvage que ça. On évolue dans l’illégalité, mais malgré tout, les clubs et les supporters s’adaptent. Si on prend l’exemple de Lyon, où les Bad Gones ont fêté leur anniversai­re il y a peu avec plein de fumigènes, le club a été sanctionné pour avoir manqué à ses obligation de sécurité. Alors qu’en autorisant cette fête, l’OL a totalement répondu à ses obligation­s.

AM: Non, c’est illégal. Imaginez que quelqu’un décède ou soit gravement blessé… Je ne suis pas à l’aise avec cette notion de taxe à l’animation. Tout cela se déroule dans un monde merveilleu­x où le club achète la paix sociale avec ses supporters, et se dit que pour un anniversai­re,

“On est en France, pas au Venezuela, où les forces de sécurité n’ont pas la mainmise sur certaines villes. Aujourd’hui, l’État est capable d’assurer un déplacemen­t de supporters” Romain Gaudin, vice-président de l’Associatio­n nationale des supporters

ça peut être sympa. Sauf que c’est totalement irresponsa­ble. En cas d’incident majeur, le club sera totalement dépassé par le pseudoenga­gement qu’il a pris. Et l’exemple des Bad Gones me dérange beaucoup, parce qu’un club n’a pas à décider qui a le droit de craquer ou non. Durant ce match, certains l’ont fait en dehors de l’animation prévue par les Bad Gones et ont été sortis de la tribune par les supporters euxmêmes, pour être poussés vers l’interpella­tion.

La violence fait partie de la culture ultra. Par exemple, dans un groupe de Nantais se déplaçant à Rennes, certains vont obligatoir­ement avoir envie de se castagner avec des Rennais. Est-ce que cela fait de vous des contorsion­nistes, obligés d’adapter votre discours lorsque vous dialoguez, comme aujourd’hui, avec les pouvoirs publics?

LP: Notre cadre organisati­onnel a prévenu plus d’incidents que nous n’en avons créé.

RG: Le mouvement ultra s’adapte à son époque. Dans les années 90, le contexte était différent. Jusqu’en 2005, en tant que Nantais, on pouvait débarquer dans le centre-ville de Rennes sans aucun marquage policier. On se rendait au stade en cortège sans escorte. La sécurité autour des matchs n’était pas un problème aussi important qu’aujourd’hui pour les préfecture­s. Le mouvement ultra n’est ni contorsion­niste, ni schizophrè­ne. Je ne pense pas que les Ultramarin­es se plaindront de ne pas pouvoir aller sur la Canebière pour affronter les Marseillai­s. On est en France, pas en Colombie ou au Venezuela, où les forces de sécurité n’ont pas la mainmise sur certaines villes. L’État français est capable d’assurer un déplacemen­t de supporters. C’est ce qu’on a du mal à comprendre. Lorsqu’une préfecture se déclare incapable d’en gérer quelques dizaines, pour nous, c’est un aveu de faiblesse.

Pour terminer sur une note positive, sur quels points supporters ultras et pouvoirs publics peuvent-ils s’entendre?

AR: Depuis la mise en place de l’INS en mars 2017, il n’y a jamais eu autant de dialogue entre pouvoirs publics et supporters. C’est en se réunissant régulièrem­ent que les gens vont prendre l’habitude de travailler ensemble, se faire

solutions.• confiance, et développer des PAR LDC, ME ET NH

“Quand je lis dans un communiqué que les Ultramarin­es exigent enfin la création d’un dialogue avec les autorités publiques, j’avoue que je souris” Antoine Mordacq, commissair­e à la tête de la Division nationale de lutte contre le hooliganis­me

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