Ma tribune va craquer?
Tribunes fermées, supporters en GAV, interdictions de déplacement, tensions entre ultras et autorités… Alors que les deux parties appellent au dialogue, So Foot a joué les médiateurs et les a réunies autour d’une table de la rédaction.
Les fumigènes cristallisent beaucoup de problèmes dans les stades. Pourquoi estce si important pour les ultras?
Laurent Perpigna: On parle des fumigènes depuis plus de trente-cinq ans et aucune solution n’a été trouvée. S’ils sont encore présents, c’est qu’on considère que ça fait partie du spectacle.
Romain Gaudin: Ils font partie du folklore d’une tribune, comme une écharpe ou un drapeau. C’est encore plus visible, plus spectaculaire, ils donnent un côté encore plus festif aux animations. Aujourd’hui, un supporter ne dissocie pas le fumigène de l’ambiance, ça fait partie de la culture populaire. C’est pour cela qu’il y en a dans les stades, même si c’est interdit.
Les engins pyrotechniques sont interdits depuis 1993 en France. Or, selon le constat dressé par la DNLH, leur utilisation a augmenté ces derniers mois… Antoine Mordacq: Pour nous, les choses sont simples. L’emploi de ces engins pyrotechniques est interdit dans les enceintes sportives en France. C’est un délit, une infraction pénale. C’est puni de trois ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. C’est interdit parce que c’est dangereux dans le milieu confiné qu’est une tribune. C’est une source de chaleur et d’incandescence très forte. L’autre souci, c’est lorsqu’il y a des jets d’engins pyrotechniques vers le terrain ou vers d’autres groupes de supporters. On en a malheureusement des exemples récurrents.
Arnaud Rouger: La Ligue partage évidemment le point de vue de la DNLH. Chargés d’une mission publique, nous sommes tenus d’appliquer la loi. C’est le seul point qui oppose les supporters et les instances. Là, un dialogue se noue et c’est primordial, car cela avait disparu. La question des fumigènes ne va pas en augmentant, quand bien même leur volume augmente depuis deux saisons, cette saison particulièrement. Ce qu’on observe et qui nous inquiète presque plus qu’à un certain moment, c’est que l’utilisation est le fait de peu de groupes, sur peu de matchs, de façon extrêmement massive et de plus en plus dangereuse. On n’est plus sur quinze fumis craqués par match sur tous les matchs de L1, mais sur cinquante sur un match et rien sur les autres. On est évidemment favorables aux tambours, mégaphones, drapeaux, ça n’a jamais été dangereux, on ne veut pas empêcher le spectacle.
LP: Est-ce que c’est l’objet en lui-même qui est dangereux? Ou l’utilisation qui en est faite aujourd’hui, du fait de son interdiction? Il est là le vrai débat.
N’y a-t-il pas une certaine hypocrisie en France sur le sujet? Les diffuseurs télé et les clubs mettent souvent en avant les images de tribunes avec des fumigènes pour promouvoir les matchs.
AR: Contrairement à ce qu’on entend, on ne montre pas volontairement des images de fumigènes à la télé. Les instructions qui sont données aux réalisateurs, c’est de ne pas montrer d’incidents au sens large. Le craquage de fumigènes étant considéré comme une infraction, il ne doit pas faire l’objet d’une valorisation, pas plus qu’une bagarre en tribune, qu’un mouvement de foule ou qu’un envahissement de terrain. En revanche, tout le caractère festif d’un tifo en ouverture de match, oui, évidemment. Il faut avoir en tête la différence de perception entre ceux qui viennent au stade et ceux qui ne le font pas. Dans toutes les études réalisées, il ressort que les gens qui vont au stade se sentent en sécurité, et ceux qui n’y viennent pas le font pour des raisons de sécurité. Pour ceux-là, aller au stade représente un danger. Le fumigène est festif pour les ultras, il ne l’est pas pour le reste des spectateurs, parce qu’il peut incommoder. Et nous, on est favorables à ce qu’il y ait de plus en plus de public dans les stades. Contrairement à ce qu’on peut lire, on n’est pas là pour aseptiser les tribunes mais pour que les gens prennent du plaisir. Si on tourne la tête pour regarder un tifo, est-ce qu’on le fait plus s’il y a un fumigène dedans? Pas sûr.
Certains pays changent leur position sur le fumigène et estiment que leur interdiction n’a servi à rien, puisqu’il est plus dangereux d’en allumer de façon sauvage que de le faire de manière encadrée… Est-ce envisageable pour vous? Est-ce le côté transgressif qui donne goût à ces allumages?
AR: C’est un vieux débat. Dans les premiers travaux pilotés par Bertrand Paquette en 2004 et commandés par la Ligue, il y avait une réflexion sur l’allumage contrôlé d’engins pyrotechniques. Ça n’a pas prospéré parce que cette idée ne correspondait pas à ce que souhaitaient les supporters à l’époque.
AM: En l’état actuel des choses, je ne vois pas de solutions face à l’interdiction telle qu’on la connaît. S’il y avait éventuellement l’autorisation d’utiliser des fumigènes dans certaines situations, je ne suis pas sûr que ça conviendrait à un certain nombre de groupes ultras, parce qu’ils estimeront que c’est trop institutionnalisé. Si on trouve de nouveaux matériels répondant au sujet de la chaleur dégagée et au fait que ça contient des matières explosives ou incandescentes, il y aura peut-être un nouveau point d’ouverture. Je ne suis pas hostile à un débat sur le fait que des engins lumineux non incandescents puissent être utilisés en tribune.
“Dans toutes les études réalisées, il ressort que les gens qui vont au stade se sentent en sécurité, et ceux qui n’y viennent pas le font pour des raisons de sécurité. Pour ceux-là, aller au stade représente un danger” Arnaud Rouger, directeur des activités sportives à la LFP
Mais tout ça mérite d’être expérimenté.
RG: Ce n’est pas parce que les fumis sont interdits que ça plaît aux gens de les allumer. Le souci d’un allumage contrôlé, ce n’est pas le fait de ne plus transgresser les règles, mais plutôt les préalables qui l’accompagneront. Il faudra une formation, etc. L’avenir n’est pas perçu comme ça par les ultras. Il est plus perçu comme la responsabilisation des groupes de supporters et des clubs. Il y a énormément de fumis allumés de façon sauvage et très peu d’accidents, parce qu’un microcosme s’est organisé. Le groupe ultra assume cette prise de risques, malgré les interdictions individuelles et collectives.
LP: Je constate qu’il y a une négation continue sur la problématique des fumigènes. Vous avez abordé quelques ouvertures en disant “si, si,
si…”. Moi, je ne fonctionne pas par uchronie. Qui dit négation dit absence de solutions. Oui, l’utilisation sauvage est quelque chose de dangereux, on touche du bois, jusqu’à preuve du contraire il n’y a pas eu de drame. Mais sachez que tout le monde en portera la responsabilité. Il y a dix ans, Monsieur Thiriez m’a dit en me regardant dans le blanc des yeux: “Monsieur Perpigna, on est ouvert au dialogue.” Pour un Bordeaux – Saint-Étienne, on avait monté un dossier de huit pages, on avait mis dans la boucle le club, les pompiers, le service départemental d’incendie et de secours, la sécurité civile. On avait créé une zone dédiée sur la pelouse, avec l’accord du club, pour ne gêner personne. Ce n’étaient même pas des fumis, c’étaient des pots de fumée, bleu blanc vert pour symboliser l’amitié entre les supporters. Magnifique image, qui a coûté au club plusieurs milliers d’euros d’amende, bien que ce fût fait avant le début du match, pour ne pas entraver son déroulement, et sur la pelouse, pour ne gêner personne. Nous, on a toujours cette rancoeur. Un espace de dialogue est possible, mais parler pour ne pas être entendu, c’est fatiguant.
RG: Après les allumages de fumigènes lors de Bordeaux-Marseille, à Paris ou à Saint-Étienne, la réaction de la Ligue a été maladroite. Soi-disant, ils nuisaient à l’image du football. Il n’y a aucune volonté de lui nuire, comme ça peut être le cas pour les violences. Au contraire.
La DNLH lie les actes de violence et les incidents avec des allumages de fumigènes. Vous semblez considérer quelqu’un qui en craque un comme un hooligan, alors que ça n’a rien à voir avec des types qui se cognent…
AM: On peut se demander ce qu’est un hooligan, mais le débat n’est pas là. Craquer un fumi parce que votre équipe a marqué ne fait pas de vous un hooligan.
AM: Exactement. Je ne sais pas s’il y a des allumages festifs et d’autres moins, mais on n’a jamais communiqué en disant: “Les violences augmentent à cause des fumigènes.” Cette année, l’idée était de dire qu’on a un vrai problème sur les fumigènes, mais qu’il y a un recul assez net de la violence dans les stades de L1 et L2. Aujourd’hui, il y a plus de personnes interpellées dans les stades de L1 pour engins pyrotechniques que pour violence.
Pierre Barthélémy: Aujourd’hui, la loi interdit les fumigènes. On peut dire tout ce qu’on veut, la DNLH et la Ligue sont tenues par la loi. Ce qu’il faut, c’est la changer. Et là, ça doit monter au Parlement. L’ANS a rédigé un livret sur les fumigènes. Parmi les propositions, il y a une loi d’expérimentation ou un décret. Qu’est-ce qu’on peut expérimenter? Dans quel cadre? Dans quelle mesure on peut transcender cette interdiction? Cette disparition de l’interdiction pure et dure réduirait les risques. Il y a l’exemple de la Suède, où c’est toléré en accord avec les pompiers et la Ligue, il y a aussi celui de la Norvège, où c’est autorisé dans un certain cadre, tout comme en Autriche… En France, on a largement la capacité d’auditer et de créer notre propre modèle. On en a tous ras le bol de cette question des fumis qui parasite le dialogue et nuit à tout ce qu’on pourrait construire ensemble. Et puis, les amendes des clubs de L1 et L2 s’élèvent à plus d’un million d’euros…
AR: Elles tournent plutôt autour de 700 000 ou 800 000 euros.
PB: Est-ce qu’avec cette somme, les clubs n’ont pas intérêt à investir dans une recherche avec des chimistes pour trouver ce produit qui permettrait de dépasser l’opposition “Vous appliquez l’interdiction mais moi je veux la transgresser”?
Parlons des interdictions de déplacement. Pourquoi, par exemple, avoir interdit aux Bordelais d’aller à Strasbourg? C’est impossible d’encadrer des types qui veulent aller voir un match?
AM: Ce sujet-là s’est posé principalement après les attentats de 2015, où il y a eu un très gros manque de disponibilité des forces de l’ordre qui a imposé d’interdire les déplacements sur les matchs qui ont suivi, et même un peu plus puisqu’on est restés en état d’urgence
“On a l’impression de devoir demander à papa et maman l’autorisation d’aller voir un match de football” Laurent Perpigna, Ultramarines bordelais
“Les clubs n’auraient-ils pas intérêt à investir l’argent perdu en amendes dans une recherche avec des chimistes pour trouver le produit qui permettrait de dépasser l’opposition ‘vous appliquez l’interdiction mais moi je veux la transgresser’?” Pierre Barthélémy, avocat spécialisé dans la défense des supporters
longtemps. On doit revenir à une situation où les déplacements redeviennent la normalité. Je ne vais pas vous dire que tout est parfait, mais c’est en cours. Je retiens des exemples de concertation entre clubs, préfectures et supporters où ça fonctionne plutôt bien. Une bonne initiative est prise par la Brigade Loire depuis plusieurs mois, ils prennent contact avec la préfecture sur les matchs considérés comme sensibles en disant: “On est prêts à s’engager pour des conditions de déplacement, on va venir avec telle modalité, on
pense arriver vers telle heure.” C’est important pour un préfet de l’entendre. Ça n’a pas marché à chaque fois, mais il y a eu plusieurs cas où les préfectures ont apprécié d’être contactées et ont autorisé le déplacement.
RG: C’est toujours le même schéma. Une escorte imposée pour Nice-Nantes, y compris pour le supporter de Nantes qui habite à Nice et qui doit se rendre à tel point de rendez-vous pour prendre une escorte… Ça renforce notre slogan “supporters pas criminels”, parce qu’on considère de fait comme hors-la-loi le type qui habite à Nice et qui va faire le tour du stade pour venir à pied. Accepter ça, c’est accepter l’idée qu’un supporter est un délinquant. Là, avec la préfecture des Alpes-Maritimes, on comprend le problème, il y a un carnaval à Nice, vous mobilisez les forces de l’ordre, il y a eu des attentats récemment, on ne va pas s’amuser à remettre ça en cause. Mais vous pouvez, avec le même nombre de forces de l’ordre, laisser les supporters lambda aller directement au stade. Nous, ultras, qui cristallisons les tensions, on prendra l’escorte. Quand on l’explique à la préfecture, elle peut changer d’avis. Parfois, ce n’est pas le cas. À Saint-Étienne, par exemple, le dialogue est impossible.
PB: Est-ce qu’il n’y a pas un problème fondamental sur cette question-là? Pourquoi on attend que les supporters prennent l’initiative d’écrire à la préfecture pour trouver un encadrement? Pourquoi on ne prévoit pas une obligation de dialogue trois semaines avant les rencontres?
AR: Vous avez entièrement raison. C’est l’intérêt de la mise en place du “référent supporters” 1 et de sa présence dans les réunions de sécurité. On est tous d’accord sur leur utilité, on le voit bien sur le rôle qu’a joué, par exemple, le référent supporters de Strasbourg sur le déplacement à Metz. Ils ont pu faire leur déplacement parce que lors de la réunion préalable, il a apporté des informations détaillées, aux côtés du directeur de l’organisation et de la sécurité du club, qui permettaient au préfet de prendre une décision.
Un arrêté préfectoral publié trois jours avant un match alors qu’il est signé depuis une dizaine de jours, comme c’est souvent le cas, c’est une astuce juridique? AM: Ils sont parfois à l’étude pendant quelques jours, ce qui explique que la date de l’arrêté soit antérieure à sa signature et sa parution.
PB: Il y a clairement un manque d’anticipation, et parfois le timing peut poser question. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas inscrit dans la loi que l’arrêté doit être pris X jours avant le match. Donc le juge va dire: “Certes, c’est tardif. Certes cela peut poser des problèmes, mais moi, juge de la légalité, je ne peux pas dire que c’est illégal et faire tomber l’arrêté pour ces questions
là.” Ce qui n’empêche pas que parfois, certains juges prennent des libertés lorsqu’ils estiment que certains arrêtés sont juridiquement fondés, mais matériellement et pragmatiquement inopportuns.
AR: Au-delà des arrêtés, il y a assez peu de contestations des clubs au niveau des mesures répressives des instances sportives. Sur 220 dossiers, 80 ont été classés la saison dernière. Et il y a eu seulement quatre appels. Donc les décisions de la commission de discipline, si elles étaient si contestables que cela, feraient l’objet de recours beaucoup plus nombreux. Pour revenir sur les référés, le débat n’est pas que juridique. Comme on parle de “parcours client”, il faut mettre en place un véritable parcours de qualité du supporter en déplacement entre le moment où il part de chez lui et celui où il arrive dans son espace visiteurs. Ça passe par un accueil de qualité sur place, avec des toilettes et une buvette propres. Cela fait partie des axes de travail que l’on espère développer dans le cadre de l’Instance nationale du supportérisme (INS) (2) pour que, finalement, la satisfaction des supporters soit totale.
RG: J’aimerais émettre un gros bémol sur le peu de contestations en appel par les clubs auprès de la commission de discipline. Il y a quand même un point fondamental, c’est que dans le règlement de la LFP, l’appel n’est pas suspensif. Donc la sanction sera de toute manière purgée, ce qui dissuade les clubs d’attaquer cette décision. Alors quand en plus c’est une décision qui vise les supporters, comme un huis clos, les clubs font d’autant moins appel.
LP: En tant qu’ultras, la seule restriction qu’on comprenne, c’est celle imposée sur les parcages visiteurs. Ils répondent à des normes réglementaires, qui imposent qu’un pourcentage des places de chaque stade soit réservé aux supporters visiteurs. La solution à ces interdictions ou restrictions de déplacements est toute trouvée: on a des espaces sécurisés. Donc nous, si on a choisi la désobéissance civile, ce n’est pas par plaisir d’être transgressifs. On veut mettre le débat sur la table, et visiblement cela fonctionne. Notre communication est parfois agressive, mais c’est notre manière de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Nous avons des difficultés pour nous déplacer et suivre notre équipe, tantôt à cause de la Ligue, tantôt à cause d’un préfet. On a l’impression de devoir demander à papa et maman l’autorisation d’aller voir un match de foot. On peut tourner le problème dans tous les sens, mais tout cela est profondément injuste, au même titre que les huis clos, qui sont des mesures discriminatoires, comme toute punition collective. J’ai lu beaucoup de vos déclarations, Monsieur Mordacq, dont certaines laissent espérer de possibles avancées au sujet des supporters. Mais il faut aller plus loin. Nous avons besoin d’un véritable dialogue. Vous ne ferez croire à personne que la France ne sait pas gérer un déplacement de supporters. Les choses auraient dû bouger depuis bien longtemps, donc on prend les devants.
AM: Non, vous ne prenez pas les devants. Et je vais vous expliquer pourquoi. Sur la question des déplacements, vous n’avez pas à me convaincre, je suis persuadé que 95 % d’entre eux peuvent se faire dans de bonnes conditions. Si des interdictions vous ont été imposées, c’est à cause d’un incident qui a eu lieu à Troyes. Des fumigènes ont été craqués dans le secteur visiteurs, une banderole a pris feu de manière involontaire, et on se retrouve avec une torche que les Bordelais sont obligés de jeter sur la tribune inférieure.
LP: Un fumigène est tombé et a allumé la banderole qui était plus bas, en fait.
AM: Non, il y a eu allumage dans la tribune supérieure. Le ministère de l’Intérieur ou la LFP n’ont pas décidé de vous sanctionner pour se faire plaisir. J’entends le discours sur la désobéissance civile, mais j’ai l’impression que vous parlez de sanctions qui ont été prises de façon gratuite et incompréhensible. Ce n’est pas le cas. Et quand vous parlez de dialogue à développer, ce qui me gêne, c’est que les Ultramarines ont été conviés à plusieurs événements qui ont donné lieu à des échanges, et ils n’étaient pas intéressés. Quand je lis dans un de vos communiqués que les Ultramarines exigent enfin la création d’un dialogue avec les autorités publiques, je vous avoue que je souris.
LP: On a fait partie de la Coordination des ultras il y a une dizaine d’années. On a passé beaucoup de temps à Paris, à essayer de discuter
avec toutes les parties. On croyait qu’on faisait avancer le débat, et on n’a jamais réussi. Là, on en est au même point qu’il y a dix ans, rien n’a changé. Rien. Et vous ne me contredirez pas là-dessus.
AM: Si, parce que entre-temps il y a eu une loi…
Celle du 10 mai 2016, “renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme”…
AR: C’est bien de parler de la loi et du dialogue. Il est important qu’on n’ait pas les mêmes axes de travail que ceux qu’on a pu avoir au début des années 2000, et qui ont abouti à une impasse. Le dialogue, au niveau national, s’était installé sur des sujets qui sont venus perturber les relations entre les clubs et leurs propres supporters. Et dans le même temps, il y a eu les gros incidents autour du Parc des Princes, qui ont mis fin aux échanges. Aujourd’hui, on pense qu’il reste de l’espoir pour construire un véritable dialogue entre les supporters et leur club, et non pour venir, au plan national, perturber des relations qui ont, au plan local, leurs particularismes. Chaque club doit organiser sa relation avec ses supporters, pour qu’ensuite l’information circule bien d’un club à l’autre au moment des déplacements. La LFP doit accompagner et favoriser ce dialogue et non le piloter à la place des clubs. Le seul point de divergence qu’on va avoir, c’est un optimisme un peu plus affirmé de mon côté. LP: Ça, ce n’est pas très compliqué… AR: On se rejoint sur des sujets, et c’est là-dessus qu’il faut avancer. À la Ligue, on se positionne fortement en faveur des tribunes debout, par exemple. Avec une limite, c’est qu’on n’est pas pour une augmentation de la capacité. Nous voulons sécuriser les supporters qui se tiennent debout. Il faut trouver des solutions sur ces points de convergence, pour qu’après on puisse montrer aux autorités qu’on a une pratique de dialogue bien installée.
RG: Laurent, tu as tort lorsque tu dis que rien n’a changé. Il y a dix ans, la commission de discipline sanctionnait moins qu’aujourd’hui. Il y a dix ans, on ne fermait pas un parcage à cause d’incidents arrivés ailleurs précédemment. AR: On fermait tout un stade… RG: On ne fermait pas les parcages, et les amendes étaient beaucoup moins élevées. AR: On délocalisait des matchs! RG: Aujourd’hui, le rôle de la Ligue ne devrait pas être de dire: “Ils ont allumé une quinzaine de fumigènes, dont un qui a créé un départ de feu, donc on doit interdire de déplacement tous les supporters bordelais.” Elle est irresponsable lorsque la préfecture de Loire-Atlantique prend un arrêté d’encadrement des supporters bordelais, et qu’à deux jours du match, elle doit revoir tous ses plans parce que la commission de discipline a décidé que le parcage serait fermé.
PB: Ça, c’est un point fondamental. La Ligue a privé les acteurs locaux de l’outil qu’est le parcage visiteurs sécurisé par une décision censée sanctionner le club, mais qui a en fait pénalisé les supporters et la préfecture.
RG: Là où les Ultramarines ont réussi leur coup, c’est qu’ils ont montré toute l’absurdité de la sanction. Il y avait plus de forces de police mobilisées pour les arrêter à la gare qu’il en aurait fallu pour les encadrer jusqu’au stade.
PB: Surtout, ce n’est pas la commission de discipline qui assume les conséquences de sa propre décision. Elle ferme un outil de sécurisation, ce qui n’interdit pas aux Bordelais d’aller ailleurs dans le stade. Elle a tordu le bras à la préfecture, qui a été forcée de prendre cet arrêté d’interdiction de déplacement.
RG: Quel message veut faire passer la commission de discipline en infligeant ce type de sanction?
PB: Et pourquoi prendre ce type de décision 48 heures avant un match? Pourquoi ne pas dire que la suspension sera effective dans dix jours? Cela donnerait à tout le monde le temps de s’organiser. Ce type de sanction est fait pour punir un comportement, pas pour maintenir la sécurité de manière urgente. Cette urgence pose de gros problèmes: elle détruit un dialogue et un travail intense dont elle n’a pas connaissance au niveau local.
AR: C’est un procès d’intention. À un moment, il faut être respectueux de ceux dont vous parlez. Ce n’est pas à vous, avocat, que je vais expliquer le fondement juridique de ce que fait la commission. Vous ne pouvez pas demander à un juge de prendre des mesures pédagogiques par rapport à des sanctions prises. C’est aussi simple que cela. Si vous continuez à débattre sur le fait de savoir si la commission de discipline est responsable ou non, je me permettrai de vous reprendre.
PB: Juridiquement, elle ne peut que sanctionner les manquements du club à ses obligations en matière de sécurité. Notre sentiment, c’est qu’il s’agit de prendre des mesures qui vont avoir des conséquences directes sur les supporters, et non pas sur le club. Par exemple, les huis clos concernent généralement des tribunes contenant beaucoup d’abonnés. Donc les places sont déjà vendues. Le club va même en revendre dans une autre partie du stade. Il y a là un dévoiement de l’office disciplinaire.
AR: Il y a une incompréhension par rapport à ce que l’ANS défend –des sanctions individuelles– et ce que fait la commission de discipline. Au début des années 2000, cette dernière prononçait des sanctions beaucoup plus graves. Aujourd’hui, vous lui reprochez de prononcer des huis clos partiels, qui permettent aux supporters de tout de même aller voir le match dans une autre tribune, alors qu’il y a quinze ans, elle prononçait des
huis clos totaux. Donc, d’une certaine manière, la sanction est aujourd’hui individualisée. Ce qui devrait normalement répondre aux souhaits de l’ANS.
PB: Ce raisonnement devrait conduire à “On passe du huis clos partiel à l’individualisation contre les seuls fautifs”.
AR: Vous savez très bien que juridiquement on ne peut pas le faire.
PB: Justement, la Ligue n’a pas vocation à condamner les fautifs! C’est le rôle des pouvoirs publics.
AR: Vous savez que la Ligue a une mission de service public, et son pouvoir disciplinaire intègre la police des terrains. Vous n’avez pas d’exemple en Europe où les organisateurs de compétitions ne disposent pas d’un dispositif de sanctions pour les incidents dans les stades.
PB: Encore une fois, vous sanctionnez les supporters, pas le club.
AR: Vous vous trompez. Une tribune vide, c’est une très forte sanction pour le club.
RG: Les supporters évoluent dans un cadre qui n’ouvre pas de possibilités d’arrangements ou de dialogue, donc on s’adapte. Je peux vous parler franchement? AR: Bien sûr. RG: La plupart des groupes ultras ont la mainmise sur leur virage en matière de pyrotechnie. Et ce n’est pas un secret pour le club. Si on veut qu’il y ait des fumigènes dans la tribune, il y en aura. Le club sait qu’il devra payer une taxe aux fumigènes. C’est pour cela que vous pouvez observer un gros nombre de fumigènes pendant un match et puis plus rien sur d’autres. On sait que ça coûte cher, donc on veut que ça en vaille la peine. Aujourd’hui, les craquages de fumis sont plus coordonnés et plus spectaculaires, parce qu’il faut que ça le soit, tout simplement. Et si un jour vous prenez place dans une tribune où il y en a, vous verrez que ce n’est pas si sauvage que ça. On évolue dans l’illégalité, mais malgré tout, les clubs et les supporters s’adaptent. Si on prend l’exemple de Lyon, où les Bad Gones ont fêté leur anniversaire il y a peu avec plein de fumigènes, le club a été sanctionné pour avoir manqué à ses obligation de sécurité. Alors qu’en autorisant cette fête, l’OL a totalement répondu à ses obligations.
AM: Non, c’est illégal. Imaginez que quelqu’un décède ou soit gravement blessé… Je ne suis pas à l’aise avec cette notion de taxe à l’animation. Tout cela se déroule dans un monde merveilleux où le club achète la paix sociale avec ses supporters, et se dit que pour un anniversaire,
“On est en France, pas au Venezuela, où les forces de sécurité n’ont pas la mainmise sur certaines villes. Aujourd’hui, l’État est capable d’assurer un déplacement de supporters” Romain Gaudin, vice-président de l’Association nationale des supporters
ça peut être sympa. Sauf que c’est totalement irresponsable. En cas d’incident majeur, le club sera totalement dépassé par le pseudoengagement qu’il a pris. Et l’exemple des Bad Gones me dérange beaucoup, parce qu’un club n’a pas à décider qui a le droit de craquer ou non. Durant ce match, certains l’ont fait en dehors de l’animation prévue par les Bad Gones et ont été sortis de la tribune par les supporters euxmêmes, pour être poussés vers l’interpellation.
La violence fait partie de la culture ultra. Par exemple, dans un groupe de Nantais se déplaçant à Rennes, certains vont obligatoirement avoir envie de se castagner avec des Rennais. Est-ce que cela fait de vous des contorsionnistes, obligés d’adapter votre discours lorsque vous dialoguez, comme aujourd’hui, avec les pouvoirs publics?
LP: Notre cadre organisationnel a prévenu plus d’incidents que nous n’en avons créé.
RG: Le mouvement ultra s’adapte à son époque. Dans les années 90, le contexte était différent. Jusqu’en 2005, en tant que Nantais, on pouvait débarquer dans le centre-ville de Rennes sans aucun marquage policier. On se rendait au stade en cortège sans escorte. La sécurité autour des matchs n’était pas un problème aussi important qu’aujourd’hui pour les préfectures. Le mouvement ultra n’est ni contorsionniste, ni schizophrène. Je ne pense pas que les Ultramarines se plaindront de ne pas pouvoir aller sur la Canebière pour affronter les Marseillais. On est en France, pas en Colombie ou au Venezuela, où les forces de sécurité n’ont pas la mainmise sur certaines villes. L’État français est capable d’assurer un déplacement de supporters. C’est ce qu’on a du mal à comprendre. Lorsqu’une préfecture se déclare incapable d’en gérer quelques dizaines, pour nous, c’est un aveu de faiblesse.
Pour terminer sur une note positive, sur quels points supporters ultras et pouvoirs publics peuvent-ils s’entendre?
AR: Depuis la mise en place de l’INS en mars 2017, il n’y a jamais eu autant de dialogue entre pouvoirs publics et supporters. C’est en se réunissant régulièrement que les gens vont prendre l’habitude de travailler ensemble, se faire
solutions.• confiance, et développer des PAR LDC, ME ET NH
“Quand je lis dans un communiqué que les Ultramarines exigent enfin la création d’un dialogue avec les autorités publiques, j’avoue que je souris” Antoine Mordacq, commissaire à la tête de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme