Andy Capp.
Soixante ans après sa naissance sous les coups de crayon de Reg Smythe, le personnage préféré des lecteurs du Daily Mirror est devenu, bien au-delà de son Angleterre natale, une icône des ultras. Qui voient en ce chômeur fêtard et buveur l’un des derniers symboles du football populaire.
Soixante ans après sa naissance sous les coups de crayons de Reg Smythe, Andy Capp a recouvert des milliers de pages du DailyMirror. Fêtard, amateur de houblon, chômeur professionnel, le personnage est devenu, bien au-delà de son Angleterre natale, une icône des ultras, qui voient en lui l’un des derniers symboles du football populaire.
“Andy Capp apprécie sa bière, sa clope et son roupillon sur le canapé. Il est intrépide, n’hésite pas à se battre et ne se fait emmerder par personne” Paul Slade, spécialiste du dessinateur Reginald Smythe, père d’Andy Capp
“Ici, c’est Paris!” Enfin plutôt le VIIIe arrondissement. Pas forcément le coin où on s’attend à une réunion d’anciens ultras du PSG. Entre un burger saignant et un quizz foot, Goulven et Philippe se retrouvent au sous-sol d’un bar pour parler du bon vieux temps, celui où ils ambiançaient le Parc des Princes et la tribune Auteuil avec leurs potes des Lutece Falco. Encarté en 1996, Goulven deviendra même président du groupe fondé en 1991 au début de l’ère Canal+, Philippe lui emboîte le pas quelques années plus tard et assiste impuissant à l’autodissolution du groupe imposée par le plan Leproux en 2010. Les Lutece étaient notamment connus pour leur amour de la Guinness, de l’Irlande et pour un drôle de personnage qu’ils exhibaient sur leurs matos. “Deux-trois anciens qui appréciaient la bande dessinée l’avait ramenée en France”, resitue Philippe, qui fait tomber le pull et dévoile un t-shirt Komité enragé –le nom d’une section des Lutece Falco– sur lequel est imprimé une silhouette: celle d’Andy Capp. Casquette à carreaux rabattue sur les yeux, gros pif rougi par l’alcool, écharpe nouée autour du cou, cigarette en bouche et pinte à la main: une certaine idée de l’Angleterre prolétaire condensée en quelques coups de crayon. “À l’époque, son image était peu utilisée en France, car les gens savaient que c’était connoté Paris et Lutece Falco, renseigne Goulven. Ça faisait partie des codes du monde ultra.” Pour Philippe c’est bien simple: “À Paris, tu évoques Andy Capp, tu penses Lutece Falco.” Depuis, le personnage s’affiche un peu partout dans ces tribunes en Europe où on aime encore chanter et encourager son équipe debout: dessiné sur les banderoles à deux mâts, tatoué sur les avantbras, collé en sticker contre les lampadaires ou peint dans les coursives du stade.
Pilier de bar et footballeur du dimanche
Comment cet anti-héros de bande dessinée, si anglais, est devenu une figure commune dans la culture ultra? Le papa d’Andy Capp s’appelle Reginald Smythe. Ancien soldat pendant la seconde guerre mondiale, il griffonne pour son plaisir et ébauche au milieu des années 50 ce personnage typiquement cockney, chômeur invétéré qui écluse les pintes de houblon le plus clair de son temps. Reg Smythe (son nom de plume) pioche dans ses souvenirs d’enfance, ceux d’un fils de docker au lever de coude solide. La femme d’Andy répond au prénom de Flo, comme sa maman. La ville d’Hartlepool, cité ouvrière du nord-est de l’Angleterre et berceau
de la famille Smythe, sert de décors aux frasques de son personnage. Le 5 août 1957, les premières aventures de ce je-m’en-foutiste sont publiées dans une édition locale du
Daily Mirror, sous forme de comic-strip. Une bande-dessinée de trois cases, dont la lecture se fait le plus souvent horizontalement. Face au succès inattendu d’Andy Capp, l’édition nationale du Mirror publie les pérégrinations du héros de Reg Smythe. Inattendu car on parle d’un personnage volontiers macho, alcoolique
et parfois violent. Spécialiste du sujet, le journaliste Paul Slade préfère décrire “un mec formidable qui apprécie sa bière, sa clope et son roupillon sur le canapé. Il est intrépide, n’hésite pas à se battre et ne se fait emmerder
par personne”. Au quotidien, Andy fuit le travail, évite l’encaisseur des loyers et traîne au pub avec son meilleur ami, Chalky White. Malgré son côté très insulaire, Andy Capp parvient à s’exporter: les Français peuvent dévorer ses aventures à partir des années 70 dans Charlie
Mensuel. Le cockney ne connaît ni frontière ni conflit géopolitique, il est même possible de suivre ses péripéties en URSS. À la mort de Reg Smythe d’un cancer du poumon en 1998, les aventures d’Andy sont alors traduites en quatorze langues, recouvrent les pages de 1700 journaux –dont 1000 rien qu’aux ÉtatsUnis– et sont donc lues par près de 250 millions de personnes dans 52 pays à travers le monde. Paul Slade loue le génie de son auteur et le langage universel de son personnage pour expliquer un tel succès: “Smythe est le plus grand dessinateur de bande dessinée de presse
du XXe siècle. Et quel que soit le pays ou la langue, tout le monde connaît quelqu’un comme Andy Capp.” Mais le bonhomme reste anglais et va avant tout influencer ce qu’on appellera dans les années 90 la culture “lad”, qui “n’est rien d’autre que la philosophie d’Andy remise au
goût du jour”, observe Paul Slade. Soit boire de l’alcool, fumer des blondes, draguer les filles, écouter du rock et vomir le politiquement correct. Les lads et Andy Capp partagent aussi une passion pour les fléchettes, le snooker et bien sûr le foot. Quand il est chez lui, Andy regarde un championnat qu’on n’appelle pas encore la Premier League et se défoule le dimanche matin sur les pelouses, où son temps de jeu est souvent raccourci par un carton rouge à la suite d’une baston qu’il a le plus souvent provoquée. Un amour loin d’être unilatéral, que le football va lui rendre. Au fil des ans, les supporters du monde entier adoptent ce personnage singulier et les ultras exhibent la casquette et le nez proéminent d’Andy Capp sur leur matos. C’est que le gaillard reflète leur mode de vie. “C’est le gars à part socialement, qui n’est pas
métro-boulot-dodo, résume
Goulven. On a tous connu nos soirées aux pubs, avant ou après les matches, où on rentrait à la maison en tapant les murs.”
Symbole d’un football old school
Et le phénomène perdure, plus que jamais. En août dernier, les Drouguis, groupe de l’US Orléans, déploient un tifo à l’effigie d’Andy Capp, affublé d’un t-shirt aux couleurs de leur club de coeur. En décembre dernier, c’est une partie de la tribune Marek du RC Lens qui a été drapée d’un tifo affichant le visage du bébé de Smythe lors d’un match contre Tours. En Allemagne, le logo des Ultras Nürnberg, groupe du 1. FC Nuremberg fondé en 1994, n’est autre qu’Andy, portraituré de profil, clope au bec et chope en main. Mieux encore, les Ultras Nürnberg organisent en 2009 un pèlerinage en Angleterre sur les traces de leur emblème. Avant bien sûr d’aller descendre des bières au pub, ils posent devant la statue en bronze d’Andy Capp, érigée en novembre 2007 à Hartlepool. À entendre Christian, un des Allemands du voyage, Capp n’incarne pas seulement leur mode de vie, mais également leur vision du foot pro: “C’est un homme simple, qui défend ses convictions et aime le football old school, sans les billets chers que seules les classes supérieures peuvent s’offrir et sans les joueurs surpayés qui ne se soucient pas des traditions du club pour lequel ils jouent.” Si les Lutece Falco ne peuvent plus afficher Andy dans le virage Auteuil, le paresseux Britannique, lui, continue son chemin. À sa mort, son créateur avait laissé près de deux ans de dessins d’avance à la disposition du
Mirror. La parution s’est ensuite poursuivie sous les coups de crayons d’autres auteurs et dessinateurs. Mais soixante ans après sa première publication, l’époque et les mentalités ont changé, de quoi entraîner certaines modifications. Ainsi, à la suite d’une plainte de l’association Women’s Aid sur les violences domestiques contenues dans la bande dessinée, Andy Capp s’est assagi dans les années 70. En 1983, quand son créateur a arrêté de fumer, Andy a fait de même. La révolution numérique a aussi impacté la vie du personnage. “Nous avons ajouté quelques mises à jour pour refléter le fait qu’il vit en 2018, comme Internet, les jeux en ligne ou les iPhones. Mais nous avons conservé tous les éléments qui font l’authenticité et le charme de la BD”, assure Lawrence Goldsmith, auteur des scripts de l’antihéros depuis 2011. Andy Capp appartient aujourd’hui au patrimoine et à la culture anglaise. Sa page Facebook est suivie par plus de 40 000 abonnés, qui envoient quotidiennement des photos de leur corps tatoué d’un dessin de Smythe. À la télévision, ses aventures ont été adaptées dans une série où son rôle était interprété par James Bolam dans les années 80 et 90. En 1986, les Rita Mitsouko lui ont dédié une chanson, pudiquement intitulée Andy. Et au quotidien, les supporters
continuent de le chanter. “Le message derrière est simple: ce sport n’appartient ni aux joueurs ni aux dirigeants,
clame Goulven. Il appartient aux tribunes, à ceux qui vivent à 100 % pour leur club”.
Et descendent quelques pintes.
“Andy, c’est le gars à part socialement, qui n’est pas métro-boulot-dodo. On a tous connu nos soirées aux pubs, avant ou après les matches, où on rentrait à la maison en tapant les murs” Goulven, ancien des Lutece Falco