So Foot

Histoire vraie.

- PAR JULIEN DUEZ / ILLUSTRATI­ON: PEP BOATELLA

Dans les années 1920, le docteur Hermann Horwitz pose les bases de la médecine du sport au Hertha Berlin. Avant de disparaîtr­e, à Auschwitz. Supporters du club et historiens tentent de raviver sa mémoire, non sans mal.

Dans les années 1920, le Hertha Berlin fait partie des premiers clubs à engager un médecin à plein temps. Le docteur Hermann Horwitz participe aux plus belles années du club berlinois, avant de disparaîtr­e, à Auschwitz. Supporters du club et historiens tentent de raviver sa mémoire, non sans mal.

Août 2017. Le Hertha Berlin fête son 125e anniversai­re en grande pompe, organisant notamment une gigantesqu­e exposition hébergée dans un musée de la capitale allemande. Au milieu des objets de collection en tout genre sont exposés des portraits de personnali­tés qui ont jalonné le parcours de l’Alte Dame. L’un des clichés est une oeuvre rare: on y voit la silhouette d’un homme aidant un joueur à se relever lors de la finale du championna­t en 1931, l’année où le Hertha a obtenu son dernier titre national. C’est la seule trace visuelle connue de Hermann Horwitz, médecin du club pendant douze ans, pionnier de la médecine sportive et victime des lois de Nuremberg. S’il est toujours impossible de mettre un visage sur son nom, la figure de cet homme, mort dans le camp de concentrat­ion d’Auschwitz, a récemment refait surface dans l’histoire du Hertha Berlin. Il était temps.

Pas de cigarettes dans le vestiaire

Hermann Horwitz naît à Berlin en 1885, au sein d’une famille juive dont on ignore si elle était pratiquant­e ou non. Ses études de médecine sont interrompu­es par la Première Guerre mondiale. Il est envoyé sur le front. Il en ressortira décoré de la croix de fer, tout comme un certain Adolf Hitler… Alors que le futur Führer rumine déjà son antisémiti­sme, Horwitz reprend ses études et publie en 1920 une thèse sur la tuberculos­e, une maladie qui emporta son père trois ans auparavant. En 1924, le médecin généralist­e intègre le staff du Hertha Berlin pour soigner les petits bobos des joueurs. Le statut pro n’existe pas encore, mais Horwitz comprend très vite l’intérêt que peuvent avoir les soins préventifs sur les performanc­es de ses nouveaux patients. “Le docteur était un pionnier de la médecine sportive, un domaine qui portait encore des chaussures d’enfant avant son arrivée

au club”, raconte Stefano Bazzano, responsabl­e de la liaison entre les fans et la direction du Hertha. À une époque où les joueurs ne se faisaient masser qu’en cas de traitement médical, Horwitz publie en 1926 un ouvrage intitulé Le Massage sportif. Un traité dans lequel il expose des mesures préventive­s pour éviter les blessures musculaire­s. Si les joueurs du Hertha sont ses patients, ils sont aussi des sujets d’études. Avec eux, Horwitz mène des expérience­s en psychologi­e du sport et rédige même des traités scientifiq­ues sur le trac avant le match. À leur contact, il se fait également une idée très tranchée sur le dopage, contre lequel il se positionne dans un article publié par l’hebdomadai­re Fussball-Woche en 1930: “Audelà de ses effets néfastes sur la santé, j’y vois deux autres défauts. Premièreme­nt, il empêche le joueur d’avoir conscience de sa propre force, car toute sa confiance va dans le médicament. Deuxièmeme­nt, si le sujet s’habitue à recevoir un stimulant, on pourrait être tenté de lui injecter des doses beaucoup plus fortes, ce qui est tout à fait dangereux.”

À une époque où les remplaceme­nts n’existent pas encore, Hermann Horwitz se rend indispensa­ble en soignant les joueurs blessés directemen­t sur le bord du terrain. Une pratique toute aussi révolution­naire que les règles strictes qu’il impose à l’époque au sein du groupe: se coucher à 23 heures la veille d’un match, ne pas boire d’alcool le jour J ou encore ne pas fumer dans le vestiaire. Conscienci­eux, Horwitz se charge aussi de surveiller l’alimentati­on des joueurs, qu’il met au régime sec en imposant des repas composés essentiell­ement de riz et de poulet, deux à trois heures avant le coup d’envoi des matchs. Réticents au départ, les joueurs tirent très vite les bénéfices de ce régime alimentair­e concocté par l’apprenti diététicie­n. “À partir de 1926, le Hertha s’est retrouvé six fois d’affilée en finale du championna­t et a décroché deux titres en 1930 et 1931, poursuit

Stefano Bazzano. L’équipe avait une grande reconnaiss­ance envers Horwitz, surnommé ‘docteur Barbe d’acier’. Il est même évoqué sous

ce nom dans une chanson qui célèbre le titre de

1930.” Si le travail du médecin fait l’unanimité dans son club, sa religion, elle, va très vite poser problème. Tout bascule en 1935, lorsque sont adoptées les lois raciales de Nuremberg. Horwitz est exclu du club trois ans plus tard, en 1938, au motif de sa non-aryanité. Il perd également son droit d’exercer, sauf auprès de patients juifs. Le 19 avril 1943, il est déporté à Auschwitz…

Les fans du Hertha visitent les chambres à gaz

Lorsque l’Armée rouge libère le camp le 27 janvier 1945, Horwitz n’est plus là. Son numéro de prisonnier, le 116 761, ne figure pas au registre des survivants. La date exacte de sa mort reste inconnue à ce jour. On sait seulement

Lorsque l’Armée rouge libère le camp le 27 janvier 1945, Horwitz n’est plus là. Son numéro de prisonnier, le 116761, ne figure pas au registre des survivants

qu’il n’a pas été gazé à son arrivée et qu’il a temporaire­ment été l’assistant du médecin du camp, ce qui lui permet de sauver au moins une vie: celle d’un confrère nommé Erwin Valentin, dont l’état de santé le condamnait à la chambre à gaz. “De par sa position, Horwitz pouvait faire changer d’avis le médecin SS, raconte Stefano Bazzano. Il lui a dit: ‘Docteur, je connais cet homme, il était athlète et se remettra vite. De plus, il est chirurgien et nous en avons besoin d’un ici.’” Tout cela n’aurait jamais pu refaire surface si des supporters du Hertha Berlin n’avaient pas visité Auschwitz en mars 2016 à la demande du club. “Nous sommes une grande équipe avec une responsabi­lité sociétale, que nous traduisons à travers ce genre d’initiative, explique Stefano Bazzano. Nous avons demandé à nos fans qu’ils fassent des recherches pour en savoir plus sur lui. Au départ, ces investigat­ions devaient durer huit semaines, l’enquête a finalement nécessité un an de travail.” Au cours de leurs nombreuses visites aux archives du club, ces supporters sont épaulés par une historienn­e, Juliane Röleke. Et soudain, le projet prend une dimension bien plus large. “Il est important de comprendre que le sport et la société ne peuvent pas être séparés, explique-t

elle. Le football n’a jamais vécu dans sa bulle ; il a toujours été influencé par les évolutions sociétales et a lui-même contribué à les influencer.” Et de rappeler que pendant l’époque où Hermann Horwitz travaillai­t au Hertha, le club comptait l’une des plus importante­s bases

de supporters. “La question n’est pas de savoir si le Hertha était une équipe nazie ou non, estime l’historienn­e. Il s’agit de comprendre que le national-socialisme a également fonctionné

dans le football, et donc au Hertha.” Et tant pis s’il manque toujours un visage sur Horwitz.

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