Lisandro Lopez.
Allergique aux artifices du football et aux médias, l’ancienne idole de Gerland vide enfin son sac avant de disparaître définitivement des radars.
À Lyon, Lisandro Lopez préférait aller pêcher avec Maxime Gonalons plutôt que d’assurer le service après-vente devant les caméras de télévision. Toujours aussi allergique aux artifices du football, l’idole du Racing Club vide enfin son sac avant de disparaître définitivement des radars.
À 34 ans, prends-tu toujours autant de plaisir à jouer au football? Je vis le football plus naturellement à l’entraînement qu’en match. Là, ça redevient une passion, un peu comme lorsque je vais pêcher. Mais pendant les matchs, je n’ai jamais pris de plaisir depuis que je suis pro. En fait, je n’en ressens pas dans le jeu, j’en prends avant, quand il s’agit de fouler la pelouse. Sentir monter l’adrénaline, la pression et entendre les cris de la foule, ça me fait quelque chose ici (il se touche le ventre). Après le match, je ressens aussi la satisfaction du devoir accompli, notamment lorsqu’on a gagné. Ce n’est pas une joie suprême, mais constater que l’objectif a été rempli a quelque chose de plutôt rassurant. Voilà, ces instants de plaisir sont très éphémères.
Comment l’expliques-tu? Il y a des joueurs qui sont plus détendus que moi à l’heure d’entrer sur le terrain. Ils ne font pas attention au cirque qui les entoure, ni au résultat du match. Moi, je n’ai jamais su relativiser tout ça. Le football change vraiment quand tu deviens pro, le jeu devient un travail, puis il y a tout les à-cotés… Je suis aussi bizarre qu’un chien vert dans ce milieu, je déteste les interviews par exemple. Je n’aime pas la ramener, je ne sais jamais quoi dire… Dans ma carrière, je suis allé une fois sur un plateau télé, au tout début. Ils voulaient absolument savoir ce que j’avais mangé la veille, ce que je faisais de mon temps libre. Mais pourquoi? Quel est l’intérêt? Qu’est-ce que ça peut leur faire? Avec un peu de recul, tu ne penses pas que cet hermétisme a été préjudiciable à ta carrière? Évidemment que oui. On sait tous comment ça marche avec les médias: ils peuvent faire de toi un dieu mais aussi un moins que rien. Honnêtement, j’ai réalisé des bonnes saisons mais je n’ai jamais été très médiatique. J’ai choisi de ne pas l’être, donc je ne vais pas m’en plaindre maintenant mais c’est clair que si j’avais été plus ouvert avec les journalistes, j’aurais eu plus d’exposition, et alors peut-être que j’aurais pu être convoqué plus souvent en sélection.
Après tant d’années de carrière tu arrives encore
à être surpris par le milieu du football? La vie comme le football est une série de surprises permanentes.
Plutôt bonnes ou plutôt mauvaises? Plutôt mauvaises concernant le football. Les journalistes m’énervent. Pour vendre un papier ou avoir un petit peu plus d’audience, ils sont prêts à inventer n’importe quoi. Des stupidités sans fondement qui causent du tort aux joueurs et à leurs proches. Je ne comprends pas cette perfidie, c’est quelque chose qui me rend fou. Je ne
cherche pas d’exposition médiatique, du coup, certains racontent des âneries sur mon compte. Par exemple, on dit de moi que je suis conflictuel. Mais putain comment ils peuvent assurer ça alors qu’ils ne me connaissent même pas? Je veux bien qu’on critique mon jeu ou mes performances, mais je n’accepte pas qu’on empiète sur mon intimité, même à l’intérieur d’un vestiaire. Je hais ça, je ne l’ai jamais supporté, ça me fait mal au coeur, mais malheureusement je sais que je serai exposé à ça jusqu’à la fin de ma carrière. Tu as du mal à gérer le fait d’être un personnage
public? Les gens croient me connaître parce qu’ils me voient à la télévision. Certains s’approchent même pour me dire “je t’aime”. Mais comment tu peux m’aimer? Pourquoi? Parce que j’ai mis un but? Non, mon frère, ça n’est pas de l’amour ça, tu ne me connais pas… Les gens croient qu’on est footballeur vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si tu fais le fou sur un terrain, ils vont penser que tu l’es aussi dans la vraie vie. Je vis les matchs intensément, c’est vrai, mais en dehors du terrain je ne suis pas le dingue qu’on dépeint.
Tu aimerais parfois être anonyme? Si je pouvais l’être à nouveau je signerais tout de suite. Je veux qu’on me foute la paix une fois que j’aurai raccroché les crampons… Il y en a qui disent que le football c’est leur vie, mais pour moi ce n’est qu’une portion de la mienne. Quand ça s’arrêtera, je ferai autre chose et je continuerai à jouer pour le plaisir. Peut-être qu’un jour je regretterai ces types qui m’arrêtent dans la rue pour me dire
“eh Licha, merci pour ce but”, mais là j’aspire à de la tranquillité. Tous les joueurs argentins collectionnent des maillots durant leur carrière. C’est ton cas aussi? Les deux, trois premières années je le faisais aussi, mais je n’en ai plus un seul. J’ai tout donné. Je ne collectionne pas les maillots des autres, ni les miens. Ma mère doit avoir dans un placard le maillot avec lequel j’ai disputé mon premier match en pro, mais moi je n’ai plus rien. Rien de matériel en tout cas. Tout ce que j’ai de précieux, je le stocke là (il pointe sa tête). Je n’accorde pas d’importance à toutes ces reliques footballistiques. Du coup, je n’ai pas de médaille, pas de maillot, rien… Le jour où tu raccroches, tu penses garder ton dernier maillot? Je ne sais pas. Si quelqu’un me le demande, je lui filerai. Encore une fois, je partirai avec des souvenirs plein la tête. C’est ça qui compte vraiment. Si j’étais boucher, est-ce que je garderais ma première ou ma dernière blouse? Je n’en conserverais aucune. – Traduction: Javier Prieto Santos / Photo: Afp/Dppi
“Certains s’approchent de moi pour me dire ‘Je t’aime’. Mais comment tu peux m’aimer? Pourquoi? Parce que j’ai mis un but?”