Gianluigi Buffon.
Obligé de dire au revoir à une sixième coupe du monde, le scénario de sortie rêvé par Gigi a été chamboulé. Au point de l’amener à revoir ses plans de retraite?
Une défaite synonyme d’adieu à une sixième coupe du monde et une blessure de deux mois synonyme d’adieu au record de matchs en Serie A. C’est peu dire que le scénario rêvé par Gianluigi Buffon pour sa dernière année a été chamboulé. Au point de l’amener à revoir ses plans de retraite?
Les pleurs sur la pelouse de San Siro après l’élimination contre la Suède, deux mois sur la touche à cause d’une contracture au mollet, le fantôme d’un vieil ennemi, la dépression… Des fissures se sont entrou
vertes cette saison? Vous ne me croirez pas, mais je suis malgré tout une personne très heureuse en ce moment. Mes larmes à Milan allaient au-delà de l’amertume d’un échec que nous pensions impossible. C’était la conséquence d’une grande responsabilité sportive envers un pays entier, ainsi que la réaction d’un homme qui, à 40 ans, vit les émotions de manière plus profonde qu’à 20 ans. Quant à cette blessure, rien n’arrive par hasard dans la vie. Cette pause m’a fait du bien, m’a envoyé un message clair. Aujourd’hui, je sens en moi un désir anormal de compétition pour quelqu’un de mon âge. Ne me dites pas que vous avez changé d’idée sur le timing de votre retraite. Vous voulez jouer encore une autre saison? Je rencontrerai bientôt le président Andrea Agnelli et nous en parlerons. Je veux le bonheur de mon équipe, comprendre quel type d’habit je peux endosser, si la Juve pense que je peux encore être important. J’aimerais poursuivre, mais ce qui est certain, c’est que je ne veux devenir un problème ni pour le club ni pour mes coéquipiers. Si Agnelli refusait de vous prolonger, vous irez autre part? C’est la Juve ou rien. Je ne veux pas passer pour un vieux qui se ment à lui-même pour s’agripper avec les ongles et les dents à son monument et à sa paye. Cette saison, j’ai commis une erreur contre l’Atalanta et une erreur sur coup franc contre l’Espagne. J’ai disputé des matches phénoménaux, d’autres normaux, d’autres un peu plus modestes, et pourtant, la Fifa m’a élu meilleur gardien en 2017. Je me sens
comme je me sentais il y a six ou sept ans. Si je ne vous convaincs pas, demandez l’avis de mes entraîneurs, eux m’évaluent tous les jours sur le terrain.
Que ferez-vous dans votre prochaine vie? Je n’y ai pas encore pensé. J’ai appelé et demandé conseil à Lippi il y a quelques jours. Il m’a dit de prendre une année sabbatique, de regarder le monde du foot de l’extérieur avec un peu de détachement, d’essayer de comprendre ce qui m’intéresse vraiment. Je vous le répète: je ne cherche pas une place au chaud, c’est mieux d’avoir un peu d’incertitude. J’ai toujours vécu avec la peur, en vieillissant j’ai appris à la maîtriser, je suis devenu plus humble. Après, je me remettrai à travailler. Et c’est tout.
On vous retrouvera en survêtement ou en costard
cravate en train d’entraîner? Si cela arrive, je ne serai pas l’entraîneur d’un club. J’ai une compagne, trois fils que j’adore et, derrière moi, vingt-huit ans de vie quotidienne organisée par d’autres, à la minute près. Je veux avoir le luxe de l’ennui. Il y a des moments où je désire être seul, mais vraiment seul. Des demi-journées où je peux tout faire, durant lesquelles rien ne m’est interdit.
“Moi homme politique? Quelqu’un a dit qu’en politique, même un ange devient une traînée”
Il y a le banc vacant du sélectionneur de la Nazionale. Vous y avez pensé? Pour le coup, un travail de sélectionneur ne me déplairait pas. C’est une tâche motivante, avec une responsabilité institutionnelle et éducative. Vous représentez un pays entier. Vous unissez, vous ne divisez pas. C’est une candidature pour reprendre l’Italie?
Non. J’ai dit que j’aimerais bien être sélectionneur, pas celui de l’Italie. Vous avez fait référence à vos enfants. Louis a dix ans, David huit. Leur mère est Alena Seredova. Leopoldo, que vous avez eu avec Ilaria D’Amico, a deux ans. Vous ont-ils déjà demandé: “Papa, quand arrêtes-tu pour revenir à la maison ?”
Louis me l’a demandé il y a quelques mois. Il m’a dit: “Je serais content pour nous, un peu moins
pour toi.” Lui et David sont avec moi deux jours par semaine, mais entre le championnat et la Champions League, je suis un père intermittent. Quand nous sommes ensemble, je voyage dans le temps. Je fais un bref jeûne de mon smartphone et les emmène dans ce monde qui était le mien
quand j’étais petit. Je les fais jouer au ballon dans des rues en pente ou sur le ciment des cours, entre les voitures garées. Et le soir, duel familial au petit bac.
Sgarbi (député italien, proche de Silvio Berlusconi,ndlr) vous a invité à ne pas l’exclure de votre futur. La politique est une option?
Vittorio m’est sympathique. Notre amitié a débuté après l’échange de quelques messages. Au-delà de ses intempérances et ses provocations, j’ai appris à l’estimer pour sa génialité, même s’il devrait s’entraîner à la modération. Après l’élection de George Weah, il n’a pas été le seul à m’en faire mention. Je vous réponds: qui vivra verra, je n’éloigne pas a priori le calice amer, même si quelqu’un a dit, me semble-t-il, qu’en politique, même un ange devient une traînée. Que vous manquera-t-il de la vie de footballeur?
Pas grand-chose. L’odeur du vestiaire. Le dialogue de chambrée avec les coéquipiers qui vous fait rester plus jeune que ce qu’indique l’horloge biologique.
Pas les gestes du gardien? Je ne crois pas. Ce sont des gestes que j’ai répétés pendant trop d’années. Toutes les passions pâlissent et s’atténuent avec le temps. Je n’aurai pas de regrets. Rembobinez ce l ong film de presque trente ans. Quelles sont les photos dont la netteté des
contours a été le mieux conservée? Moi, petit, sur le terrain en terre du Bonascola à Carrare, les visages des premiers entraîneurs. Auro Menconi, Ermes Fulgoni, et Ermes Polli, qui pour nous tous était le facteur. Ce sont les souvenirs plus anciens qui m’émeuvent. Et puis mon père, qui m’a enseigné la simplicité et le fait de ne jamais me satisfaire. Je pouvais sortir du terrain après avoir stoppé dix-huit penaltys et lui me disait: “Tu as fait un bon match.” Pour finir, votre autobiographie en une ligne? J’ai été obstiné sans être obtus. – Traduction: Valentin Pauluzzi / Photo: Insidefoto/Panoramic