So Foot

Piquet de grève

Capitaine de l’équipe d’Argentine, ancienne du Barça, aujourd’hui à Boca Juniors

- Par Florencia Quiñones

J’ai commencé à jouer au football à quatre ans, dans ma ville natale d’Oncativo, dans le nord du pays. J’accompagna­is souvent mon père à ses entraîneme­nts et les joueurs qu’il coachait me faisaient taper dans le ballon. Un jour, ils m’ont offert une paire de gants et c’est comme ça je suis devenue gardienne dans une équipe de garçons de baby futbol. Plus tard, je suis passée au foot à onze, dans l’équipe qu’entraînait mon père. Pendant six ans, j’ai été la seule fille de l’équipe et de la ligue de ma région. Ça a été comme ça jusqu’à mes 15 ans, âge à partir duquel on ne peut plus jouer en mixte. Faute de ligue féminine dans ma région, je me suis donc mise au volley. Mais moi, ce que je voulais vraiment c’était jouer pour les équipes de football de Buenos Aires, celles qu’on voyait parfois à la télévision. À la sortie du lycée, la fédération a organisé des détections et c’est comme ça que j’ai pu intégrer l’équipe d’Argentine U20. Comme la sélection nationale n’est pas profession­nelle, j’avais besoin d’un club qui me permette de subvenir à mes besoins. J’ai donc commencé ma carrière à San Lorenzo, qui pendant douze ans m’a fourni un loyer et un salaire qui couvrait le transport aux entraîneme­nts et les dépenses de la vie quotidienn­e. Beaucoup d’autres joueuses de l’équipe nationale n’ont pas eu cette chance. C’est d’ailleurs l’un de nos principaux problèmes: les filles ont peu de temps libre et les entraîneme­nts ont lieu à Ezeiza, une banlieue de la capitale. Le trajet empiète donc souvent sur leurs horaires de travail ou de déjeuner et leur coûte de l’argent et du temps! Depuis que j’ai intégré la sélection, nous avons eu des hauts et des bas. Je retiens surtout l’année 2008: on s’était qualifiées pour les JO après avoir bien performé au championna­t panamérica­in et à la coupe du monde 2007. Après, le niveau a baissé… Les entraîneme­nts ont cessé et l’AFA a été victime du truquage des élections de son président, ce qui a causé le dysfonctio­nnement de nombreuses équipes pendant plusieurs années. Les catégories de jeunes et le foot féminin sont ceux qui ont le plus souffert. Ce n’est qu’en septembre 2017 qu’on a repris les entraîneme­nts pour faire une série de matchs amicaux en Uruguay. Après ça, nous avons décidé de faire grève. Sans parler du manque d’argent, les catégories U15, U17, U20 et senior ne peuvent pas s’entraîner toutes au même moment. Entre décembre et février l’équipe nationale senior n’a pas joué parce que les U17 étaient en tournoi et que le staff s’occupait d’elles, délaissant toutes les autres catégories du foot féminin. Ce genre de choses n’existe pas chez les hommes. Le fait de partager un vestiaire dans lequel il n’y a pas de place pour tout le monde, non plus. Sans compter que nous jouons avec des tenues des saisons passées, adaptées aux morphologi­es des garçons et non des filles. Nos dirigeants exigent qu’on soit profession­nelles mais ne nous traitent pas comme telles. En septembre dernier, nous avons donc toutes refusé d’aller nous entraîner tant que l’AFA ne ferait pas d’efforts réels. C’est vrai qu’ils ont créé une ligue de développem­ent de l’interior, une U14, c’est un bon début mais j’espère que les efforts continuero­nt. Le foot féminin argentin est un diamant brut qu’ils doivent apprendre à exploiter. Le vrai problème réside dans le fait que personne n’ait encore trouvé comment faire du foot féminin une bonne affaire. Nous sommes tous, filles comme garçons, déjà allés au stade pour encourager notre équipe masculine favorite au moins une fois dans notre vie. Quand l’équipe d’Argentine joue, il n’y a personne dans les rues. Lors des matchs importants entre des équipes de Buenos Aires, on entend des cris de supporters d’un immeuble à l’autre. Il y a une grande culture tribune, mais seulement pour le football masculin. Pourtant, le football féminin amateur a beaucoup de succès depuis quelques années. Les filles qui tapent le ballon sur les nombreux terrains de Buenos Aires sont de plus en plus nombreuses, ce qui est vu comme une étrangeté par beaucoup d’hommes qui jouent sur les terrains voisins. Il y a encore du chemin à faire avant que le foot féminin devienne quelque chose de normal et populaire en Argentine.

“Entre décembre et février, l’équipe nationale senior n’a pas joué parce que les U17 étaient en tournoi et ” Florencia Quiñones

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