Andreï Kanchelskis
Dernier buteur de l’histoire de l’URSS, l’attaquant est aussi le premier soviétique à être élevé au rang de star en Europe. C’était dans les années 90, une époque où l’ailier supersonique de Manchester United montait avec les deux pieds joints sur le ball
Son fils, qui joue aussi un rôle d'intermédiaire, a pourtant prévenu: Andreï “n'est pas très
nouvelles technologies”, il aime la simplicité. “Je ne suis pas contre les ordinateurs ou les mobiles, j'ai d'ailleurs un Nokia, précise
Kanchelskis. Le problème, c'est que je suis incapable de rester des heures devant un écran comme les jeunes d'aujourd'hui.” Pour un homme qui a d'abord connu la rigueur soviétique avant de passer à l'abondance
occidentale, l'explication semble logique. Né à Khirovograd, devenu Kropyvnytsky, une ville désormais en territoire ukrainien, le jeune Kanchelskis rêvait d'abord d'une carrière dans le hockey sur glace. “Mais bon, en URSS, on ne choisissait pas son parcours. Quelqu'un s'en
chargeait pour vous.” À l'époque, sa vitesse est d'abord mise au service de la gymnastique. Le recentrage stratégique sur le couloir droit des terrains de football interviendra quelques temps plus tard. Avec succès, puisqu'en 1986, l'ailier quitte sa mère ukrainienne et un père militaire lituanien pour intégrer le centre de formation du Kirovograd Zvezda, un club de deuxième division d'URSS. Une saison plus tard, il est enrôlé par le Dynamo Kiev, la première équipe soviétique de l'histoire à avoir remporté une coupe d'Europe (coupe de l'UEFA, en 1972). L'endroit idéal pour parfaire
une éducation footballistique soviétique réussie. Dans la capitale de ce qui n'est pas encore l'Ukraine, Kanchelskis en a bien conscience et file droit. Sur le terrain comme en dehors d'ailleurs. Et pour cause: s'il est réputé pour sa science du jeu, inspirée du football total néerlandais, et sa discipline de fer, Valeri Lobanovski, son entraîneur, l'est un peu moins pour ce qui est du sens de
l'humour. “C'est simple, personne
ne l'a jamais vu sourire”, confirme aujourd'hui Kanchelskis. En marge des entraînements longs et répétitifs, le joueur doit également se farcir un service militaire pendant lequel il apprendra notamment à monter et démonter une kalachnikov: “Un super fusil qui résiste à tout, même à l'eau.”
“Va te faire voir, bâtard d’Écossais”
Après la quille, Kanchelskis s'autorise une coupe mulet. Un moyen comme un autre de se démarquer dans un football où rien ne dépasse vraiment. Car dans le 4-4-2 militaire du Dynamo, Andreï n'est qu'un camarade de plus au service du collectif mis en place par Lobanovski. “En URSS, on nous a appris à lâcher le ballon très vite car l'avarice
peut détruire une équipe, lance Andreï.
Le collectif peut tout vaincre.” Une vision du football que partage aussi Rune Hauge, un ancien champion de bridge anglais reconverti en agent de footballeurs. Fan de la formation communiste, celui dont le nom est récemment apparu dans les Panama Papers, invite un certain Sir Alex Ferguson à aller voir un match de l'URSS en 1991. La suite des événements va trop vite pour Andreï. Confronté au paradoxe de la politique d'ouverture de la Glasnost et de la Perestroïka entreprise depuis plusieurs années par Mikhaïl Gorbatchev, le joueur prend l'avion pour Manchester sans savoir s'il va signer pour City ou United: “Pendant le vol, je pensais même qu'il pouvait s'agir d'Everton ou de Liverpool. En URSS, la couverture télévisée des matchs de foot était vraiment basique. On ne savait pas grand-chose du foot étranger.” Ce sera finalement Manchester United. Incapable d'aligner un mot d'anglais, l'ovni soviétique est suivi comme son ombre par George Scanlan, le même traducteur que celui d'Éric Cantona. La première phrase qu'il lui apprend en anglais?
“L'entraînement commence à 10 heures.” Trop basique pour ses coéquipiers… Quelques minutes après s'être présenté à ses nouveaux camarades, Kanchelskis croise Fergie dans les couloirs. Ce dernier lui demande comment il va. Réponse du Russe: “Va te faire voir, bâtard
d'Écossais.” Le bizutage est terminé, mais Kanchelskis doit encore se faire aux petits changements de la vie quotidienne. “Dans les supermarchés, j'étais vraiment surpris par l'abondance de choix comparé à l'Ukraine,
explique-t-il. Il y avait tellement de choses, que c'était difficile de faire un choix. L'autre truc compliqué, c'était les robinets. En Ukraine, on en avait qu'un seul pour régler la température, là, il y en avait un pour l'eau froide et un autre pour l'eau chaude.”
Des ours dans les rues de Moscou
Une énigme qui ne l'empêche pas de prendre, très vite, ses marques sur le terrain. À l'époque, Ferguson partage la double. Agent
même passion du 4-4-2 que Lobanovski. Sur son côté droit, Andreï participe grandement au retour de Manchester United sur le devant de la scène (deux premiers titres en championnat depuis 1967), et devient le parfait pendant de Ryan Giggs. Un succès qui l'étonne, vu l'amateurisme ambiant: “En Angleterre, à ce moment-là, il n'y avait aucun contrôle sur l'alimentation
des joueurs, même chez nous.” À l'époque, le Russe est tout aussi surpris par le régime liquide de ses coéquipiers. Au menu de ses incompréhensions: Paul Ince qui trempe les lèvres dans sa fiole d'eau-de-vie dans le vestiaire, les joueurs qui se prennent une énorme cuite après la victoire en coupe des Coupes 91 contre Barcelone ou encore Steve Howey, coéquipier à Manchester City en 2001, qui passe son week-end au vert à Marbella à s'enfiler des bières: “En Russie, tu te prends une belle sanction pour moins que ça. Mais surtout: pourquoi est-ce qu'ils ne mangent pas quand ils boivent?” Ce mystère de l'Ouest n'est pas le seul auquel Kanchelskis est confronté: “Duncan Ferguson, à Everton, était par exemple fan de courses de pigeons. Je n'en ai jamais parlé avec lui mais je ne pense pas qu'un Russe puisse comprendre l'idée que ça soit un sport et/ou un hobby.” Pas plus que les Anglais ne pouvaient comprendre qu'Andreï ne travaillait pas pour le KGB. “Ils pensent que les Russes sont tous des espions et des mafieux, se marre le premier top-player soviétique de Premier League, parti d'Europe en 2003 pour rejoindre l'Arabie Saoudite et le club Al-Hilal. Certains croient même que des ours se baladent en liberté dans les rues de Moscou…” Comme quoi, rester des heures devant un écran, peut surtout rendre très con.
“Pourquoi est-ce que les Anglais ne mangent pas quand ils boivent?” Andreï Kanchelskis