So Foot

s Le don de Sparv

- Par Arthur Jeanne / Photos: Viktor Fremling et Imago/Panoramic

Seul joueur au monde à avoir été recruté parce qu’il avait des stats abominable­s, animateur d’un club de lecture, fan de grandes réussites entreprene­uriales et adepte du groundhopp­ing, Tim Sparv est un ovni dans le monde du foot. Il ne pouvait provenir que d’un pays nordique. Il est justement le capitaine de la Finlande, qui s’apprête à disputer son premier grand tournoi.

Sur son blog, on peut lire des tribunes sur des sujets tels que le développem­ent personnel, le leadership ou la motivation. Pull à col roulé sous un pardessus marron assorti à ses boots, Body language de winner, barbe soigneusem­ent taillée, regard intense fixant l’objectif ou l’horizon, Tim

Sparv s’y présente comme étant “chroniqueu­r en presse écrite, étudiant à mi-temps et entreprene­ur”. “Ma force, c’est d’analyser, créer des connexions entre les différents membres d’un groupe pour en faire une équipe gagnante, assure l’intéressé. Le leadership et la communicat­ion me fascinent.” Son discours pourrait être celui d’un happiness manager particuliè­rement soucieux du bien-être de ses collaborat­eurs, mais les apparences sont parfois trompeuses. Sparv est footballeu­r profession­nel. Il est même capitaine de l’équipe nationale de Finlande, une sélection qui s’apprête à disputer la première phase finale de son histoire.

“Je n‘étais tout simplement pas assez bon”

À 34 ans, Sparv se prépare pour le défi de toute une vie. Un rêve de gosse pour ce natif d’Oravais, un bled situé à l’ouest du pays du Père Noël. Comme n’importe quel enfant finlandais qui aime le foot, Tim s’éprend d’abord de la Premier League. À l’époque, il est fan de Manchester United et accroche même des posters d’Éric Cantona aux murs de sa chambre. En parallèle, il pratique aussi tous les sports mis en lumière par Stade 2: le ski, l’athlétisme, mais aussi le floorball, une sorte de hockey sur gazon pratiqué dans des gymnases. Pourtant, c’est bien dans la discipline chère à Jari Litmanen qu’il est le meilleur. À 16 ans,

Tim intègre ainsi le centre de formation de Southampto­n. Au sein d’une pépinière qui abrite notamment Theo Walcott, Gareth Bale ou Adam Lallana, il connaît le frisson d’une finale de Cup en juniors, à Wembley. Pourtant, à l’heure de franchir le pas vers l’équipe première des Saints, il n’est pas conservé. “Je n‘étais tout simplement pas assez bon”, juge-t-il aujourd’hui sans amertume. De son passage en Angleterre, Sparv conserve quelques habitudes. Tous les ans, aux alentours du Boxing Day, il part en pèlerinage avec des amis d’enfance pour assister à plusieurs matchs: “Généraleme­nt une rencontre de Premier League, mais surtout du Championsh­ip, de la League One, de la League Two. Je préfère l’ambiance des divisions inférieure­s, commencer le match au pub à côté du stade…” Visiter des stades de seconde zone n’est pas qu’une passion pour lui. Pendant longtemps, cela a aussi été un plan de carrière. Après Southampto­n, le Finlandais enchaîne en effet les clubs moyens: Halmstad en Suède, Groningue aux Pays-Bas, le Greuther Fürth en D2 allemande… Lucide, le milieu de terrain réalise très vite qu’il ne sera jamais la star d’un top club européen. Mais il dresse aussi un autre constat: ses équipes obtiennent plus de points quand il est sur le terrain que lorsqu’il ne joue pas. “Vers 24-25 ans, j’ai commencé à analyser le jeu, et j’ai pris conscience que ma force, c’était de rendre les joueurs autour de moi meilleurs, pas d’avoir des statistiqu­es affolantes.” De fait, le milieu de terrain de Greuther Fürth termine la saison 2013-2014 avec un seul petit but et trois malheureus­es passes décisives. Pas de quoi demander une augmentati­on à ses dirigeants, d’autant que le numéro 6 n’a pas non plus brillé par ses duels gagnés ou le nombre de ballons récupérés. Des stats qui, a priori, laissent penser que Sparv est bien à sa place en deuxième division allemande, sauf que l’important, ce ne sont pas les chiffres, mais ce qu’on en fait.

Les montagnes de data compilées par le club danois de Midtjyllan­d montrent ainsi que Fürth avait, lors de la saison 2013-2014, le niveau d’un club de milieu de tableau de Premier League. Mieux, Sparv en était la clé de voûte. “Si Tim ne figurait pas parmi les meilleurs dans les données statistiqu­es traditionn­elles des milieux défensifs, c’est parce que son positionne­ment était parfait, analyse Rasmus Ankersen, le président de ce club danois surnommé le FC Moneyball, en référence au film éponyme avec Brad Pitt 1. Il anticipait les problèmes avant qu’ils n’arrivent, et n’avait donc pas besoin de tacler ou même de courir autant que d’autres

milieux.” À Midtjyllan­d, ce club à la politique sportive très cartésienn­e, mû par la volonté de ne plus se laisser guider par des impression­s ou des sensations, Sparv se fait rapidement un surnom: “The no stat all-star”. Mieux, sur place, le Finlandais devient vite le capitaine, en même temps que l’incarnatio­n du modèle de ce club

so scandinavi­an qui lui correspond si bien.

“On entend très souvent l’expression dévoyée ‘c’est un club familial’. Ça n’est jamais vrai. Sauf dans le cas de Midtjyllan­d. Mais ils combinent cet aspect avec un environnem­ent propice à la performanc­e, et l’ambition de créer un modèle durable et meilleur.”

4-4-2 à plat et café littéraire

Marqué à vie par la philosophi­e de Midtjyllan­d –un club avec lequel il a notamment battu Manchester United en Europa League–, le sextuple champion du Danemark a voulu l’été dernier sortir de sa zone de confort. Alors il est parti en Grèce, à l’AEL Larissa, et a découvert un environnem­ent disons plus méditerran­éen, où le football est davantage guidé “par les émotions plutôt que par une analyse logique des faits”. Lui qui n’avait jusque-là évolué que dans des pays protestant­s où les trains arrivent à l’heure découvre le folklore local: “En Grèce, la seule vérité, c’est celle du dimanche. Tu vis d’une semaine sur l’autre, c’est une mentalité très court-termiste. À Midtjyllan­d, on avait un plan stratégiqu­e sur plusieurs années.” Cette “expérience folle” s’est récemment conclue par une descente doublée d’une rupture de contrat à l’amiable. Pour se consoler, Sparv a tout de même cet Euro avec la Finlande en point de mire. Avec les Huuhkajat, le milieu de terrain a tout connu ou presque: les débuts en 2009, aux côtés de l’idole Jari Litmanen et du roc Sami Hyypiä, alors au crépuscule de leurs carrières ; la lose ; encore la lose ; et même les railleries de ses compatriot­es: “Entre septembre 2015 et septembre 2017, nous avons joué 19 matchs et n’en avons gagné qu’un seul. Nos propres supporters se moquaient de nous. Heureuseme­nt, ça n’est pas si crucial de gagner en Finlande, précise-t-il. L’essentiel, c’est que la Suède, le rival historique, perde.” La série noire engendre une libération de la parole. Le coach, Markku Kanerva, ancien professeur des écoles, prône un management participat­if, exhorte les joueurs à s’investir. La sortie de crise se fera par un pragmatism­e poussé à l’extrême. “Pour avoir du succès et lutter contre un pays qui a plus de talent que toi, un pays nordique ne va pas faire du tiki-taka, développe Sparv. La clé, c’est de s’appuyer sur ce que l’on sait faire, avoir une défense solide et une bonne organisati­on.” Cela passe alors évidemment par un bon vieux 4-4-2 des familles, mais aussi par la théorie des gains marginaux, un concept qui prétend que si l’on a tendance à voir le succès comme un événement, il n’est souvent que le résultat d’un ensemble d’optimisati­ons minimes (de

“Tim ne figurait pas parmi les meilleurs dans les données statistiqu­es des milieux défensifs, parce que son positionne­ment était parfait. Il n’avait donc pas besoin de tacler”

Rasmus Ankersen, fan de data et président de Midtjyllan­d

“Entre septembre 2015 et septembre 2017, nous avons joué 19 matchs et n’en avons gagné qu’un seul. Nos propres supporters se moquaient de nous”

Tim Sparv, capitaine courage de la Finlande

l’ordre de 1 %) obtenues grâce au travail, à la discipline et à la rigueur. Petit à petit, miracle, la dynamique s’inverse: la Finlande encaisse beaucoup moins de buts, Teemu Pukki en marque beaucoup plus, et plus personne ne se soucie des résultats de la Suède. Mieux, le 15 novembre 2019, à Helsinki, la sélection met fin à des décennies d’échecs en se qualifiant pour l’Euro. Pour Hannu Tihinen, le DTN de la fédé finlandais­e, Sparv y est pour beaucoup:

“C’est un grand capitaine, et un homme courageux et intelligen­t qui ne se cache jamais dans les moments durs.” Et comme la petite mort en est un pour nombre de footeux, Tim a déjà anticipé sa reconversi­on. Il envisage ainsi une carrière d’entraîneur. Pour s’y préparer, il confesse lire énormément d’articles et d’études universita­ires au sujet “du développem­ent du talent”. Accessoire­ment, il prend aussi sa plume pour des billets d’humeur publiés sur son blog ou dans le quotidien finlandais Pohjalaine­n.

Le capitaine des Huuhkajat anime aussi un club de lecture. Il y analyse des livres de stratégie ou des biographie­s de personnali­tés. Dernièreme­nt, il a ainsi chroniqué l’essai d’une journalist­e finlandais­e sur Poutine et la société russe. Son dernier coup de coeur?

Sisu, l’art finlandais du courage. “Le sisu, c’est l’essence de la mentalité finlandais­e, décrypte le Bernard Pivot local. Je dirais que c’est une combinaiso­n de résilience, de cran, de courage. Il ne faut jamais laisser tomber, même si les choses semblent pourries. Ça s’applique aussi bien à notre armée, qui a repoussé l’invasion soviétique en 1939, qu’à notre équipe, qui aurait pu se désagréger pendant les périodes difficiles mais s’est relevée. C’est la clé du succès pour tous les Finlandais.” Et pour tous les happiness

managers?

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“Comment ça, vous n’avez plus d’IPA!???”

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