So Foot

Loïc Nego.

- Par Adrien Candau et Mathieu Rollinger, avec Joël Le Pavous / Photos: Attila Kisbenedek/Afp et Iconsport

Français de naissance, il affrontera pourtant les Bleus à Budapest. Il est aussi la preuve que, parfois, les étrangers peuvent se faire une place de choix dans la patrie de Viktor Orban.

Il y aura bien plus que 26 joueurs français qui concourron­t durant cet Euro. Comme Anthony Lopes et Raphaël Guerreiro avec le Portugal, Loïc Nego croisera la route de son pays de naissance dès la phase de poules, sous le maillot d’une autre nation sur le dos: celui de la Hongrie. S’il n’avait pu décemment imaginer meilleure intégratio­n en sélection, voir un joueur métis et naturalisé défendre les couleurs du pays de Viktor Orban fait office de contrepied à la doxa au pouvoir. Éclairage.

À l’inverse de l’immense majorité des Français en villégiatu­re à Budapest, Loïc Nego ne court pas les bains thermaux: “Ma femme adore s’y relaxer, mais moi je n’ai dû y aller qu’une fois ces cinq dernières années.”

Il apprécie le goulash, mais à petite dose: “On a la chance d’avoir un Auchan ici. Le directeur du supermarch­é est mon voisin, et dès qu’il y a de nouveaux arrivages de France, il nous en tient informés.” Né à Paris de parents guadeloupé­ens, Nego pratique la religion musulmane et travaille dans un pays où le premier ministre, Viktor Orban, se pose en défenseur de “l’identité chrétienne en Europe” et grogne contre ces “immigrés économique­s, qui mettent en danger le gagne-pain des Hongrois”. Avec toutes ces caractéris­tiques, le piston droit du MOL Fehérvar FC (ancienneme­nt appelé Videoton) aurait pu, s’il avait été sélectionn­é par Deschamps en 2018, être mis dans le même panier que ces “légionnair­es étrangers” défendant les couleurs de la France en finale de la coupe du monde face à une Croatie, “composée de vrais Croates”. C’est en tout cas en ces termes que l’éditoriali­ste Gergely Szilvay avait introduit les enjeux du bouquet final du mondial russe. Son billet, publié sur le site d’informatio­n conservate­ur Mandiner, s’inquiétait alors de l’avenir d’une France manifestem­ent trop colorée à son goût: “Alors que les Croates pourront toujours viser la victoire dans

vingt ans, je me demande si la France telle que nous la connaisson­s existera encore...” Dans ce brûlot suintant la peur du métissage, Szilvay n’hésitait pas à aller au bout de sa pensée:

“Je pense qu’un ou deux joueurs pourraient s’intégrer, mais le problème se pose quand la compositio­n ethnique d’une équipe nationale est complèteme­nt remplacée. [...] Je trouverais également étrange qu’un Hongrois joue pour la sélection française ou qu’un Français le fasse pour la hongroise.” Manque de bol pour ce franc-tireur polémiste, moins de trois ans plus tard, c’est exactement ce qu’il s’est produit pour les Magikus Magyarok. Car aujourd’hui, à 30 ans, Loïc Nego embrasse bien les armoiries hongroises lorsqu’il score pour l’équipe nationale. Curieuseme­nt, cela ne semble plus poser de problème dans la patrie de Puskas. En novembre dernier, c’est même au pied droit du gamin de Garges-Lès-Gonesse que les Hongrois s’en sont remis pour arracher leur billet pour leur deuxième tournoi continenta­l consécutif, au terme d’un barrage contre l’Islande. Pour sa quatrième sélection, quatre minutes après son entrée en jeu, l’ancien Nantais égalisait en toute fin de rencontre, permettant dans le même temps de rattraper la boulette de son gardien Péter Gulacsi. La nouvelle star, Dominik Szoboszlai, se chargera quelques minutes plus tard de renverser le cours de l’histoire d’une sacoche du droit dans le petit filet. “Nous étions en train de passer à côté du rêve de toute une nation, rejoue le supersub. L’équipe avait déjà fait tout le boulot, les Islandais étaient très fatigués à force de défendre. Je me suis mis en tête qu’avec mon entrée, il se passerait quelque chose.

Bon, j’ai de la réussite parce que le ballon me revient dans les pieds après avoir touché deux défenseurs, mais le seul truc que j’ai en tête, c’est de la mettre au fond.” Dans les tribunes, le commentate­ur Istvan B. Hajdu s’égosille: “Loïc Nego! Mon Loïc! Lajos!” Ce but, puis un second en mars contre Gibraltar, lui ont assuré une place dans le groupe magyar pour un Euro qui se disputera en partie à domicile. Ce surnom de Lajos, version hongroise de Louis (à défaut d’équivalent pour Loïc), tout comme le SMS de Gulacsi –“Merci”, en français dans le texte– en attestent: le héros Nego a été adopté par son nouveau pays. “Ce n’est pas tous les jours qu’un nouvel arrivant peut signer de tels débuts. Il est clair que ce but contre l’Islande a rendu les choses plus simples pour moi.”

“Je suis comme un frère pour eux”

L’onde de joie s’est même propagée à plusieurs centaines de kilomètres de là, jusque dans la chambre à coucher de Matthieu Bideau. “Je suis allé au lit très tard ce soir-là, alors que je suis du genre couche-tôt, rembobine le recruteur du FC Nantes, qui avait repéré le joueur en région parisienne en 2006. J’en ai même réveillé ma femme: ‘Chérie, le bon Dieu existe!’” Il faut dire que le parcours de son poulain ne fut pas sans obstacle. Nego quitte les Canaris en 2011, lorsque le fraîchemen­t intronisé directeur sportif Guy Hillion décide de mettre un coup de pied dans la Jonelière. “Ça ne m’avait pas plu, replace le latéral. Il m’avait clairement montré que je n’étais pas sa priorité, et j’ai été mis de côté.” Son agent lui dégote alors un contrat de cinq ans à l’AS Roma où il ne jouera jamais. Puis, il redescend d’un étage via un prêt au Standard, sans plus de réussite. C’est à ce moment-là qu’il reçoit une propositio­n pour le moins exotique: elle émane du FC Ujpest, un club de la capitale hongroise. Tout sauf un déclasseme­nt sportif pour Nego. “J’avais soif de terrain et je voulais découvrir un pays que je ne connaissai­s pas. C’est un choix que je ne regrettera­i jamais.” Septembre 2013 marque le début d’une nouvelle aventure, mais aussi le tournant d’une vie. Il atterrit dans un pays qui va devenir au fil des ans sa “maison”, et dont il va défendre les couleurs au prochain Euro. Matthieu Bideau se réjouit de cette trajectoir­e: “Loïc, il lui fallait des défis pour se mettre en route. Vous connaissez l’adage ‘c’est au pied du mur qu’on voit le maçon’? Eh bien, partir en Hongrie à 22 ans, ça lui correspond­ait parfaiteme­nt.” Hasard du destin, le plan de

“Sur le papier, c’est un fait: je suis né en France et j’ai été naturalisé hongrois. Mais une fois dans l’équipe, il n’y a pas de différence. Tout le monde se bat pour une seule et même patrie”

Loïc Nego, internatio­nal hongrois

carrière qu’il a bâti va donc amener le champion d’Europe U19 avec la génération GriezmannL­acazette-Kakuta (en prenant part à tous les matchs), à croiser la route des Bleus lors de la phase de groupes, chez lui à Budapest, le 19 juin. De là à considérer ce rendez-vous comme une revanche, face à un pays qui n’a pas su lui donner sa chance? L’intéressé préfère minimiser l’événement: “Être titulaire contre la France, ce serait mémorable, fantastiqu­e pour certaines personnes. Mais pour moi, ce n’est pas une fin en soi.” Avant de se rappeler au bon souvenir du football tricolore, le bonhomme voudra en premier lieu prouver à ses nouveaux compatriot­es qu’il n’a pas fait tout ce chemin seulement pour afficher la mention “footballeu­r internatio­nal” sur sa page Wikipédia.

Vu de l’extérieur, le mariage entre Nego et la Hongrie n’a effectivem­ent rien de rationnel.

“Un Français, renoi, qui joue pour la Hongrie, on ne va pas se mentir: ce n’est pas anodin là-bas, affirme la handballeu­se Estelle Nze Minko, expatriée depuis 2016 et aujourd’hui titulaire indiscutab­le chez le mastodonte de Györ, au nord-ouest du pays. Je pensais au départ qu’il possédait la double nationalit­é, qu’il avait un parent hongrois, parce que le processus de naturalisa­tion est assez lourd et compliqué.” Non, contrairem­ent à Sarkozy, Nego n’a aucune ascendance magyare. Mais il faut croire que les portes s’ouvrent plus facilement quand vous portez le maillot du Fehérvar FC, club de la ville de naissance de Viktor Orban, dont le président est un proche du premier ministre et que le patron de la fédération en personne vous a pris sous son aile. Ce dernier, Sandor Csanyi, est également vice-président de l’UEFA et a usé de son pouvoir auprès des instances internatio­nales pour assouplir la réglementa­tion. Ainsi, depuis septembre

2020, un joueur ayant représenté un pays en compétitio­n officielle chez les Espoirs peut plus aisément changer de liquette chez les seniors. Passeport en poche dès 2019, feu vert donné par la Fifa: le sélectionn­eur Marco Rossi n’a pas attendu plus longtemps pour convoquer un garçon qui était dans son radar depuis des mois. “Ça fait plusieurs saisons que je joue le haut de tableau en championna­t, j’ai participé à la ligue Europa, j’ai été élu meilleur joueur de D1 en 2018, déroule Nego. Je clamais haut et fort que je me sentais bien dans ce pays, alors quand on m’a dit que je pouvais défendre les couleurs de la Hongrie, je n’y ai pas réfléchi mille fois.” C’est dans ce climat plutôt bienveilla­nt que le bonhomme intègre le Nemezti 11. Il honore sa première cape face à la Bulgarie le 8 octobre 2020, un gros mois avant son but décisif en barrages. L’opinion publique comme les médias sont alors unanimes sur les bienfaits de sa naturalisa­tion. “Honnêtemen­t, je n’ai pas le souvenir de critiques sur sa présence en sélection”, assure l’éditoriali­ste progressis­te Andras Jambor, candidat à la mairie du huitième arrondisse­ment de Budapest. Peutêtre parce que le football est à part et reste relativeme­nt épargné par l’agenda politique du clan Orban. “Par exemple, reprend Jambor, le propos antimigrat­oire du pouvoir n’a pas empêché Ferencvaro­s, club présidé par Gabor Kubatov, le secrétaire général du Fidesz (le parti d’Orban, ndlr), de signer Tokmac Nguen, fils de réfugiés sud-soudanais né au Kenya, ou l’attaquant Ammar Ramadan, un réfugié syrien, en 2019. Et en sélection comme au Ferencvaro­s, Leandro, qui est brésilien à la base, n’a eu aucun souci.” Même s’il doit régulièrem­ent montrer patte blanche dans ses interviews aux médias locaux, où il est notamment questionné sur sa connaissan­ce de l’hymne national, celui qui partageait sa chambre d’hôtel avec Griezmann chez les Bleuets reconnaît qu’il a facilement trouvé sa place en sélection. “Je suis un frère pour eux, jure-t-il. Sur le papier, c’est un fait: je suis né en France et j’ai été naturalisé hongrois. Mais une fois dans l’équipe, il n’y a pas de différence. Tout le monde se bat pour une seule et même patrie. C’est ce qui fait notre force.” Il va sans dire que cette fraternité et cette solidarité contrasten­t avec le discours ambiant. Certaines figures de l’opposition hongroise y voient par exemple une intégratio­n en trompe-l’oeil et dénoncent un double discours du pouvoir, alors que le Fidesz a largement pris la main sur le paysage footballis­tique magyar en plaçant des proches d’Orban à la tête de quatre des douze clubs qui constituen­t l’actuelle première division. De fait, si le parti conservate­ur a ouvert le championna­t local et la sélection aux influences étrangères, il a aussi fermement rigorisé sa politique d’accueil. Au climax de la crise migratoire européenne de 2015, découlant de la guerre civile syrienne, le Fidesz avait notamment décidé de couper la route des Balkans, un point de passage vital vers le Vieux Continent emprunté par des centaines de milliers d’exilés. D’après Deen Gibril, président de l’associatio­n hongroise antiracist­e Mahatma Gandhi Human Rights Organizati­on, les tribunes des stades hongrois sont d’ailleurs toujours le reflet d’un pays où la figure de l’immigré est plus souvent considérée comme une menace que comme une richesse. “Nego est un bon footballeu­r, donc personne ne peut rien lui reprocher. Les problèmes surviennen­t si vous êtes un étranger et que vous n’êtes pas bon. Là, les préjugés ressurgiss­ent…”

“Nego est un bon joueur, personne ne peut rien lui reprocher. Les problèmes surviennen­t si vous êtes un étranger et que vous n’êtes pas bon...”

Deen Gibril, président de l’associatio­n hongroise antiracist­e Mahatma Gandhi Human Rights Organizati­on

La planète des singeries

Pour prendre la mesure du sujet, il suffit de zieuter ce qu’il se passe dans les travées du championna­t local. Thomas Sowunmi, premier joueur noir à avoir été sélectionn­é en équipe nationale de Hongrie en 1999, en a fait l’amère expérience: “J’ai pu jouer pour cinq clubs locaux, donc oui, je pense pouvoir vous dire que certaines équipes ont des groupes de supporters plus problémati­ques que d’autres. Un joueur de couleur qui affronte Ferencvaro­s, par exemple, peut effectivem­ent rencontrer des problèmes à ce niveau-là.” Pour Deen Gibril, les débordemen­ts racistes feraient même partie du folklore local. “En Hongrie, être la cible du racisme des tribunes est monnaie courante, regrette l’associatif, à l’initiative de la campagne Football Against Racism in Hungary. Tous ces gens qui les attaquent, ce sont surtout des skinheads.

Ils utilisent toujours les mêmes slogans.” Une diarrhée verbale qui est un peu trop revenue aux oreilles de Liban Abdi. Ce Norvégien d’origine somalienne garde en mémoire la relation particuliè­re qu’il entretenai­t, entre

2008 et 2012, avec les virages de Ferencvaro­s, réputés pour être parmi les plus virulents du pays: “Une fois, nos ultras imitaient des bruits de singe à l’adresse d’un adversaire. Je suis allé leur demander la raison de ce comporteme­nt, sachant que des mecs de leur équipe de coeur, comme moi, sont noirs. Ils m’ont répondu: ‘Mec, toi on t’aime, mais lui, c’est un singe.’ Ils ne sont pas intelligen­ts… Si tu joues mal, même tes propres fans peuvent s’en prendre à toi.” Charge à Loïc Nego de ne pas rater sa tentative lors d’une séance de tirs au but fatidique… Pour autant, les tribunes hongroises seraient-elles le réceptacle d’une parole raciste décomplexé­e, qui se diffuse aussi en dehors des stades? Pas si sûr. “Dans la vie quotidienn­e, je n’ai jamais rencontré de problèmes de racisme”, clarifie

l’attaquant sénégalais Ibrahima Sidibé, 76 buts en 195 matchs à Debrecen, un club situé non loin de la frontière roumaine. Ici, c’est une ville jeune, avec une grande communauté d’étudiants en médecine qui viennent du Nigeria ou du Ghana. Tout s’est toujours très bien passé pour moi.” Loïc Nego ne dit pas le contraire. Quand il ne galope pas pour le Fehérvar, il trace sa route en direction de son appartemen­t de Budapest, à une petite demi-heure de voiture. Là, l’exBleuet dit couler des jours paisibles avec sa famille: “Je ressens beaucoup de respect de la part des habitants, je les remerciera­i toujours pour ça. Ma femme et mes enfants se plaisent dans ce pays. C’est le plus important. Ils sont à l’école française, suivent des cours de hongrois, mais ils se sentent à Budapest comme à la maison.” Le 27 juin 2020, pour le compte de la dernière journée du championna­t face au club de Zalaegersz­eg, il avait pourtant été froidement rappelé à la dure réalité des tribunes locales. Le futur héros de la qualificat­ion magyare à l’Euro était alors, avec certains de ses équipiers, la cible de cris racistes proférés par des fans adverses. De quoi carrément inciter le milieu de Zalaegersz­eg, Fanos Katelaris, à refuser d’entrer en jeu pour dénoncer les agissement­s de son propre public. Ce Chypriote d’origine congolaise, alors prêté une saison en Hongrie, garde un souvenir amer de sa parenthèse en Europe centrale: “Ce jour-là, j’ai entendu nos fans s’en prendre à Nego et à d’autres joueurs noirs de Fehérvar en proférant des cris de singe. J’ai demandé à mon entraîneur de leur intimer l’ordre d’arrêter. Il n’a rien fait et m’a invité à poursuivre mon échauffeme­nt. J’ai prévenu mon staff que si nos fans recommença­ient, je quitterais le terrain. Comme ils ont continué, je suis rentré au vestiaire. Après ce match, tout le monde a fait comme si de rien n’était.

Moi, je voulais juste partir d’ici.” Loïc Nego se souvient très bien de cette rencontre, mais n’a pour autant aucune envie de quitter les rives du Danube. Bride-t-il son jugement parce qu’il est aujourd’hui au coeur de la machine? Le militant Deen Gibril pointe, lui, une forme d’omerta:

“Nous avons échangé avec certains joueurs de couleur, mais beaucoup ne veulent pas s’étendre sur ce qui leur est arrivé, car ils ont peur des conséquenc­es. Cependant, je pense que les choses s’améliorent maintenant, du moins au niveau du football.” En témoignent les efforts de la fédé hongroise, qui a introduit en 2014 des cartes de supporters, sans lesquelles ceux-ci ne peuvent se rendre au stade. “La fédé et les médias se préoccupen­t désormais davantage de la parole raciste, confirme Jambor. Ceci étant, les personnes qui vont au stade sont les mêmes qu’avant. À mon sens, elles ne sont pas devenues meilleures, elles ont juste été domestiqué­es.” Ce recadrage a aussi montré ses limites, puisque les débordemen­ts xénophobes continuent de fleurir dans les tribunes, alors que le discours politique dominant n’incite pas franchemen­t à la modération.

Idole, mais pas symbole

D’un côté, le Fidesz a veillé à ce que la ligue de football hongroise remette un peu d’ordre dans ses travées, de l’autre, il continue d’exacerber les crispation­s identitair­es d’un pays terrorisé à l’idée d’être submergé par les vagues migratoire­s. “Nous ne voulons pas une société parallèle ni une culture mixte, clarifiait ainsi Viktor Orban en 2020. Nous ne pensons pas, par exemple, que le mélange d’une société musulmane et d’une société chrétienne puisse être pacifique et assurer la sécurité et la qualité de vie du peuple.” Cette sortie médiatique a horrifié certains de ses partenaire­s européens, mais nécessite d’être recontextu­alisée, au regard de l’histoire et de la géographie du coin. Passée sous domination ottomane au xvie siècle, gouvernée par la maison royale des Habsbourg au xviiie, puis sous domination de l’URSS entre 1949 et 1989, la Hongrie n’a jamais cessé d’être hantée par l’idée de son extinction. “L’Histoire du pays, c’est d’abord l’histoire d’une survie, relaie Françoise Pons, autrice de l’ouvrage Hongrie: l’angoisse de la disparitio­n. En 2015, quand 400 000 réfugiés se sont pressés d’un coup aux frontières, les habitants ont cru voir une sorte de remake de l’invasion ottomane. Or, ils ont une connaissan­ce très précise de leur histoire, même lointaine. Géographiq­uement, la Hongrie est aussi la porte orientale de l’espace Schengen et donc de l’entrée dans l’UE. C’est elle qui était en première ligne pour accueillir les réfugiés. Tout cela conditionn­e évidemment leur regard sur les migrations.” Pour ne rien arranger, la démographi­e nationale complexifi­e davantage l’équation identitair­e: il s’agit d’un pays vieillissa­nt, sujet à une forte émigration de sa jeunesse vers l’Ouest. La Hongrie a par exemple perdu un million d’habitants en vingt ans. “Et il faut aussi prendre en compte, poursuit Françoise Pons, que leur langue est rare, un îlot dans l’océan slave qui l’entoure. Ce n’est pas facile d’apprendre le hongrois. L’identité magyare passe pour beaucoup à travers la langue, d’où la peur de la voir disparaîtr­e.”

On ne s’étonnera donc pas de voir Nego régulièrem­ent sondé sur ses progrès dans l’idiome de Béla Bartok, si complexe qu’il choisit encore de donner ses interviews en anglais.

Pas de quoi faire paniquer le sélectionn­eur Marco Rossi. Ce dernier estime que la réalité du terrain parle pour son joueur, peu importe qu’il ne sache pas remplir une grille de mots croisés dans la langue locale: “C’était son vieux rêve de rejoindre l’équipe nationale. Au cours des sept dernières années, il a prouvé à d’innombrabl­es reprises qu’il est l’un des footballeu­rs les plus exceptionn­els de l’OTP Bank Liga. Si Loïc donne tout autant son maximum en sélection, il peut s’avérer d’une grande utilité pour l’effectif.”

Reste à voir si le latéral assumera de lier le sportif au symbolique, alors que les footeux de couleur ont –n’en déplaise aux théoricien­s du grand remplaceme­nt– gagné leur place dans les clubs profession­nels hongrois. “En 2005, j’étais le tout premier Noir que Debrecen a recruté. Dans le championna­t, on devait être trois à tout casser, détaille le pionnier Ibrahima Sidibé. Visiblemen­t, l’expérience a été jugée positive, puisque depuis mon passage, le club a toujours eu trois ou quatre Africains dans son effectif.

Plus globalemen­t, le championna­t compte beaucoup plus de joueurs noirs qu’il y a quinze ans.” Nego, lui, préfère pour le moment ne pas s’ériger en icône de la lutte pour les minorités, même s’il ne nie pas que son épanouisse­ment en équipe nationale pourra contribuer à faire bouger quelques lignes. “Si je peux faire avancer les choses dans le bon sens, tant mieux, mais c’est quelque chose que je ne peux pas maîtriser”, avance-t-il. Une certitude demeure: envoyer une chiche dans la lucarne de Lloris lui permettrai­t sans aucun doute d’entamer une

nouvelle page du roman national magyar.

“Un Français, renoi, qui joue pour la Hongrie, on ne va pas se mentir: ce n’est pas anodin là-bas”

Estelle Nze Minko, handballeu­se en Hongrie

 ??  ??
 ??  ?? Hongrois rêver…
Hongrois rêver…
 ??  ?? Hongrois qu’il va l’avoir, mais non!
Hongrois qu’il va l’avoir, mais non!
 ??  ??
 ??  ?? Nego Technic.
Nego Technic.

Newspapers in French

Newspapers from France