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Aleksander Ceferin.

- Propos recueillis par Adrien Candau et Julien Duez, à Nyon (Suisse) / Photos: Renaud Bouchez pour So Foot et Picture-Alliance/Iconsport

Le Slovène à la tête de l’UEFA livre les tenants et les aboutissan­ts de sa mission, qui ne consiste pas qu’à enfiler les médailles au cou des vainqueurs de l’Euro.

Président de l’UEFA depuis septembre 2016, Aleksander Ceferin s’est longtemps contenté de filer des médailles aux lauréats des différente­s compétitio­ns sous son égide. Mais ça, c’était avant que le scandale de la Super League ne précipite ce Slovène en première ligne, pour mitrailler rhétorique­ment Florentino Pérez, Andrea Agnelli et compagnie. Une sortie baïonnette au clair qui méritait une mise au point, avec un type qui troquerait bien les problèmes de riches contre sa cabane au fond des bois…

Enfant, vous vouliez devenir capitaine de bateau. Aujourd’hui, à défaut d’écumer les mers, vous êtes à la barre d’un navire baptisé UEFA. Comment vogue-t-il en ce moment? Franchemen­t, bien. C’est un beau navire, puissant. Nous avons été attaqués par un sous-marin il y a quelques semaines, mais finalement, c’est nous qui avons coulé le submersibl­e.

Ce fameux sous-marin, piloté par les grands clubs européens, avez-vous essayé d’empêcher qu’il fasse surface comme ce fut le cas récemment? Honnêtemen­t, on ne savait pas exactement ce qui était en train de se passer. On recevait de temps en temps des menaces de scission, des documents sur le sujet ont fuité… Mais on n’a pas pris ça très au sérieux. Andrea Agnelli (président de la Juve, ndlr), qui était alors le président de l’ECA (l’associatio­n représenta­nt les intérêts des clubs européens, dont il a démissionn­é au moment de l’annonce de la Super League), était membre de notre comité exécutif et nous assurait continuell­ement qu’il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter. D’autant plus que de notre côté, nous avions organisé plusieurs rencontres avec les clubs pour leur présenter la nouvelle réforme de la C1, réforme que les douze clubs frondeurs ont votée. Sauf que le jour suivant (le 19 avril), ils dévoilaien­t leur projet fantomatiq­ue.

Vous ne vous êtes jamais douté de rien? Vous pouvez avoir des soupçons, mais quand les gens qui font partie de votre bureau opérationn­el vous jurent que “non, non, tout ça, c’est des conneries”, difficile de ne pas les croire…

Comment avez-vous réagi face à cette trahison? Dans cette affaire, on peut classer les protagonis­tes en trois catégories. Je mets Andrea Agnelli dans la première. Là, c’est personnel. À mes yeux, cet homme n’existe plus. Je pensais que nous étions amis (Ceferin est le parrain de la fille du président de la Juventus), mais il m’a menti en me regardant droit dans les yeux jusqu’à la dernière minute du dernier jour, en m’assurant qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Alors que la veille, il avait déjà signé tous les documents nécessaire­s au lancement de la Super League. Dans la deuxième catégorie, je place un groupe de dirigeants que j’estimais assez proches de moi et dont je regrette qu’ils ne m’aient pas dit à l’avance ce qu’ils prévoyaien­t de faire. Enfin, dans la dernière catégorie, il y a les dirigeants avec qui je n’avais pas de contacts privilégié­s. Je ne les blâme pas, mais ils devront eux aussi subir les conséquenc­es de leurs actes. À travers cette compétitio­n, tous ces dirigeants voyaient un moyen d’assurer pour leurs chapelles respective­s une place immuable au sommet du football européen. Je sais de source sûre que leur idée première était d’arrêter de participer aux compétitio­ns de l’UEFA, tout en restant dans leurs championna­ts nationaux respectifs. Mais avec une équipe B, étant donné qu’ils auraient disputé leur propre compétitio­n européenne avec l’équipe A. Ensuite, l’idée était de sortir des championna­ts nationaux dans un second temps, pour jouer uniquement des matchs européens chaque week-end.

Vous pensez que les enjeux de cette

Super League allaient au-delà du football? Absolument. En fait, c’était un combat sociétal qui se jouait en toile de fond, et c’est précisémen­t pour cela que les réactions ont été aussi brutales. Est-ce que douze milliardai­res ont le droit de débouler comme ça et nous priver de notre sport? Est-ce que l’argent achète tout? Le football est bien plus qu’un simple jeu, il fait partie intégrante de nos nations, de nos cultures et de nos sociétés. C’est pour ça que leur lecture de la situation était complèteme­nt à côté de la plaque. Par la suite, je leur ai demandé: “Comment n’avez-vous pas réalisé que vous marchiez dans la merde?” Je veux dire, avec tous leurs conseiller­s, tout l’argent que ces clubs peuvent mobiliser… Finalement, je pense que c’est une bonne chose que tout ça soit arrivé, parce que cette menace qui planait dans l’air a disparu et qu’il sera désormais plus simple de parler des mécanismes de solidarité avec ces clubs. Nous avons livré un combat difficile, ces 48 heures ont été complèteme­nt dingues, mais maintenant, ça a le mérite d’être clair: ils n’essaieront pas de retenter le coup. Je pense que nous sommes tranquille­s pour les 10-15 prochaines années. Ensuite, on ne sait jamais. Mais là, je ne serai plus dans le football (rires).

Reste que la Juventus, le Barça et le Real n’ont toujours pas officielle­ment renoncé… Ils me donnent l’impression de vouloir disputer une course de Formule 1 sans voitures. C’est un non-sens. S’ils ne veulent pas venir discuter, leur dossier sera transmis aux instances disciplina­ires, avec les éventuelle­s sanctions que cela implique… J’ai pu avoir une franche discussion avec les présidents des neuf autres clubs qui ont abandonné l’idée de la Super League. Ils se sont excusés, ont admis leurs torts et compris que leur projet les menait dans une impasse. Je respecte ça, car je pense qu’admettre ses erreurs est une qualité en soi. Je suis content que ces clubs soient de retour parmi nous, parce qu’ils font partie de la famille.

Puisqu’on parle de famille, votre père est avocat, votre frère est juge, et votre soeur, une célèbre architecte. Dit autrement, vous avez grandi dans un milieu au sein duquel le football est souvent vu comme un hobby et non pas comme un métier. C’était le cas chez les Ceferin? Le foot m’intéresse depuis toujours, mais j’ai touché à tous les sports, car à l’époque, en Yougoslavi­e, nous n’avions pas d’ordinateur­s ni tous ces trucs matériels pour nous amuser pendant notre temps libre. Donc on jouait beaucoup au basket, mais surtout au foot, qui a toujours été le roi des sports. Ma famille s’y intéresse davantage depuis que je suis dedans, c’est vrai, ça n’a pas toujours été le cas par le passé. Sauf pour mon frère, qui supporte le Barça. Mais il sait que ce club est l’un des trois frondeurs en chef et que, à présent, je ne lui fournirai plus de billets pour aller voir des matchs (rires).

Petit, il paraît que vous étiez fan du Hajduk

Split. Est-ce toujours le cas ou, au contraire, votre position est telle qu’elle exige de vous une certaine forme de neutralité? Le Hajduk était un grand club du pays dans lequel je vivais quand j’étais jeune. Cela ne m’empêche pas d’avoir une certaine sympathie à son égard, mais je ne me définirais pas comme quelqu’un de passionné par une équipe en particulie­r.

Qu’est-ce qui vous passionne, alors? On parlait de bateaux, j’aime la mer et les voyages, mais surtout ceux dans le désert. J’ai traversé le Sahara cinq fois en voiture et une fois à moto… C’est comme ça que je me ressource. Ce que je préfère, c’est quand mon portable n’a plus de réseau, je ne suis pas un homme des grandes villes. J’ai une cabane dans la forêt en Slovénie, le premier voisin est à 15 kilomètres… C’est fantastiqu­e! Malgré tout, j’ai dû installer une antenne-relais pour capter le wifi, sinon mes enfants ne voudraient plus y venir!

Il y a cinq ans, au moment de votre élection à la tête de l’UEFA, votre hôtel était assiégé de journalist­es désireux d’en savoir plus sur “cet inconnu venu de Slovénie”, comme vous vous décriviez alors. L’êtes-vous toujours aujourd’hui? Non, je suis bien plus célèbre. C’est lié à ma fonction, je dois faire des interviews de temps en temps, parce que c’est mon devoir de représente­r l’institutio­n. Mais cela représente à la fois des avantages et des inconvénie­nts. Je dois par exemple être beaucoup plus prudent, car tout ce que je fais peut être sujet au scandale. Grâce à Dieu, je suis un type assez ennuyeux. En tout cas, c’est ce que pensent

“Douze milliardai­res ontils le droit de débouler comme ça et de nous priver de notre sport? Est-ce que l’argent achète tout? Le football fait partie intégrante de nos cultures et de nos sociétés”

les tabloïds. Certains aiment se montrer dans des soirées mondaines, je le comprends, mais je n’aime pas trop ça. Vous ne me verrez pas bourré ou un truc dans ce genre… Je ne sors pas beaucoup, hormis de temps en temps avec ma famille et mes amis, qui sont restés les mêmes qu’avant. Un jour, un photograph­e m’a confié: “On a des milliers de photos de vous mais vous ne vous curez jamais le nez, votre posture est toujours droite, vous êtes toujours hyper concentré…” Eh bien oui, c’est comme ça que je suis, qu’est-ce que j’y peux?

Mais ça vous plaît quand même, cette vie? Parce que votre personnage tranche pas mal avec la figure de votre prédécesse­ur, Michel Platini… Si on fait la comparaiso­n avec Michel, il y a des avantages à être une grande star du foot et d’autres avantages à être avocat. Et à l’époque où la Fifa et l’UEFA avaient des problèmes à cause de la corruption, ils avaient davantage besoin d’un avocat que d’une star du foot à leur tête. Je ne veux pas être Michel Platini. Et je ne suis pas sûr que Michel Platini ait envie d’être Aleksander Ceferin (sourire).

En fait, vous êtes timide… Je ne donne des entretiens que lorsque je le juge nécessaire. Si c’est juste pour dire que je suis sympa ou à quel point le lac Léman est beau, ce n’est pas un motif suffisant. Et puis, quand vous parlez toutes les semaines, les gens ne vous écoutent plus.

D’où ça vous vient, cette discrétion? Je suis né en ex-Yougoslavi­e, où nous vivions sous un régime socialiste. La mentalité et le système étaient différents à l’époque, mais en gros, on disait qu’il fallait être prudent et ne se montrer que lorsque c’était nécessaire.

“En insistant avec la Super League, la Juventus, le Barça et le Real me donnent l’impression de vouloir disputer une course de Formule 1 sans voitures. C’est un non-sens”

En Yougoslavi­e, vous avez eu deux expérience­s avec l’armée. La première, c’était en 1986, je venais juste d’atteindre la majorité et j’ai effectué mon service militaire pendant un an, comme tous les garçons de mon âge. C’était plutôt dur, les gradés ne nous faisaient pas de cadeaux. On n’avait pas le chauffage central et les fringues qu’on nous donnait n’étaient pas de grande qualité. Mais bon, on était jeunes et il en fallait plus pour nous démotiver.

Cinq ans plus tard, vous êtes rappelé sous les drapeaux, mais cette fois-ci pour la guerre d’indépendan­ce de votre pays, la Slovénie. Si je me souviens bien, c’était dans l’après-midi du 25 juin 1991 (la guerre commence précisémen­t le 27). J’étais assis sur la terrasse avec mes parents, ma soeur, mon frère et sa femme, qui était alors enceinte. Un gars a débarqué et m’a dit: “C’est la guerre, tu pars avec nous.” Pour mes parents comme pour moi, ce fut un choc, parce que soudaineme­nt, je me retrouvais face à face avec l’armée régulière yougoslave. Mais je n’ai pas vraiment eu le temps d’avoir peur. Hormis quelques menaces, nous étions relativeme­nt éloignés du conflit. Je me disais:

“C’est bon, on est au milieu de l’Europe, il ne peut pas nous arriver grand-chose!” En plus, on restait à proximité des églises, et j’avais vaguement lu dans un livre qu’on ne pouvait pas les bombarder, donc je me sentais parfaiteme­nt en sécurité. Sauf qu’après coup, j’ai appris que ce n’était pas le cas si elles étaient utilisées à des fins militaires, or c’était précisémen­t ce que nous faisions. Et si j’avais su ce qui allait se passer par la suite en Croatie ou en Bosnie, où environ 120 000 personnes ont été tuées dans un conflit qui n’obéissait à aucune règle, j’aurais probableme­nt été beaucoup moins insouciant. La guerre a duré dix jours et je n’ai eu à tirer sur personne, mais ça reste un souvenir marquant qui me permet de relativise­r encore aujourd’hui, notamment quand un administra­teur de l’UEFA me

dit qu’une réunion sur la Super League est stressante… Je lui réponds qu’avec ce que j’ai vécu, ce n’est pas si stressant que cela.

Comment avez-vous vécu ce passage d’une identité à une autre? J’aimais mon pays, la Yougoslavi­e, mais j’aime la Slovénie tout autant, même si parfois, certains politicien­s sont embarrassa­nts. La Yougoslavi­e comptait 22 millions d’habitants, en Slovénie, il y en a 20 millions de moins, donc son importance est moindre, mais notre pays peut se vanter d’être le plus sûr d’Europe au niveau du taux de criminalit­é. Il ne se passe jamais rien. Bon, dit comme ça, ça sonne peut-être un peu ennuyeux (rires), mais ça reste un pays magnifique, vous devriez le visiter si ce n’est pas encore fait.

Visiter l’Europe, c’était l’objectif de Platini pour commémorer les 60 ans du tout premier Euro. Entre-temps, le Covid est passé par là et on a l’impression que la fête est déjà gâchée avant même d’avoir commencé. Comment abordez-vous le tournoi de cet été? Cet Euro paneuropée­n n’est pas une mauvaise idée en soi. Sauter dans le lac Léman pour nager jusqu’en France non plus, en théorie… Mais en pratique, je ne sais pas si je pourrais le faire, peut-être que je me noierais à mi-chemin! Il faut garder à l’esprit qu’organiser un tournoi dans treize, puis douze et maintenant onze pays, c’est compliqué… Pour moi, l’esprit d’un tournoi internatio­nal, c’est de visiter un pays et de passer ses vacances là-bas. Comme en 2016, quand les gens sont venus en France pour voir Paris, Marseille et la Provence, que sais-je… Avec le Covid, on a évidemment pensé à réduire l’organisati­on de l’Euro 2020 à une ou deux nations, mais les pertes auraient été tellement importante­s que certaines fédération­s n’y auraient pas survécu. Une chose est sûre cependant: je ne crois pas qu’on retrouvera un tel format à l’avenir. Malgré tout, cet Euro sera comme une sorte de lumière au bout du tunnel. Ces derniers mois, les autres sports se sont arrêtés, mais pas le football. Sur les derniers 1300 matchs internatio­naux qu’on a joués, 98,5 % d’entre eux se sont déroulés sans problème. Parfois, il faut savoir faire preuve de courage et se lancer dans le retour à la normale… J’en ai tellement marre des masques et de tout ce qui touche au Covid!

Et le VAR, vous n’en avez pas marre? Disons qu’il a des avantages, mais aussi des défauts. L’une des failles du dispositif, c’est la vérificati­on des fautes de main. On ne peut pas laisser des robots prendre des décisions sur un terrain de foot, selon moi. Les arbitres doivent avoir une chance de revoir ce qu’il s’est passé après une action litigieuse, mais ce sont eux qui doivent avoir le dernier mot. Et dans le cas des mains, ce n’était pas très clair. Même chose avec les hors-jeu. Un centimètre de marge, c’est problémati­que, parce que si vous avez de grands pieds, vous êtes hors jeu. Ce n’est pas dans l’esprit de la règle. On travaille à ce que, dans nos compétitio­ns, cette ligne de hors-jeu ne soit plus aussi fine et octroie aux joueurs une marge de deux centimètre­s. Ce qui est certain concernant le VAR, c’est qu’il n’y a plus moyen de faire machine arrière. Les supporters savent désormais que ce dispositif existe, on ne peut pas leur dire qu’il va disparaîtr­e et que l’on ne vérifiera plus les erreurs potentiell­es à l’avenir. C’est pourquoi il faut adapter et corriger ce qui ne va pas.

Que répondez-vous au président du Real Madrid, Florentino Pérez, qui estime que le football devient de plus en plus ennuyeux pour les jeunes et qu’il faut le réformer en proposant, par exemple, des matchs de 60 minutes? Peut-être qu’il est devenu ennuyeux pour lui, mais il n’est pas jeune! Je ne vois pas de raison d’entamer de profondes réformes des règles. Ce genre d’idées, pour moi, c’est… (il réfléchit) plus ou moins de la blague. Qui est-il, pas seulement lui, mais moi aussi, nous tous, pour dire que les jeunes n’aiment plus le football, alors qu’il y a des millions d’enfants, filles et garçons réunis, qui en regardent au quotidien, avec ou sans leurs parents? Mais je peux éventuelle­ment comprendre ce point de vue, la création de la Super League était une blague en soi (sourire).

Vous ne trouvez pas que la ligue des champions est quand même devenue un peu insipide? Ce sont toujours les mêmes équipes qui se retrouvent en finale. Vous n’en avez pas marre de serrer les mêmes mains chaque année? Non, ce ne sont pas tout le temps les mêmes équipes. Le Real a remporté trois fois la compétitio­n sur les cinq dernières années, mais après, il y a eu Liverpool, le Bayern, et aucun des deux n’est présent en finale de l’édition en cours.

Des équipes comme l’Ajax, Leipzig et Monaco sont récemment arrivées en demi-finale de C3 et de C1, donc je ne crois pas que le football européen soit devenu ennuyeux. Ou alors, on devrait demander à tous les sportifs d’arrêter de performer.

On retrouve quand même souvent les mêmes formations dans le dernier carré… Je suis d’accord avec vous pour dire que nous devrions travailler davantage sur l’équilibre de la compétitio­n, afin d’aider les autres équipes à se rapprocher de telles performanc­es. Le problème, c’est qu’on vit dans un monde globalisé. Un magasin en Slovénie ne pourra jamais être aussi rentable qu’un magasin à Paris, tout simplement parce que le marché est plus petit. Vous savez, notre championna­t national génère un million d’euros de droits TV par saison. Un million. Par saison… En Angleterre, un seul club peut toucher

150 millions de livres. C’est un problème difficilem­ent soluble, parce que le monde va dans cette direction. Les petits magasins de fruits et légumes disparaiss­ent au profit de grands hypermarch­és. Malgré tout, je crois que l’on peut faire beaucoup avec les mécanismes de redistribu­tion, qui représente­nt 900 millions d’euros par an. C’est beaucoup, reste que les écarts s’accroissen­t et que les meilleurs ont de plus en plus de marge sur les autres. Grâce à Dieu, de temps en temps, on a une bonne surprise, comme Porto qui a récemment éliminé la Juve.

Si les écarts se creusent encore, est-ce que les grands clubs européens pourraient parvenir à influencer davantage la politique de l’UEFA, et donc ses décisions? J’ai entendu dire à de nombreuses reprises que ces clubs avaient beaucoup de pouvoir sur l’UEFA. Après l’épisode de la Super League, si on n’a pas convaincu les gens que ce n’était pas le cas, ils ne changeront jamais d’opinion vis-à-vis de l’institutio­n. Mais nous continuero­ns de protéger le football européen, c’est notre mission.

“Je n’ai eu à tirer sur personne pendant la guerre, mais ça reste un souvenir marquant qui me permet de relativise­r encore aujourd’hui, notamment quand on me dit qu’une réunion sur la Super League est stressante…”

D’accord, mais le format actuel de la ligue des champions offre la moitié des places de la phase de groupes aux représenta­nts des quatre grands championna­ts. Ça n’aide pas les “petits” à se montrer sur la scène européenne. Ils peuvent se montrer en phase de groupes. Mais on ne peut pas changer les règles en faisant jouer tous les pays en barrages, ce n’est pas possible. On doit jouer avec les meilleurs, c’est comme ça. Pour les “petits”, la ligue Europa conférence peut être une solution, car il est important que ces clubs jouent davantage de matchs internatio­naux. Ce sera aussi intéressan­t pour les sponsors et les diffuseurs. Tous les gros clubs ne sont pas comme les frondeurs de la Super League, ils sont prêts à la financer. Pour l’instant, cette compétitio­n ne génère pas d’argent, mais elle en recevra de la part du sommet, et je pense que c’est une bonne initiative.

Florentino Pérez et Andrea Agnelli disent que les clubs de football ont toujours besoin de plus. Plus d’argent. Plus de droits télé. Plus de matchs. Comment définir des limites, avant que le jeu ne devienne une caricature de lui-même? Les recettes générées par le football vont baisser tôt ou tard. C’est inévitable. Reste à voir dans quelles proportion­s. Pour l’instant, la tendance reste encore à la hausse. Est-ce qu’on risque de perdre l’essence du jeu en chemin? Je ne crois pas.

Aujourd’hui, des fonds d’investisse­ment contrôlent des clubs comme l’AC Milan ou Lille. À Bordeaux, le groupe King Street a brutalemen­t abandonné les Girondins, qui se retrouvent

asphyxiés financière­ment. L’UEFA dispose-t-elle concrèteme­nt de leviers pour empêcher ce genre de dérives? Le propriétai­re d’une équipe m’a dit un jour qu’il avait l’habitude de consacrer une partie des revenus de son entreprise à son club de coeur, par amour du jeu. Sauf que, depuis une vingtaine d’années, la tendance s’est inversée: c’est désormais son club de foot qui finance en partie son entreprise. Et malheureus­ement –ou heureuseme­nt–, il existe des fonds d’investisse­ment qui veulent désormais investir dans le foot pour dégager ce genre de plus-values. On scrute toujours les finances, d’où provient l’argent, mais c’est difficile d’empêcher quelqu’un d’investir dans un club à partir du moment où il respecte les règles…

Il y a quand même un sentiment de dépossessi­on qui anime certains fans vis-àvis de leur club de coeur. Comment faire en sorte que leur voix soit plus audible? Je dois justement avoir une réunion avec des fans de plusieurs équipes, dont le PSG, Manchester United et le Barça, et je suis d’accord avec le fait qu’ils doivent être plus écoutés. Mais vous savez quel est le problème? Un club européen a en moyenne cinq à dix groupes de supporters différents et ils ne sont pas forcément d’accord entre eux. Le Real Madrid a par exemple un groupe de supporters contre la Super League et un autre qui soutient ardemment le projet. Dès lors, qui doit-on inviter?

Pouvez-vous néanmoins reconnaîtr­e qu’il y a eu un manque de dialogue entre l’UEFA et les supporters ces dernières années? Évidemment. Et on voit le résultat: douze clubs ont tenté d’imposer une réforme dont ils n’ont discuté qu’entre eux et pas avec les joueurs et les supporters. Or le football, c’est d’abord une histoire de joueurs et de supporters. Tout le reste, vous, les journalist­es, nous les administra­teurs, les arbitres… Nous sommes de simples figurants… Nous ne sommes pas au centre du football. Mais je le répète: il est difficile de savoir précisémen­t avec qui on doit échanger. Certains ultras ont un discours hyper productif, d’autres se contentent de hurler “UEFA mafia” en tribune. Mais c’est qui, la mafia? Celle-là même qui redistribu­e des sommes importante­s à leur club quand il se qualifie pour la C1? Certains ultras avec lesquels je me suis entretenu m’ont expliqué qu’ils étaient toujours critiques envers le système, les instances de pouvoir, ce qu’est l’UEFA à l’échelle du foot européen. Ça me va, ça ne me pose pas de problème. Quand j’ai été élu président, les supporters du Barça ont été sanctionné­s pour avoir agité un millier de drapeaux catalans en tribune. La rencontre suivante, il y en avait 15 000. Venant de Yougoslavi­e, où il était normal de pouvoir agiter des drapeaux slovènes, ça m’a forcément touché. Au sein des instances, j’ai demandé pourquoi c’était prohibé, alors que c’est un drapeau officiel, celui de la Catalogne. On m’a rétorqué que c’était un symbole politique. OK… Mais tout est politique! Quand vous brandissez un drapeau suisse ou français, c’est politique. Donc j’ai dit: “Stop, on ne sanctionne plus.” Et devinez ce qu’il s’est passé ensuite? Il n’y a plus eu de drapeaux.

Une mesure phare de l’UEFA, c’est le fair-play financier. Il y a deux ans, vous affirmiez au Monde que ce dernier était “un succès, car les clubs européens affichaien­t de gros déficits et font aujourd’hui de gros bénéfices”. Pourtant, un club comme la Juve affiche un déficit de 110 millions d’euros sur les bilans comptables 2019 et 2020, donc avant la crise du coronaviru­s. Quant au Barça, sa dette a dépassé le milliard d’euros. Vous croyez toujours que le FPF est une réussite aujourd’hui? Je parlais des clubs européens dans leur ensemble. Avant la mise en place du fair-play financier, ils accusaient des milliards de déficit. Et juste avant la crise du Covid, qui, il faut le dire, fausse les bilans, on constatait davantage de profits que de pertes, même si, bien sûr, certains clubs présentent toujours des résultats déficitair­es. Cela étant, je dirais que le FPF doit maintenant se tourner davantage vers une recherche de l’équilibre compétitif. En ce moment, on discute par exemple de l’introducti­on d’une forme de taxe sur la fortune. Grossièrem­ent, si un club dépense trop, il devra payer une somme additionne­lle qui sera reversée aux autres clubs respectant les règles. Voilà comment on songe à niveler les valeurs entre les petites équipes, qui régulent leurs investisse­ments, et les plus grosses.

“Cet Euro paneuropée­n n’est pas une mauvaise idée en soi. Sauter dans le lac Léman pour nager jusqu’en France non plus, en théorie… Mais en pratique, peutêtre que je me noierais à mi-chemin!”

Une idée qui sonne très socialiste. Si vous voulez travailler dans un pays de l’Union européenne, les frontières sont ouvertes et la libre concurrenc­e fait son oeuvre. Mais le sport doit bénéficier d’un traitement différent, car il est un cas à part, et je crois qu’il gagnerait à être encore un peu mieux protégé. Si les joueurs ont l’opportunit­é de jouer partout, estce que ça bénéficie forcément à la concurrenc­e entre les clubs? Non, parce qu’on observe une concentrat­ion de joueurs dans seulement cinq pays. Certains grands clubs ont entre 150 et

180 joueurs sous contrat. Ils achètent des joueurs qui ne jouent jamais, n’intègrent pas l’équipe première, et quand ils ont 22 ans, leur carrière est déjà finie. Alors que s’ils étaient restés dans leur pays d’origine, ils auraient pu mieux se développer sportiveme­nt et bénéficier de davantage de temps de jeu dans leur championna­t national.

Vous affirmez que l’UEFA et la fonction de président ne vous appartienn­ent pas et que vous partiriez si les gens ne voulaient plus de vous. Je ne suis pas un apparatchi­k. Je n’ai pas à plaire à untel ou untel pour sauver ma place. J’ai imposé une limite de trois mandats à la présidence de l’UEFA alors qu’avant, vous pouviez rester à sa tête pendant 50 ans. Certes, c’est un exercice à la fois excitant et stimulant. J’aime ça, mais ce n’est pas ma vie. Je préférerai­s rentrer à la maison et vivre la belle vie chez moi en Slovénie, plutôt que de me vendre à qui que ce soit. Faites-moi confiance, je ne le ferai jamais. Je ne pourrais plus en dormir.

Quelle image voudriez-vous laisser de votre passage à l’UEFA, alors? Le plus important, c’est que les gens se souviennen­t de moi comme quelqu’un qui a protégé le football autant que possible et qui n’a pas fait de compromis. Pour tenir un discours aussi agressif que celui que j’ai tenu à l’annonce de la création de la Super League, il ne faut rien devoir à personne. Et moi, dans le football, je ne dois rien à personne. •

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Quand tu arrives vraiment en avance pour le check-in.

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