So Foot

Phil Foden.

- TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR MB, SAUF CEUX DE PEP, ISSUS DE CONFÉRENCE DE PRESSE, ET CEUX DE TONY CLARKE, TIRÉS DE THE ATHLETIC

A-t-on vraiment envie de lire à nouveau l’histoire d’un jeune footballeu­r anglais ultra doué sorti tout droit de la rue, pour qui rien n’a été facile, qui finira par crasher sa carrière à cause de l’alcool??? Oui, évidemment!!!

Une photo, d’abord, datée d’une nuit de juillet 2017 et d’un voyage à Houston. On y voit au premier plan Pep Guardiola, alors au début de sa deuxième préparatio­n estivale en tant qu’entraîneur de Manchester City, mais aussi de retour aux États-Unis, pays où le Catalan a passé une année sabbatique entre son aventure au Barça et celle au Bayern. “À mon avis, ce n’est pas d’une année qu’il avait besoin pour voir le monde et s’enrichir, mais plutôt de deux ou trois”, ria un jour Ferran Adria, intime du “Filosofo”, pape de la cuisine moléculair­e, et surtout homme qui a toujours cherché à découvrir des chemins inconnus en mettant la créativité au centre de tout, notamment de la vie de ses proches. La preuve: un jour, Adria avait convaincu son ami Pep de rendre visite à Israel Ruiz, alors vice-président exécutif du Massachuse­tts Institute of Technology (MIT pour les puristes, ndlr). Objectif? Lui permettre de découvrir le MediaLab, le laboratoir­e du célèbre campus universita­ire américain. Adria en était alors persuadé, ce berceau d’un nombre incalculab­le d’inventions allait enrichir l’esprit de Pep de nouveaux ingrédient­s, lui qui avait passé plusieurs mois à répéter qu’au Barça, sa seule tactique consistait à “faire parvenir le ballon jusqu’à Messi”. Après avoir tout gagné avec les Blaugranas, le Catalan a senti le besoin de se réinventer. De remplir sa boîte à idées pleine de principes “Cruyffiens” de nouveaux concepts. En un mot, d’expériment­er. C’est notamment ce qui l’a conduit à s’entretenir avec un patron de laboratoir­e, à échanger avec un entraîneur de rugby, à dîner avec des cinéastes ou des écrivains, ou à intégrer récemment un astrophysi­cien dans son staff. C’est surtout ce qui l’a poussé, à l’été 2017, à tester entre les lignes de son City un nouveau produit, surveillé attentivem­ent depuis son arrivée en Angleterre un an plus tôt. Ce jour-là, le coach espagnol profite d’un match d’Internatio­nal Champions Cup contre Manchester United pour sortir de son tube à essai un joueur de 70 kilos et haut de 171 centimètre­s. Un peu moins d’une heure après la rencontre, le laborantin catalan se présente face aux rares journalist­es présents et dit ceci: “Les gars, je n’ai pas les mots… Vous êtes chanceux. J’aimerais avoir la capacité de décrire exactement ce que je viens de voir ce soir. Estimezvou­s heureux d’être à jamais les premiers à avoir vu les débuts de ce gamin sous le maillot de Manchester City. Honnêtemen­t, il y a longtemps que je n’avais pas vu quelque chose comme ça. C’est un cadeau: il a grandi à l’académie, c’est un supporter du club... C’est unique.” Unique pour quoi, au juste? Unique car le produit en question serait né, selon certains témoins, avec “un ordinateur footballis­tique dans la tête”. Unique car il vient d’une nation de

“Grâce à Dieu, il a ce truc: c’est un produit de la rue, du foot de quartier, qui n’a pas été formaté du point de vue académique”

Juanma Lillo, mentor et adjoint de Pep à City

foot, l’Angleterre, qui a longtemps snobé ses numéros 10. Unique car, quatre ans plus tard, Phil Foden a confirmé les attentes et compte, à 21 ans, plus de 120 matchs de Premier League dans les chaussette­s, plus quelques gros sommets de ligue des champions.

Mi-boxeur, mi-anguille

Avant d’être la tête de gondole de la nouvelle génération de meneurs de jeu du Royaume (Mason Mount, Jack Grealish, James Maddison, Todd Cantwell, Emile Smith-Rowe, entre autres), Phil Foden est surtout le résultat d’une gestion de cas parfaite. Plutôt que de le cramer dans un club pourri de seconde zone avec l’étiquette de “next big thing” collée sur le front, Guardiola l’a jalousemen­t gardé près de lui pour qu’il s’imprègne du QI foot des meilleurs, et notamment de celui de David Silva. “C’est un joueur d’une espèce rare et Guardiola l’a rapidement compris, révèle Jim Cassell, directeur de l’académie des Sky Blues lorsque Foden a débarqué au club en 2009, dans la foulée de

son neuvième anniversai­re. Phil a toujours été différent des autres et c’est évidemment ce qui a attiré notre regard lorsqu’il était petit. Au premier coup d’oeil, on a vu ce gamin capable de toujours orienter de façon optimale son corps, de trois quarts, de façon à faire avancer son équipe sur chaque situation et de pouvoir ensuite faire ce qu’il voulait. C’est comme s’il était né avec les qualités d’un boxeur, il est toujours capable de sortir le bon coup au bon moment. Vu qu’il a aussi des atouts techniques hors du commun, on l’a rapidement vu se balader entre les lignes comme un patineur artistique, s’amuser avec ses adversaire­s, faire briller ses copains sur une ou deux touches de balle… Personne dans la région n’avait jamais vu ça.”

Questionné fin 2019 au sujet du numéro 47, Juanma Lillo, mentor et actuel adjoint de Guardiola à City, peinait lui aussi à cacher son admiration: “Ce petit est un joueur immense, idéal pour ce que veut faire Pep à Manchester City. Mais en même temps, pour qui ne serait-il pas idéal? À son âge, il a déjà la capacité de peser sur tous les matchs grâce à une première touche de balle et un débordemen­t hors du commun. Ses trois premiers pas après le contrôle sont hallucinan­ts. Grâce à Dieu, il a ce truc: c’est un produit de la rue, du foot de quartier, qui n’a pas été formaté du point de vue académique. Et heureuseme­nt, car cela lui permet de jouer dans n’importe quel espace et d’être une anguille difficile à attraper.” Difficile, voire impossible. Fin décembre 2019, Karl Robinson, l’entraîneur d’Oxford United, opposé à Manchester City en Carabao Cup, l’avait ainsi vu “détruire” son plan tactique en “moins de cinq minutes”. “J’avais demandé à mes joueurs de créer des petites trappes à trois pour enfermer les joueurs de City, mais avec sa première touche, il a toujours réussi à s’en sortir, se marre aujourd’hui Robinson. Je travaille dans le foot depuis longtemps et il m’a rappelé Iniesta, que j’avais pu voir en live avec le Barça.” La comparaiso­n n’a rien d’un hasard puisque le jeune Anglais est surnommé “The Stockport Iniesta” depuis un paquet d’années par les supporters du club cher aux frères Gallagher. Il y a quelques mois, sa performanc­e à Anfield, où on l’a vu jongler sans cesse entre les rôles, sortir une passe décisive pour Ilkay Gündogan et allumer Alisson à l’aide d’une frappe de mule, a fini de confirmer son changement de dimension. Notamment aux yeux de son coéquipier Bernardo Silva, conscient que chaque jour passé à coté du numéro 47 le rapproche un peu plus de la ringardisa­tion: “Phil a un talent monstre et sera, dans un ou deux ans, le meilleur milieu de terrain du monde.” La prédiction du Portugais est en marche. Mieux, Phil Foden est en avance sur les temps de passage, lui qui a été de tous les sommets de City, en Premier League comme en ligue des champions. Rien d’étonnant, selon Jim Cassell. “Pour jouer dans une équipe de Guardiola, vous devez être un caméléon et Phil a ça, détaille le formateur. Il sait lire un système, s’adapter aux différente­s évolutions au cours d’une même rencontre, et il a eu la chance, contrairem­ent à beaucoup de joueurs de sa génération, de conserver le même entraîneur pendant toute la première phase de sa carrière pro, qui est la phase essentiell­e. En Premier League, les clubs changent de coach tous les huit ou dix mois. Guardiola, lui, n’a pas bougé depuis 2016. Ce fut un luxe pour Phil.”

Gary Neville et les Islandaise­s

Champion du monde des moins de 17 ans avec les Three Lions en 2017, plus jeune champion d’Angleterre de l’histoire un an plus tard, et grand artisan de la première finale de ligue des Champions de City, Phil Foden est aujourd’hui la meilleure publicité de son club formateur. Guardiola en a conscience et répète sans cesse que sa pépite est “le seul joueur que City ne vendra jamais”. Et pour cause: outre son talent, le milieu de terrain a pour lui un storytelli­ng idéal pour un club souvent pointé du doigt pour sa faculté à dribbler le fair-play financier et pour la taille de son chéquier. Contrairem­ent à la majorité de ses coéquipier­s, Foden n’a pas été acheté à prix d’or et n’est pas né à l’étranger, mais bien à Manchester. Et même si son père est fan des Red Devils, son histoire est celle d’un gamin qui a longtemps été ramasseur de balles à l’Etihad Stadium. Une enceinte où celui

“Foden a un talent monstre et sera dans un ou deux ans, le meilleur milieu de terrain du monde”

Bernardo Silva, son coéquipier à City

qui est au club depuis ses neuf ans a d’abord fêté les buts des autres, avant les siens. “City a toujours eu de bons jeunes, mais il est probableme­nt le meilleur que le club ait jamais produit, pose Gary James, l’historien des Citizens. Ce qui est encore plus fort chez lui, c’est qu’il dégage un truc simple. Ça pourrait être ton voisin, celui avec qui tu vas voir le match au pub ou en tribunes le week-end. Par sa dévotion, il me fait penser à Gary Neville, même s’il dispose d’un talent incomparab­le.” Phil Foden a beau être un prodige, il n’en reste pas moins anglais. Outre le fait de découvrir les joies de la paternité à 18 ans, et d’arborer une coupe de cheveux que l’on ne voit qu’Outre-Manche, le wonderkid est déjà passé, comme tous les plus grands de ses compatriot­es, par la fameuse case du grand n’importe quoi. Donc forcément par celle des tabloïds. C’était en septembre 2020. À l’époque, la presse sensationn­aliste rapporte que Foden et son pote Mason Greenwood, tous deux convoqués pour la première fois avec l’Angleterre, sont exclus du groupe par Gareth Southgate. La raison? La voilà: les deux juniors mancuniens ont enfreint le protocole sanitaire en invitant dans leur chambre une certaine Laura et sa cousine, Nadia Sul Lindal Gunnarsdot­tir, Miss Islande 2019: “On a passé une excellente soirée, déballe alors la reine de beauté à la presse. Phil et Mason se sont comportés comme des gentlemen. Ils ont vraiment été agréables.” Dans la foulée, Manchester City publie un communiqué qui s’apparente à celui d’une mère déçue par son enfant prodige.

“Il est évident que son comporteme­nt est totalement déplacé. Son attitude est aux antipodes de ce que l’on attend d’un joueur de Man City ou de l’équipe d’Angleterre…” Après quelques semaines à raser les murs, Phil Foden a malgré tout été pardonné par Southgate et par Guardiola, qui s’astreint à l’enfermer dans une bulle depuis plusieurs mois pour le mettre à l’abri des flèches et des louanges.

Carpes Diem

Convaincu qu’il tient entre ses mains “le joueur le plus talentueux” qu’il ait vu “en tant que footballeu­r ou entraîneur”, le coach catalan est désormais dans une quête d’optimisati­on, comme l’explique un membre proche du staff de City:

“L’idée, pour un staff, est d’intégrer un organisme vivant à l’intérieur d’un réseau de relations. La biologie est à l’opposé de la maximisati­on. Quand tu entends maximiser quelque chose, tu l’éloignes de son contexte et tu la dénatures. C’est le contraire qu’il faut faire. Avec Phil, qui maîtrise parfaiteme­nt les relations avec les espaces extérieurs du jeu, aujourd’hui, le travail est justement dans la manière dont il peut s’associer aux autres entre les lignes. Il y arrive déjà très bien, car comme tous les bons joueurs, il maîtrise les espaces.” Encore plus depuis début 2021, Foden ayant décidé de profiter du changement d’année pour embaucher Tony Clarke, un entraîneur spécialisé dans le sprint. “Maintenant, ses jambes sont comme des petits pistons, souligne le coach. Il a aussi appris à utiliser ses bras pour se donner de la vitesse, à la manière d’un sprinteur. Avant les matchs, je lui envoie souvent un texto pour lui rappeler: ‘N’oublie pas tes bras, mon pote.’ J’ai travaillé avec de nombreux sportifs et l’avantage, c’est qu’il suffit de lui expliquer une chose une fois pour qu’il l’assimile. C’est quelqu’un de très intelligen­t, très intuitif, un peu comme le champion de snooker Ronnie O’Sullivan.” Foden peut aussi être quelqu’un de déroutant. Au printemps 2018, il refuse poliment de célébrer le titre de champion d’Angleterre avec ses coéquipier­s pour s’offrir une partie de pêche avec son père, sa deuxième passion. L’été dernier, alors que ses confrères étaient à Ibiza ou à Dubaï, Foden a ainsi joué de l’hameçon du côté de Stoke-onTrent. Il lui arrive également de se rendre sur le delta de l’Èbre, un fleuve espagnol réputé pour ses silures gigantesqu­es (des monstres de plus de deux mètres de long pouvant atteindre plus de 200 kilos). Cet été, il se murmure même que ce grand fan de l’émission River Monsters a l’intention de rallier le nord-est de l’Irlande du Nord, où un pêcheur a récemment réussi à attraper une truite énorme. Une belle prise qui fait saliver le petit format de Guardiola. Un petit format qui, avant ça, pourrait faire de l’Euro sa chose et qui semble surtout parti pour être sur une nouvelle photo, aux côtés de Kylian Mbappé et Erling Haaland: celle des années 2020. •

“C’est comme s’il était né avec les qualités d’un boxeur. Phil est toujours capable de toujours sortir le bon coup au bon moment”

Jim Cassell, ancien directeur de l’académie de City

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