Society (France)

Rose poussière.

À 19 ans, un jour d’avril 2013, il était sorti de sa chambre pour abattre froidement trois personnes à la kalachniko­v dans un quartier tranquille d’istres. Karl Rose était jugé en ce début janvier devant la cour d’assises d’aix-en-provence.

- PAR JEAN-BAPTISTE MOUTTET, À AIX-EN-PROVENCE / ILLUSTRATI­ONS: CHARLOTTE DELARUE POUR

À 19 ans, un jour d’avril 2013, il est sorti de sa chambre pour abattre froidement trois personnes à la kalachniko­v dans un quartier tranquille d’istres. Karl Rose était jugé en ce début janvier devant la cour d’assises d’aix-en-provence.

Il fait beau ce 25 avril 2013. Le quartier résidentie­l de l’aupierre, à Istres, baigne dans les odeurs de pin mêlées aux effluves maritimes de l’étang de Berre. Une belle journée de printemps, calme. Serge Shorjian, 45 ans, et Patrice Martinez, 36 ans, deux amis et voisins, en profitent pour bricoler en contrebas de chez eux, au niveau des boîtes aux lettres, au bout d’une impasse, au 31 rue Saint-étienne. Il est 14h15. Soudain, un jeune homme qu’ils n’ont jamais vu emprunte le chemin. Il a une kalachniko­v dans les mains. Il s’avance, s’arrête lorsqu’il est à trois, quatre mètres des deux hommes, met en joue, tire une première fois. “Mais on n’a rien fait!” aurait crié l’une des deux victimes. En vain: les coups de feu pleuvent. Serge Shorjian est abattu de cinq balles, Patrice Martinez de sept. Sans se presser, le tireur rebrousse ensuite chemin. Parvenu au carrefour, il épaule son arme, place l’oeil sur le viseur, pointe de droite à gauche, en quête d’une nouvelle cible. Ce sera Louisa Aissa Olivieri, qui déboule au mauvais moment au volant de sa petite Peugeot 306. Le tueur fait feu sur le véhicule, puis s’assoit à côté de la conductric­e et lui demande de l’amener jusqu’à Paris. Face au refus de Louisa Aissa Olivieri, il sort de la voiture. Pierre Tanneux, qui passe alors en Kangoo, aura moins de chance: le retraité, qui tente de repousser l’arme au moment où elle est pointée vers lui, meurt d’une rafale à bout portant. Après quoi l’assassin recharge une nouvelle fois, se dirige vers l’étang de Berre et, inexplicab­lement, décide que c’est la fin de la partie. Il jette son arme dans un fourré et se rend à une patrouille de police. “C’est moi, j’ai pété un câble.” En environ quinze minutes, Karl Rose, 19 ans, vient d’abattre trois personnes comme il l’aurait fait dans son jeu vidéo préféré, Counter- Strike: Source. Mais pour de vrai.

Le voici presque quatre ans plus tard, en ce début janvier 2017, devant la cour d’assises d’aix-en-provence. “Quand il parle des faits, il les décrit comme un jeu de ‘shooting’”, explique l’expert psychiatre Frédéric Meunier, selon qui l’accusé “a du mal à distinguer ce qui est de l’ordre de la réalité et ce qui relève de la fiction”. Maigre, mal peigné, le visage barré de lunettes à grosses montures et habillé chaque jour de polos enfilés sous une doudoune rouge, Karl Rose a le physique du diagnostic: un geek jusqu’à la caricature. Son “pétage de câble”, il l’explique de la manière suivante: une altercatio­n avec son père aurait suffi à le rendre fou et à le mettre “dans un état second, comme [s’il] étai[t] ivre de drogue ou d’alcool”. Une histoire de vaisselle pas faite, dit-il, tandis que son père se souvient plutôt d’une dispute déclenchée par le refus du fils de fermer la fenêtre de sa chambre. Suffisant quoi qu’il en soit pour que Karl Rose annonce qu’il part se “suicider”, avant de claquer la porte et de filer déterrer une arme, son arme, celle qu’il a soigneusem­ent confection­née, à quelques kilomètres de là, dans la colline, puis de commencer sa tragique promenade. À Louisa Aissa, dans la voiture, Karl Rose a dit qu’il était “en pleine crise de schizophré­nie”. Lors de l’enquête, il a évoqué “des fourmis dans la tête”. À la barre, l’expert psychiatre Frédéric Meunier parle “non pas d’une maladie mentale, mais de troubles de la personnali­té”, notamment de nature schizoïde. L’avocat général, Olivier Couvignou, compare cette folie à “un masque”. Karl Rose, lui, se contente d’un: “Je me sens un peu coupable.”

“Mes parents m’avaient traité comme une bête”

Sa guerre c’est, dit-il, contre “le monde des adultes” qu’il a voulu la lancer. “C’est parce que mes parents m’avaient traité comme une bête, ça m’obsédait de tuer, j’ai grandi avec la haine, je me suis dit: ‘Je me vengerai des adultes, ça prendra le temps que ça prendra.’” Les parents sont séparés. Depuis ses 14 ans, Karl Rose vit la plupart du temps chez son père, évitant ainsi une mère qu’il juge étouffante, qui lui impose des devoirs scolaires supplément­aires et lui pose à répétition les mêmes questions obsédantes. Mais à la maison, les deux hommes mangent séparément. L’adolescent se rend au lycée sale, avec des vêtements déchirés, sans que personne ne le rattrape. Aujourd’hui, la compassion vient de la mère, accro aux cachets et à l’alcool. “J’ai l’impression de lui avoir mis le fusil à l’épaule, dit-elle. Je suis responsabl­e parce que je suis sa mère et qu’une mère, ça doit réagir.” Elle-même “élevée comme une corvée”, selon ses propres termes, elle raconte avoir voulu donner, enfant, des coups de fourchette à sa mère. Et ne voit dans la haine de Karl qu’une transmissi­on des tares familiales. Le père, lui, confesse parfois souhaiter la mort de son fils, pour “faire (s)on deuil et continuer de vivre”. Ce père, maigre, le teint livide derrière ses lunettes, avoue un passé judiciaire dans “le braquage de dealers”. Il décrit “une enfance qui s’est plutôt bien passée”, provoquant le hurlement de Karl Rose, depuis le box: “Ta mère la pute! T’es un violeur d’enfants! Ça s’est bien passé?” Des vidéos pédopornog­raphiques ont été retrouvées par les enquêteurs au domicile du père. Ce dernier, concierge du bâtiment HLM où il vivait avec son fils, a expliqué qu’il les télécharge­ait pour “un vieux monsieur” de l’immeuble... À l’extérieur du foyer familial, Karl Rose n’avait pas plus de réconfort. Pas de copine ni d’amis. Il vivait mal son obésité. Se méfiait, dit-il. Préférait rester “23 heures sur 24” dans sa chambre, selon le père. Après avoir raté en 2011 son bac pro Services électroniq­ues et numériques parce qu’il a choisi de ne pas se rendre aux rattrapage­s, Karl Rose décide d’arrêter les cours. Il passe ses journées devant son ordinateur, à regarder des vidéos de chats qui agonisent dans un four, d’enfants écrasés par un char, de nourrisson­s découpés... Sa seule relation durable, c’est sur Internet qu’il la trouvera. N. a cinq ans de plus, lui aussi une personnali­té schizoïde, selon une expertise psychiatri­que. Les deux jeunes hommes ne se sont rencontrés que deux fois en vrai, mais devant la cour, leur ressemblan­ce physique est frappante. C’est parce qu’ils jouaient dans la même équipe à Counter-strike qu’ils ont commencé, via Skype, à se raconter leurs vies respective­s et à s’entraîner mutuelleme­nt dans un monde parallèle où le meurtre est banalisé et le racisme va de soi. Dans les textos qu’ils s’échangent, Rose et N. parlent de “porcs juifs”, de “Zyklon B”, d’un attentat à la gare de Lyon, à Paris. Karl Rose avoue même à N. avoir “tué un gitan et enterré son corps avec de la chaux”. Aujourd’hui, N. dit qu’il ne prenait pas Karl Rose au sérieux, le tenant pour “un mythomane”, qui “se rêvait comme une sorte de Rambo, comme un tueur de masse”. Même si l’enquête montre que dans les recherches effectuées sur Internet reviennent aussi bien les mots “shoah” que“kalachniko­v” ou “alkaida” (sic), les deux hommes réfutent aujourd’hui toute conscience politique. Ce “délire complet” n’avait qu’un fil d’ariane: la violence. “La mort, les armes, tuer des gens. Parfois, j’en rêve la nuit”, dira Karl Rose aux enquêteurs. Un jour, Rose propose à N. de lui vendre des armes. Un autre délire de mythomane? Pas du tout: il s’agit de sa grande passion. “Il y a des jeunes qui veulent une voiture, moi je voulais ça.”

“La mort, les armes, tuer des gens. Parfois, j’en rêve la nuit” K. Rose aux enquêteurs

“Le meilleur tireur du départemen­t”

Il possédait d’ailleurs un véritable arsenal. Sous la baignoire de son père, les enquêteurs trouveront ainsi des boîtes de cartouches, cinq têtes de culasse de fusil d’assaut, un pistolet semi-automatiqu­e... Chez sa mère,

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