Society (France)

Quand le travail tue.

Dans quelques semaines, l’assemblée nationale publiera un rapport sur “l’épuisement profession­nel”. Celui-ci permettra-t-il enfin de déterminer le nombre de victimes de burn-out? Permettra-t-il surtout de prendre –enfinles mesures suffisante­s pour enrayer

- PAR THOMAS PITREL, AVEC VICTOR LE GRAND / PHOTOS: LARS TUNBJÖRK (AGENCE VU)

Dans quelques semaines, l’assemblée nationale publiera un rapport sur “l’épuisement profession­nel”. Celui-ci permettra-t-il enfin de déterminer le nombre de victimes de burn-out? Permettra-t-il surtout de prendre les mesures suffisante­s pour enrayer la multiplica­tion des cas de souffrance au travail? Car aujourd’hui, dans tous les secteurs, dans les grandes comme dans les petites entreprise­s, le travail abîme. Et peut même finir par tuer.

La lettre est arrivée en mars 2015, en provenance du siège de La Poste. Elle annonçait à la famille Choffel que Nicolas, le père, recevait 25 euros de prime pour l’année 2014. “Ça a été un choc”, se souvient aujourd’hui Ilma Choffel de Witte, sa femme, dans la salle à manger du pavillon de Fontenay-sous-bois. Tellement qu’elle n’a pas pu s’empêcher d’écrire dans la foulée à Philippe Wahl, PDG de l’entreprise. Une lettre de remercieme­nts? Presque. “Votre décision de donner une prime d’intéressem­ent à hauteur de 25 euros à mon mari Nicolas Choffel m’a beaucoup touchée, écrivait-elle alors. D’autant que durant l’année 2014, il était certes jour et nuit proche de son lieu de travail (en fait, il est enterré depuis plus de deux ans au cimetière du Montparnas­se) mais, comme vous pouvez l’imaginer, il est incapable de bouger à la suite de son accident de travail et donc ce n’est pas un employé très productif.” Nicolas, en effet, s’est pendu le 25 février 2013 à l’étage de leur petite maison, alors qu’il était en arrêt de travail depuis trois semaines pour burn-out. Il avait 51 ans, une fille de 18 ans et, semble-t-il, un smartphone rempli de SMS et d’e-mails profession­nels reçus alors qu’il était en arrêt maladie. Après une réorganisa­tion du service communicat­ion, cet ancien journalist­e du Figaro avait été propulsé directeur de la communicat­ion interne et “faisait le travail de deux personnes, estime sa femme. L’ironie, c’est que je n’arrêtais pas de le charrier parce qu’il fallait qu’il écrive sur les suicides à La Poste dans le journal interne. Je lui disais: ‘T’as pas honte de travailler pour une entreprise d’état où ça tombe comme des mouches?’ Il me disait: ‘Oh, arrête…’ Et voilà”. L’ancienne actrice, qui avait rencontré son mari au festival de Cannes, affirme que celuici avait perdu 18 kilos avant d’être arrêté à la suite d’un malaise au travail. Dans son courrier, elle poursuivai­t: “Juste par simple curiosité, comment vos services ont-ils payé mon mari? Est-ce, comme le veut la coutume en Chine, où les défunts reçoivent de l’argent pour subvenir à leurs besoins dans l’au-delà, en brûlant des faux billets en offrande sur Terre?” Deux ans plus tard, Ilma fouille dans son sac et en sort deux comprimés qu’elle avale avec un grand verre d’eau. “Je souffre de stress post-traumatiqu­e, donc quand je parle de Nicolas, je tourne au Prontalgin­e.” L’humour et les médocs forment le cocktail dont elle a besoin pour mener à bien le combat qu’elle a entamé il y a bientôt quatre ans: faire reconnaîtr­e que c’est bien le travail qui a tué son mari et alerter la France sur les dangers du burn-out. Selon cette Néerlandai­se de naissance, son pays d’adoption serait en effet très en retard quant à la gestion de la souffrance au travail. “En Hollande, on ne se suicide pas à cause d’un burn-out, affirme-t-elle. Il y a seize formes de stress identifiée­s. Si on en réunit cinq, on est mis en arrêt, on perd éventuelle­ment un ou deux kilos, mais ça s’arrête là. En France, les médecins généralist­es pensent encore que c’est psychologi­que. Du coup, c’est considéré comme une maladie de loser.” Force est de constater que si le terme burn-out s’est imposé dans le débat public depuis des années, la sphère politique a encore du mal à s’en emparer. Après un échange de courriers avec François Hollande, Ilma Choffel de Witte était bien parvenue à être auditionné­e par le groupe d’études sur les risques psychosoci­aux et le burn-out mis en place par le ministère du Travail, mais celui-ci n’a, d’après elle, “rien donné”. Le 16 février 2016, Benoît Hamon et 80 autres députés tentaient bien d’intégrer à la loi El Khomri l’abaissemen­t du taux minimum d’incapacité permanente partielle (IPP) –nécessaire à la reconnaiss­ance du burn-out– de 25% à 10%, mais la propositio­n a été retoquée. En introducti­on de son exposé des motifs, Benoît Hamon tirait pourtant la sonnette d’alarme en posant qu’“en France, 3,2 millions de français sont exposés à un risque élevé de burn-out”, reprenant là un chiffre mentionné dans un rapport publié en 2014 par le cabinet Technologi­a. “Je suis un soutien de Benoît mais je lui ai dit qu’il ne pouvait pas dire ça au monde du travail, juge le député socialiste Gérard Sebaoun. Il n’y a pas trois millions de Français en burn-out.” Là réside une partie du problème au moment de légiférer: si chacun s’accorde à dire qu’il y a urgence et que le nombre de cas dépasse de loin les quelques centaines recensées officielle­ment chaque année, personne n’est vraiment capable d’évaluer l’ampleur du phénomène. Une mission d’informatio­n de l’assemblée nationale sur l’épuisement profession­nel, dont le rapport rédigé par Gérard Sebaoun devrait être publié dans les prochaines semaines, s’appuie sur deux études. La première estime le nombre de salariés concernés par le job strain (tension au travail) à 180 000 sur 24 millions. La seconde parle de 480 000 personnes touchées par la “souffrance psychique en lien avec le travail”. Et après? Si le rapport de la mission parlementa­ire devrait livrer certaines conclusion­s sur la marche à suivre pour améliorer les choses, rien ne dit que cela aboutira à une loi. “Le droit du travail est très jurisprude­ntiel, ce qui a certaines vertus mais peut aussi donner aux salariés l’impression d’être dans un univers où les règles ne sont pas clairement définies”, déplore Yves Censi, député LR et président de la mission d’informatio­n. Dans tous les cas, les délais seront trop courts pour légiférer avant les élections législativ­es de juin prochain. “Ce que j’espère, c’est que les conclusion­s du rapport seront reprises par les candidats à la présidenti­elle”, formule Censi, qui appelle à un plan national qui “casserait les cloisonnem­ents” et se baserait sur un triptyque “prévention, dépistage, réinsertio­n”.

“Ne m’attends pas, je vais être en retard”

Pour certains, il est déjà trop tard. Difficile, parmi les 10 000 personnes qui, selon l’observatoi­re national du suicide (ONS), se donnent la mort chaque année en France, d’estimer la part de responsabi­lité des souffrance­s au travail. D’un côté, ce chiffre selon lequel seuls 3,5% des femmes et 3,4% des hommes évoquent le travail comme cause de leur souffrance dans les appels abordant le suicide au numéro de SOS Amitié, en 2014. De l’autre, cette étude menée au CHU de Caen entre février 2010 et septembre 2011, montrant que 40% des personnes hospitalis­ées pour un geste suicidaire estimaient que la cause de leur acte était “principale­ment liée au travail”. Me Jean-paul Teissonniè­re, qui avait défendu il y a quelques années l’associatio­n nationale de défense des victimes de l’amiante, est aujourd’hui l’avocat de la veuve de Nicolas Choffel. Il s’est, au fil des années, spécialisé dans le sujet. “J’ai été appelé en 2006 au moment où des cadres de Renault se défenestra­ient à l’intérieur même du

“En France, les médecins généralist­es pensent encore que c’est psychologi­que. Du coup, c’est considéré comme une maladie de loser” Ilma Choffel de Witte, dont le mari s’est suicidé à cause d’un burn-out

Technocent­re, c’était horrible”, frissonne-til encore. À l’époque, le troisième d’entre eux avait laissé cette note: “Je ne peux plus rien assumer, ce boulot c’est trop pour moi, ils vont me licencier et je suis fini.” Me Teissonniè­re est à nouveau appelé à l’aide lorsque, en 2008 et 2009, 35 salariés de France Télécom se donnent la mort. “On parle de dizaines de suicides, mais on devrait plutôt parler de centaines à France Télécom, estime l’avocat. Pour faire avaler leur mutation forcée aux employés lors de la réorganisa­tion, on disait aux managers d’appliquer la courbe du deuil. Après l’annonce, le salarié était censé passer par plusieurs phases: refus de comprendre, résistance, décompress­ion, résignatio­n puis intégratio­n. Ils n’avaient pas prévu que certains s’arrêteraie­nt au stade de la décompress­ion…” Selon lui, si le taux de suicide est particuliè­rement élevé en France (17e rang mondial), c’est peut-être en partie parce que les entreprise­s du pays ont importé les méthodes de management anglo-saxonnes sans en mesurer les effets sur des salariés habitués à une autre culture. “Je suis effaré par la brutalité dans les grandes entreprise­s, témoigne ce spécialist­e du droit social et des questions de santé. Il y a une déshumanis­ation des rapports sociaux.”

C’est, entre autres, l’histoire que raconte Philippe Rives. Ce délégué syndical CGT d’eiffage Constructi­on Midi-pyrénées a relevé trois suicides en six ans parmi ses collègues de chantier, alors qu’il n’en avait pas vu un seul depuis son entrée dans l’entreprise en 1989. Il énumère tristement: “Le premier est revenu après le boulot pour se pendre, il avait 36 ans et a laissé deux jumelles. Le deuxième a dit un jour à celui avec qui il faisait du covoiturag­e pour venir au travail: ‘Ne m’attends pas, je vais être en retard.’ On a retrouvé sa voiture garée à côté d’un viaduc, et lui en bas du viaduc. Et cette année, c’est un collègue qui a pris des médicament­s. On l’a retrouvé au fond d’un champ.” Du haut de son ancienneté, Philippe Rives juge la vie “de plus en plus dure”, tout

comme la façon de manager les équipes. “Je ne connais personne qui ne regrette pas les directeurs d’avant. Dans toutes les régions, j’ai entendu les mêmes histoires: on pouvait frapper à leur porte quand on avait un problème et c’était le patron qui vous rappelait. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.” Philippe évoque le cas d’un collègue qui ne gagnait plus assez d’argent pour se loger, vivait dans sa voiture –“pour un ouvrier du bâtiment, ça me choque”– et avait eu le malheur de témoigner dans une émission de télé. “Au lieu de voir ce qu’ils pouvaient faire pour lui, ils l’ont engueulé… Aujourd’hui, si un gars a un problème avec un chef, celui-ci va tout faire pour le pousser à la faute.” Le syndicalis­te n’accable pas les chefs personnell­ement. Il parle de “marché en tension”, accuse la concurrenc­e d’avoir abusé des travailleu­rs détachés, ces ouvriers venus d’autres États européens, “exploités et payés au lancepierr­e”, dit que les prix ont cessé d’augmenter, et les salaires avec. “Les cadences sont de plus en plus soutenues, il y a de moins en moins de temps morts, poursuit-il. Il y a deux jours, il pleuvait comme pas possible, on n’était que deux à rester dans le bungalow, les autres sont allés bosser, alors qu’il y a quelques années, personne ne serait sorti. On a moins le temps d’apprendre à se connaître, on peut à peine se parler à midi, notamment à cause des emplois du temps chevauchés. Pour moi, cet isolement a créé les conditions du choix de mes trois collègues. Ou de leur non-choix.” Philippe raconte qu’il passe parfois plusieurs heures au téléphone, le soir, avec des collègues qui ont besoin de parler. Mais ça ne suffit pas. “Il y a un mec qui avait 18 ans de boîte, il avait commencé comme conducteur de travaux et était devenu directeur d’agence. Un jour, à la fin d’une réunion, on lui a dit sans raison qu’il ne faisait plus partie de l’entreprise. Quand il est sorti de là, il s’est foutu par terre. Ce n’est pas spécifique à chez nous, tous les corps de métier sont touchés. Le management devient le même partout. L’année dernière, on a eu quatre

gars déclarés inaptes en même temps. Et en ce moment, on a un comptable et deux secrétaire­s en dépression.” En y réfléchiss­ant, Philippe Rives juge que “dans les bureaux, c’est peutêtre encore pire que sur les chantiers. Là, ils se disent bonjour rapidement et ils attendent d’être dehors pour se parler, de peur que le n+2 les accuse de s’être arrêtés cinq minutes. Au lieu de discuter à la machine à café, ils prennent leur tasse et retournent directemen­t à leur poste.”

Pression malsaine et chemin de croix juridique

Une dégradatio­n des conditions de travail que n’a pas supporté Gilles Walter. Chargé d’études de prix pour Eiffage en Franchecom­té, Gilles alternait en permanence entre son bureau et les chantiers. Un jour d’avril dernier, il est anormaleme­nt en retard au travail. “Il arrivait toujours à 8h, alors à 10h, en voyant qu’il n’était pas là, une secrétaire a tout de suite appelé les gendarmes. Je pense qu’elle se doutait de quelque chose”, retrace Laurent Walter. Ce dernier dit aussi que son frère avait déjà, par le passé, annoncé qu’il allait finir par se pendre, “mais il avait ensuite arrêté, en disant qu’il aimait trop son fils pour ça”. La raison de ce mal-être? “Il avait une vie privée compliquée, mais ce n’est pas ça”, assure Laurent. Lorsqu’ils arrivent au domicile de Gilles, les gendarmes constatent que celui-ci s’est pendu dans la nuit. À ses côtés, trois lettres. “La première était pour son fils, la deuxième était pour me désigner comme son tuteur”, égrène le frère. La troisième donne, sans détour, la raison du suicide: “Ras le bol de ce harcèlemen­t au travail où tout doit être fait sur un rythme infernal sans aucun soutien de la hiérarchie qui conduit à survoler les dossiers et à faire des erreurs. En plus de cette pression malsaine de (...). Je n’en peux plus!” D’après Laurent, quand son frère a été embauché en 2007, il n’avait pas à se déplacer à plus de dix kilomètres à la ronde, “puis ça a été Mulhouse, une heure de trajet, puis de plus en plus loin, et à la fin ils le poussaient à aller jusqu’à Dijon, à 2h30 de voiture. Il est arrivé deux fois en retard de quinze minutes là-bas, il se faisait engueuler devant tout le monde. Il aurait fallu qu’il déménage mais il n’aurait plus vu son fils. Pour lui, c’était impossible”. Depuis le décès de Gilles, Laurent dit avoir “envoyé une trentaine de recommandé­s. [Il s’]occupe de toutes les démarches, de la gestion des biens, et [il] habite en Alsace, donc [il] fait des allers-retours chez lui”. Il reproche aussi à l’employeur de son frère son manque de coopératio­n. “Jusqu’en juin, juillet, j’ai plutôt essayé de négocier avec l’entreprise, la DRH nationale m’avait dit qu’il n’y aurait pas de problème, mais j’étais naïf. Comme ça n’avance pas, je suis obligé de passer par la voie juridique, je vais batailler.” Jean-paul Teissonniè­re décrit le combat que va mener Laurent Walter comme un parcours du combattant: “Il faut d’abord que le suicide soit reconnu par la sécu comme un accident du travail, ce qui est automatiqu­e s’il est survenu sur le lieu de travail, mais pas si cela s’est passé à la maison ou ailleurs. Comme les indemnités liées à un accident du travail sont inférieure­s à celles d’un accident de droit commun, il y a ensuite la possibilit­é d’aller au TASS (tribunal des affaires de sécurité sociale, ndlr) pour faire reconnaîtr­e que l’employeur a commis une ‘faute inexcusabl­e’. Enfin, ils peuvent attaquer au pénal pour harcèlemen­t moral. Mais cela prend des années, et toutes les

Si chacun s’accorde à dire que le nombre de cas dépasse de loin les quelques centaines recensées officielle­ment chaque année, personne n’est vraiment capable d’évaluer l’ampleur du phénomène

familles n’ont pas le courage de se lancer dans ces procédures.” Ilma Choffel de Witte, elle, n’a pas hésité. Bientôt quatre ans après la mort de son mari, la veuve de Nicolas Choffel n’a toujours pas avalé les propos rapportés de Jean-paul Bailly, PDG de La Poste à l’époque, pour qui les suicides seraient des “drames personnels et familiaux dans lesquels la dimension du travail est inexistant­e ou marginale”. Aujourd’hui, La Poste a beau tenter d’expliquer que Bailly n’a fait que parler de “phénomène multicause­s” en parlant des suicides en général, le mal est fait. “Nous étions une famille saine, joyeuse, j’étais hyperproch­e de mon père, assure Saskia, la fille unique du couple. Quand j’ai entendu ça, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de louche, que c’était forcément lié au travail.” Comme Laurent Walter, Ilma Choffel de Witte dit s’être heurtée à un mur lorsqu’elle a tenté une conciliati­on avec l’employeur de son mari, après la reconnaiss­ance du suicide en accident du travail fin 2013. “J’ai écrit un courrier à Philippe Wahl lorsqu’il a remplacé Jean-paul Bailly pour que l’on se rencontre, dit-elle. Mon idée, c’était de lui proposer que La Poste m’apporte des moyens pour la création d’une associatio­n de sensibilis­ation à la thématique du burn-out en France. Je n’ai jamais eu de réponse. Alors j’ai attaqué.” Déboutés une première fois par le TASS de leur demande de reconnaiss­ance de faute inexcusabl­e, Ilma Choffel de Witte et Jean-paul Teissonniè­re ont fait appel. Celui-ci aurait dû être examiné en février, mais le classement sans suite de l’enquête préliminai­re au bout de trois ans leur ayant permis d’accéder à de nouvelles pièces, il a été repoussé. L’examen devrait intervenir “d’ici deux à six mois”, selon l’avocat. Sans pouvoir en dire plus, Ilma affirme que dans ce nouveau dossier, elle a découvert “des choses horribles”, tandis que son avocat se dit confiant. Pour ce dernier, ce qui se passe à La Poste serait du même ordre que ce qui est arrivé à France Télécom quelques années auparavant. À la mi-décembre, Mediapart se faisait d’ailleurs l’écho de sources internes comptabili­sant plus de 50 suicides “potentiell­ement en lien avec le travail” au sein de la société anonyme à capitaux publics. “C’est un chiffre complèteme­nt fou que nous démentons, répond aujourd’hui La Poste. Nous sommes scandalisé­s, on ne peut pas balancer des choses comme ça. Lorsque, malheureus­ement, un de nos collaborat­eurs décède, nous ne sommes pas informés de la cause du décès, donc ce chiffre n’existe pas.” Jouant le contre, l’entreprise met au contraire en avant une liste de procédures internes censées prévenir le mal-être de ses employés. Si elle admet trois cas de suicides reconnus en accidents du travail, elle affirme également, dans le cas de Nicolas Choffel, que personne autour de lui ne s’était rendu compte de rien. La Poste fait aussi savoir qu’avec environ 250 000 employés, “il se passe tous les jours quelque chose de dingue. Il y a des gens qui meurent, il y a des gens qui s’aiment. Au sein de La Poste, il arrive tout ce qui arrive à l’humanité. On est vaccinés contre rien, on n’est pas dans le déni. Chez nous, il y a aussi des petits chefs, des salopards, des méchants, des harceleurs. Nous essayons de protéger nos collaborat­eurs un maximum, mais comment on fait pour se protéger à 100%? C’est très compliqué”.

“On en a marre de cette société-là”

De l’action en justice entamée par sa mère, Saskia Choffel dit qu’elle a “envie d’en terminer au plus vite pour retrouver une vie familiale saine, et en même temps, ne veu[t] pas que la question du burn-out s’essouffle en France”. Déjà exilée aux Pays-bas au moment de la mort de son père, où elle était inscrite en école de commerce, la jeune femme n’a pas souhaité revenir dans son pays natal. “J’ai un peu le rejet de la France, je ne me vois pas revenir pour bosser ici. Ce qui s’est passé influe aujourd’hui sur mes choix profession­nels. J’essaie de trouver des stages dans des boîtes où la hiérarchie est plus plate, et où le produit fabriqué ou commercial­isé est plus éthique. Par exemple, en ce moment je bosse dans le secteur

“Je suis effaré par la brutalité dans les grandes entreprise­s, il y a une déshumanis­ation des rapports sociaux” Jean-paul Teissonniè­re, avocat spécialisé dans le burn-out

de l’énergie renouvelab­le.” Laurent Walter, lui, ne fait que commencer son chemin de croix pour faire reconnaîtr­e la responsabi­lité de l’employeur de son frère. “Je vais tout faire pour que l’enquête ne soit pas classée, lance-t-il. L’attitude d’eiffage est exécrable mais s’il faut que j’aille à l’assemblée générale pour me faire entendre, je le ferai.” À Toulouse, Philippe Rives a été agréableme­nt surpris par la réaction de ses collègues à la suite du dernier suicide en date. “Il y a d’abord deux grutiers qui ont refusé de monter, puis six d’entre nous, et finalement personne n’a travaillé ce jour-là. C’était une réaction spontanée. Il n’y avait pas de revendicat­ion particuliè­re, c’était juste pour que la prochaine fois, on puisse détecter les problèmes. Pour dire qu’on en a marre de cette société-là. Les gars étaient fiers d’avoir rendu hommage à un collègue.” Puis, dans un mélange de résignatio­n et d’espoir, il ajoute: “Dès le lendemain, ils sont repartis bosser comme des sauvages. Mais au moins, on a montré qu’on était tous des humains.”

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