Society (France)

La maison qui guérit

Initiative unique en France, la Maison souffrance et travail 78 met depuis 2013 dans les Yvelines des psychologu­es, sophrologu­es, coachs et avocats à la dispositio­n des victimes de burn-out. Visite guidée.

- PAR MARC HERVEZ

“Je n’ai pas mis de mouchoirs, a priori nous n’en aurons pas besoin aujourd’hui.” Un jeudi glacial de début janvier, aux premier et deuxième étages d’une maison de ville, à Poissy, dans les Yvelines. Six personnes s’assoient en cercle autour d’un thé servi dans des gobelets frappés de l’inscriptio­n “Enjoy”. On se connaît, on se souhaite une bonne année. “Alors, t’en es où? –Bah, je suis au chômedu. Mais j’ai arrêté les anxiolytiq­ues.” La dernière fois que ces six-là se sont vus, c’était déjà au même endroit, en novembre. Aujourd’hui, c’est Claudine qui se lance la première. “Mes misères sont terminées, j’ai gagné. J’ai eu ma rupture convention­nelle la veille de l’audience aux prud’hommes. C’est aussi grâce à vous. Mais j’ai déjà Pôle emploi sur le dos: ils me proposent un poste à Orsay. Quatre heures de transport par jour alors que j’ai 58 ans…” Au tour de Jean-luc, ancien cadre dans une PME de logistique, licencié en septembre 2016. “Comme j’ai le permis poids lourd, je me retrouvais à remplacer les chauffeurs. Je faisais des journées de 18 heures. À 2h du mat’, j’étais au boulot. Un jour, j’ai lâché. Je ne veux plus de poste à responsabi­lités à l’avenir.” Jeanluc a pris quatorze kilos depuis qu’il a “lâché”: “Quand on ne fait rien, on s’ennuie, donc on mange entre les repas. Mais là, j’ai repris la piscine et je mange des carottes.” Des applaudiss­ements fusent, avant qu’alain ne refroidiss­e l’ambiance. Lui, prévient-il, n’a “pas que des bonnes nouvelles”: “Mon diabète est réapparu, j’ai fait une crise de goutte et j’ai un problème de thyroïde. J’ai mis trois mois à tailler mes haies. Mais au moins, je me sais malade et je ne culpabilis­e plus. Merci Françoise.”

Françoise, nom de famille François, est la septième personne. Psychologu­e du travail, elle a fondé la Maison souffrance et travail 78 il y a bientôt quatre ans, en mars 2013. Un établissem­ent unique en France, qui prend en charge les victimes de la vie profession­nelle. À raison de 45 euros la séance de trois heures, ces dernières viennent

consulter des psychologu­es, des sophrologu­es, des coachs et même des avocats. “Être psychologu­e du travail au sein d’une société occasionne des conflits d’intérêt par rapport à la direction. On a voulu créer un terrain neutre et fournir un service personnali­sé allant de l’écoute à la facilitati­on des démarches vis-à-vis de l’employeur, en passant par le soutien moral et le diagnostic”, expose Marc François, mari de Françoise, ancien cadre chez Bouygues Telecom reconverti en président de la Maison. Françoise François, qui fut infirmière avant de devenir psychologu­e, explique qu’elle a “vu arriver la souffrance en entreprise crescendo. Plus ça va, plus on tire sur la corde. On demande aux gens d’occuper trois postes à la fois”. Elle a aussi remarqué une “horizontal­isation” des conflits, là où autrefois on se contentait d’être en désaccord avec sa hiérarchie: “On voit des choses qui rappellent ce qu’on lit dans les livres d’histoire: trahison, dénonciati­on, délation entre collègues.” Mais la bonne nouvelle, selon Françoise François, c’est que “si le mal guette tout le monde et que la chute est terrible, on en guérit”.

“Ça ne me plaît pas de rester au lit toute la journée”

Le moins que l’on puisse dire, en tout cas, c’est que la psychologu­e n’a pas de mal à trouver des patients. À ses débuts, en 2013, la Maison souffrance et travail 78 avait enregistré 800 passages de patients cumulés sur l’année. Le chiffre a été multiplié par six en 2015. “On a une dame qui vient de Toulouse pour consulter, d’autres du Havre, de Nice, appuie Françoise François. Et ça concerne tous les secteurs: on reçoit des cadres, des ouvriers, des boulangers, des chauffeurs de bus, des médecins. Et même des journalist­es, tiens.” La première étape pour guérir, dit-elle, consiste à accepter –et à faire accepter– que l’on est malade. La seconde est d’“éviter de revenir sur les lieux du crime et donc changer d’entreprise, voire de secteur. Mais ne pas reprendre trop vite”. Car l’un des symptômes majeurs des victimes de burn-out reste le sentiment de culpabilit­é. Le fameux: “Si les autres tiennent bon et que moi je tombe, c’est que le problème vient de moi.” “L’autre jour, mon beaupère m’a lâché à l’apéro: ‘C’est bien, tu profites du système’”, relate ainsi Amandine, une assistante sociale en arrêt depuis novembre 2015. “Moi, c’est ma femme qui m’a dit un soir: ‘Tu coûtes cher à la sécu’”, regrette quant à lui Alain, la cinquantai­ne. Cet ancien directeur d’agence bancaire dit que cela lui a fait “extrêmemen­t mal: ça ne me plaît pas de rester au lit toute la journée. Et puis on se met la pression au moment d’aller chez le médecin pour demander à prolonger son arrêt, comme si on devait se préparer à une énorme négociatio­n”. Selon ces patients, plus encore que la consultati­on individuel­le, ce sont les séances collective­s de prise de parole qui leur permettent de remonter la pente petit à petit. “On demande aux gens si ça les intéresse de partager leur expérience et on compose des groupes selon les affinités potentiell­es, note Françoise François. En général, les patients acceptent car ils se disent que comme leurs interlocut­eurs savent de quoi ils parlent, ils vont les comprendre.” Malgré son succès, l’initiative Maison souffrance et travail 78 n’est pas encore plébiscité­e par les institutio­ns. “On ne touche aucune subvention, douche Marc François. Enfin, on a touché trois francs six sous, mais l’assemblée nationale nous a bien fait comprendre qu’il ne fallait pas que l’on revienne.” Après tout, légalement, le burn-out n’existe toujours pas.

L’établissem­ent avait enregistré 800 passages de patients cumulés sur sa première année. Le chiffre a été multiplié par six en 2015

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