Society (France)

MASSACRE AU BRÉSIL

reportage dans les prisons de Manaus

- PAR AMELIA DOLLAH ET LÉO RUIZ, À MANAUS / PHOTOS:

es coups de pioche continuent de faire cracher au sol sa terre orangeâtre. Une quarantain­e de trous d’un mètre de profondeur attendent déjà leurs futurs occupants, dont les premiers arriveront à partir de 15h. “En moyenne, on en creuse 150 par semaine, dit l’un des fossoyeurs en posant sa pelle. Mais pour la première de l’année, on est montés à 194.” En lisière de la forêt, les tombes du bloc 34, situées tout au fond du cimetière Parquetaru­ma, sont encore fraîches. Rien, hormis le nom et le numéro, ne les distinguen­t vraiment. Une modeste croix peinte en bleu, un bouquet de fleurs synthétiqu­es aux airs de collier hawaïen. La date de décès est souvent la même: “01/01/2017”. Un premier car rempli de proches d’un défunt arrive, suivi du corbillard. Jandrade se faufile discrèteme­nt dans la foule, un plateau de bananes séchées sur la tête. Il a préparé sa cargaison chez lui le matin même, puis s’est rendu en bus dans cet immense cimetière de l’ouest de la ville, comme tous les jours depuis deux ans. Depuis le 7 janvier, il a changé ses habitudes. Désormais, il prend un moment pour se rendre sur la tombe de son frère, Jander, au milieu de la rangée 32 du bloc 34. “Le massacre du COMPAJ (Complexo Prisonal Anisio Jobim, ndlr), je l’ai appris au JT, dit-il d’une voix douce. Le lendemain, ma mère m’a appelé pour me confirmer que mon frère faisait partie des victimes.” Condamné tout juste un an plus tôt pour viol sur enfant, Jander de Andrade Maciel purgeait une peine de douze ans de prison. “Il était innocent, clame Jandrade. À son enterremen­t, il y avait toute la famille, sauf mon père, qui vit plus loin et n’a pas pu venir parce que le bus était trop cher. Le 30 décembre, une voisine avait rendu visite à Jander. Ce jour-là, il n’a fait que pleurer. Il l’a serrée très fort en partant et lui a dit de bien prendre soin de moi, de mes deux autres frères et de ma mère. Il savait…” Cette première soirée de 2017, le juge Luis Carlos Valois la passait chez lui, devant la Playstatio­n avec son fils. Mais dès 22h, son téléphone n’a cessé de sonner. À l’autre bout du fil: Sergio Fontes, le secrétaire d’état d’amazonie à la Sécurité publique. “Il y a une mutinerie au COMPAJ, des gardes sont pris en otages et les prisonnier­s n’acceptent de négocier qu’avec toi.” Le juge Valois écoute. “J’ai dit que je ne voulais pas y aller, mais ils sont venus me chercher jusque chez moi.” L’homme reçoit aujourd’hui dans son bureau du tribunal de justice de l’état, proche du centre-ville de Manaus. Sur les murs, des affiches de films et de séries: Carandiru, Oz, Papillon, Midnight Express, Le Prisonnier d’alcatraz. “Cela fait 17 ans que je travaille au COMPAJ, poursuit-il. Les prisonnier­s me connaissen­t et me respectent. Après 40 minutes de trajet, je suis donc arrivé à la prison ce soir-là. Je ne savais pas exactement ce qui s’était passé mais j’avais déjà vécu une mutinerie en 2002, qui avait fait douze morts. Là, c’était chaotique, l’ensemble de la prison était pris. On m’a emmené jusqu’au barrage des policiers où m’attendaien­t deux détenus chargés des négociatio­ns.” Il s’agit de Florencio Nascimento Barros, alias “Maraba”, et de Claudio Dayan Felizardo Belfort, dit “Maguila”. Les deux hommes ont quatre exigences: “Ne pas être transférés vers des prisons fédérales (ils le seront finalement le 11 janvier, ndlr) ; qu’on ne leur envoie pas la police spéciale d’interventi­on ; le respect de leur intégrité physique ; et le maintien de la routine de la prison.” “La preuve qu’il s’agissait d’un conflit interne et non d’une rébellion contre l’autorité pénitentia­ire”, continue le juge. Les dix otages seront finalement libérés à 7h. “Je suis alors entré dans la prison. Il y avait une quinzaine de corps empilés à l’entrée. Certains sans tête, carbonisés. Des bouts de bras et de jambes, aussi. Des scènes monstrueus­es. Je connaissai­s la plupart d’entre eux, c’était très choquant.” Le bilan officiel de cette nuit d’horreur: 56 morts et 112 évadés, plus 72 dans la prison d’à côté, l’institut pénal Antonio-trindade (IPAT). Le lendemain, dans l’est de Manaus, quatre détenus sont à leur tour assassinés dans l’unité pénitentia­ire de Puraquequa­ra (UPP). Le massacre, suivi le 6 janvier de représaill­es dans une prison de l’état voisin de Roraima, le PAMC (Pénitentia­ire agricole de Montecrist­o, 33 morts), et d’une mutinerie le 15 janvier dans celle d’alcaçuz (26 morts), est rapidement baptisé “Carandiru 2”. Il est, depuis les 111 morts de la prison Carandiru à São Paulo, en 1992, le plus violent du genre dans l’histoire du Brésil.

Vengeance et contrôle de la drogue

Derrière ce que les Brésiliens appellent a chacina (un carnage) se cache une guerre, qui a lieu à plus de 4 000 kilomètres de là.

Les deux plus grandes factions criminelle­s du pays, le Primeiro Comando da Capital (PCC), de São Paulo, et le Comando Vermelho (CV), de Rio de Janeiro, autrefois partenaire­s, ont mis un terme brutal à leur bonne entente. Au plus mauvais moment pour ce Brésil postcoupe du monde et Jeux olympiques, en pleine crise économique et politique. Ancien capitaine de la police militaire de Rio et souscomman­dant du Bataillon des opérations spéciales de police (BOPE), Paulo Storani est inquiet. “Le crime s’organise et évolue plus rapidement que la capacité de l’état à le contrôler.” Selon lui, la rupture entre les deux factions a eu lieu après “un conflit sur le contrôle du trafic de drogue à partir du Paraguay”. En juin dernier, le “roi du trafic”, Jorge Rafaat Toumani, était assassiné spectacula­irement par le PCC à Pedro Juan Caballero, ville-frontière avec le Brésil et point de passage de la drogue vers São Paulo. À Rio, des enquêteurs de la police civile ont mis sur écoute Gledson Fernandes, l’un des boss du PCC, surnommé “Fantasma”, chargé depuis sa cellule de la prison de Piraquara, dans l’état du Parana, de prendre le contrôle des prisons et des favelas de Rio. Sa mission: faire basculer les petits chefs du CV incarcérés dans les centres pénitencie­rs cariocas. “On en a déjà baptisés 90”, dit-il dans une écoute diffusée par le magazine Veja, fin novembre. “On va baiser cette race du CV”, lui répond son interlocut­eur. Plus puissant et organisé que son rival, le PCC “baptise” de nouveaux adeptes en leur promettant de meilleures conditions, notamment en cas d’arrestatio­n. Le tout contre une taxe de 400 réis par mois (117 euros). “À partir du moment où tu intègres le PCC, tu ne peux plus rejoindre une autre faction, sinon tu le paieras de ta vie, dit Fantasma au nouveau converti Lourinho de Rio Bonito. Après deux mois, tu dois payer les 400 réis pour aider les frères prisonnier­s. Le Comando (PCC) va t’envoyer la marchandis­e et tu auras quinze jours pour payer. On est là pour t’aider, te renforcer. Si tu as besoin d’une arme pour un braquage, le Comando te la prête. Si tu as besoin d’un avocat, pareil. Le plus important: dans ton secteur, tout le monde doit passer au PCC. Cela sera un honneur d’être votre parrain. Dans ton morro (favela, ndlr), tu vas dire que tu es du PCC et tout le monde va te respecter. On est la plus grande faction du Brésil, mon frère. Désormais, tu as des frères partout. Au Ceara, à Paraïba, à Rio Grande do Norte et dans les quatre pays: au Paraguay, en Colombie, en Bolivie et au Venezuela.”

L’université fédérale d’amazonas (UFAM) est installée en pleine forêt, à l’est de Manaus. Davyd Spencer Ribeiro de Souza, professeur spécialist­e de “la violence, la criminalit­é et la sécurité publique”, est assis derrière son bureau du premier étage. “À São Paulo, la guerre des gangs est un problème depuis le début des années 90, pose-t-il. En Amazonie, c’est beaucoup plus récent. Il y a une nationalis­ation de l’affronteme­nt entre le PCC et le CV. Ce dernier, pour contrer l’hégémonie de son rival, fait des alliances avec des factions mineures. C’est le cas à Manaus avec la Familia do Norte (FDN).” Le gang, dirigé par José Roberto Fernandes Barbosa, alias “Zé Roberto”, est l’auteur du massacre du COMPAJ. Les détenus appartenan­t au FDN ont attaqué la zone sécurisée de la prison où étaient logés les violeurs, les anciens flics et les membres du PCC, minoritair­es. Barbosa a longtemps résidé au COMPAJ, avant d’être transféré dans une prison fédérale de Campo Grande fin 2015. Quelques mois plus tôt, du 17 au 20 juillet, le trafiquant avait déclenché le “week-end sanglant”: 38 assassinat­s dans les rues de Manaus. Déjà une offensive contre

“Il y a une nationalis­ation de l’affronteme­nt entre le PCC et le CV. Ce dernier, pour contrer l’hégémonie de son rival, fait des alliances avec des factions mineures. C’est le cas à Manaus avec la Familia do Norte” Davyd Spencer Ribeiro de Souza, sociologue

le PCC, en réponse à ses “baptêmes” de Rio. Les autorités locales avaient alors tenté de négocier avec lui. Louisimar Bonates, à la tête du secrétaria­t d’administra­tion pénitentia­ire de l’état, et Zé Roberto s’étaient réunis dans la bibliothèq­ue du COMPAJ. Le deal était le suivant: la fin des violences contre le contrôle total de la prison, et donc des pavillons 1 et 2, où se trouvaient les membres du PCC. “L’état se retrouve obligé de négocier avec les trafiquant­s pour rétablir un semblant de discipline, résume Davyd Spencer Ribeiro de Souza. Le PCC pensait pouvoir arriver et dominer la région, mais ce n’est pas aussi simple. Dans le crime, les alliances sont fragiles, la Familia do Norte a une identité régionale forte et refuse l’hégémonie d’un groupe lointain comme le PCC.” La région, justement, n’est pas n’importe laquelle. L’amazonas, plus grand État du Brésil en superficie avec son million et demi de mètres carrés, partage une frontière avec la Colombie et le Pérou. Manaus, elle, se situe en plein milieu de la route Solimoes, une autoroute fluviale de la drogue qui va de Tabatinga (la triple frontière) à Belém, où la marchandis­e est ensuite exportée vers l’europe et les États-unis. Marcia Maria de Oliveira, professeur­e à L’UFAM et auteure de Dynamiques migratoire­s en Amazonie contempora­ine, est spécialist­e des frontières à Manaus. Elle vit dans un petit appartemen­t du quartier de Santa Etelvina, le long de la route 174 qui mène au COMPAJ. “La vérité, c’est qu’il n’y a quasiment pas de contrôle aux frontières, assure-t-elle. Il y a un seul poste de police, à quinze kilomètres de Tabatinga, où travaillen­t entre seize et vingt agents censés contrôler l’immigratio­n et la lutte contre le narcotrafi­c. C’est tout simplement impossible. Pendant qu’un bateau de 300 personnes est contrôlé, combien passent à côté tranquille­ment?” La sociologue a passé deux ans un peu plus au nord, dans la région nommée Cabeça do Cachorro, à la frontière avec la Colombie. Un secteur où une multitude d’acteurs opèrent. “Avant, le narcotrafi­quant le plus influent de la région était Fernandinh­o Beira-mar, membre du CV, qui faisait son business avec Pablo Escobar et distribuai­t au Brésil. Aujourd’hui, les FARC et les paramilita­ires se partagent le coin. Commander cette région est stratégiqu­e. Jusqu’à la guerre entre le PCC et le CV, les

“Tout le monde savait ce qui se préparait. Les deux qui ont avisé la justice n’ont reçu aucune réponse. Nous aussi on était au courant: le syndicat a donné l’info au secrétaria­t de justice fin novembre. Pas de suite, évidemment” Rocinaldo Jesus da Silva, président du Syndicat des travailleu­rs pénitencie­rs

paramilita­ires géraient le passage de la drogue, tandis que la Familia do Norte s’occupait du marché local.” La nouvelle donne à Rio et São Paulo braque les projecteur­s sur ces routes de la drogue, où les conflits risquent de se multiplier, et où l’état ne semble pas avoir son mot à dire. “Il y a un délégué et deux policiers pour toute la Cabeça do Cachorro, informe Marcia Maria. Un jour, ils avaient arrêté un Colombien passé illégaleme­nt. Une quinzaine de paramilita­ires armés ont débarqué, car le Colombien était des leurs. Ils l’ont évidemment relâché.”

Dix jours de fête avec alcool, armes et femmes dans la prison

Vingt-cinq ans après Carandiru, la tuerie du COMPAJ a également replacé la question pénitentia­ire au centre du débat. Depuis le début de l’année 2016, les mêmes chiffres circulent dans les médias brésiliens et internatio­naux: plus de 622 000 détenus pour 206 millions d’habitants, ce qui fait du pays de “l’ordre et du progrès” la quatrième plus grande population carcérale du monde après les États-unis, la Chine et la Russie. Sauf qu’avec 1,67 détenu par place disponible, les prisons sont surpeuplée­s. Exemple dans le complexe Anisio-jobim, où 1 200 prisonnier­s s’entassaien­t dans un bâtiment construit pour en accueillir 500. “Évidemment que les prisons sont bondées, s’emporte le juge Valois. 56% des détenus sont en attente de jugement. On empile les gens en prison pour trafic de drogue, alors qu’ils font pareil à l’intérieur. C’est absurde! Mais emprisonne­r, dans la culture brésilienn­e, c’est surtout devenu un outil de ségrégatio­n.” À L’UFAM, Italo Barbosa Lima Siqueira, qui vient de terminer sa thèse sur le milieu carcéral, parle d’un système pénal raciste au sein duquel les prisons sont “devenues des ghettos”. Des ghettos où les factions font leur marché pour recruter de nouvelles mains, comme les écoutes de Fantasma le prouvent. Une protection séduisante au vu des conditions de vie minables des détenus: “Pas de toilettes, de lumière, de savon ni d’alimentati­on correcte”, déplore Marcos Fuchs, membre du Conseil national de politique criminelle et pénitentia­ire. Pour ne rien arranger, dans l’état d’amazonas, les prisons ont en partie été privatisée­s: 80% du personnel pénitencie­r est “tertiarisé” depuis 2003, principale­ment par la société Umanizzare, qui gère sept prisons de l’état, dont le COMPAJ, L’IPAT et L’UPP. Rocinaldo Jesus da Silva, président du Syndicat des travailleu­rs pénitencie­rs, s’assoit avec deux collègues, Antonio et Marco. Pour eux, Umanizzare est une belle mascarade: “Nous, on est formés et préparés pour travailler dans les prisons. Mais le dernier concours d’agent pénitencie­r a eu lieu en 1986, vous vous rendez compte? Ça fait 30 ans que l’on est seulement 65 agents pour tout l’état d’amazonas. Ceux d’umanizzare sont des ‘agents de discipline’. Ils n’ont pas le droit de porter une arme et n’ont pas de pouvoir de police. Les prisonnier­s ne les respectent pas et eux ont peur des détenus, alors ils leur laissent le contrôle de la prison.” Le trio illustre ses propos par une histoire complèteme­nt surréalist­e. Noël dernier: pendant cinq jours jusqu’au réveillon du 24 décembre, puis cinq autres jusqu’au Nouvel An, les familles ont eu le droit de venir festoyer au COMPAJ et d’y rester dormir. Dix jours de liberté totale avec alcool, drogue et armes à volonté. “Et des femmes, ajoute Antonio, sous les acquiescem­ents de Rocinaldo. C’était n’importe quoi et ils les ont laissés faire. Dix jours, c’est énorme, ils ont eu tout le temps de préparer leur attaque. De toute manière, ça fait 20 ans qu’il n’y a aucune interventi­on du gouverneme­nt à l’intérieur de ces prisons.”

Comment en est-on arrivé là? Sans grande surprise, le premier mot qui leur vient aux lèvres est corrupçao –la corruption–, le mal du Brésil. Le nouveau scandale de la région, parmi les nombreuses autres affaires politiques qui ne cessent d’éclabousse­r le pays: Umanizzare aurait gracieusem­ent offert 200 000 réis pour la campagne de Silas Camara, du Parti républicai­n brésilien, à la préfecture de Manaus en 2014. Plus 400 000 à son épouse, députée fédérale du Parti social-chrétien, et 150 000 à leur fille, députée d’état du Parti travaillis­te chrétien. Derrière l’entreprise: la famille Bittencour­t. Le père, Luiz Gastao, président de la Fédération du commerce du Ceara, a financé en 2014 la campagne de l’actuel gouverneur d’amazonas, José Melo, à hauteur de 300 000 réis. Le fils, Luiz Fernando, chef d’entreprise, a de son côté versé 1,2 million de réis. En “retour”, Umanizzare, en contrat avec l’état depuis 27 ans (reconducti­ble pour 35 ans), a reçu 1,1 milliard de réis par l’état d’amazonas entre 2010 et 2016. “Un immense business qui bénéficie à cinq ou six personnes, résume Rocinaldo. La gestion d’un détenu coûte plus de 5 000 réis par mois dans l’état d’amazonas, alors que dans le reste du Brésil, c’est environ 2 500. On se demande bien pourquoi. Il n’y a même pas de détecteur de métaux à l’entrée des prisons ici.” Marcia Maria de Oliveira pousse l’affaire encore plus loin: “Il y a une théorie qui dit qu’au lieu des 150 évadés officielle­ment annoncés, il y en aurait en fait presque 1 000. La fugue des détenus aurait été orchestrée par le gouverneme­nt pour renforcer la FDN, qui avait perdu de sa main-d’oeuvre dans la région.” L’hypothèse paraîtrait farfelue si, en octobre 2014, le magazine Veja n’avait pas retranscri­t l’enregistre­ment d’une conversati­on au COMPAJ entre Barbosa, de la FDN, et Carliomar Barros Brandao, soussecrét­aire d’état de la Justice et des Droits de l’homme. Résumé des écoutes: en échange de

votes pour le gouverneur Melo, les autorités ficheront la paix à la FDN. Jander, le frère du vendeur de bananes du cimetière, n’était pas le seul à savoir ce qui l’attendait. Dans une lettre datée du 10 décembre dernier, adressée au tribunal de justice d’amazonas, le directeur du COMPAJ, José Carvalho da Silva –licencié le 10 janvier–, est accusé de recevoir des potsde-vin de la Familia do Norte. De l’argent de poche destiné à détourner son regard de l’entrée d’armes, de drogue et de téléphones portables dans l’enceinte de la prison, et de garder sous silence homicides ou évasions. La lettre a été envoyée par deux détenus, Alcinei Gomes da Silveira et Gezildo Nunes da Silva, qui demandaien­t à être transférés parce qu’ils subissaien­t des pressions et des menaces de mort de la part du directeur et d’autres prisonnier­s. Aucun des deux n’a survécu au massacre du 1er janvier. “Tout le monde savait ce qui se préparait, assure Rocinaldo. Les deux qui ont avisé la justice n’ont reçu aucune réponse. Nous aussi on était au courant: le syndicat a donné l’info au secrétaria­t de justice fin novembre. Pas de suite, évidemment.” Pour le sociologue Davyd Spencer Ribeiro de Souza, cette spirale de corruption participe largement à la montée de la violence au Brésil. “Les gens ne se sentent pas protégés et soutenus par l’état. Cette ingérence déconsolid­e complèteme­nt la démocratie. Elle produit un grand sentiment d’insécurité. Et la réponse, c’est la violence.” Dans un message adressé à ses rivaux amazoniens le 5 janvier, quelques jours après le massacre, le PCC promettait sa vengeance: “Pendant longtemps, nous avons gardé une coexistenc­e harmonieus­e avec nos ennemis, parce que notre objectif a toujours été de lutter contre l’état et pas contre nos frères, même ceux d’autres organisati­ons. Sachez que vous ne déclarez pas seulement la guerre au PCC, mais à tous ceux qui luttent contre l’état brésilien corrompu.” Spencer s’amuse presque de cette déclaratio­n. “Dans ce message, le PCC revendique son action comme étant politique. Ce qui est sans doute un peu schizophrè­ne vu son histoire, mais cela montre bien que dans leur imaginaire, le crime est aussi une réponse à l’oppression de l’état et à un ordre social injuste.”

“On est clairement sur un modèle d'état assassin”

À Brasilia, le président Michel Temer a mis plusieurs jours à réagir aux événements du COMPAJ. Avant de finalement parler d’un “accident effroyable”. Son ancien secrétaire Bruno Julio, actuel président national de la jeunesse du Parti du mouvement démocratiq­ue brésilien, a jugé de son côté qu’il “devrait y avoir un massacre par semaine dans les prisons”. Une réaction qui va de pair avec celle du gouverneur d’amazonas José Melo, selon qui “aucun saint” n’est mort dans le massacre d’anisio-jobim. À L’UFAM, Italo Barbosa Lima Siqueira rit jaune: “Il y a une constructi­on idéologiqu­e derrière ce langage, qui minimise la mort et la violence. On est sur un modèle d’état assassin.” Le plan de sécurité publique présenté par Temer est critiqué de toutes parts: plus de prisons, plus de répression, mais aucune remise en question du système carcéral. Alexandre de Moraes, ministre de la Justice, dont l’objectif est “d’éradiquer le cannabis du continent”, refuse même de reconnaîtr­e l’existence d’une guerre entre factions criminelle­s. Au cimetière de Parque-taruma, Jandrade vend ses derniers sachets de bananes séchées. Il rejoindra ensuite l’église évangéliqu­e où il est missionnai­re depuis cinq ans. “Si le gouverneme­nt avait fait son travail, ce massacre aurait été évité, lance-t-il en saluant. Moi, j’ai échappé à dix tentatives de vol à Manaus. Le seul qui me protège vraiment, c’est Dieu.” •

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 ??  ?? Carandiru, l’ancienne plus grande prison du Brésil, à São Paulo, a été détruite en 2002. En 1992, 111 personnes y furent massacrées.
Carandiru, l’ancienne plus grande prison du Brésil, à São Paulo, a été détruite en 2002. En 1992, 111 personnes y furent massacrées.
 ??  ?? Dans une maison d’arrêt de São Paulo. Au Brésil, la densité de population carcérale est de 1,67 détenu par place disponible.
Dans une maison d’arrêt de São Paulo. Au Brésil, la densité de population carcérale est de 1,67 détenu par place disponible.
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