Society (France)

Belles paroles.

Que retiendra-t-on de Barack Obama? Outre son bilan chiffré sur les questions économique­s, politiques et diplomatiq­ues, le double président des États-unis fut aussi un homme qui essaya d’écrire une nouvelle identité américaine. Une doctrine qui prend sa s

- PAR DAVID ALEXANDER CASSAN

Outre son bilan, on retiendra du double président des États-unis qu’il essaya d’écrire une nouvelle identité américaine. Une doctrine qui prend sa source dans un discours fondateur de 2004, que ses acteurs revisitent ici, douze ans plus tard. Et qui, peut-être, portait déjà en lui les limites de son action.

“J’étais sur scène, et il m’a fait pleurer à chaudes larmes. Je suis un Irlandais élevé par des Italiens, je suis obligé d’être émotif. Les larmes tombaient sur le discours que j’avais imprimé en cas de panne du prompteur, et elles le rendaient illisible. Je l’ai laissé à Michelle en souvenir.” Ce catholique qui assume ses émotions s’appelle Kevin Lampe. Son boulot consiste, depuis 1996, à préparer les orateurs de chaque convention démocrate. Mais, dit-il, s’il doit garder une date parmi toutes, ce sera pour toujours celle du 27 juillet 2004. Ce jour-là, Lampe est à Boston pour s’occuper de Barack Obama, un candidat aux sénatorial­es qu’il a rencontré à Chicago. Un jeune politicien encore inconnu mais qui va, en quelques minutes face au micro et en direct à la télévision, raconter une histoire qui bientôt changera tout pour lui, pour les démocrates, pour l’amérique. L’histoire de ses origines à lui, de son père kényan et de sa famille maternelle venue du Kansas, qu’il va raccrocher à la déclaratio­n d’indépendan­ce qui proclame tous les hommes égaux, mais aussi à la devise “E pluribus unum” –“Un seul à partir de plusieurs.” Un destin individuel, mais aussi rien moins que la doctrine politique de ses douze années à venir. En même temps qu’une immense surprise. Car Barack Obama, aussi incroyable que cela puisse paraître, a d’abord été connu pour ça: il était un mauvais orateur. “À ses débuts, il n’était pas vraiment doué, éclaire son vieux complice Dan Shomon. Il parlait comme un prof d’université, il était pédant, sans passion.” Que s’est-il passé alors? Du travail –“Les églises noires l’ont beaucoup aidé: c’est là qu’il a appris à utiliser des paraboles, à interagir avec le public”– et un coup de pouce du destin: celui d’être désigné pour donner le discours d’ouverture de la convention démocrate de 2004 et lancer John Kerry dans la course à la présidence.

Si Barack Obama a toujours affirmé ne pas savoir pourquoi il avait été choisi pour parler ce soir-là, John Kupper, l’un de ses plus anciens collaborat­eurs, a son idée sur la question: “John Kerry avait fait une apparition avec lui à Chicago, dans un centre de formation continue. Il avait été impression­né et l’a choisi pour la convention parce qu’il pouvait l’aider à être élu, notamment auprès des Afro-américains.” Vicky Rideout, responsabl­e des discours à la convention, a participé elle aussi à la sélection. “Je les ai encouragés à choisir Obama parce que c’était une nouvelle voix qui représente­rait le melting-pot, remet-elle. On ne voulait pas d’un pitbull qui attaque Bush, on voulait un discours qui inspire.” Obama écrit lui-même une première version de son speech, sur le bloc-notes d’avocat qui le suit partout. Il y reprend des éléments déjà testés devant les foules de l’illinois: son drôle de nom, son histoire, le rêve américain qui rassemble au-delà des frontières partisanes ou ethniques… Après deux semaines, John Kupper lit une première version. “C’était puissant mais trop long: ça tenait sur 24 minutes quand l’équipe de Kerry nous en donnait à peu près dix. Je devais raccourcir, mais Barack me le renvoyait souvent en réintégran­t tout ce que j’avais coupé... Heureuseme­nt que l’on a fini par descendre à 17 minutes!” Du côté de la convention, Vicky Rideout porte un oeil sévère sur ce premier jet, rendu en retard. “Honnêtemen­t, avoue-t-elle, le premier jet était… un premier jet, avec des défauts assez communs: trop long, trop centré sur l’illinois, pas assez sur Kerry. Sur le papier, le discours ne me semblait pas extraordin­aire.” De l’avis de tous, la réécriture se passe néanmoins plutôt bien, et le texte est à peu près validé quand Obama débarque à Boston. L’heure est alors aux répétition­s, sous l’oeil avisé de Kevin Lampe. “Il y avait deux salles de répétition où tout devait ressembler à la grande scène, décrit ce dernier. Podium, prompteur, projecteur­s, sono, jusqu’au bruit de la foule. Il était loin du compte à la première répétition, trop crispé. On lui a dit qu’il devait donner vie à ses histoires, imaginer qu’il s’agisse non pas d’un cours magistral mais d’une conversati­on. Une conversati­on avec chaque téléspecta­teur, chez lui, devant sa télévision, et pas avec les 20 000 personnes qui allaient être en liesse devant lui.” En sortant d’une troisième répétition, David Axelrod, proche conseiller d’obama, confie à Lampe qu’ils ont accompli “70% du chemin”. Le reste, le futur président le parcourra seul dans sa chambre d’hôtel, devant un miroir, dans son plus beau costume.

“L’histoire a basculé”

Quelques minutes avant d’entrer en scène, Barack est dans sa loge, avec sa femme Michelle et Kevin Lampe. Ils se marrent. “Je faisais en sorte de rester léger, explique le “coach”. Ensuite, je les ai accompagné­s jusqu’à ce qu’il la laisse pour aller sur scène. Elle l’a embrassé et lui a dit: ‘Ne foire pas ça, mon vieux.’” Barack ne foire pas et le reste, comme ils disent, entre dans l’histoire.

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