La gauche peut-elle se réinventer?
Oui, mais comment?
Vous présentez votre livre comme un ‘manifeste pour la nouvelle gauche’. Vous pensez que les partis de gauche actuels n’ont plus lieu d’être? Alex Williams: Le seul programme des partis sociaux-démocrates, c’est: ‘Nous allons partager les revenus de la croissance un peu plus équitablement.’ Et c’est vrai, ils ont bel et bien partagé les revenus de la croissance un peu plus équitablement. Le problème, c’est qu’il n’y a plus de croissance. Nick Srnicek: Le déclencheur de ce livre, ce fut aussi et surtout l’avènement, et finalement l’échec, des mouvements comme Occupy Wall Street dans le monde entier. Et pourquoi ont-ils échoué? Parce que vous pouvez empêcher la construction d’un aéroport ou la fermeture d’un hôpital de cette façon. Mais ça n’empêchera pas les politiciens de remettre ce genre de projets en route par la suite.
Vous expliquez que des méthodes comme les grèves, les occupations ou les pétitions ont été développées à une époque où elles étaient mieux adaptées à la contestation. Aujourd’hui, quelles seraient les formes de protestation les plus efficaces? NS: Attention, ces méthodes ont encore un rôle à jouer. Mais les syndicats n’ont pas su adapter leur manière de fonctionner aux réalités d’aujourd’hui. En revanche, ce qu’a fait Corbyn avec le Labour en Angleterre est intéressant. Il a compris qu’il ne pourrait pas l’emporter tout seul. Il a donc créé l’organisation Momentum. Après avoir aidé à faire élire Corbyn, Momentum a plus ou moins pris la forme d’un mouvement social rattaché au Labour. Par exemple, il y a quelques mois, il a été créé Momentum Kids, un programme de garde d’enfants pour aider les femmes à s’impliquer, mais aussi intéresser les enfants à la politique. Momentum a également monté un réseau de banques alimentaires. Son programme, c’est de faire de la politique sans attendre d’être au pouvoir pour accomplir des choses ni demander la permission de l’état.
Vous parlez de la construction d’une contrehégémonie de gauche au projet néolibéral. Le problème, c’est que la contre-hégémonie qui progresse le plus aujourd’hui est celle de l’extrême droite. Comment se battre sur ces deux fronts? AW: Il ne serait pas idiot de calibrer de nouveaux messages pour le grand public. Par exemple, la fameuse maxime néolibérale qui dit que ‘le pays doit être géré comme un ménage’ pour justifier la réduction des dépenses sociales est facile à comprendre. Et qu’importe si ce message est complètement faux. Cela veut dire que la gauche doit, elle aussi, trouver des petites phrases dans le genre, faciles à intégrer, et qui encapsulent une autre vision de la société. Un peu comme la rhétorique contre le ‘1% le plus riche’, distillée avec succès par Occupy Wall Street.
Vous évoquez la stratégie. Mais qu’en est-il des idées? AW: Ce que l’on a modestement essayé de faire avec ce livre, c’est lister des idées pour démarrer la discussion autour d’un programme positif sur la question de la société post-travail. Beaucoup de mouvements de gauche pensent encore que les gens devraient travailler coûte que coûte, et que la robotisation est un mal pour l’humanité. On est totalement en désaccord avec cela. La valeur travail, dans la bouche des économistes et des politiques, a une résonance religieuse et prend ses fondements théoriques dans la glorification de la souffrance. Mais pourquoi passer par le stade de la souffrance alors que la prochaine vague d’automatisation permettra à des logiciels et des robots d’accomplir ces tâches à notre place? NS: Les voitures sans conducteur vont priver trois millions de personnes de travail rien qu’aux États-unis, les logiciels d’apprentissage automatique vont remplacer les emplois peu qualifiés dans la finance ou le droit. Près de 80% des métiers où l’on gagne actuellement moins de 20 dollars de l’heure sont sur le point de disparaître. Il faut se saisir de ce sujet et en faire une force positive pour l’émancipation des hommes.
“Le problème, c’est qu’aujourd’hui la gauche est très centrée sur elle-même, elle passe son temps à convaincre les convaincus” Nick Srnicek