Sarkoboy
Il était l’un des plus grands espoirs de la Sarkozie. Mais pour lui comme pour d’autres fidèles de l’ex-président, cela s’est mal terminé: Boris Boillon, jeune diplomate superstar, ancien ambassadeur de France en Irak et en Tunisie, s’est fait choper en 2
Successivement ambassadeur au Tchad, en Tunisie et en Italie, grand expert des pays arabes et du Moyen-orient, Yves Aubin de La Messuzière a trois histoires de diplomates déchus en tête. D’abord, celle d’un “mec brillant” soupçonné de trafic de drogue en Inde, qui s’amusait avec la police et a fini par croupir plusieurs dizaines d’années en prison. Gérard Amanrich ensuite, renvoyé de son poste d’ambassadeur au Vatican en 1976, qui tuera quelques mois plus tard sa femme, son fils et sa fille avant de se pendre avec la ceinture de son peignoir dans un hôpital psychiatrique. Enfin, ce diplomate au Liban, qui partageait une maîtresse avec un grand trafiquant de drogue, envoyé dans un placard extrêmeoriental, où il est mort. Et maintenant, voici donc Boris Boillon, “brillant, affûté, promis à un grand avenir”, dernière comète à avoir explosé en plein vol. Longtemps avant Emmanuel Macron, Boris Boillon avait en effet inventé l’accomplissement à 39 ans, nommé à Bagdad en juillet 2009 devenant ainsi le plus jeune ambassadeur de France. Puis, la chute: mis au placard après l’élection de François Hollande en 2012 ; interpellé avec 350 000 euros et 40 000 dollars dissimulés en petites coupures dans un sac de sport alors qu’il s’apprêtait à monter dans un Thalys pour Bruxelles le 31 juillet 2013 ; suspendu par le ministère des Affaires étrangères en novembre 2016. Le 23 mars dernier, Boris Boillon comparaissait pour la première fois devant un juge pour “blanchiment de fraude fiscale”, “faux et usage de faux”, “abus de biens sociaux” et “manquement à l’obligation déclarative de transfert de capitaux”. Une séance qui n’aura duré que quelques minutes, toutes les parties s’étant accordées à dire que l’après-midi prévu pour l’étude de l’affaire n’était pas suffisant, choisissant de repousser le procès au mois de mai. Avant que tout le monde ne se disperse, le président de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Peimane Ghaleh-marzban, avait juste eu le temps de demander à un Boillon tiré à quatre épingles s’il exerçait une activité professionnelle. Réponse: “Non, je ne peux pas. En ce moment, je lévite.”
“Pas un diplomate de cocktail”
Si son procès n’est pas une affaire ordinaire, et si Boris Boillon se retrouve aujourd’hui entre deux ciels, c’est qu’il a volé trop près du soleil. Ou plutôt de deux soleils: Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi. Le premier l’a repéré fin 2005 avant d’en faire l’un de ses conseillers diplomatiques au ministère de l’intérieur en janvier 2007. À l’époque, Boillon n’est encore qu’un jeune diplomate ambitieux, diplômé de Sciences Po et des Langues O’, passé par Oman, Alger et Jérusalem, et parfaitement arabophone puisque ayant grandi à Bejaïa, en Kabylie, où
ses parents pieds-rouges, comme on appelle ces Français de gauche venus en Algérie aider à la reconstruction du pays après son indépendance, se sont installés avant sa naissance, en 1969. “Il a vécu des moments très forts dans son enfance en Algérie”, sait Frédéric, ami d’enfance rencontré au collège Lumière de Besançon, après le retour en France de la famille Boillon. Frédéric a entendu Boris parler de son intérêt pour la diplomatie dès la terminale, puis l’a vu partir un an en Syrie, et encore un an en Égypte. Il l’a aussi vu voter Mitterrand en 88, “à gauche comme tous les jeunes”, mais n’a pas été surpris de le voir rejoindre le cabinet d’un “volontariste” comme Sarkozy 20 ans plus tard. Car “Boris voulait être un contributeur”, surtout pas un “diplomate de cocktail”. Sous les ordres d’un autre jeune loup de la Sarkozie, David Martinon, Boillon tape vite dans l’oeil de Claude Guéant. “C’est quelqu’un qui ne se faisait pas remarquer mais que l’on remarquait quand même, juge avec le recul l’ex-bras droit de Nicolas Sarkozy. Jeune, enthousiaste, sans le comportement compassé de beaucoup de diplomates, qui sont plutôt calmes, tranquilles. Lui était impulsif.” Guéant constate aussi rapidement que le petit nouveau est capable “de passer des coups de fil en arabe sans aucun problème de compréhension”. Pas un moindre atout pour Nicolas Sarkozy, qui place le Maghreb et le Moyen-orient au centre de son action internationale dès le 6 mai 2007, au soir de sa victoire à la présidentielle, lorsqu’il lance à l’improviste l’idée d’“une union de la Méditerranée qui sera un trait d’union entre l’europe et l’afrique”.
Pas question, dans ce dessein, de se passer de Boillon, que Sarkozy surnomme bientôt “mon petit Arabe”, et qu’il embarque avec lui à l’élysée. Pour construire son Union pour la Méditerranée, l’hyperprésident doit se rapprocher d’un pays déjà visité en 2005, la Libye, où il entend aussi réaliser son premier “coup” diplomatique le plus vite possible. Dès le 12 juillet 2007, Boris Boillon accompagne Cécilia Sarkozy et Claude Guéant à Tripoli pour négocier la libération des cinq infirmières bulgares détenues dans des conditions déplorables depuis 1999 par le régime de Kadhafi, quitte à parasiter le travail de la Commission européenne, alors en passe de faire céder le régime libyen. Le 24, douze jours plus tard, Boillon est encore présent, dans un look costard-lunettes de soleil de garde du corps, cette fois sur le tarmac de l’aéroport de Sofia, pour voir les prisonnières retrouver leurs proches. Son rôle dans cette affaire, lui, est plus flou. Claude Guéant affirme que Boillon intervenait “dans les nombreuses réunions avec Kadhafi ou ses ministres, au même titre que [lui] ou Cécilia Sarkozy”. Lui ne cachera jamais une certaine proximité avec le Guide, qui l’appelait “mon fils”. Début 2011, alors que la révolution libyenne se met en marche, Boillon prendra ainsi la défense du dictateur sur le plateau du Grand Journal de Canal+. “Sus aux idées reçues, bafouillera-t-il alors, Kadhafi a fait son autocritique. Mais qui peut se prétendre un parangon de vertu et de démocratie? Dans la vie, on fait tous des erreurs, et dans la vie, on a tous droit au rachat.” Entre 2009 et 2011, alors qu’il était en poste à Bagdad, Boillon aurait fait le voyage au moins une fois pour la Libye. Pour quoi faire? Selon Mediapart, un dignitaire libyen, le témoin n°123, aurait apporté quelques réponses aux enquêteurs de l’office anticorruption (OCLCIFF) de Nanterre. “Boris Boillon venait souvent voir le Guide, qu’il appelait ‘papa’. (…) Il venait pour son argent de poche. Il faut savoir que chaque fois qu’un visiteur important comme Claude Guéant, et surtout comme Boris Boillon, venait voir le Guide, celui-ci lui faisait un petit cadeau. Ce petit cadeau était une enveloppe qui contenait soit des dollars, soit des euros. C’étaient des sommes de l’ordre de 40 000 à 70 000 euros.” Selon le même témoin, Boris Boillon aurait également reçu des bijoux en or blanc (un collier, des boucles d’oreilles et une bague). Un ancien diplomate de l’ambassade à Tunis, surpris de n’avoir jamais été interrogé par les enquêteurs de l’affaire libyenne, confie que Boillon s’est également rendu à Djerba à l’été 2011 pour “coordonner l’évacuation de Bachir Saleh”, directeur de cabinet de Kadhafi. Celui-ci sera ensuite hébergé à la résidence de l’ambassade de France, avant d’être exfiltré dans l’avion privé de l’homme d’affaires Alexandre Djouhri, l’un des pions du réseau Sarkozy en Afrique et au Moyen-orient. Autant de relations qui, moins de deux ans après la mort de Kadhafi en 2013, amèneront les enquêteurs français à se demander si les grosses sommes transportées par Boillon lors de son arrestation n’auraient pas un lien avec le présumé financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy.
Boris sous les bombes
Boris Boillon, pour sa part, clame son innocence. Selon lui, l’argent viendrait tout simplement des activités de conseil dans lesquelles il s’était lancé en Irak, via sa société Spartago, après avoir été mis au placard par François Hollande. C’est que Boillon a eu l’occasion d’étudier le terrain irakien à partir de juillet 2009, quand il y fut nommé ambassadeur. “Au départ, il était prévu qu’il soit nommé au Kurdistan irakien, à Erbil, confie Claude Guéant. Et puis chemin faisant, Jean-david Levitte (conseiller diplomatique de Sarkozy, ndlr) a trouvé que ce serait mieux de le nommer à Bagdad. Je trouvais que c’était une bonne idée.” De l’ombre à la lumière en un claquement de doigts. Sa jeunesse, son style, son poste dans une ville où les bombes explosent chaque jour, tout fait de Boris Boillon un aimant à médias. Avant même son départ, une équipe de M6 le suit, première d’une longue série. Partout à la télévision, on découvre cet ambassadeur aux costumes cintrés qui ne quitte jamais ses lunettes de soleil et a pour mission première de ramener à la force du poignet les entreprises françaises sur les marchés irakiens, phagocytés par les Américains depuis 2003 et leur invasion du pays. “Nous voyions sa médiatisation d’un bon oeil”, glisse Claude Guéant. De fait, Boillon ressemble à une parfaite maison témoin du village sarkozyste. Un self-made-man à l’anglo-saxonne venu d’un milieu plutôt modeste par rapport à la moyenne des ambassadeurs (deux parents profs), qui a connu des épreuves (le décès de sa mère au milieu de ses études) et qui a toujours eu la volonté non seulement de réussir, mais aussi de montrer sa réussite. “À 16 ans, il travaillait déjà dans une pizzeria, et pouvait ainsi s’acheter des vêtements parce qu’il faisait déjà attention à son apparence, sourit son pote Frédéric. Quand on sortait en boîte, on allait juste danser, on n’avait pas d’argent pour se prendre des verres.” En Irak, Boris Boillon débarque justement comme sur une piste de danse: pour faire la différence. Dès son arrivée à Bagdad, il bouscule les habitudes de la diplomatie classique, et mise tout sur le business. “Chez les diplomates, ça pouvait
“C’est quelqu’un qui ne se faisait pas remarquer mais que l’on remarquait quand même. Il n’avait pas le comportement compassé de beaucoup de diplomates, qui sont plutôt calmes. Lui était impulsif” Claude Guéant
choquer, mais pour la communauté économique française en Irak, c’était génial, s’amuse Charles-hubert Dufour, alors jeune directeur du groupe Thalès pour la zone Proche-orient et Moyen-orient. Non seulement il s’intéressait vraiment à nos dossiers, mais c’était même lui qui m’appelait: ‘Demain à 11h, on a rendez-vous avec le ministre des Transports, t’as intérêt à être prêt.’” Boillon se lève à 6h, se couche à 2h, “quand il n’y a plus de dossier à traiter”, ce qui le rend parfois difficile à suivre pour ses propres équipes, les entrepreneurs français et ceux censés assurer sa sécurité. Il joue à l’ambassadeur aventureux et tient à organiser deux sorties par jour, malgré les dangers du terrain irakien. Charles-hubert Dufour évoque des moments chauds, les voitures piégées qui explosent comme des feux d’artifice dans la ville. “On descendait à la centrale obs’, au premier étage de l’ambassade, on regardait l’état des lieux et lui disait: ‘Bon, on y va quand même.’ Les mecs de la sécu et du GIGN se regardaient, on mettait les gilets pare-balles, tout le cirque, et on y allait. Je n’avais jamais vu un ambassadeur nous emmener en zone conflictuelle comme lui. Certains disaient qu’il était fou, mais à quoi ça sert d’être à Bagdad si c’est pour ne pas bosser, pour ne pas aller aux rendezvous?” C’est que, comme son pygmalion Sarkozy, Boillon est là pour faire du chiffre. “Ce qu’il veut, c’est du résultat, et il a cette capacité d’impulsion, ce pragmatisme, juge un ancien collaborateur à l’ambassade irakienne. On avait besoin d’un mec comme ça à l’époque à Bagdad, parce qu’il y avait plein de choses à faire pour les entreprises françaises. Il a pesé de tout son poids dans des contrats à plusieurs millions d’euros.” L’homme du président s’appuie sur ses connexions élyséennes pour accélérer les dossiers. Ceux qui ont côtoyé Boillon à l’époque se souviennent notamment de coups de fil réguliers à Claude Guéant. “Quand les Irakiens disaient à 8h qu’ils avaient besoin de l’aval du gouvernement français, à 12h on avait le papier signé par Fillon (alors Premier ministre, ndlr), martèle Dufour. Boillon appelait Guéant: ‘Où est le président? Est-ce qu’il peut signer?’ – ‘Non, mais t’es couvert.’ Au début, ça impressionne.” Et le système fonctionne. Thalès, Airbus, Total et un aéropage de PME du génie civil se placent sur des contrats. Fin 2009 et début 2010, Total fait par exemple son retour en Irak, après avoir dû mettre un terme à ses activités à la chute de Saddam Hussein. “On était plus présents que les Américains médiatiquement, alors qu’ils étaient 8 000 et nous 150”, estime l’ancien collaborateur à Bagdad. Dufour: “Les Irakiens faisaient la queue pour assister à son discours du 14-Juillet. Il était le mec à fréquenter. Quand j’allais à l’ambassade américaine, ils me posaient plein de questions, ils étaient hyperimpressionnés. Très vite, les Américains et les Italiens ont essayé de copier son style.” Le style Boillon? En Irak, dans l’univers militarisé de l’ambassade de France, le jeune diplomate se taille également un physique commando. “Parfois, il disparaissait en pleine journée, on ne savait pas où il était, et puis on se rendait compte qu’il était parti se faire bronzer pendant deux heures sur
le toit de l’ambassade, raconte son proche collaborateur. Il y avait quelque chose avec son corps, une volonté de le sculpter.” Dans son équipe, certains le surnomment “le hamster” parce qu’il fait son footing en courant autour de l’ambassade. D’autres le soupçonnent de tourner aux protéines, ou imaginent une blessure à l’ego, un problème de confiance en soi que trahissent parfois son rire contraint et une gestuelle empruntée.
“Dégagez, petit Sarko!”
Vite, pourtant, la diplomatie clinquante de Nicolas Sarkozy commence à s’essouffler. En décembre 2007, la visite macabre de Kadhafi à Paris bloque la capitale pendant une semaine et se solde par des contrats qui ne seront jamais honorés. L’année d’après, en 2008, les Champs-élysées voient Bachar el-assad défiler tout sourire un 14 juillet. L’union de la Méditerranée promise, elle, est mort-née. Enfin, quand, en décembre 2010, un vendeur de fruits tunisien s’immole à Sidi Bouzid et donne le coup d’envoi du Printemps arabe, le président loupe le virage et part dans le décor. Le 12 janvier 2011, Michèle Alliot-marie, nommée ministre des Affaires étrangères deux mois plus tôt, prend la parole à l’assemblée nationale pour réaffirmer le soutien français à Ben Ali, avant d’offrir aux dirigeants tunisiens le “savoir-faire français” en matière de maintien de l’ordre. Deux jours plus tard, la Tunisie se libère enfin de son dictateur, seule. Sarkozy doit réagir: il éjecte l’ambassadeur Pierre Ménat et nomme à sa place Boris Boillon. Dans Le Monde, l’ancien ambassadeur Charles Crettien qualifie le choix de “choquant” et “dangereux”. Le Quai d’orsay grogne, Boris Boillon savoure. À 41 ans, du haut de son expérience irakienne et dans ce Maghreb qu’il connaît si bien, il compte imposer son style. Avant sa prise de poste, Boillon passe un coup de téléphone à Yves Aubin de La Messuzière, son directeur lorsqu’il était rédacteur au ministère des Affaires étrangères et l’un de ses prédécesseurs à Tunis, pour lui dire sa volonté d’attaquer directement avec un passage au journal télévisé. “Je lui ai dit que la Tunisie était un pays indépendant, dans une phase délicate à la suite de l’affaire Alliotmarie, qu’il valait mieux arriver dans une posture d’écoute, sentir la situation avant de se positionner”, rejoue aujourd’hui le diplomate. Pierre Ménat lui fait passer la même consigne lorsqu’il le croise à Paris pour la passation de poste: “En communiquant beaucoup, on s’expose à ce que le message soit mal reçu. Surtout qu’il arrivait dans un contexte où tout allait très vite. La Tunisie était une poudrière.”
Boris Boillon hoche la tête mais n’écoute guère. Il arrive à Tunis comme il était à Bagdad, avec une équipe de sécurité démesurée, qu’il rend folle en imposant deux séances de jogging par jour. “Il a aussi fait
aménager une piscine intérieure, témoigne un très haut placé de l’ambassade de l’époque. Il faisait très attention à ce qu’il mangeait, jamais d’alcool, pas de dessert. Un ascète avec l’hygiène de vie d’un sportif professionnel.” Surtout, il importe à Tunis ses certitudes et cette diplomatie d’action et de coups qu’affectionne tant Nicolas Sarkozy. Depuis Bagdad, il a vu la “révolution de jasmin” comme une poussée de fièvre de la jeunesse, un mouvement d’utilisateurs de Facebook, sans percevoir le mouvement social sousjacent. Deux jours après son arrivée, Boris Boillon convie à l’ambassade de jeunes journalistes, qu’il entend mettre dans sa poche. Le déjeuner tourne au fiasco, et monsieur l’ambassadeur s’emporte devant les caméras quand on l’interroge sur Michèle Alliot-marie. “N’essayez pas de me faire tomber sur des trucs débiles. Franchement, vous croyez que j’ai ce niveau-là?” À peine commencée, voilà sa mission compromise. Le 19 février, des manifestations se tiennent devant l’ambassade à coups de pancartes “Dégagez, petit Sarko!” Une lettre ouverte se propage sur les réseaux sociaux. En même temps, une photo de Boris Boillon en slip de bain, torse huilé et épilé, postée sur son profil Copains d’avant, est brandie sur i-télé par Marine Le Pen. “Il était dans une situation difficile et il aurait mieux fait de partir de son propre chef. Mais il voulait rester en poste et s’est accroché”, considère Yves Aubin de La Messuzière. Pendant un peu plus d’un an, Boillon appliquera à Tunis la même méthode volontariste qu’à Bagdad. “On avait l’impression de vivre dans un film d’action, se marre un collaborateur. Un jour, on est allés visiter le port d’une petite ville tunisienne. Des plongeurs récupéraient des déchets très lourds sous l’eau. Boris s’est mis en maillot de bain et a plongé avec eux. Il est remonté avec une batterie de 30 kilos, les mains en sang, tailladées par le fer rouillé, mais sous l’acclamation des pêcheurs.” Au menu, également: une visite d’entreprise par semaine minimum et un déjeuner avec une personnalité politique tous les jours, à un moment où la Tunisie est en pleine ébullition. Alain Juppé, nouveau ministre des Affaires étrangères, se dira impressionné pendant sa visite par la capacité d’analyse du diplomate. Mais cela n’empêche pas l’aventure tunisienne de Boris Boillon de se terminer comme elle a commencé, par un péché d’orgueil. À l’été 2011, alors qu’une partie de l’équipe com’ de l’ambassade est en vacances, Boillon négocie dans son coin une interview pour le magazine people Tunivisions. Sous le titre “My name is Boillon, Boris Boillon”, il y apparaît en couverture dans un style James Bond, grillant une dernière fois son image au Quai d’orsay, auquel il fait pourtant fièrement envoyer le magazine. “C’est sûr que personne n’avait jamais vu un ambassadeur comme lui, conclut le collaborateur en Tunisie. Une de ses lubies était d’arriver à l’heure à la seconde près, quitte à ce que l’on accélère comme des fous en voiture, ou à l’inverse que l’on traîne comme des limaces à dix mètres du but.” Le 22 mai dernier, c’est également à la seconde près qu’il rejoint son équipe d’avocats au comptoir du café Les Deux Palais, en face du tribunal de grande instance. “Ne vous inquiétez pas, je suis en pleine forme”, rassure-t-il avant de se lancer à pas pressés vers la 11e chambre. Étrange cadre que ces boiseries solennelles et cette acoustique tamisée pour juger le symbole d’un quinquennat Sarkozy qui fut tout l’inverse. Les chutes sont solitaires: Boris Boillon, dont l’histoire gardera l’image d’un jeune loup proche des puissants –Sarkozy, Guéant, Martinon–, assure sa défense lui-même. Pendant près de dix heures, il redevient le diplomate flamboyant qu’il fut, en sportif “qui aime repousser ses limites”, citant Bergson pour se définir, “quelqu’un qui agit en homme de pensée et pense en homme d’action”. Puis il raconte, avec force détails, son après-carrière diplomatique: la diversité des missions accomplies avec sa société Spartago “pour aider les entreprises à s’implanter en Irak” dans les domaines de la santé, de l’électricité, des transports, de l’eau, etc. ; les risques pris pour “mériter ce salaire de la peur” ; enfin, son rôle dans la construction du stade Thiqar à Nasiriya, toujours en Irak, un immense projet à plus de 100 millions de dollars. C’est là, au milieu de l’après-midi, que Boris Boillon commence à tremper de sueur sa chemise cintrée. Difficile de gommer les soupçons de conflit d’intérêt sur ce marché attribué à la société UR Irak d’un certain Adil Alkenzawi, qu’il connaît très bien: c’est lui qui l’avait nommé consul honoraire de France à Nasiriya lorsqu’il était ambassadeur, lui aussi qui avait appuyé sa demande de nationalité française et la remise de la Légion d’honneur à l’irakien sous Nicolas Sarkozy. Boris Boillon est également son associé dans une autre entreprise, UR architecture, dont le Français jure qu’elle n’a “rien à voir avec UR Irak”. Mais après tout, la Commission de déontologie de la fonction publique l’avait autorisé à s’implanter en Irak, deux ans
“Boris Boillon venait souvent voir le Guide, qu’il appelait ‘papa’. Il venait pour son argent de poche. C’étaient des sommes de l’ordre de 40 000 à 70 000 euros” Un dignitaire libyen
“Parfois, il disparaissait en pleine journée, on ne savait pas où il était, et puis on se rendait compte qu’il était parti se faire bronzer pendant deux heures sur le toit de l’ambassade” Un proche collaborateur
après avoir quitté le pays. Reste encore à expliquer pourquoi un ancien ambassadeur de France a rapporté d’irak 350 000 euros et 40 000 dollars en petites coupures. Boillon assure que cette somme correspond à son travail comme apporteur d’affaires pour une autre société, Euphrate, appartenant elle à Mohammed Alkenzawi, payée en liquide du fait d’un système bancaire irakien défaillant. D’autres sources affirment qu’il lui était tout à fait possible de rapatrier de l’argent en France légalement. “Quand j’ai touché cet argent, je ne savais pas quoi faire, j’étais comme une poule qui tourne autour d’un couteau. J’ai eu un raisonnement impulsif et globalement stupide”, admet-il devant le tribunal. C’est ensuite un cocasse téléfilm policier que raconte Boris Boillon: comment il est rentré en Europe via Vienne des billets plein les valises ; comment il a divisé le pactole en quatre lots, “pour ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier”, avant d’en planquer deux dans son appartement, un autre dans la cave, et d’enterrer le dernier à côté, parce qu’il avait “remarqué le sol limoneux” ; comment encore, après avoir lu un article sur la “recrudescence des cambriolages à Paris”, il s’est décidé à agir et à mettre l’argent en sécurité en Belgique, “pour ouvrir une filiale de Spartago”.
Lâché par ses amis
Ces explications rocambolesques n’ont guère convaincu. D’autant plus qu’un détail a fait tiquer les enquêteurs: les billets du sac de sport sont issus de deux séries aux numéros qui se suivent, une imprimée par la Banque centrale de Finlande en juin 2003, l’autre par celle d’italie en novembre 2008. Surtout, ils n’ont jamais été mis en circulation, ce qui semble discréditer la défense Boillon. De quoi agacer le procureur Nicolas Baïetto, qui a soufflé et levé les yeux au ciel autant de fois qu’il le pouvait, sans poser la question qui lui brûlait la langue. Et si cet argent venait plutôt de Libye? Boris Boillon ne s’est jamais expliqué sur son rôle dans la relation avec Mouammar Kadhafi. Il n’a jamais non plus renié Nicolas Sarkozy, l’homme qui lui a donné sa chance et dont il appréciait le franc-parler. Il est aujourd’hui convaincu que son affaire n’est pas seulement son affaire, qu’il était sans doute sur écoute au moment où il s’est fait intercepter à la gare du Nord, et que son renvoi devant la justice en novembre dernier n’était qu’une manière d’atteindre son ancien chef avant la primaire de la droite. Et s’il avait, sur ce point, raison? Si ce n’était effectivement pas dans la sordide affaire libyenne qu’il fallait chercher l’origine de l’argent, mais plutôt dans le rapport décomplexé aux affaires et au clinquant qui a marqué les années Sarkozy? “Le côté borderline de Sarkozy a contaminé tous ceux autour de lui, de Guéant à Boillon, qui ont dû se sentir protégés, estime ainsi Yves Aubin de La Messuzière. La tache des affaires a déteint sur ses collaborateurs.” L’ancien collaborateur de Boris Boillon en Irak se souvient, lui, d’une visite à Nasiriya, “où il avait demandé à combien montait la commission dans le cadre de la construction d’un pont. On lui avait répondu un million d’euros, ça brillait dans ses yeux”. Boris Boillon le dit d’ailleurs lui-même devant le tribunal: après sa sortie du Quai d’orsay, il a voulu faire de l’argent, à tout prix. “Mon objectif, c’était de prouver ma réussite, avec le plus d’insolence possible. Je voulais que ma réussite soit pétaradante.” C’est précisément ce que lui offrait le stade Thiqar, quitte à fermer les yeux sur les inconsistances du projet, et à travailler main dans la main avec le trouble Adil Alkenzawi. “Une des personnes les plus détestables qu’il m’ait été donné de rencontrer, nous assure aujourd’hui Pierre-emmanuel Crépin, envoyé alors par la société française Egis pour diriger le chantier. Boillon et Alkenzawi sont arrivés là par le relationnel, à aucun moment grâce à leurs compétences. Les études d’implantation du stade avaient été pipées, on s’était rendu compte que le chantier passait à travers un cimetière tribal.” Crépin alerte alors Boris Boillon sur les nombreux problèmes techniques qui mettent en danger la viabilité du stade, par exemple quand il reçoit un rapport sur les essais des pieux posés pour les fondations, surchargés à 75%. “Ils voulaient que je signe l’autorisation. J’ai été menacé des pires représailles. J’étais dans le bureau avec Alkenzawi et Boillon. On en est presque venus aux mains.” Crépin, un vétéran des terrains de conflits, restera à peine dix mois en Irak, avant de jeter l’éponge. “Il me disait qu’il allait arranger les choses, parler à Alkenzawi. Le soir, au consulat de France, de ma chambre qui donnait sur le patio central, je l’entendais dire au téléphone exactement le contraire!” Crépin quitte l’irak à bout de force. La construction du stade, elle, sera abandonnée en 2015. Il ne reste aujourd’hui que des interrogations sur la gestion du projet. L’ancien directeur du chantier estime que, sur les montants engagés, près de huit millions de dollars ont disparu, sans pouvoir déterminer qui les a empochés. Selon une source haut placée sur le projet Thiqar, c’est du côté de Bassorah, en Irak, qu’il faut chercher l’origine de l’argent de la gare du Nord. En septembre 2013, Boris Boillon aurait ponctionné une partie d’une importante somme en liquide reçue pour débloquer l’acier nécessaire au chantier, retenu dans le port de la deuxième ville d’irak. Interrogé sur le sujet, l’ancien ambassadeur préfère aujourd’hui garder le silence.
Boris Boillon espère en effet encore réintégrer discrètement le Quai d’orsay. Sauf que le procureur a requis une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, la confiscation des sommes saisies, près de 150 000 euros d’amende et, surtout, l’interdiction de gérer une société et d’exercer toute fonction publique et donc diplomatique pendant cinq ans. Le verdict sera rendu le 7 juillet. En attendant, ses “amis” préfèrent ne pas l’approcher de trop près. Claude Guéant dit qu’il “travaillait assez peu avec lui”. Son mentor Jean-david Levitte demande un délai de réflexion avant de dire s’il accepte de répondre, puis lâche seulement: “La conclusion est négative. Bonne chance, au revoir.” Reste alors sa bande de potes de Besançon, avec qui il a dîné à Paris avant son procès. Il leur a dit qu’il était “confiant” et “pressé de pouvoir passer à autre chose”. Ces derniers mois, coincé dans la banlieue parisienne, Boris Boillon les a essentiellement occupés à marcher en forêt et observer les oiseaux. “Il a une vraie passion pour la nature, c’est un grand contemplatif ”, assure son fidèle ami Frédéric, évoquant leurs balades sur les eaux gelées de Villersle-lac et leurs nuits passées à la belle étoile sur les plages d’oman. Cet hiver, les deux hommes sont partis au ski ensemble, comme toujours, avec leurs familles. Boillon a une femme, elle-même diplomate, et deux filles, nées en 2003 et 2006. Sur le télésiège, ils ont évoqué l’après. Boris lui a assuré n’avoir “pas peur de repartir à zéro”.