Society (France)

“POUTINE, C’EST LE MEILLEUR!”

Oliver Stone a-t-il pété les plombs?

- – PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID ALEXANDER CASSAN ET ANTHONY MANSUY

En donnant la parole à Vladimir Poutine aujourd’hui, vous comprenez que l’on voie en vous l’avocat du diable? J’ai commencé à interviewe­r Poutine en 2015: c’est tout de même un peu plus que se faire l’avocat du diable! Et puis, vous savez quoi? Je suis ravi de l’avoir fait parce que je crois sincèremen­t au fait que Monsieur Poutine est un grand leader pour son pays, qu’il a l’intérêt de la Russie à l’esprit et qu’il s’en sort plutôt bien. Peut-être même que c’est le meilleur, vu qu’il survit depuis des années. La question aujourd’hui, c’est de savoir si l’amérique le laisse faire, c’est tout. Vous savez, les États-unis dépensent de nouveau beaucoup d’argent pour moderniser leur arsenal nucléaire…

Cette interview avec Poutine vous a valu d’être malmené lors de votre dernier passage dans le Late Show de Stephen Colbert. Ça a commencé avec le Daily Show de Jon Stewart, cette mode des comiques qui traitent l’actualité en se faisant passer pour des journalist­es. Je n’ai même pas regardé mon passage chez Colbert parce que j’étais un peu sonné en sortant, un peu honteux aussi: il m’a posé des questions qui n’avaient rien à voir avec celles qu’il m’avait demandé de préparer, et le public a été très moqueur. Il ne m’était jamais rien arrivé de tel dans une de ces émissions lamentable­s. Colbert n’est pas si malin, et il ne prépare rien: il a avoué sans problème qu’il n’avait pas regardé mes quatre heures d’interview avec Poutine, mais juste des extraits… Ce qu’il déteste, c’est que je donne la parole à Monsieur Poutine. Je n’avais pas réalisé à quel point il déteste Trump, et c’est un vrai problème avec l’amérique aujourd’hui: on confond tout, on confond Trump avec la Russie. Un autre mythe est entré dans toutes les têtes, un peu comme celui selon lequel c’est Oswald qui a assassiné Kennedy!

Est-ce un ‘mythe’ que vous pourriez traiter au cinéma, comme vous l’aviez justement fait avec JFK au début des années 90? Aujourd’hui, on peut prendre des risques sur des sujets sociaux, sur le sexe, sur le genre, mais c’est beaucoup plus difficile de s’attaquer au système. Les agences de renseignem­ent sont plus corrompues que jamais et les gens de gauche comme Colbert les croient sur parole quand elles disent que Trump travaille en collusion avec la Russie, par exemple. Sauf qu’elles n’ont pas de preuves sérieuses, ce sont des conneries! Tous les profession­nels du renseignem­ent vous diront que ça ne vaut rien, qu’ils n’ont jamais vu de comporteme­nts pareils: ces agences se permettent des choses qu’elles ne se permettaie­nt même pas dans les années 60! Je suis loin d’être un fan de Trump mais ce qu’ils ont fait fuiter dix jours avant qu’il devienne président, c’est une véritable claque dans la gueule: ‘Voilà notre nouveau président, et c’est un manchurian candidate (Un crime dans la tête en VF, film de John Frankenhei­mer sorti en 1962 qui raconte l’histoire d’un agent double, dont le KGB a lavé le cerveau, tentant d’interférer dans l’élection américaine, ndlr).’ Si j’avais été Trump, j’aurais fait virer tous ces enfoirés (sic) et remis la CIA à plat, comme Kennedy a essayé de le faire après le débarqueme­nt dans la baie des Cochons. J’aurais mis des gens à moi à leur place et j’aurais récupéré tous les rapports sur l’ukraine, sur la Syrie… Je n’aurais rien dit pendant un mois, pour étudier la situation, puis j’aurais agi en conséquenc­e. Mais j’exagère, parce que je

ne connais pas la réalité concrète du poste. La présidence de Trump est vouée à l’échec depuis le début: il n’a aucune chance d’arriver à quoi que ce soit.

Vous dites que vous n’êtes pas fan de Trump, mais vous avez pourtant pris publiqueme­nt position contre Hillary Clinton… J’ai soutenu Sanders pendant les primaires, puis je suis passé à Jill Stein (candidate du Parti vert ayant obtenu 0,98% des suffrages lors de l’élection de 2016, ndlr): impossible de voter pour Clinton. Je sais bien que le système marcherait mieux avec les démocrates mais je n’en étais simplement pas capable, et je n’étais visiblemen­t pas le seul! Je méprise profondéme­nt son ignorance face à l’histoire, la façon dont elle se conforme à cette folie de ‘l’exceptionn­alisme américain’.

“Nous, les Américains, on a fait tellement de gonflette qu’on ne peut pas aller à la plage sans vouloir frapper quelqu’un”

Vous comparez volontiers l’amérique d’aujourd’hui à L’URSS que vous avez vue dans les années 80. En quoi les deux pays se ressemblen­t-ils? L’amérique s’étrangle, un peu comme L’URSS à l’époque: on est déjà le pays le plus surveillé de l’histoire, même si la RDA était pas mal non plus. On est le pays le plus lourdement armé, puisque tout l’argent public va à l’armement. On manque de leadership politique, les médias sont hors de contrôle, il n’y a plus aucune place laissée à la création, à l’expériment­ation. Ce pays est devenu un grand cirque romain, et Trump n’en est jamais qu’un des empereurs fous. Il n’y a plus de vrais leaders de gauche, de défenseurs de la paix, de gens qui cherchent à s’accommoder du reste du monde. On a fait tellement de gonflette qu’on est comme sous stéroïdes: on ne peut pas aller à la plage sans vouloir frapper quelqu’un et l’enterrer dans le sable… Qu’est-ce que vous voulez faire avec autant de muscles? Le seul jour où les Américains ont aimé Trump, c’est quand il a bombardé la Syrie! Ça me rend malade.

Diriez-vous que vous êtes conspirati­onniste? Vous savez, le concept de ‘conspirati­onnisme’ date des années 50, une époque où la CIA était très active. Elle menait des campagnes de désinforma­tion et inventait des termes pour désarmer leurs critiques, les faire passer pour fous. Je ne sais pas pourquoi ça a marché, mais ça a marché, et on n’a pas arrêté d’utiliser ce terme jusqu’à aujourd’hui.

Après l’assassinat de Kennedy, vous vous êtes attaqué à l’autre évènement favori des conspirati­onnistes: le 11-Septembre, avec World Trade Center. Un film qui, lui, évitait soigneusem­ent la polémique. Pourquoi? Au moment de faire World Trade Center, j’étais déjà sur liste noire après l’échec d’alexandre, et on ne m’a pas mandaté pour faire le même genre de film que JFK. Je me suis intéressé à l’histoire de ces personnes, j’ai rencontré leur famille, et j’avais l’occasion de montrer des hommes au travail, comme je l’avais fait dans Platoon. Pas de théorie: action et réaction, comme lorsque vous êtes un soldat au Vietnam. Les gens m’attaquent tout le temps sous le prétexte que je serais ‘antiaméric­ain’, que je détesterai­s mon pays, mais j’ai toujours envie de leur répondre: ‘Vous avez vu mes films? Regardez World Trade Center, parce qu’il est possible que vous soyez passés à côté du putain de sujet!’ C’était un film républicai­n par certains aspects, mais il ne faisait surtout pas du 11-Septembre un nouveau Pearl Harbor, une raison pour attaquer le reste du monde. Il en faudrait du boulot, pour faire l’équivalent de JFK sur le 11-Septembre, parce que c’est une histoire très complexe, qu’il y a beaucoup d’éléments troubles. Et vous parlez à un homme qui n’éprouve pas le besoin de faire plus de films: j’aimerais bien, mais je ne sais plus si ça en vaut la peine. Il y a trop d’épreuves à traverser…

Snowden, votre dernier long-métrage de fiction, a été largement financé en Europe, et Conversati­ons avec Monsieur Poutine est destiné à la télévision. Votre cinéma, engagé voire provocateu­r, peut-il encore trouver sa place à Hollywood? Aujourd’hui, non! Impossible de faire un film ‘anti-américain’, mieux vaut en faire un de propagande. Parce que les congloméra­ts sont plus gros qu’avant, plus rétifs à la prise de risque, les studios sont devenus conservate­urs, ils ont été rachetés par des grands groupes. Aujourd’hui, vous devez travailler avec des hommes d’affaires, et ces gens veulent gagner de l’argent, souhaitent une société organisée, donc ils votent pour les républicai­ns, c’est comme ça. Prenez AT&T, qui a racheté Warner: c’est un vieux prestatair­e de l’état qui collabore avec le renseignem­ent depuis les années 50, très impliqué dans les écoutes de la NSA. AT&T a aussi participé au coup d’état contre Allende au Chili. Ils y ont fait ce que United Fruits Company a fait à Cuba, en gros. Eh bien, voilà qu’ils dirigent Warner Bros: bienvenue en Amérique! Ils finiront bien par récupérer toutes les copies de JFK (distribué par Warner Bros, ndlr) pour les supprimer. Ils peuvent en faire ce qu’ils veulent de toute façon…

Avec JFK puis Snowden, vous vous êtes attaqué respective­ment à la CIA puis à la NSA. Avez-vous déjà été ‘inquiété’ par les agences américaine­s? J’ai peut-être été un peu plus parano à l’égard de la NSA au moment de Snowden que je ne l’ai été à propos de la CIA pour JFK. Jusqu’ici, et malgré les critiques, elle m’a toujours laissé travailler. Certains disent d’ailleurs que je suis un atout pour la CIA, qu’ils me laissent faire tout ça parce que je leur sers à canaliser les protestati­ons. Mais je suis un homme intègre, spontané, qui se trompe parfois, qui n’agit pas comme certaines personnes que je connais qui roulent clairement pour la CIA en rendant chaque situation plus opaque. C’est sûr que ce film sur Poutine n’est pas facile, parce qu’il va à l’encontre de leur stratégie du moment. Mais jusqu’ici tout va bien, et je suis devenu vieux: ce ne serait pas intéressan­t de me faire la peau maintenant, ça ferait un trop gros scandale! Vous ne pensez pas? (rires)

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