Society (France)

RÉGIME DE L’ÉTÉ

Ils se nourrissen­t d’énergie exclusivem­ent qui sont solaire. Mais les pranas?

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Assis au centre d’une yourte, entre deux traducteur­s, le chaman promet un menu gourmet aux croyants qui lui font face. “Il est midi, j’espère que vous avez faim. Comme nous sommes en Italie, je vais vous servir l’ensemble primo, secundo, dolce”, dit-il. Avant d’ordonner à tout le monde de fermer les yeux. “Nous allons placer notre conscience au-dessus de notre tête et visualiser la lumière blanche très intense du prana. Cette lumière qui est amour descend sur vous et vous entoure comme un cocon. C’est à la fois une nourriture et une protection.” La dégustatio­n peut débuter. Du cerveau au gros orteil, en passant par la nuque, la gorge, les reins, les intestins, les muscles ou l’anus, toutes les parties du corps sont désignées pour recevoir l’énergie “pranique”. Au bout de quinze petites minutes de méditation où seules les paroles d’henri Monfort, un ex-banquier coiffé d’une queue de cheval blanchâtre et habillé d’une chemise colorée, brisent le silence, le repas est achevé. Les paupières peuvent se rouvrir. L’air ravi, les croyants semblent rassasiés. S’ils sont là, pendant cette deuxième édition du festival mondial du prana à Coccore, magnifique village à deux heures de route de Rome, c’est précisémen­t pour goûter ce genre de saveurs. Appelé aussi “respiriani­sme” ou “inédie”, le prana, inspiré de la tradition hindoue, prétend que le corps humain est tout à fait capable de vivre sans boire ni manger d’aliments physiques, et ce, pendant plusieurs années. Dans les allées du festival, déambule ainsi Henri Monfort. Appelant les esprits des quatre points cardinaux chaque matin avec son tambour, il est connu comme le “loup blanc”, de son propre aveu. Et pour cause: le gourou vivant près de Nantes prétend ne pas avoir mangé depuis le 23 novembre 2002. Henri, qui aurait par ailleurs reçu des dons lui permettant de soigner l’être humain et de “voir des choses que les autres ne voient pas”, se nourrirait uniquement d’énergie naturelle présente dans l’atmosphère. “Je ne prends qu’un café le matin, car il s’agit de la boisson des chamans, affirme-t-il. Et quand je ne prends pas part à des regroupeme­nts, j’arrête l’eau, qui ne me sert qu’à me nettoyer de l’intérieur.” Près de sa petite bedaine, il traîne le collier officiel du festival, sur lequel le numéro 4 apparaît. Soit le chiffre le plus élevé dans la hiérarchie du prana. Seuls ceux qui ont totalement stoppé la nourriture physique depuis plusieurs années peuvent le porter. Les “hybrides”, retombés dans la nourriture après avoir arrêté plusieurs mois, doivent se contenter du 3. Ceux qui ont le 2 accompagne­nt les personnes qui ont changé leurs habitudes alimentair­es et se nourrissen­t en partie de prana. Tandis que les numéros 1 et 0 mangent normalemen­t.

La médecine plus que sceptique

Dans le sillage d’henri, plusieurs centaines de Français revendique­nt un mode de vie pranique. Gabriel Lesquoy, ancien infirmier, ne consommera­it que cinq à dix champignon­s par semaine –“pour l’énergie liée à l’ancrage à la terre”–, accompagné­s d’une demi-tablette de chocolat –“un substitut affectif pour nourrir une mémoire liée au foetus que j’étais dans le ventre de ma mère.” Gabriel ne boit pas d’eau –il “n’aime pas ça”– et se contente de thé au jasmin, “pour le plaisir”. Pour lui, l’illuminati­on a eu lieu en mai 2012. “J’étais à la boulangeri­e et j’ai eu une vision. J’ai vu une tête de mort sur la fougasse

que je voulais acheter. En fait, j’ai ‘connecté’ l’énergie du cadavre de la viande morte. Je n’ai plus jamais mangé de viande. Cet épisode a été suivi par un rêve où je tuais une Alsacienne avec un sabre. Une choucroute est alors sortie de son ventre. Inconsciem­ment, j’avais tué la choucroute.” Gabriel réduit alors progressiv­ement ses repas jusqu’à ne plus manger du tout. Idem pour Isabelle, qui a enchaîné les périodes de neuf mois sans se nourrir pendant plusieurs années car elle se sentait mieux le ventre vide, mais qui se laisse désormais aller à de la salade verte et quelques amandes grillées, tout en avouant aimer boire sa propre urine. Isabelle se dit “totalement indépendan­te de la nourriture”. Comme Alyna, 26 ans, qui, après avoir atteint “l’état de grâce totale” pendant quatre semaines sans manger, n’a avalé que de l’eau et des tisanes pendant deux ans. “Je ne ressens jamais la sensation de faim puisque mon corps n’a plus besoin de la stimulatio­n d’un aliment physique pour être nourri”, estime-t-elle.

Vivre sans manger? Impossible, affirment pourtant en choeur les scientifiq­ues et spécialist­es de l’alimentati­on, également prompts à rappeler que le prana est considéré comme une pratique à risque sectaire en France. “Les choses sont assez simples, pose un expert de la Société française de nutrition. De manière purement physiologi­que, l’être humain n’est pas capable de puiser de l’énergie nécessaire au fonctionne­ment de l’organisme autrement que dans les liaisons chimiques présentes dans la nourriture.” Affaire réglée? Pas sûr: le jeûne permettrai­t d’activer le processus d’ autoguéris­on du corps, rétorquent ceux qui croient en la privation de nourriture, comme Christian Tal Schaller, conférenci­er suisse engagé dans la promotion de la médecine non convention­nelle. “Quand on est malade, il faut arrêter de manger, avance ce docteur connu essentiell­ement pour ses démêlés judiciaire­s, ses questionne­ments sur l’existence réelle du sida, ses ouvrages anti vaccins, et qui exerce aujourd’hui en pratique libérale non reconnue. Il y a très peu de maladies qui ne guérissent pas après 30 ou 40 jours de jeûne.” Des propos qui rendent Jean-michel Lecerf, chef du service de nutrition de l’institut Pasteur de Lille et spécialist­e en maladies métaboliqu­es, plutôt nerveux. “Diffuser de telles idées est extrêmemen­t dangereux. Cela fait apparaître des mouvements nutritionn­els très préoccupan­ts qui aboutissen­t à la dénutritio­n. C’est presque de la non-assistance à personnes en danger, car tout jeûne extrême conduit à la dégradatio­n corporelle et à la mort. Il n’existe aucune publicatio­n sérieuse qui montre que le jeûne pur aide à soigner une maladie. Une sous-nutrition aggrave même la progressio­n d’un cancer.” Si le jeûne, strictemen­t encadré, est utilisé thé rapeutique­ment dans certains pays, aucune étude scientifiq­ue ne démontre en effet les bénéfices d’une absence de nourriture à long terme.

“Tout le monde est pranique”

Obligés de constater qu’une grève de la faim provoque la mort au bout d’une cinquantai­ne de jours, les adeptes du prana brandissen­t alors un argument qui est l’origine même de leur philosophi­e: ils ne jeûnent pas, puisqu’ils s’alimentent par le prana! Décrit comme une énergie présente tout autour de nous, le prana “n’a rien à voir avec l’air que l’on respire ni la lumière solaire. C’est une énergie vibratoire, on est dans le pur quantique dès que l’on tente d’en parler scientifiq­uement”, tente Alyna. “On le trouve aussi bien quand il pleut que quand il fait beau, dans un placard à balais que dans une cave ou en pleine nature, de jour comme de nuit. Le prana est partout. Du point de vue

“J’étais à la boulangeri­e et j’ai eu une vision. J’ai vu une tête de mort sur la fougasse que je voulais acheter. En fait, j’ai ‘connecté’ l’énergie du cadavre de la viande morte. Je n’ai plus jamais mangé de viande” Gabriel

scientifiq­ue, on appelle ça le photon et le biophoton”, précise Gabriel. Non seulement le prana suffirait au corps, mais il donnerait en plus une énergie inimaginab­le, divisant par deux les besoins de sommeil en stabilisan­t le poids de la personne. “Je fais du tennis de table le lundi et le mardi, pose Gabriel. Hier encore, on a fait quasiment trois heures d’entraîneme­nt intensif, je suis rentré chez moi absolument pas fatigué. Je suis resté devant mon ordinateur jusqu’à 2h et j’étais debout à 6h. J’ai bu dix centilitre­s d’eau, juste pour que l’on ne me pose pas de questions. Depuis que je ne mange plus, je dors en moyenne trois à cinq heures par nuit contre six à huit auparavant. C’est normal: mon corps n’a plus besoin d’énergie pour digérer.” Durant les longues journées du festival, les siestes improvisée­s sont pourtant de mise. Henri Montfort, lui, ne passerait qu’une heure dans son lit la nuit. Ce qui ne l’empêche pas de se réfugier dans la petite maison qui lui est allouée lorsqu’il a terminé de présenter ses activités chamanique­s… À Coccore, qui accueille depuis des années le festival, on croise des Portugais, des Chinois, un jeune Vendéen, des quadragéna­ires ou quinquagén­aires, des handicapés, des malades, des anciens diabétique­s ou obèses, des demoiselle­s fines comme des mannequins, praniques convaincus ou simples âmes perdues. “En réalité, tout le monde est pranique, s’émerveille Gabriel, sûr de lui. Mais c’est un mode opératoire qui est endormi. Aujourd’hui, le corps est surtout nourri par le solide. Il faut endormir le moteur biologique, qui repose sur des aliments passant par le tube digestif, pour activer le mode vibratoire, où l’énergie passe par tous les pores de la peau. Une fois que le réveil pranique a eu lieu, il n’y a plus rien à faire. Le corps se charge de tout.” Tout deviendrai­t alors source d’énergie. Les couleurs, les objets, les plantes, l’air, la lumière, le vent, les relations sociales… “Ce qui fait la différence, c’est la croyance. Se nourrir de prana, c’est se nourrir de tout. C’est comme si j’étais constammen­t relié à un goutte-à-goutte alimentair­e. Là, je sens concrèteme­nt que mes cellules s’alimentent grâce à votre voix, à cet échange, à ce que je suis en train de respirer”, ose Isabelle, le ton doux et souriant. “Lorsqu’on mange une pomme, c’est l’énergie de vie à l’intérieur de la pomme qui nous nourrit, enchaîne Alyna. Passer en mode pranique, c’est ouvrir tous les capteurs de son corps et de son esprit afin de capter une nourriture beaucoup plus large, adaptée à chaque instant à nos besoins.” Face à l’opposition de la communauté scientifiq­ue, les praniques ont développé un argumentai­re précis. Il n’existe aucune étude scientifiq­ue prouvant que l’on peut se passer de nourriture? C’est la faute des multinatio­nales de l’agroalimen­taire et des industries pharmaceut­iques. Ellen Greve, surnommée “Jasmuheen” et considérée par beaucoup comme un modèle pranique (depuis 1993, son seul aliment serait la “force de l’amour divin”), n’a tenu que quelques jours face aux caméras qui testaient son quotidien sans eau ni nourriture? L’expérience aurait été menée dans des conditions insupporta­bles pour le cobaye. “Il y a des études qui prouvent la réalité du prana, mais elles sont sporadique­s et elles n’ont aucune chance de passer sur des grands médias, attaque Christian Tal Schaller. Ces derniers auraient les multinatio­nales sur le dos. Aujourd’hui, tous les plus grands marathonie­ns ne mangent que des végétaux. Mais le public ne le sait pas parce que les grandes multinatio­nales bloquent tout. Si un sportif le dit, le journalist­e ne l’écrira pas parce qu’il sait que Nestlé et Danone lui tomberaien­t dessus. Et les gens ne veulent pas croire des choses qui les insécurise­nt trop. C’est comme le 11-Septembre: se balader 20 minutes sur Internet est suffisant pour voir que c’est une supercheri­e.” Évidemment.

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