Society (France)

Johnny be bad.

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L’ancien bad boy d’hollywood était censé s’être calmé. De beuveries en banquerout­e et violences conjugales, le voici aujourd’hui sur une pente qui ressemble à une descente aux enfers. Explicatio­ns.

Ce n’était qu’une simple blague. Au départ, Johnny Depp n’était venu que pour introduire la projection de The Libertine, un film oublié du milieu des années 2000 dans lequel il joue un poète anglais déluré du xviie siècle. Ce 22 juin, pour coller au décor vintage du drive-in installé en plein milieu du célèbre festival anglais de Glastonbur­y, il arrive dans une Cadillac bleue. “Merci de m’avoir invité, c’est beau, chaotique, fou”, s’illumine-t-il ensuite, tellement dans son élément qu’il ne peut s’empêcher de digresser sur Donald Trump. “Je pense qu’il a besoin d’aide, lance l’acteur à propos du président des Étatsunis. Il y a plein de merveilleu­x endroits très, très sombres où il pourrait aller.” Puis: “Juste une question: c’est quand la dernière fois qu’un acteur a assassiné un président?” Le public applaudit, sans forcément saisir la référence au meurtre d’abraham Lincoln par John Wilkes Booth en 1865. “Soyons clair, je ne suis pas un acteur, je ne fais que mentir pour gagner ma vie, mais quand même, ça fait longtemps”, achève Johnny, en chapeau à larges bords et bijoux indiens. Avant de se lancer dans sa saillie, il avait prévenu dans un sourire: “Ça va se retrouver dans la presse, ça va être horrible.” Et il avait vu juste. Le lendemain, la diffusion de la vidéo par le Guardian est immédiatem­ent suivie d’un communiqué de la Maison-blanche: “Le Président Trump a condamné la violence sous toutes ses formes et il est triste que d’autres comme Johnny Depp n’aient pas suivi son exemple.” Le timing, quelques jours après qu’un député républicai­n a été gravement blessé lors d’une fusillade sur un terrain de base-ball, n’était pas forcément bienvenu. Pris dans la tempête d’un énième bad buzz, Depp a bien tenté d’éteindre l’incendie: “Je m’excuse pour la mauvaise blague, de mauvais goût, que j’ai faite la nuit dernière sur le président Trump.” Mais la simple blague n’était, pour lui, que la dernière goutte d’eau en date dans un vase déjà rempli à ras bord d’emmerdes. En décembre dernier, Johnny Depp fêtait Noël en recevant sous le sapin le trophée d’acteur le moins rentable d’hollywood, un titre que Forbes lui décernait pour la deuxième année consécutiv­e. Un statut d’autant plus remarquabl­e que, malgré des cachets démentiels –on parle de 90 millions de dollars pour le dernier opus de Pirates des Caraïbes–, Johnny Depp reste un homme capable de dilapider sa paye en deux temps, trois mouvements. À force d’achats irréfléchi­s, de coups de tête et de pulsions dépensière­s, l’acteur a fini au bord de la banquerout­e en mars 2016 et a vite trouvé les coupables en pointant du doigt ses managers d’alors, les frères Mandel et leur compagnie, The Management Group (TMG), qu’il accuse de lui avoir caché sa situation financière. Les Mandel, eux, pensent surtout que Depp cherche à éviter de leur rembourser le prêt de cinq millions de dollars qu’ils lui ont accordé. Une avalanche de plaintes plus tard, tout ce petit monde était bon pour se retrouver au tribunal de Los Angeles, avec un verdict prévu en janvier prochain. Une bataille pleine de boules puantes, puisque les avocats de TMG sont allés piocher dans d’autres affaires pour démontrer que l’interprète de Jack Sparrow était un menteur chronique. Exemple: en mai 2015, Johnny Depp arrive en Australie avec celle qui est alors son épouse, Amber Heard, et leurs deux yorkshires­terriers entrés sur l’île grâce à des formulaire­s falsifiés. Le Premier ministre himself s’insurge et menace les chiens d’euthanasie. Depp, lui, plaide l’ignorance, puis joue la provocatio­n: “J’ai tué mes chiens et je les ai mangés sur ordre direct d’une espèce de gros bide en sueur originaire d’australie.” Avant de publier, déjà, une vidéo d’excuses. TMG se servira de l’incident pour insinuer que Depp a forcé ses assistants à endosser la responsabi­lité de la falsificat­ion, afin de le dépeindre en personnage manipulate­ur. Un coup de poignard dont il n’avait pas besoin puisque ce fameux séjour australien, pour le tournage du dernier Pirates des Caraïbes, avait aussi été l’occasion de subir les accusation­s de l’équipe du film quant à son attitude. Au menu: alcoolisat­ion quasi permanente, modificati­ons forcées du scénario, retards de plusieurs heures, et obligation de placer un homme en planque devant sa maison pour repérer son heure de réveil et ainsi savoir quand la journée peut commencer. Mais évidemment, il y a pire que tout ça. Au printemps 2016, Amber Heard demande le divorce, accusation de violences conjugales à l’appui. “Il y avait des preuves évidentes qu’il avait commis des violences domestique­s contre Amber”, démarre Pierce O’donnell, l’un des avocats de l’actrice, qui a déjà défendu Angelina Jolie et les victimes de l’ouragan Katrina. “Comment en est-il arrivé là? Il a de sérieux problèmes de dépendance à l’alcool et aux drogues, et ce, depuis plusieurs années.” Devant l’accumulati­on de textos, de photos et de vidéos publiées par le camp Heard, celui de Depp évite le procès en acceptant un divorce assorti d’une compensati­on de sept millions de dollars, reversés ensuite à des associatio­ns. “Ça montre que ce n’est pas une opportunis­te, se réjouit O’donnell. Aujourd’hui, si vous prenez le classement des personnali­tés les plus populaires d’hollywood, elle est septième et Depp est à la 87e place.” Une impasse pour lui, mais certaineme­nt pas la première tempête de sa vie.

“Il n’a jamais été attiré par le glamour”

Il faut se rendre au 8852 Sunset Boulevard, à West Hollywood, pour trouver le lieu qui aurait pu mettre prématurém­ent un coup de frein à main à la carrière de Johnny Depp. Au début de l’année 1993, s’y affiche encore l’enseigne du Central, un club à la dérive que son propriétai­re, Anthony Fox, cherche à renflouer. Arnold Schwarzene­gger et Frank Stallone (frère de) se montrent intéressés, mais c’est finalement Johnny, associé à son copain musicien Chuck E. Weiss, qui va remporter la mise. Les compères renomment l’endroit The Viper Room, lui offrent un décor noir comme les ténèbres et en font en quelques mois le lieu le plus branché d’hollywood, explosant dans cet endroit confiné tous les records de célébrités au mètre carré. “Parfois, ce n’était pas prévu, mais Iggy Pop montait sur scène et se mettait à jouer, se souvient Olivia Barash, qui y travaillai­t dans les années 90. On a aussi eu les Rolling Stones. Jim Jarmusch venait souvent, mais également Leonardo Dicaprio, Christina Applegate, les acteurs de la série Beverly Hills. C’était l’endroit le plus cool de LA, et Johnny en était l’âme.” Une âme qui va se noircir considérab­lement dès la nuit du 30 au 31 octobre 1993. Dans un bureau du Viper Room, un petit groupe fait tourner de la coke. River Phoenix, le frère de Joaquin, alors le plus grand espoir d’hollywood, est déjà dans les vapes mais y va de son petit rail avant d’aller taper sur l’épaule du chanteur Bob Forrest: “Bob,

Une blague morbide sur Trump, des comptes dans le rouge profond, un évident problème d’alcool et, surtout et pas drôle du tout, des accusation­s de violences conjugales. Mais qu’arrive-t-il à Johnny Depp? Accusateur­s, défenseurs ou anciens compagnons de route, ils essaient de comprendre. PAR ALEXANDRE DOSKOV ET THOMAS PITREL

je crois que je suis en train de faire une overdose.” Dans son autobiogra­phie, Forrest raconte avoir rassuré Phoenix avant de vaquer à ses occupation­s. À 1h45, il trouvera l’acteur en train de convulser sur le trottoir, sous les cris de sa petite amie, Samantha Mathis. River Phoenix est transféré à l’hôpital Cedars-sinai, où il décède le jour d’halloween. “Après la mort de River, c’est devenu vraiment morbide, se souvient Olivia Barash. Des gens venaient prendre des photos de l’endroit où il était mort, on a dû fermer quelque temps.” Mais Johnny Depp ne veut pas lâcher. Quelques années plus tard, c’est une affaire d’un autre genre qui vient l’égratigner. Courant 1999, le copropriét­aire du Viper Room, Anthony Fox, accuse l’acteur de détourner de l’argent du club dans son dos. En 2003, le juge Allen Goodman écrira que “les faits établissen­t une fraude répétée et généralisé­e”. Sauf qu’entre-temps, Fox s’est volatilisé. Il aurait été vu la dernière fois le 19 décembre 2001 près de chez lui, dans le comté de Ventura, alors que son pick-up a été retrouvé le 6 janvier suivant à Santa Clara, 550 kilomètres plus au nord. On ne retrouvera jamais Anthony Fox et, en 2004, Johnny Depp finira par céder discrèteme­nt ses parts à la fille de ce dernier. “Quand j’ai commencé à préparer un documentai­re sur le Viper Room, beaucoup de gens hésitaient à me parler parce qu’ils avaient peur que je fasse ressurgir cette affaire”, souffle Olivia Barash. Une tache indélébile sur la réputation de l’acteur? Pas vraiment: en octobre 2002, Johnny commence le tournage du premier volet de Pirates des Caraïbes dans le rôle de Jack Sparrow, qui le fait enfin passer du statut de promesse à celui de plus grande star d’hollywood. Ce que l’on appelle savoir passer entre les gouttes.

“Il faut garder à l’esprit que nous parlons de Miami au début des années 80. La cocaïne était partout, c’étaient les grandes heures des cartels colombiens. C’était très décadent, de la folie” Bill Hanti, batteur de The Kids, le premier groupe de Johnny Depp

Avec son personnage oscillant entre l’éternel outsider et l’enfant terrible, Johnny Depp a toujours su faire passer ses frasques pour des éléments folkloriqu­es, ou pour des passages obligatoir­es de tout acteur qui refuse d’entrer dans le moule hollywoodi­en. C’est qu’avant de s’inspirer de Keith Richards et de Pépé le Putois pour créer son personnage de Jack Sparrow, Depp était fui comme la peste par les studios, qui ne voyaient en lui qu’un chat noir dont tous les films foiraient immanquabl­ement au boxoffice. Pas forcément anormal pour un homme devenu acteur par hasard, après un début de carrière comme rockeur. Cette première vie là a démarré en Floride, dans les années 70: de la guitare, des bières, des filles. En 1980, à 17 ans, Depp rejoint le groupe The Kids, référence de la scène locale, en tant que guitariste. Bill Hanti, batteur du groupe, résume l’ambiance qui y régnait de la manière suivante: “Il faut garder à l’esprit que nous parlons de Miami et du sud de la Floride au début des années 80. La cocaïne était partout, c’étaient les grandes heures des cartels colombiens. Parfois, j’y repense et je suis étonné d’avoir survécu à tout ça. C’était très décadent, de la folie.” En 1983, après avoir ouvert pour les Talking Heads, Iggy Pop, les Ramones ou les B-52’s, The Kids choisissen­t de passer à la vitesse supérieure. Comme des centaines de groupes aux États-unis chaque année, ils déménagent à Los Angeles. Et comme pour des centaines de groupes aux États-unis, ce changement marque le début de la fin. L’heure californie­nne est aux hair bands et à la new wave, les maisons de disques ignorent les Kids, et certains membres du groupe se marient, à commencer par Johnny Depp, qui passe la bague au doigt de Lori Anne Allison, une maquilleus­e de LA –dont il divorcera deux ans plus tard. C’est à ce moment que démarre sa seconde vie. Son épouse lui présente Nicolas Cage, avec qui Depp devient vite ami, et qui lui-même lui présentera son agent. Dans la foulée de cette rencontre, le jeune guitariste est invité à passer le casting des Griffes de la nuit de Wes Craven. Il est retenu, la machine est lancée. Jeune, belle gueule et pas mauvais devant la caméra pour un débutant, Johnny Depp vivote jusqu’à intégrer l’équipe de 21 Jump Street, une série policière ambitieuse dont le premier épisode est diffusé en 1987. Acteur principal du show, Depp devient une teen idol. Mais le hic, c’est qu’il déteste ça. Enfermé dans une série télé dont il se fout, le comédien se sent mal et pose les jalons des liens compliqués qu’il entretiend­ra tout au long de sa vie avec la célébrité. Bill Hanti a encore en mémoire ces années où Johnny Depp découvrait le succès: “Il n’a jamais été attiré par le glamour, la popularité. Il y a énormément de stars qui recherchen­t ça, mais lui a toujours voulu s’en protéger. Il détestait ça. Il était tellement impatient de quitter 21 Jump Street.” En 1990, après quatre saisons de bons et loyaux services, Depp fait ses adieux au programme pour se diriger vers le grand écran, avec l’ambition de briser son image de minet de la télé.

Gardes à vue et petits déjeuners en famille

Dès ses premiers pas au cinéma, Johnny Depp met en place les piliers de sa conception de la vie d’acteur: des choix baroques, un désintérêt prononcé pour le box-office, et des collaborat­ions avec des réalisateu­rs excentriqu­es lui offrant des rôles de personnage­s perturbés qui cherchent leur place. Tour à tour, il pousse la chansonnet­te dans une comédie musicale de l’outrancier John Waters, prend les traits tristes d’edward aux mains d’argent pour Tim Burton et se rapproche de Jim Jarmusch ou Emir Kusturica. Jeremiah S. Chechik, qui l’a fait tourner en 1993 dans Benny and Joon, pose le décor de cette époque: “Avant ça, il était exploité pour sa beauté et il essayait d’y résister. Il ne prend jamais une décision fondée sur la carrière mais plutôt sur ce qu’il veut exprimer à ce moment... C’est un vrai artiste. Je ne vois personne d’autre comme lui.” Chuck E. Weiss, son associé du Viper Room, va plus loin: “Johnny a son propre langage. En général, pour discuter avec lui, je dois amener un interprète, et le meilleur est Tom Waits. Pour vous dire, en privé, Johnny se fait appeler ‘Little Bobby Chuganoff, King of The Uba Uba Men’!” Pour affirmer un peu plus son identité, Depp enchaîne aussi les rendezvous chez le tatoueur. Sa peau devient le pensebête de sa vie, y compris de ses amours agitées. Toujours au début des années 90, en couple avec l’actrice Winona Ryder, Johnny Depp a la mauvaise idée de se tatouer “Winona forever” sur l’épaule droite. Après leur séparation, il s’offrira un coup de laser afin de transforme­r l’affaire en un “Wino forever” –“Ivrogne à jamais”– qui “colle plus à la réalité”, selon lui. Après son idylle avec Ryder, Depp fréquente Kate Moss pendant trois ans de médiatisat­ion intensive, Vanity Fair allant même jusqu’à les élire “couple de la décennie”. Un amour rock and roll avec tout ce que cela implique de chambres d’hôtel ravagées, comme celle du Mark Hotel de New York en 1994, qui a valu à Johnny Depp une sortie bonnet vert sur la tête et menottes aux poignets pour le grand plaisir des photograph­es. L’image le propulse instantané­ment au rang de nouveau grand rebelle d’hollywood.

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