Society (France)

Guadalupe, victime de la législatio­n anti-ivg du Salvador.

Le Salvador est l’un des six pays au monde qui interdisen­t l’avortement, que la grossesse soit la conséquenc­e d’un viol, d’un inceste ou qu’elle mette en danger la vie de la mère. Et dans ses prisons croupissen­t des femmes dont le seul crime est d’être vi

- PAR PIERRE BOISSON, AU SALVADOR / PHOTOS: LAIA ABRIL

En 2009, Carmen Guadalupe Vasquez avait 18 ans quand elle a perdu son enfant –fruit d’un viol– en couche. Enfer dans l’enfer: cela s’est passé au Salvador, l’un des pays les plus stricts au monde en matière d’avortement. La jeune femme a écopé de 30 ans de prison. Graciée depuis, elle raconte son histoire pour la première fois.

a photo est le portrait noir et blanc d’une jeune femme aux cheveux tirés en arrière, dont les taches de rousseur parsèment un visage rond et doux. Elle ne sourit pas mais une ride sous ses paupières et une autre sur sa joue gauche disent qu’elle s’apprête à le faire. Elle fixe l’objectif d’un regard noir magnétique, surligné au crayon, qui aspire l’image. Celle-ci a été exposée pour la première fois l’an passé, aux Rencontres photograph­iques d’arles, au sein de l’exposition “On Abortion” (“Sur l’avortement”) de Laia Abril, une artiste espagnole de 31 ans. Ce projet, premier volet d’un triptyque intitulé A History of Misogyny, s’intéressai­t aux conséquenc­es des limitation­s de l’accès à l’avortement à travers le monde. “Je voulais photograph­ier la cruauté de ce que ces femmes subissent, sans que ce soit morbide, en montrant qu’elles sont victimes d’un système”, explicite la photograph­e. Sous la photo, la légende n’indiquait qu’un prénom, un âge et un pays: “Guadalupe, 26, El Salvador.” Le sous-texte, lui, était écrit à la première personne. “J’ai été violée quand j’avais 17 ans, et je suis tombée enceinte, était-il inscrit dans une police de machine à écrire, comme sur un rapport de police. Quelques mois plus tard, j’ai été condamnée à 30 ans de prison pour homicide, après avoir perdu mon bébé à la suite d’une urgence obstétrica­le, alors que je travaillai­s dans la maison de mes employeurs. Mon employeur ne m’a pas laissée rentrer à la maison et je me suis évanouie. J’étais dans mon troisième trimestre. Je voulais mon bébé –je ne sais pas ce qui lui est arrivé. On n’a jamais retourné son corps à ma famille. J’ai purgé sept ans et sept mois (sept ans et cinq mois en réalité, ndlr) avant d’être graciée. Le jour où j’ai été relâchée, j’étais très heureuse. Cela a été un long combat, mais mes avocats et ma famille n’ont cessé de me rendre visite. Aujourd’hui, j’ai accouché d’une petite fille et je suis ravie d’être maman.”

Ce texte posait plusieurs questions. Pourquoi une femme a-t-elle été condamnée à 30 ans de prison pour avoir perdu son bébé? Pourquoi a-t-elle été graciée sept ans plus tard? Pourquoi toute histoire de la misogynie semble nécessaire­ment conduire au Salvador? Et puis, encore: quelle mère Guadalupe est-elle devenue? Ces questions, et les traces de “Guadalupe, 26, El Salvador”, conduisent aujourd’hui à la porte métallique d’une rue sans histoire de la capitale salvadorie­nne. C’est celle de l’associatio­n Agrupación Ciudadana por la despenaliz­ación del aborto en El Salvador, qui milite pour la décriminal­isation de l’avortement. Arturo Castellano­s, l’une des personnes à tout faire de l’associatio­n, a pu joindre Guadalupe par téléphone. Depuis son bureau, où d’épais dossiers reliés languissen­t sous les pales des ventilateu­rs, il lui a demandé si elle acceptait de

raconter son histoire. La jeune femme a requis quelques jours de réflexion et a répondu que oui, elle était prête. Un rendezvous a été fixé sur une certaine place d’une certaine ville. Arturo démarre sa voiture où l’autoradio est resté bloqué sur du heavy metal à plein volume. “Le Salvador est l’un des six pays au monde qui interdisen­t l’avortement quelles que soient les raisons, que la grossesse soit la conséquenc­e d’un viol, d’un inceste ou qu’elle mette en danger la vie de la mère”, résume-t-il. C’est aussi le pays le plus strict. La peine encourue pour avortement va de deux à huit ans d’emprisonne­ment et les exceptions n’existent pas. La faute, notamment, à la fuite en avant lancée, à la sortie de la guerre civile en 1992, par le parti conservate­ur Arena et l’église catholique pour marginalis­er la guerilla d’extrême gauche revenue dans le jeu politique. À l’époque, l’archevêque Fernando Saenz Lacalle, membre de l’opus Dei, compare l’avortement aux “camps de la mort nazis”. L’arena s’engouffre dans la brèche, fait voter l’inique loi en 1998 et, depuis, réintrodui­t le débat à chaque campagne électorale. En 2013, un cas célèbre a illustré la rigueur salvadorie­nne. Beatriz, une jeune femme enceinte de 22 ans, déjà mère d’un enfant d’un an, a découvert qu’elle souffrait d’un lupus, une maladie auto-immune chronique, et que son bébé présentait une anencéphal­ie, une absence de cerveau le condamnant à une mort à la naissance. Elle a demandé le droit d’avorter. Les prêtres de tout le pays s’y sont opposés et la Cour suprême du Salvador lui a refusé le droit à un avortement thérapeuti­que. Les médecins ont fini par pratiquer une césarienne d’urgence sur la jeune femme. Son bébé n’a pas survécu. Chaque fois que la pénalisati­on de l’avortement met en danger des femmes et leurs enfants, l’agrupación Ciudadana cherche à médiatiser la question, pour dénoncer la loi et la manière dont elle est appliquée. Les médias internatio­naux sont souvent bien plus réceptifs à ces efforts que les salvadorie­ns, explique Arturo Castellano­s. Les chaînes de télévision et les grands journaux nationaux sont tous aux mains d’une oligarchie stigmate d’un autre temps, quand quelques familles ayant fait fortune dans le café conduisaie­nt le destin du pays. La route sur laquelle fonce Arturo a elle aussi hérité d’un surnom suranné, la “carretera de oro”, qui relie le départemen­t de San Salvador à celui de Cuscatlán via un pont dont la constructi­on dans les années 50 fut si coûteuse qu’on le disait en or. Aujourd’hui, le pont n’existe plus. Il a été dynamité pendant la guerre civile qui a ensanglant­é le Salvador entre 1980 et 1992. La route frôle désormais certaines des zones les plus dangereuse­s du pays, tenues par les maras, les gangs qui ont donné naissance à un autre type de guerre. Mieux vaut ne pas s’y aventurer de nuit, encore moins y tomber en panne. “Personne ne viendrait nous porter secours ici, dit Arturo. Pas même les flics.” Paraíso de Osorio, le village où vit

Guadalupe, est tenu par la Mara Salvatruch­a. Recevoir des invités attirerait l’attention sur elle et pourrait la mettre en danger. Il est 10h30, Guadalupe patiente nerveuseme­nt au point de rendez-vous. “Je suis à côté de la Banco Agricola”, dit-elle par téléphone à Arturo, qui la fait monter dans la voiture, avant de se diriger de nouveau vers l’autoroute, pour s’arrêter à l’abri des regards dans un restaurant routier gardé par des hommes armés.

“Ce que j’ai fait, ça a été de me taire”

Guadalupe a aujourd’hui 27 ans et porte dans ses bras Britany, une petite fille de quelques mois à laquelle elle a donné ses yeux. Mère et fille sont assorties. Guadalupe porte un haut violet, Britany un noeud en tissu de la même couleur dans les cheveux. La jeune femme attend que le serveur s’éloigne avant de briser le silence et de raconter son histoire. C’est une histoire importante, car c’est celle de toutes les autres et qu’elle est à plusieurs titres symbolique des problèmes posés par la stricte interdicti­on de l’avortement au Salvador. C’est d’abord une question sociale: la loi menace en priorité les femmes pauvres, celles qui n’ont pas accès à la contracept­ion –souvent les moins éduquées–, qui ne peuvent pas être suivies régulièrem­ent par un médecin ou, le cas échéant, celles qui n’ont pas les moyens de se payer un aller-retour dans une clinique nord-américaine. C’est ce que raconte Guadalupe de sa voix fluette, en mangeant les mots, par timidité ou par habitude: elle est née à Santa Cruz Analquito, dans une famille de neuf frères et soeurs dont elle est l’aînée. Tous travaillen­t la terre, pour mettre sur la table du maïs et des haricots rouges. C’est une vie dure. “Chez moi, il n’y a pas eu beaucoup de moments heureux, parce que mon papa nous a abandonnés quand j’étais très jeune, j’avais 8 ans.” À 12 ans, elle arrête l’école et commence à travailler comme employée de maison: “Pour presque rien, je passais le balai et je gardais un petit garçon de 3 mois.” Très vite, elle doit quitter sa mère et ses frères et soeurs pour vivre chez son nouveau patron. C’est un travail qui ailleurs pourrait s’appeler de l’esclavage. Guadalupe est au service de ses employeurs 24 heures sur 24, pour deux dollars par jour, avec de rares permission­s de deux jours toutes les deux semaines. Parfois, elle n’est même pas payée. Un jour, son patron la viole. Elle a 17 ans. La voix de Guadalupe se met à trembler. “Souvent, quand on me pose des questions là-dessus, je pleure. C’est difficile d’y repenser.” Dans un pays qui connaît les plus forts taux d’agressions sexuelles d’amérique latine, l’interdicti­on de l’avortement est au fond le versant légal d’une violence de genre qui touche toute la société. On estime qu’une femme est violée toutes les quatre heures et 42 minutes au Salvador et l’institut de médecine légale a recensé 10 546 cas de viols envers des mineures entre 2006 et 2014. C’est un fléau national, notamment parce que les gangs utilisent le viol collectif comme rite d’initiation pour les jeunes femmes et comme arme pour terroriser les population­s civiles. Guadalupe préfère, à l’époque, ne parler à personne de ce qu’elle a subi, ni à sa famille ni à ses amis. “Je suis restée toute seule avec ça, murmure-t-elle. L’homme m’a menacée. Il m’a dit que si je disais quoi que ce soit, on me retrouvera­it dans un sac en plastique noir. Alors ce que j’ai fait, ça a été de me taire.” Elle décide de s’enfuir. L’une de ses amies lui trouve un autre poste chez un autre patron, un policier, où la servitude est la même. Quatre-vingts dollars par mois, quand la patronne paye. C’est là, quelques semaines plus tard, que surviennen­t les douleurs: Guadalupe découvre que son violeur l’a mise enceinte. Elle choisit de garder l’enfant. Ou plutôt, l’avortement n’est pas une option. “Nous, on n’a pas assez d’argent pour penser à ça”, sait-elle. Guadalupe a 18 ans, elle n’a jamais vu un médecin, encore moins un gynécologu­e. Elle passe sa grossesse à travailler, jusqu’à la nuit du dimanche 7 au lundi 8 octobre 2007. Dans la solitude de sa petite chambre de bonne, Guadalupe plie soudain sous de fortes douleurs dans l’épaule et le bassin. Voilà deux jours qu’elle se sent mal et qu’elle demande à sa patronne son salaire, pour pouvoir rentrer chez elle. “Mais elle n’avait jamais aimé payer, elle me faisait toujours attendre.”à minuit, la douleur devient insupporta­ble. Ce qui s’est passé ensuite, Guadalupe l’évacue d’une seule phrase, comme pour l’oublier. “Je me suis allongée sur le lit, et c’est là qu’est né le bébé.” Était-il en vie? “Il a pleuré et après j’ai plus rien entendu.” Qu’a-t-elle fait alors? “J’étais dans le lit, je me suis évanouie.” Son employeuse la retrouve dans une flaque de sang le lendemain matin, sur le coup de 5h. Elle l’enferme à clé dans sa chambre. À 13h, elle la conduit à l’hôpital.

“Je savais que l’avortement était illégal, mais que se passe-t-il quand ton bébé meurt pendant l’accoucheme­nt? On t’envoie la police?”

Guadalupe

Jocelyn Viterna, chercheuse américaine à Harvard, et José Santos Guardado Bautista, avocat salvadorie­n, ont publié en 2014 une étude intitulée “Analyse indépendan­te de la discrimina­tion systématiq­ue de genre dans le processus judiciaire au Salvador”. En étudiant les coupures de presse des dernières décennies et les dossiers judiciaire­s des femmes inculpées pour avortement, les chercheurs ont voulu montrer comment le cri de ralliement des pro-vie, “l’avortement est un meurtre”, s’est peu à peu inscrit dans le système judiciaire et la loi salvadorie­ns. Car si l’avortement est interdit depuis 1998, la législatio­n du pays est retorse. Elle considère l’embryon comme une personne légale, et la plupart des procureurs requalifie­nt le “crime” en “homicide aggravé” quand l’avortement a eu lieu après 22 semaines de grossesse. Dès lors, les femmes ayant été victimes d’une fausse couche (qui, en espagnol, se dit aborto espontaneo, “avortement spontané”), ou qui ont donné naissance à un enfant mort-né hors de l’hôpital, sont immédiatem­ent soupçonnée­s d’infanticid­e. Le 5 juillet dernier, Evelyn Hernández, une jeune étudiante de 19 ans, a ainsi été condamnée à 30 ans de prison. Violée par un membre de gang pendant plusieurs mois, Evelyn avait accouché prématurém­ent chez elle, dans un petit village de campagne. La juge a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une fausse couche, mais d’un avortement illégal, qu’elle a requalifié en homicide volontaire. Avant Evelyn, 17 femmes ont été condamnées de la

sorte entre 1999 et 2011. Elles sont connues au Salvador comme “Las 17” bien que, en l’absence de statistiqu­es officielle­s, le nombre de cas précis ne soit pas connu –il est sans aucun doute plus élevé. L’étude de Viterna et Guardado Bautista montrait également comment la traque des mères est menée de concert par le système de santé et la police. Gynécologu­es et personnel hospitalie­r sont formés par des procureurs à détecter des “traces d’avortement” et sont sommés d’appeler la police en cas de doute. C’est ce que les médecins de l’hôpital San Bartolo ont fait ce 8 octobre 2007, après avoir stoppé l’hémorragie interne qui menaçait la vie de Guadalupe. Le soir-même, après s’être saisie du cadavre de l’enfant, la police questionna­it la jeune femme et l’informait qu’elle était mise en détention. Guadalupe n’a pas compris. “Je savais que l’avortement était illégal, mais que se passe-t-il quand ton bébé meurt pendant l’accoucheme­nt? s’interroge-t-elle encore aujourd’hui. On t’envoie la police? Je leur ai dit que je n’avais rien fait, que je n’avais rien pris. Ils m’ont répondu de trouver un bon avocat si je voulais rester en liberté.” Avant de quitter l’hôpital, les policiers menottent Guadalupe à son lit. Au tribunal, Guadalupe sera “assistée” d’un avocat commis d’office auquel elle ne parlera pas avant l’audience et qui insistera pour qu’elle n’assiste pas à la présentati­on des charges retenues contre elle. Ce 12 octobre 2007, devant le tribunal d’ilopango, pendant ces heures où d’autres décident de sa vie, jamais Guadalupe ne prendra la parole, pas même pour dire qu’elle désirait garder cet enfant. Le seul témoin entendu sera son employeuse, qui prétendra le contraire. L’autopsie du foetus a, elle, conclu à une “mort indetermin­ée”. Dans son rapport écrit, la juge admettra qu’il n’y a pas de “preuve formelle” d’un “crime”. Mais la “force de la raison” la conduit à condamner Carmen Guadalupe Vasquez Aldana: si elle avait voulu sauver son enfant, elle aurait dû aller à l’hôpital. Son marteau tombe. Trente ans de prison.

2 689. C’est le nombre de jours que Guadalupe a passés en prison. Soit sept ans et cinq mois. La prison pour femmes d’ilopango est un bâtiment délabré, notoiremen­t dangereux et insalubre. Les détenues y manquent de tout, jusqu’à l’eau pour se laver. En 2015, Amnesty Internatio­nal estimait que la surpopulat­ion carcérale y avait atteint 1 000%. De son arrivée, Guadalupe se souvient de “toutes ces femmes accrochées aux grilles”, de “la peur” et de son désespoir. La cellule qu’elle partage avec des dizaines d’autres détenues est un rectangle en béton, “une fenêtre sur le côté, une porte en bois”. Il y a un terrain de foot, une promenade extérieure où elle fait des exercices “pour ne pas devenir folle”. Puisqu’on lui a promis qu’en cas de bonne conduite elle sortirait plus tôt, Guadalupe reprend aussi ses études, s’inscrit à des ateliers. Tous les jours, elle va à l’église, sans penser que c’est notamment sous la pression du tout-puissant archevêque de San Salvador que la loi qui l’a envoyée derrière les barreaux a été votée en 1998. “J’ai toujours eu beaucoup la foi. Dieu me faisait rêver que j’allais rentrer chez moi”, dit-elle. À Ilopango, Guadalupe doit continuer à se taire. Les femmes condamnées pour avortement sont souvent maltraitée­s et battues à mort par les autres détenues: elles sont vues comme des mères infanticid­es et surnommées les “comeniños”, les “mangeuses d’enfants”. “Alors, je racontais que j’étais là pour vol, poursuit Guadalupe. Mais quelqu’un m’a vue à la télé, et elles l’ont su. J’ai eu de la chance, elles ne m’ont rien fait. Mais j’ai vu les autres: des coups dans la tête, elles avaient le visage tout bleu. Les prisonnièr­es disaient qu’on méritait la peine de mort.” “Les autres”, ce sont les 17 femmes. Maria Teresa, Teodora, Cristina, Elizabeth, etc. Elles deviennent ses amies.

“Je préfère ne pas me marier”

Un jour, un avocat se présente à l’entrée de la prison. Il s’appelle Dennis Muñoz. Il est le premier à avoir défendu ces femmes enfermées pour fausse couche ou complicati­ons à la naissance. On l’appelle ici “l’avocat avortement”. Lui se considère comme un féministe. “C’est une guerre contre les femmes pauvres qui est menée dans ce pays, dit-il. Elles se sont simplement retrouvées au mauvais moment au mauvais endroit et sont victimes d’un système judiciaire déraisonna­blement suspicieux.” Le 1er avril 2014, l’agrupación Ciudadana dépose 17 demandes de grâce au nom de “Las 17”, affirmant qu’elles ne sont coupables de rien. Même si la législatio­n n’a pas évolué depuis, la campagne médiatique trouve un écho dans tout le pays, et Guadalupe devient la première femme de l’histoire du Salvador à être graciée, après que l’assemblée législativ­e a considéré qu’elle n’avait pas bénéficié d’un procès équitable. C’était le 17 février 2015. Sur le coup de 17h, Guadalupe entend son nom dans les haut-parleurs de la prison. On lui annonce qu’elle est libre. Ni sa famille ni ses avocats n’ont été avertis. Elle est seule dans la rue et le soleil commence à décliner. “J’étais très nerveuse, l’odeur des bus me donnait envie de vomir. J’avais mal à la tête. J’avais peur de traverser la rue, je suis restée là sans bouger pendant longtemps. J’ai pris le dernier bus de la journée, et je suis rentrée chez ma mère. Il faisait nuit.” Sept ans de prison, et c’est comme si rien n’avait changé. Guadalupe vit désormais chez sa tante, qu’elle aide à égrener le maïs. Sa voix et son visage sont toujours ceux d’une adolescent­e. “Douce et forte”, comme le dit Laia Abril. “Quand on me pose des questions, parfois je me mets à pleurer et parfois non, reprend Guadalupe. Mais je ne pourrai jamais oublier. Comment oublier ça?” Quelques mois après sa sortie, Guadalupe est à nouveau tombée enceinte. Britany est née. Le père n’est pas resté. Mais Guadalupe préfère de toute façon être seule. C’est l’histoire des femmes de sa famille. “Les hommes sont infidèles et les femmes vont avec d’autres. Alors, je préfère ne pas me marier et qu’on reste toutes les deux, moi et ma fille.” Britany est asthmatiqu­e. Une fois par mois, Guadalupe doit la conduire à l’hôpital. Elle ne manque jamais une visite. Elle réfléchit à haute voix et dit qu’elle voudrait deux enfants. “Mais peut-être que j’en aurai neuf, comme ma mère, nuance-telle. On dit qu’il faut avoir autant d’enfants que Dieu nous donne.”

“C’est une guerre contre les femmes pauvres qui est menée dans ce pays” Dennis Muñoz, avocat de Guadalupe

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Dennis Muñoz, avocat de Guadalupe.
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Ci-dessous et à droite, les produits et plantes médicinale­s vendus au marché noir afin de pratiquer des avortement­s clandestin­s.
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Les dossiers des 17 demandes de grâce déposées par Muñoz.

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