Society (France)

Allons à l’essentiel.

Matt Furie est un dessinateu­r de bande dessinée à l’origine de Pepe the Frog (la grenouille), un des visages les plus connus d’internet. Problème: depuis quelques mois, son personnage est plébiscité par de nombreux groupes d’extrême droite sur la toile. C

- – BRICE BOSSAVIE

La grenouille qui faisait polémique.

D’où vient Pepe the Frog? Pepe était juste un personnage de l’un de mes comic books appelé Boy’s Club, en 2005. Il était accompagné d’un chien, d’un ours et d’un type déguisé en animal, et ils vivaient en colocation sur un campus universita­ire. J’avais 25 ans à l’époque, et c’était une sorte de mise en image de mes années étudiantes: ils fumaient des joints, buvaient, se vannaient entre eux… J’ai publié des visuels du personnage sur Myspace et, vers 2010, des gens du forum 4chan ont commencé à utiliser une image de Pepe en train de dire: ‘It feels good man.’ Il y a ensuite eu une deuxième vague, lorsque des internaute­s ont pris une image de Pepe avec une tête triste (Nicki Minaj et Katy Perry l’ont notamment partagée sur leurs réseaux sociaux en 2014, ndlr).

Comment cette image plutôt innocente est-elle ensuite tombée entre les mains de l’alt-right américaine? Je ne peux faire que des hypothèses, mais je pense que la grenouille était devenue tellement globale et connue de tout le monde que des membres du forum 4chan, plutôt à l’extrême droite, ont littéralem­ent voulu reprendre possession de Pepe. Ils ont alors commencé à en faire des représenta­tions haineuses, violentes, antisémite­s, pour le rendre infréquent­able. Ça a commencé comme une ‘blague’ et c’est parti beaucoup trop loin. À tel point que l’opinion publique a fini par considérer que Pepe était juste un symbole raciste et antisémite.

Comment l’expliquez-vous? Je crois que c’est en grande partie dû à Hillary Clinton. L’an dernier, son équipe de campagne a publié un communiqué pour expliquer que le personnage était un symbole de haine pour certains groupes racistes. Le phénomène était très isolé, mais cette réaction de l’équipe Clinton lui a fait prendre des proportion­s dingues. Au début, j’ai pensé que ça n’était qu’une phase et que ça passerait, mais à partir du moment où tous les médias l’ont présenté comme un symbole de haine et rien d’autre, ça a commencé à me poser problème.

Vous avez d’ailleurs symbolique­ment ‘tué’ Pepe the Frog dans un dessin en mai dernier… En réalité, j’avais fait ce dessin en novembre 2016, peu de temps après l’élection de Donald Trump. C’était un moyen d’exprimer ma frustratio­n de manière artistique: j’en avais marre de parler de Pepe, marre de toute cette négativité qu’il y avait autour de lui, et c’était un bon moyen d’exprimer ma tristesse vis-à-vis de cette situation. J’avais l’impression de perdre mon personnage, je me demandais si je n’allais pas en perdre le contrôle... Mais finalement, j’ai changé d’avis: j’ai envie de croire qu’il faut continuer à expliquer aux gens le sens véritable de cette image, et qu’à force, on va peut-être un peu rééquilibr­er la balance. J’ai par exemple appris que le personnage est énormément utilisé en Asie en tant qu’emoji pour exprimer la joie, la colère, la tristesse, sans se soucier de ce qui se passe aux États-unis autour de lui.

Vous avez d’ailleurs lancé une campagne de financemen­t participat­if pour ‘sauver Pepe’. Effectivem­ent. J’ai été contacté par une avocate qui travaillai­t sur la croix gammée nazie: elle voulait devenir légalement propriétai­re du symbole pour ensuite pouvoir poursuivre en justice ceux qui l’utilisaien­t, et grâce à ses recherches, elle a découvert mon personnage. Parallèlem­ent, j’ai reçu énormément de messages de soutien après avoir tué ce dernier. C’est ce qui m’a motivé à revenir sur ma décision et à me lancer dans la publicatio­n d’une nouvelle BD sur Pepe.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France