Society (France)

Mafia Girls

Femmes ou filles de gros bonnets de la mafia, elles aussi ont vécu avec leur nom en une des journaux et des voitures du FBI garées sous leurs fenêtres. Et elles aussi ont finalement décidé de tout raconter dans des livres, des films et même des émissions

- PAR ARTHUR CERF

Jennifer Graziano avait 10 ans quand elle a appris la vérité sur sa famille. À l’école, la maîtresse avait demandé aux élèves ce que faisait chacun de leurs parents. Ce jourlà, Jennifer avait buté sur la profession du père. “C’est un sujet dont on ne parlait pas à la maison”, dit-elle aujourd’hui. Plus tard, un camarade rapportait le journal à l’école et apprenait à toute la classe qu’anthony Graziano était un membre de la mafia. La mafia? “Je suis allée demander à mon père ce que c’était. Il m’a d’abord répondu que ça n’existait pas, puis il a dit: ‘MAFIA, Mothers and Fathers Italian Associatio­n, qu’est-ce que tu veux savoir à ce sujet?’” À cet âge-là, son amie Karen commençait elle aussi à ouvrir le journal et à avoir quelques soupçons sur les activités de son père, Sammy “The Bull” Gravano, tueur à gages de la famille Gambino. “J’avais lu un article sur un meurtre qui avait eu lieu devant son club, mais à la maison il se comportait normalemen­t, je n’osais pas imaginer qu’il était impliqué là-dedans, raconte-t-elle. Puis, il a été accusé du meurtre du chef Paul Castellano.” Le doute enfle. “Il m’a alors donné le journal et m’a dit: ‘Si tu as des questions, je veux que tu te sentes libre de me les poser, mais je ne pourrai peut-être pas y répondre.’” Karen n’a jamais posé de questions. Pas plus sur le meurtre de Castellano que sur la présence du parrain John Gotti autour de la table familiale, ou sur les voitures du FBI garées devant la maison. Pour cause, à en croire Karen Gravano, Sammy “The Bull” avait tout d’un père normal. Protecteur, attentionn­é et toujours de bon conseil. “Des gangsters venaient souvent à la maison mais je les considérai­s comme mes oncles, dit-elle. C’était difficile pour moi de penser que mon père était un sale type. Quand on allait au restaurant, on avait la meilleure table, les gens venaient le saluer. Je déteste l’expression ‘princesse de la mafia’, mais c’est ce que j’étais.” Tout a changé en 1991, quand Sammy, arrêté, a accepté de coopérer avec le FBI. “Je sais que ça peut paraître fou mais le seul moment où j’ai été furieuse contre mon père, c’est à ce momentlà.” Karen garde en effet un souvenir âpre des années qui ont suivi, rythmées par les messes basses et les regards en coin. “Avant cette décision, on m’offrait des diamants pour mon anniversai­re mais après, plus rien. Mes amis ne me parlaient plus, je n’avais plus le droit d’aller chez eux et tout le monde me traitait de balance.” Il a même fallu quitter New York et partir s’installer en Arizona. Quelques années plus tard, Karen se faisait prendre en train de vendre de la drogue. “Je voulais regagner le respect que j’avais perdu quand mon père est devenu une balance”, explique-t-elle.

Depuis, Karen est rentrée à New York. C’était en 2010, pour participer au tournage de la première saison de Mob Wives, l’émission de télé-réalité créée par son amie d’enfance, Jennifer Graziano. “L’idée, c’était de montrer

aux gens ce que c’est de vivre dans ce monde quand on est une femme, de vivre en gardant un secret et de s’occuper d’une famille pendant que les hommes sont en prison, resitue cette dernière, qui se souvient aussi qu’enfant, certains garçons avaient peur de sortir avec elle. Je me suis inspirée de l’émission The Real Housewives et de la série Les Soprano, qui est une illustrati­on très proche de la réalité. J’aime beaucoup Le Parrain et Les Affranchis, mais on n’y voit les choses qu’à travers le point de vue des hommes.” Une ambition qui n’est pourtant pas du goût de toutes les femmes de mafieux. Lynda Milito, veuve du gangster Liborio Milito et auteure du livre Mafia Wife, trouve que Graziano a pioché trop d’idées dans son bouquin. “Je pense surtout qu’elle n’apprécie pas que Karen soit dans l’émission puisque, selon elle, Sammy Gravano aurait été impliqué dans la mort de son mari”, tranche Jennifer. “Elle cherche surtout à faire parler d’elle”, estime Karen, persuadée que Lynda ambitionne­rait, avec cette polémique, de vendre quelques exemplaire­s supplément­aires de son livre. Pourtant, Milito assure ne pas avoir touché d’argent sur les ventes de son livre de cuisine Mafia Wife. Pas plus que sur celles de ses livres de recettes Mafia Wife Recipes. “Je l’ai sorti pour que les gens puissent profiter des recettes de mon mari et afin que l’on se souvienne de lui pour une bonne chose, explique-t-elle. Et j’ai écrit Mafia Wife pour rétablir la vérité sur sa mort et sur le fait qu’il n’était pas une balance.” Une étiquette dont il est décidément difficile de se débarrasse­r. Durant les six saisons de Mob Wives, Karen Gravano s’est régulièrem­ent fait traiter de “rat”. Qu’en pense son père? “Il déteste l’émission, dit-elle. Mais parfois, ça le fait rire. Après tout, ce n’est que de la télévision.”

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