Society (France)

Analysez les forces en présence et sortez du bois au bon moment

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“Là où la mer est passée, elle revient” Nicolas Sarkozy, le 30 janvier 2014 à Châtelaill­on-plage, Charente-maritime

La théorie et la pratique. Si dans Ma part de vérité, François Mitterrand vante les vertus de sa résidence landaise, à Latche, où il aime se retrouver avec lui-même –“Je connais des houx dans la forêt des Landes qui donnent au temps la densité et rien ne me parle mieux de l’esprit et de la matière que la lumière d’été à six heures de l’après-midi, au travers du bois de chêne”–, la réalité d’une traversée du désert est évidemment plus aride. Lors de l’hiver 2005, sur la Transcanad­ienne qui relie Gatineau, où il enseignait à l’école nationale d’administra­tion publique, à Montréal, où il vivait, Alain Juppé a plusieurs fois été pris de panique. “À 21h, quand je reprenais ma voiture, c’était presque couvre-feu. J’ai échoué seul sur des aires d’autoroute, dans des salles désertes et froides de Mcdo ou de Subway, en train de mâchouille­r un ‘sous-marin’ débordant de mayonnaise. Et je me demandais: ‘Qu’est-ce que tu fais là? Si loin de tout et de tous? Où tout cela te mène-til?’” Pas d’affolement, néanmoins. La crise d’angoisse est un grand classique de ces périodes. La sénatrice des Pyrénées-atlantique­s Frédérique Espagnac, dans le dernier cercle de François Hollande “depuis 1998”, se souvient ainsi des inquiétude­s passagères de son chef pourtant “persuadé de finir président de la République un jour. Il avait peur de ne jamais réapparaît­re. Il disait non à toutes les sollicitat­ions et s’interrogea­it: ‘Est-ce que je ne vais pas décrocher? Est-ce que ça va vraiment repartir?’” En 2005, pour lutter contre l’oubli, Alain Juppé opte pour la stratégie de la carte postale. Dans son pavillon d’outremont, il décide, sur le conseil de sa femme, Isabelle, de publier des billets sur son blog al1jup.com. Entre quelques chroniques littéraire­s, il prend le temps de raconter les péripéties de son voyage aux Français: “Le thermomètr­e joue du yoyo (…) La batterie de ma voiture, qui couche dehors, m’a lâché!” “Le blog a été pour lui un moyen de rester en contact avec la France, via des messages souvent repris par les médias. C’était une manière de pas être totalement absent tout en étant loin et il a été le premier en France à en saisir l’usage”, se souvient le fidèle Gilles Boyer. Dix ans plus tard, le blog étant devenu ringard, épargnez-vous la gêne d’une adresse url maladroite et d’un bandeau mal photoshopé. Épargnez-vous aussi le come-back sur Twitter. Trop vulgaire, et puis un tweet fail est si vite arrivé… Non, si ces doutes reviennent de façon persistant­e, c’est le signe qu’il faut passer à l’étape suivante. Rassemblez votre garde rapprochée, établissez un plan d’action et ressortez vos dernières fiches de lecture. En 1958, c’est retiré à Colombeyle­s-deux-églises que De Gaulle avait activé ses relais dans la presse en France et à Alger pour faire fuiter l’idée d’un retour. Faites de même. Mais sachez attendre la bonne opportunit­é: un couac gouverneme­ntal, une bourde d’un concurrent ou bien une crise. Et tâchez de ne pas être trop prévisible. Thierry Mandon propose une théorie: “Les traversées de Hollande et Juppé sont intuitives. C’est l’art de la guerre de Sun Tzu. C’est-à-dire: la vie m’a mis dans une situation où je suis dans un désert, je me plonge dans cette situation pour trouver des forces sur lesquelles je vais prendre appui pour éventuelle­ment m’en sortir. À côté, il y a la traversée façon Copé. Moins subtil. C’est l’art de la guerre selon Clausewitz. Je me retire, je me tais, je reviens, je fais un livre, je suis candidat, la chronologi­e est prête…” Sun Tzu: 1, Clausewitz: 0. Évitez aussi de faire ce que l’on appelle dans le milieu “une Jospin 2006”. Soit un come-back avorté avant même d’avoir

commencé à prendre les formes du come-back. Le fidèle Daniel Vaillant retrace: “À l’époque, quand Ségolène Royal perce dans les sondages, on est quelques-uns à se dire qu’elle n’est pas prête pour affronter Sarkozy à la prochaine présidenti­elle. On pousse donc Lionel, qui, légaliste, pense que le candidat naturel est Hollande, le premier secrétaire. On cale un déjeuner entre les deux, mais ils parlent de tout sauf de la présidenti­elle. On insiste, on lance l’idée dans un papier du Monde, il passe sur TF1, il sort son livre Le monde comme je le vois, qui se vend à 80 000 exemplaire­s. Mais en juin 2006, il refuse de saisir sa chance… Il me dit: ‘J’attends que ça se décante pendant l’été’, mais rien ne bouge. En septembre, il est déjà trop tard.” Conclusion: soyez césarien, franchisse­z le Rubicon. Vous avez changé, c’est le moment de le montrer “Après avoir subi un chaos émotionnel très fort, j’en ai conclu que je devais changer. On ne peut pas revenir pareil d’une telle épreuve, sinon on est un robot” Jean-françois Copé au Monde, le 14 janvier 2016

Dans la dernière ligne droite, rappelez-vous que l’histoire récente est riche d’enseigneme­nts et d’exemples à ne pas suivre. Vous les connaissez, ce sont peut-être vos amis. Ils s’appellent Jean-françois et Arnaud et ils n’ont pas franchemen­t convaincu le pays par la pureté de leur voyage initiatiqu­e. Retiré des matinales pendant 18 mois, le premier est revenu courant janvier 2016 sur le devant de la scène et il n’a pas fait les choses à moitié. D’abord, les bonnes feuilles de son Sursaut français ont été publiées dans Valeurs Actuelles. Ensuite, il s’est allongé sur Le Divan de Marc-olivier Fogiel, puis il a enchaîné les plateaux télé pendant une semaine et répété à l’envi qu’il avait “changé”, décidé à “faire de la politique autrement” pour “rompre avec la politique de communicat­ion”. Hélas pour lui, Copé n’a pas convaincu et est resté dans le désert. Dix mois plus tard, le revenant terminait en dernière position de la primaire de la droite et du centre, avec 0,3% des voix, derrière le président du Parti chrétien-démocrate, Jean-frédéric Poisson. Pourquoi un tel échec? L’homme avait tous les atouts en main pour “faire une belle traversée et un beau retour”, souffle un élu de droite. “Il avait une force incroyable, c’était le grand brûlé de la crise de L’UMP, il se faisait insulter tout le temps, NKM lui a dit ‘T’es une merde’ au téléphone, il n’avait plus beaucoup d’amis.” Mais il a rappelé malgré lui que glisser la tête hors de l’eau n’est pas toujours synonyme de sortie des grosses températur­es. “A posteriori, on peut dire qu’il valait mieux passer son tour, mais il avait ça au fond de lui, il voulait porter ce projet”, concède un proche. Voilà une leçon à retenir: les Français attendent davantage que des promesses, il leur faut des preuves d’amour. Arnaud Montebourg commet la même erreur quand il se présente à la primaire de la gauche en janvier dernier après un très médiatique passage dans le secteur privé, chez Habitat notamment, faisant suite à sa démission du gouverneme­nt en août 2014. “On a écrit le récit d’un dirigeant politique qui prend du recul mais reste attentif à ce qui se passe”, glisse un collaborat­eur. Hélas, le pitch est triste comme un film français du dimanche soir: trop prévisible, trop écrit d’avance, trop grossier, personne n’y croit, et Montebourg termine en troisième position de la primaire. Aux dernières nouvelles, l’ancien avocat entamerait une carrière d’apiculteur. Autre obligation: gardez votre sang froid, et ne craquez pas à la première main tendue qui se présente... C’est l’erreur que fit Juppé en 2007. Revenu en France en expliquant aux Bordelais que c’était “pour s’occuper d’eux”, l’ancien Premier ministre accepte quelques semaines plus tard la propositio­n de François Fillon d’entrer dans son gouverneme­nt comme ministre d’état à l’écologie. Le verdict sera sans appel: défaite aux législativ­es, départ du ministère et retour au bureau, à chercher le mot de passe pour se connecter sur al1jup.com. Le retour de François Hollande en juin 2009, à Lorient, après neuf mois de silence, est peut-être le plus intéressan­t à suivre. Françoise Degois se souvient de ce jour-là: “Il n’y avait pas foule, à peine six journalist­es. Il a fait imprimer son discours, nous on se marrait…” Le fidèle Bernard Poignant ajoute: “Pour vous dire, à l’époque, Hollande n’était même plus sondé... Mais il se préparait!” À quoi? À ce moment-là, Dominique Strauss-kahn marche sur l’eau. Un soir, il invite son rival dans un appartemen­t pour échanger. Les mots sont crus: “J’irai à la présidenti­elle. J’ai Aubry, j’ai tout le monde derrière moi. Tu me soutiens ou je te plie.” Réponse de François Hollande: “J’irai au bout.” En mai 2011, au moment où, de l’autre côté de l’atlantique, on passe les menottes aux poignets de DSK, le député de la Corrèze a décidé de faire un régime. Espagnac se souvient: “Pendant des années, on lui a dit de faire attention à son physique, d’arrêter le chocolat… Il n’en avait rien à faire, et puis tout à coup, sans nous prévenir, il a commencé sa transforma­tion. Il a eu un déclic: la France se mérite. Il faut souffrir pour elle et ne pas faire semblant.” Vous voilà •TOUS prévenu(e). PROPOS RECUEILLIS PAR AM ET AP, SAUF MENTIONS

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