Society (France)

Bronzette espagnole

Il se veut le garant du tourisme “avec style”. La Costa del Sol, d’accord, mais sans vulgarité, laideur ni débordemen­ts. Il peut se le permettre: Hubertus von Hohenlohe-langenbour­g, profession héritier et entertaine­r, est le fils de l’un des fondateurs de

- PAR MARC HERVEZ, À MARBELLA / PHOTOS: LOUIS CANADAS POUR SOCIETY

La vulgarité de la Costa Brava, très peu pour lui. Hubertus von Hohenlohe-langenbour­g, profession héritier et entertaine­r, est le fils de l’un des fondateurs de Marbella. C’est surtout le garant d’un tourisme plein de panache.

Il a dansé un peu trop près d’un agave, à moins que ce ne soit un aloe vera, et son pantalon en coton orange vif ne l’a pas supporté. Le voilà donc avec, sur l’arrière de la cuisse, une déchirure de 20 bons centimètre­s qui laisse entrevoir son caleçon, en pleine soirée dansante en plein air avec tout ce que Marbella compte de nobles, aristocrat­es, beautiful people et autres membres de familles royales en villégiatu­re. Ça ne le met pas mal à l’aise pour autant. Ici, une bise à la princesse d’orléans, là, une photo en compagnie d’une descendant­e de la famille Von Bismarck, avec l’appareil Leica qui ne quittera pas son cou de toute la nuit. “L’ambiance est cool, les invités sont contents, assure-t-il. Il y a sûrement quelques putes de luxe, mais ça ne saute pas aux yeux. Et ce n’est pas show off. Personne n’est là pour jouer à celui qui dépense le plus d’argent et possède la plus grosse Ferrari.” Puis, entre deux pas de danse, une vanne: “Attention, alerte Botox sur ta gauche! Je t’avais prévenu, il y en a beaucoup ce soir.” Ce n’est rien de dire que Hubertus von Hohenlohel­angenbourg est comme un poisson dans l’eau dans cette fête d’inaugurati­on annuelle du patio du Marbella Club Golf Resort & Spa, “l’hôtel le plus cher d’espagne, entre 600 et 1 200 euros la nuit en haute saison”. Hubertus von Hohenlohe-langenbour­g est ici chez lui, tout court. Déjà parce qu’il passe tous ses étés à Marbella depuis sa naissance. Ensuite parce que le boulevard où trône ce complexe hôtelier de luxe porte le nom de son père: le prince Alfonso de Hohenlohe-langenbour­g, dont on peut admirer la fine moustache sur un portrait accroché au mur d’un des salons lounge de l’hôtel. C’est lui qui a fondé cet endroit en 1954. Un moment historique: l’ouverture du Marbella Club a marqué le point de départ de la métamorpho­se de cette bourgade andalouse en haut lieu de rassemblem­ent estival de la jet-set internatio­nale. Puis, par effet domino, du bétonnage massif du littoral sud espagnol. “Marbella, c’était le premier endroit de easy lifestyle, rappelle

l’héritier. L’idée, c’était de dire à des gens qui devaient toujours s’habiller quand ils allaient à Monte-carlo ou au Lido, à Venise, de venir relax.” Puis, lucide: “La côte n’est pas très belle, mais on a le meilleur climat d’europe.” Le prince Alfonso était ce que l’on appellerai­t aujourd’hui un influenceu­r: il a usé de ses relations pour faire en sorte que l’aéroport de Malaga s’agrandisse, a noué des liens avec la famille royale d’arabie saoudite pour faire venir ses membres dans son établissem­ent, et a attiré les stars hollywoodi­ennes de l’époque dans son hôtel. “Et c’est devenu la côte la plus fréquentée, reprend Hubertus. La Gina (Lollobrigi­da, ndlr), par exemple, elle adorait venir, elle appréciait la tranquilli­té. Si bien qu’elle a fini par acheter une villa ici, dans l’hôtel. Dans les années 60, les habitants ignoraient qui elle était. Forcément, ils étaient sous Franco.” Quant à sa mère, Ira von Fürstenber­g, elle possède également un peu de sang bleu (elle est la fille du prince Tassilo Fürstenber­g) et est une héritière de la famille Agnelli. S’il fallait un exemple pour illustrer le genre d’enfance qu’a eue Hubertus von Hohenlohe, en voici un: un jour, il n’arrive pas à trouver le sommeil, gêné par les vocalises d’une femme sur la terrasse. “J’ai demandé à mon père de la faire taire. Il m’a dit: ‘Impossible, c’est la meilleure chanteuse du monde. Elle s’appelle Maria Callas.’”

“Les filles siliconées, c’est vulgaire”

Malheureus­ement pour Hubertus, il n’a pas hérité de l’hôtel à la mort de son père en 2003. Devenu actionnair­e minoritair­e, Alfonso fut contraint de revendre ses parts à la fin des années 80. Il dut aussi se séparer, entre autres, d’un château et ses 18 000 hectares de terrain en République tchèque, d’un autre en Espagne et de quelques maisons. De ce revers de fortune temporaire, son fils, qui a été contraint de rebâtir la fortune familiale en “faisant d’autres choses”, a tiré une formule: “Je ne se suis pas un nouveau riche, je suis riche de nouveau.” Aujourd’hui, sa présence au Marbella Club, il la doit à sa qualité de collaborat­eur. Chaque été, Hubertus quitte en effet sa demeure autrichien­ne pour devenir, six semaines durant, une sorte de conseiller­directeur artistique ayant pour mission d’assurer la déco et de s’assurer que le complexe cinq étoiles reste l’épicentre de l’amusement nocturne à Marbella. Tout en étant, de par son arbre généalogiq­ue, le garant de l’esprit originel de l’endroit. “Pour les soirées, j’ai dit à la propriétai­re: ‘Il faut aller contre la tendance. Tu dois créer un lieu de fête qui ne soit pas fait pour que les Russes gâchent du champagne et payent 2 000 euros pour se montrer à une table avec des filles siliconées. C’est vulgaire.’ Il faut aussi donner l’occasion aux gens élégants de se retrouver. Pareil pour les invitation­s. Si tu veux venir, tu viens, et si tu ne veux pas, je ne t’appelle pas 50 fois. Quand je croise quelqu’un que j’aime bien, je dis juste: ‘Passe ce soir.’ D’une façon chic, pas en distribuan­t des flyers.” Il a l’air de prendre son rôle à coeur mais hélas, la direction ne l’écoute pas toujours. Dernièreme­nt, Hubertus a pris un stop lorsqu’il a proposé une soirée reggaeton. “Danser sur un truc cheap entre gens riches, ça m’amuse. Moi, j’aime les contrastes. On va pas faire une Monte-carlo night ou une soirée cabaret ici, ça n’a pas de sens.” Il peste aussi contre les nouveaux parasols Armani qui ombragent les transats autour de la piscine du Beach Club. “Je leur ai fait la remarque: ‘C’est complèteme­nt nouveau riche, ça, c’est pas Marbella du tout.’ Mets du orange, du bleu, je sais pas. Mais surtout pas du noir avec du beige.”

Le quinquagén­aire le concède volontiers. Muni d’un tel pedigree, il aurait pu devenir l’un de ces enfants de la jet-set qui vont de soirée en soirée entre Monaco, Miami et Saint Barth’. Il ne met en réalité jamais les pieds à Saint-tropez. “Tu ne peux pas être bien dans ta tête si tu ne fais que ça. Oui, je connais Albert de Monaco mais je ne lui envoie pas de texto pour aller au Bal de la rose. J’ai compris assez tôt que la vie, ce n’était pas ça. C’est faire quelque chose. Je suis sorti de ma bulle d’origine, c’est ce qui m’a sauvé. Par chance, j’ai eu plusieurs vies.” Officielle­ment, Hubert est citoyen de la principaut­é de Liechtenst­ein –“J’y ai un appartemen­t, mais je n’y vais jamais. C’est un pays où tout le monde travaille et personne ne s’amuse. C’est l’exact opposé de Monte-carlo, avec la même politique fiscale.” Il a 10 ans lorsque, effrayés par l’ambiance frivole, l’accès facile à la drogue et l’éventail de tentations qui règnent à Marbella, ses parents décident de l’envoyer en pension en Autriche. Isolé dans le land du Vorarlberg, dans l’ouest du pays, Hubert s’ennuie. Il se met au ski. Avec brio, mais en Autriche, la concurrenc­e est trop rude pour percer. Alors, en 1981, à 22 ans, il a une idée: mettre à profit son passeport mexicain –il est né à Mexico alors que ses parents étaient en voyage d’affaires– pour créer la Fédération mexicaine de ski et en prendre la tête. Bien que l’on trouve des massifs enneigés au pays de Salma Hayek, l’hélicoptèr­e est bien souvent le seul moyen d’accéder aux pistes. Autant dire que les passionnés de sports d’hiver y sont rares. “Officielle­ment, aujourd’hui, on a 30 membres affiliés à la fédération. Mais en réalité, on doit être cinq ou six à participer à des courses”, confesse-t-il. Trois ans plus tard, il est à Sarajevo pour les JO d’hiver de 1984. “J’ai terminé à cinq secondes de Bill Johnson. J’aurais pu bosser à fond pour me rapprocher à deux, trois secondes des meilleurs, ce qui est encore beaucoup, mais il aurait fallu ne faire que ça de ma vie. Ça n’en valait pas la peine.” Ce qui n’a pas empêché Hubertus d’être encore de la partie en 2014 à Sotchi, à 55 ans, en tant que porte-drapeau de la délégation mexicaine. Logique, il en était le seul représenta­nt. Et il n’y est pas

Entre deux pas de danse, une vanne: “Attention, alerte Botox sur ta gauche! Je t’avais prévenu, il y en a beaucoup ce soir”

passé inaperçu, choisissan­t de descendre les pistes russes avec une combinaiso­n inspirée d’une tenue de mariachi. “À Vancouver, quatre ans plus tôt, j’ai vu que NBC donnait un prix pour récompense­r le meilleur costume. Je savais qu’en ski, je n’avais aucune chance de faire un podium, alors je me suis dit qu’il me fallait ce prix-là: ‘Qu’est-ce que je peux faire de cool et typiquemen­t mexicain? Je suis un entertaine­r, alors je vais faire le mariachi.’ Et j’ai gagné le concours. J’ai même reçu un SMS de félicitati­ons de Karl Lagerfeld.” Au total, Hubertus von Hohenlohe a participé à six olympiades. Sa préférée reste l’édition 1994, à Lillehamme­r, en Norvège, “la plus winter games dans l’esprit”. Surtout, c’est lors de cette quinzaine qu’il rencontra Simona, sa femme. Ni plus ni moins que la cousine de la légende du ski italien des années 90, Alberto Tomba, dit “La Bomba”. Un type assez peu intéressan­t, selon lui. “Il mange beaucoup, baise des femmes, et basta. Son répertoire n’est pas classé par prénom mais par ville: Ancône: Fiona, Margherita ; Bologne: Monica, Adriana, Maria, etc. Mais il est ennuyeux. C’est le problème des grands sportifs, ils n’ont fait que ça de leur vie. OK, tu as été le plus grand, tu as gagné de l’argent. Mais quand ça s’arrête, tu n’as rien à raconter.”

Le vrai inventeur du selfie?

Hubertus n’a pas ce souci: à 58 ans, en plus d’une carrière de sportif et d’oiseau de nuit, il a endossé de multiples casquettes. Comme celle de chanteur de pop. C’était dans les années 70 et 80, sous le pseudonyme de Royal Disaster, même si son père trouvait ça “vulgaire”. Aujourd’hui, il travaille également pour la télé autrichien­ne. Il y présente Hubertusja­gd (La Chasse d’hubertus, ndlr), une série de reportages où il part à la découverte de diverses villes du globe. Il aimerait vendre le concept à Netflix, mais il n’a pas les contacts, dit-il. Pas très grave. Le programme est actuelleme­nt sponsorisé par le géant autrichien Red Bull, qui le rémunère extrêmemen­t bien. “Ils font tellement de marge qu’ils peuvent se permettre de lâcher énormément d’argent en opérations marketing. Surtout avec leur idée directrice qui veut que ça donne des ailes. Alors, ils financent chaque chose qui a un rapport avec le fait de voler. Si demain je leur dis que je veux faire Gibraltar-tanger par les airs avec un truc qui marche à l’énergie solaire, ils payent tout, c’est sûr.” Mais c’est encore l’art qui occupe la majeure partie de son emploi du temps. Car Hubert est photograph­e. Comment c’est venu? Un jour, lui et sa mère sont censés aller dîner avec le prince Charles à Valence. Celle-ci passe un temps fou devant la glace. “Elle était obsédée par son apparence, alors j’ai pris une photo d’elle et moi dans le reflet du miroir. Ensuite, j’ai fait la couverture d’un de mes albums dans le même esprit, ça s’appelait un truc comme ‘Réflexion de toi-même’. Le message derrière, c’était d’essayer de comprendre qui je suis.” Le concept de l’autoportra­it réfléchi fait mouche auprès d’une galeriste, qui y voit un potentiel esthétique. La carrière artistique du skieur du dimanche est lancée. “Elle m’a contacté et m’a demandé si j’en avais d’autres et si je pouvais exposer. J’ai dit: ‘Oui, bien sûr, j’en ai plein.’ J’ai bluffé. Et je me suis mis à en faire beaucoup. Je suis en quelque sorte l’inventeur du selfie.” S’il a, en tant que directeur artistique, décoré certains murs et couloirs du Marbella Club de ses propres photos? Oui, évidemment. C’est toujours moins dangereux que l’aloe vera.

“Je ne se suis pas un nouveau riche, je suis riche de nouveau”

 ??  ?? Leçon d’élégance n°2: toujours garder son cardigan, même à la piscine.
Leçon d’élégance n°2: toujours garder son cardigan, même à la piscine.
 ??  ?? Leçon d’élégance n°3: toujours cacher son téléphone aux gens.
Leçon d’élégance n°3: toujours cacher son téléphone aux gens.
 ??  ?? Leçon d’élégance n°4: confection­ner des t-shirts à l’effigie de son complexe hôtelier.
Leçon d’élégance n°4: confection­ner des t-shirts à l’effigie de son complexe hôtelier.

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