“On prépare l’indépendance de la Savoie”
Quand il reçoit sur son parking à Passy, en Hautesavoie, Fabrice Dugerdil, diagnostiqueur immobilier de 45 ans, ne s’éternise pas plus que ça sur la vue parfaite sur le mont Blanc, ce jour-là très légèrement caché par les nuages, et préfère indiquer avec fierté la plaque d’immatriculation de sa Hyundai gris métallisé. “Une plaque savoisienne –“Savoyard, c’est péjoratif ”–, détaille-t-il. Le numéro est français mais à la place d’avoir le drapeau européen et le F de France, on a la croix de Savoie avec écrit en dessous ‘SE’ –le S était pris par la Suède. Et de l’autre côté, au lieu d’avoir le logo de la région et le numéro du département, j’ai mis le logo de la province de Savoie où je vis, Faucigny, et les lettres FY.” Fabrice dégaine dans la foulée une carte d’identité, un passeport et un permis de conduire savoisiens et précise qu’il n’en a pas de “français”. Est-ce que ces documents lui donnent le droit de circuler? Il répond par l’affirmative. “Quand on se fait arrêter par les flics, il n’y a jamais de souci. Et si un agent vient d’arriver dans la région et qu’il ne comprend pas, on lui explique l’existence de la Direction aux affaires savoisiennes.” Mais encore? Cette fois, Fabrice s’empresse de montrer sur son smartphone le PDF du Journal officiel du 30 août 2014, sur lequel est indiqué que “la Direction aux affaires savoisiennes (l’association qu’il a créée, ndlr) s’occupe de la promotion de la défense de la Savoie sur la totalité du territoire (…) par toutes ses formes: visuelle, auditive, papier, télévisuelle, radiophonique, Internet”, mais aussi de la “délivrance de documents permettant aux Savoisiens de faire reconnaître leur peuple (carte d’identité, permis de conduire, passeport, extrait d’acte de mariage, de décès, de naissance)”. À vrai dire, Fabrice ne comprend pas lui-même comment le préfet a pu accepter “un truc pareil. On a tout fait pour que ces statuts soient refusés, glisse-t-il. Pour pouvoir dire ensuite: ‘La France ne reconnaît pas notre peuple.’ Mais il a dit oui”. Pour justifier ce propos, lui et ses camarades indépendantistes savoisiens se servent en réalité d’un “flou juridique” qui date de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle “tous les traités ont été suspendus et donc celui de Turin de 1860 qui officialisait l’annexion de la Savoie, pays millénaire, le plus vieux d’europe, à la France.”
Fabrice est indépendantiste depuis ses 20 ans. Il a déjà pris la parole à L’ONU –un 25 novembre 2014– lors du Forum des minorités et “devant tous les pays membres”. Il a déjà fait de la prison, aussi, pour non règlement d’amende consécutive à un refus de présentation de pièce d’identité et à une plaque d’immatriculation non conforme. Il s’énerve: “Quand on ne paie pas une amende, elle est normalement saisie sur compte. Là, comme il fallait me faire taire, l’état français m’a mis en prison pour trois mois.” La suite? Fabrice entame une grève de la faim et de la soif de “six jours”, qui sera prolongée en “grève de la faim de 46 jours”. “Sans boire, je n’arrivais plus à parler, à m’exprimer, je ne servais plus à rien.” Aujourd’hui, Fabrice est persuadé qu’il manque simplement d’un peu de communication et de relais dans les médias pour que son message passe. Il commence cette fois une démonstration mathématique: “Quand un Savoisien indépendantiste se présente à une élection locale, il obtient environ 6% des voix, en sachant qu’en moyenne, deux Savoisiens sur trois ne votent pas. Théoriquement, on pourrait donc être à trois fois plus que 6%, à savoir 18%. Le jour où on aura des médias qui présenteront notre projet sans le discréditer, c’est sûr, on y arrivera.” En attendant, il reste sur ses gardes. “À chaque fois qu’un ministre vient dans le coin, les RG m’appellent la veille pour savoir si je prépare un coup, une manif et me mettent sur écoute. Je pense que j’ai peut-être même des micros à la maison.” Alors, quand il réunit ses camarades chez lui, il utilise “un brouilleur d’ondes”. Lorsqu’il communique avec eux sur Internet, il privilégie “des messageries cryptées”. Et quand il sent que la police le colle un peu trop, il passe ses coups de fil avec “un Nokia 3210 à carte prépayée dans un supermarché où il y a du monde, pour ne pas être repéré”. Qu’on se le dise, rien n’entravera les réunions de la Direction aux affaires savoisiennes. En qualité de ministre de l’intérieur virtuel, Fabrice développe: “On prépare l’indépendance par paliers, sur une dizaine d’années. D’abord, on récupère nos créances et nos droits, puis on reprend l’enseignement des écoles à notre charge, et ainsi de suite...” Pour les documents administratifs, c’est déjà réglé.