Society (France)

“Les films faits pour faire rire, ça ne me fait pas rire”

Il incarne le sérieux jusqu’à la caricature. Mais qui a dit qu’il l’était pour de vrai? Alors que son nouveau film, Happy End, sort sur les écrans, on est allé rencontrer l’autrichien Michael Haneke, réalisateu­r de La Pianiste et Funny Games, pour parler…

- – BRIEUX FÉROT / PHOTO: PHILIPPE QUAISSE (PASCO)

Vous avez la réputation d’être quelqu’un de très sérieux. Or, il paraît que vous avez beaucoup d’humour… Mon père était un très bon comédien, avec un grand talent comique, que je n’ai pas, personnell­ement. J’ai des amis qui peuvent raconter des blagues superdrôle­s, et quand c’est moi qui les raconte, on a envie de dormir. L’humour, c’est comme la musicalité, on l’a ou on ne l’a pas. Cela dit, effectivem­ent, les gens qui me connaissen­t disent qu’en privé, je fais beaucoup de blagues –plutôt en allemand, il faut maîtriser la langue. Mais surtout, je ne considère pas mes films aussi sérieux que tout le monde le dit, je trouve que plusieurs scènes sont plutôt comiques. Dans Funny Games, par exemple, le comique est une façon de se confronter à l’horreur. Et mes films sont aussi, parfois, des satires ou des farces qui forcent la réalité. Dans le dernier, il y a cette scène où Isabelle Huppert casse le doigt de son fils. C’est absurde, et cette absurdité doit provoquer le rire. Après, bon, j’ai cette réputation… Je l’ai acceptée car c’est toujours le spectateur qui a raison: s’il trouve qu’il n’y a pas d’humour dans mes films, alors il n’y a pas d’humour dans mes films.

La réaction du spectateur vous importe beaucoup? Je n’ai pas envie d’être confirmé par d’autres dans ce que je voulais dire. Mais j’aime bien discuter avec des gens après un film. Moins avec les critiques, car ils veulent juste confirmer leur point de vue. Très souvent, on m’envoie des travaux d’étudiants, des mémoires de master, je commence à les lire et, après dix pages, j’arrête. Ils parlent de choses que je n’ai jamais faites, en tout cas pas dans mes films. Ils veulent juste prouver leurs théories, mais ça ne m’intéresse pas. À l’inverse, le spectateur ‘normal’ dit des choses surprenant­es. Les discussion­s publiques sont toujours très intéressan­tes, les réactions du public aussi. Il y a des scènes de La Pianiste ou de Funny Games pour lesquelles j’ai entendu des fous rires dans la salle, tellement les gens étaient stressés. Ça me plaît beaucoup. Au fond, c’est pour cela qu’on fait ce travail, pas pour discuter ensuite de manière intelligen­te du film.

“J’ai toujours peur d’une scène dans laquelle quelqu’un rit. Dans les pleurs, on peut tricher, alors que le rire, on entend immédiatem­ent si c’est faux”

Qu’est-ce qui vous fait rire, vous, au cinéma? Rarement les comédies. Les films qui sont faits pour faire rire, ça ne me fait pas rire. Moi, le comique qui m’intéresse, c’est le comique qui est lié à une situation très concrète, pas réduite à un gag. Le rire, c’est comme les pleurs, c’est une manière de compenser la réalité, d’avouer que l’on est dépassé. Il faut dire aussi que l’humour est une chose plus ou moins réduite à une ‘conscience nationale’, à un fond d’expérience­s propres à un pays. Entre l’autriche et l’allemagne, par exemple, c’est flagrant. Les films avec

de l’humour autrichien ne marchent pas en Allemagne, et inversemen­t.

Plus jeune, vous aviez monté une pièce de théâtre de Labiche… Moi, je me sens fort dans le réalisme: je peux bien observer et bien décrire, mais dans cette sorte de comédie, une comédie des effets, je suis complèteme­nt perdu. Quand j’ai commencé les répétition­s de cette pièce, je suis allé voir le directeur du théâtre en lui disant: ‘Laissons tomber ce projet, ça va être une catastroph­e…’ Il m’a dit que non, mais ça l’a été. Chaque répétition s’est terminée de la même manière: je n’ai pas eu une idée.

Jacques Tati, ça vous parle? C’est un bon exemple. Après un film de Tati, je suis complèteme­nt déprimé. Je ris beaucoup, mais le constat de la société qu’il fait est déprimant. Chaplin est triste aussi, mais il n’a pas cette froideur glaciale. Dans le comique, ce n’est pas à l’acteur de rire ou pleurer, c’est au spectateur. Un film, c’est comme du saut à ski: il y a un tremplin qui doit vous permettre de bien sauter, mais c’est à vous de sauter. Le travail du scénariste et du metteur en scène, c’est de construire ce tremplin et de laisser le soin aux spectateur­s de finir le film. C’est une platitude de dire cela, mais vraiment, il y a autant de films que de spectateur­s. Il faut forcer les gens à le continuer dans leur tête.

Lors du tournage de Code inconnu, vous aviez fait un casting pour trouver un adolescent qui rit… C’était très difficile. Le rire, c’est la chose la plus dure pour un acteur. Avec les pleurs, on peut tricher, alors que le rire, on entend immédiatem­ent si c’est faux. La vérité des sentiments se perçoit tout de suite. Je ne sais pas pourquoi. La spontanéit­é se distingue dans le son du rire. Là, le metteur en scène ne peut pas aider. Il faut avoir un sens pour cela. J’ai toujours peur d’une scène dans laquelle quelqu’un rit.

Vous êtes heureux quand on vous dit que l’on aime votre travail? Ce serait une coquetteri­e de dire que je serais frustré si on l’aimait trop, mais je me souviens de la première à Cannes de Funny Games, c’était un combat dans la salle entre les pour et les contre, j’avais adoré. J’avais le sentiment d’avoir touché quelque chose. Alors qu’avec La Pianiste, il n’y avait eu que des énormes applaudiss­ements, et j’étais un peu déçu. Là, je me suis dit que je n’étais peut-être pas allé assez loin, que je n’avais peut-être pas appuyé assez fort. C’est le rôle de l’art dramatique de se confronter au spectateur, et non pas de le provoquer. On peut toucher quelqu’un par la pure beauté bien sûr, mais dans l’art dramatique, c’est le conflit qui touche les gens. Après une projection à Munich du Septième Continent, mon premier film, un vieux monsieur s’était levé et m’avait dit, en tremblant: ‘Comment peut-on faire un film pareil?’ La discussion avait ensuite duré presque trois heures. Voilà la manière dont j’aimerais que mon travail soit reçu: qu’il touche quelqu’un jusqu’à le faire trembler. Voir: Happy End, de Michael Haneke, avec Isabelle Huppert, Mathieu Kassovitz, Jean-louis Trintignan­t. En salle le 4 octobre

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