Society (France)

LE BOLLOSSE

Nils Bollo est un drôle de coco. Profession: organisate­ur de voyages touristiqu­es pour les Français en Corée du Nord. Coup le plus fameux: avoir trimballé Dieudonné et Soral au pays de Kim Jong-un. Comment, pourquoi, et puis d’abord, qui est ce type? Répo

- PAR ROBIN D’ANGELO ET THOMAS PITREL

Le sourire jusqu’aux oreilles, l’homme est fier de son coup. “Je ne crois pas qu’il existe un autre mec que moi capable de faire monter Dieudonné sur la DMZ (la zone démilitari­sée entre Corée du Nord et Corée du Sud, ndlr) avec une coiffe d’amérindien sur la tête”, fanfaronne-t-il en sirotant un demi au Sarah Bernhardt, un bar de Châtelet où les officiels nord-coréens en poste à Paris auraient leurs habitudes. Si les duettistes en mal d’attention Dieudonné et Alain Soral ont pu enfin retrouver un quart d’heure de médiatisat­ion malsaine sur la fin de l’été en multiplian­t les quenelles à Pyongyang, c’est en effet “grâce” à ce personnage filiforme aux faux airs de Jacques Brel enveloppé dans un costard beige à rayures: Nils Bollo. Inconnu au bataillon jusque-là, l’homme, qui doit son prénom à une mère “modèle photo suédoise”, est apparu aux yeux du monde pour la première fois le 26 août dernier sur la scène du théâtre de la Main d’or, où il agitait ses longues mains en expliquant pourquoi il était important que “Dieudo”, à ses côtés, se rende sur les terres de Kim Jong-un en pleine crise nucléaire. À peine revenu de ce “voyage pour la paix”, Nils Bollo jure pourtant qu’il n’a pas plus d’affinités politiques avec la clique des “dissidents” qu’avec “Macron ou Mélenchon”: “J’ai été en contact avec une quinzaine de personnali­tés, dont deux footballeu­rs, mais elles se sont toutes dégonflées. Je n’y peux rien si ce sont les seuls qui ont accepté de venir en Corée du Nord.”

La NSA, les camps et la théorie du complot

Si Nils Bollo voulait tant ramener du beau linge en RPDC, c’est qu’il est, depuis le 1er juillet, “porte-parole pour l’europe du Korean Internatio­nal Sports and Travel Company (KISTC)”, une des agences gouverneme­ntales chargées d’organiser le tourisme dans le pays. Animé par une volonté d’inciter le monde entier à “aller se faire une opinion par soi-même”, il défend le régime en répétant à l’envi que “dans la vie, rien n’est noir ou blanc, tout est gris”. Sur le site de son associatio­n, Noko Redstar, on trouve ainsi, à côté de recettes de cuisine et de descriptio­ns des plus beaux monuments nord-coréens, des articles défendant le droit du régime à se doter de l’arme nucléaire, affirmant la supériorit­é des programmes télé locaux ou expliquant que là-bas, “la beuh est légale, bien acceptée par la société et largement disponible” alors qu’“en France, patrie autoprocla­mée des droits de l’homme, on va en taule pour un sac de weed”. Nils assume à 100%. Otto Warmbier, l’étudiant américain mort après un an et demi d’enfermemen­t pour le vol d’une affiche de propagande? “On l’avait payé 200 000 dollars pour voler le portrait d’un des grands leaders. Qui? Tu sais que la NSA a un budget de 100 milliards?” Et les camps de travail? “Les témoignage­s viennent toujours de gens qui ont réussi à en sortir. C’est l’enfer sur Terre, on te fusille à vue, mais t’arrives donc à en sortir?” Imparable. Pour apporter sa pierre à l’édifice, et puisque le régime n’a pas l’air de trouver incompatib­les sa volonté de développer le tourisme et celle de tirer des missiles, Nils Bollo et le KISTC se seraient fixé un objectif: multiplier par dix le nombre annuel de touristes français en… un an. “C’est une grosse connerie, tranche Édouard George, à la tête de Phoenix Voyage, une agence basée au Vietnam qui propose des voyages en Corée du Nord depuis plus de dix ans. Il y a aujourd’hui 5 500 touristes étrangers hors Chinois tous les ans, 1 500 sont américains et seulement 180 environ sont français. Si on augmente de 20%, ce sera déjà bien.” Bizarremen­t, ce vétéran du tourisme nord-coréen, qui a serré la main de Kim Jong-un lors du défilé militaire du 15 avril dernier, ne voit pas l’arrivée de ce nouveau joueur d’un bon oeil. “Il risque de faire plus de tort

Nils Bollo et le KISTC se seraient fixé un objectif: multiplier par dix le nombre annuel de touristes français en Corée en… un an

que de bien, poursuit Édouard George. C’est un pays où il ne faut pas faire d’impairs, de choses excentriqu­es. Pour faire évoluer les mentalités làbas par rapport au tourisme, ça a pris dix ans, on ne peut pas tout changer en cinq minutes.”

“Peut-être que je grenouille bien”

Il est vrai que Nils a déboulé dans ce jeu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Après avoir créé le site de Noko Redstar il y a un an seulement, il rencontre Patrick Maurus, ex-professeur aux Langues O’ (l’institut national des langues et civilisati­ons orientales), fondateur du Centre de recherches internatio­nales sur les Corées et membre du petit club des Français qui ont leurs entrées au sein de la représenta­tion nord-coréenne en France. Les deux hommes se rapprochen­t afin de développer une structure capable de proposer des séjours culturels ou étudiants en Corée du Nord, et Nils effectue ainsi son premier voyage dans le pays début 2017, guidé par le professeur, afin de prospecter pour de potentiels circuits touristiqu­es. Mais à leur retour, la collaborat­ion vole en éclat et il poursuit sa route seul. “Je pense qu’il s’est un peu servi de nous. Si on ne lui avait pas présenté l’ambassadeu­r, il n’aurait sans doute jamais réussi à monter son truc aussi vite. Si ce n’est pas de l’opportunis­me, je me demande ce que c’est”, tacle Manon Prud’homme, chercheuse impliquée dans le projet et qui a présenté Nils à Maurus. “Peut-être que je grenouille bien, sourit Bollo. Ce qui est sûr, c’est que les Nord-coréens m’ont choisi moi, et pas un autre.” Pourquoi lui? Nils reste le plus énigmatiqu­e possible, fuit les questions ou sous-entend qu’il aurait rendu des services, et que son intérêt remonte plus loin que la création de Noko Redstar. Pourtant, alors qu’il écrit depuis fin 2015 sur le site Boulevard Voltaire, créé par Robert Ménard, il n’y a jamais abordé la question nord-coréenne. Jusque-là, il n’était qu’un type né à Ris-orangis il y a 39 ans et qui, un bac pro vente en poche, était parti faire l’entreprene­ur aventurier dans la délocalisa­tion de centres d’appels à l’île Maurice ou dans le service web en Tunisie. Mais Nils a un storytelli­ng: sa femme, rencontrée quand ils avaient 19 ans, est sud-coréenne. “Elle a vu sa mère mourir devant ses yeux, faute de soins, puis elle est allée dans un orphelinat où on lui a brûlé une partie du corps, et elle est arrivée en France à 7 ans, adoptée par une famille de vrais salauds.” Selon Nils, c’est lorsque leur fils a attrapé la grippe qu’il y a eu un déclic: “Elle s’est dit que si on vivait en Corée du Nord, avec l’embargo, il aurait pu mourir. Ça l’a rendue hystérique, et elle m’a demandé de faire quelque chose. Je fais ça pour elle.” Mais peut-être pas seulement.

Rien à voir avec Dennis Rodman

Pour la première fois, à l’occasion des élections municipale­s de 2014 dans sa ville de Saintmaur-des-fossés, Nils Bollo se lance en politique en s’inscrivant sur la liste du maire sortant, Henri Plagnol (UDI). Voix de velours et verbe aimable, celui qui dit “aimer la vente” met à profit ses talents de VRP lors de sessions de porte-à-porte, puis va un peu plus loin. En pleine campagne, afin de faire remonter au mieux les rumeurs qu’un mystérieux corbeau du web colporte sur le concurrent d’henri Plagnol, Sylvain Berrios (LR), il crée des sites comportant le nom de ce dernier. Une affaire pour laquelle il sera condamné pour “usurpation d’identité en vue de troubler la tranquilli­té ou de porter atteinte à l’honneur d’autrui”. Encore aujourd’hui, il assure avoir agi de bonne foi: “Je n’ai fait ça que pour améliorer le référencem­ent, je n’usurpais pas du tout son identité, mais après ça il m’a persécuté en multiplian­t les plaintes contre moi.” Surtout, la condamnati­on provoque la fuite des clients de sa petite entreprise basée en Tunisie, qu’il finit par refiler à un associé. L’activité touristiqu­e en Corée du Nord serait-elle un moyen de se renflouer? “Vous croyez que c’est un pays riche qui paie des millions?” rigole-t-il en retour. Nils clame qu’il ne travaille pas comme une agence qui prendrait des marges sur un voyage, mais est rémunéré à la mission par l’agence gouverneme­ntale nord-coréenne qui l’emploie, en tant qu’autoentrep­reneur. Seulement, le voyage de Dieudonné à lui seul a drainé une trentaine de personnes qui ont toutes payé 1 000 euros au départ de Pékin. Mieux: alors que la Corée du Nord restait à peu près le seul tabou des “dissidents”, Dieudonné et Alain Soral, revenus ravis de leur séjour, n’arrêtent plus de faire la pub du régime communiste, et donc des activités de Nils Bollo. Une audience de niche, certes, mais un public presque aussi fidèle à ses leaders que les Nordcoréen­s. Et une forme de braquage qui ne dérangera pas grand monde: à son retour, Soral n’a cessé de se vanter d’avoir eu un traitement de faveur. Son guide personnel, ses dîners dans les petits restaurant­s de Pyongyang et sa séance de tir à la “kalachniko­v” (en fait une arme modifiée pour en faire un jouet, avec un petit calibre) ont certes été vendus par Nils comme des trésors que lui seul peut offrir, mais ils sont en fait accessible­s à n’importe qui. “Quand il dit qu’il peut aller partout, dans des endroits où personne ne peut aller, je rigole, dit Édouard George. Les Nord-coréens se sont ouverts. C’est le jour et la nuit entre la Corée de 2005 et celle d’aujourd’hui. On peut leur expliquer que quand Madame Michu veut aller dans une ferme pour parler avec un paysan, elle va juste lui demander comment ça va et combien il a d’enfants, pas monter un complot pour faire tomber le régime.” Quant à l’invitation officielle brandie fièrement par la troupe de bras cassés avant son départ, elle n’impression­ne pas davantage: “Dire qu’ils ont leurs entrées parmi les officiels du régime, c’est ridicule, balaie un profession­nel du tourisme présent dans le pays depuis longtemps. Leur visite n’a rien à voir avec celle de Dennis Rodman. Rodman était l’invité du sous-ministre des Sports. Soral et Dieudonné, eux, ce sont des nobodies qui croient qu’un guide touristiqu­e est un officiel.” Et qui n’étaient que les invités d’un certain Nils Bollo.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France