Society (France)

“Nous sommes tous une partie du problème”

Auteur du Syndrome de l’autruche (Actes Sud), le sociologue et philosophe George Marshall explique pourquoi “notre cerveau veut ignorer le changement climatique”.

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On entend beaucoup que les températur­es vont grimper de quatre degrés et que la mer va monter d’un mètre. Mais pour que les choses changent, l’enjeu ne consiste-t-il pas à expliquer aux gens comment cela va concrèteme­nt impacter leur vie? En réalité, le grand problème, c’est que l’attitude face au réchauffem­ent climatique est beaucoup plus façonnée par la culture des gens que par ce que disent les scientifiq­ues. C’est comme pour le tabac. Tous les scientifiq­ues disent que fumer est dangereux, mais si vous sortez ce soir, vous verrez des gens devant les bars en train de fumer. Parce que c’est amusant: vous sortez avec vos amis, vous buvez un verre, vous fumez une cigarette. Ça fait partie de votre culture. Ce que disent les scientifiq­ues ne fera aucune différence. Alors que si votre conjoint(e) vous dit: ‘Tu fumes? C’est dégueulass­e’, ou si vos amis arrêtent de fumer, peut-être que vous changerez. Ne peut-on tout de même pas déceler un changement

dans la perception du problème? La grosse division sur le sujet est politique: les conservate­urs y croient beaucoup moins que les gens de gauche. Mais il y a aussi un changement génération­nel: les jeunes conservate­urs y croient beaucoup plus que les vieux conservate­urs. Les études montrent que les moins de 30 ans acceptent le changement climatique comme une réalité. Ce qui ne veut pas dire que cela change leur comporteme­nt. En vérité, il y a un silence collectif. Le groupe le plus préoccupé par ces évènements, ce sont les jeunes femmes de moins de 30 ans, et celui qui en parle le moins, ce sont les jeunes femmes de moins de 30 ans. Pourquoi? Parce que c’est effrayant. Encore une fois, ce serait comme fumer une cigarette avec vos amis devant un bar en parlant du cancer du poumon. Vous savez que c’est dangereux, mais ça ne veut pas dire que vous allez en parler. C’est à mon avis le plus gros problème. L’autre problème n’est-il pas que ce qu’il faut changer

pour réduire ces émissions de CO2 touche directemen­t les jeunes, comme le voyage et le fait de moins prendre l’avion? Il y a clairement une tension entre le mode de vie des jeunes génération­s et l’attitude qu’elles devraient adopter face au changement climatique. Le total d’émissions par habitant est d’une tonne maximum par an, alors qu’un aller-retour à New York représente quatre tonnes. Mais si vous dites aux gens de changer leur comporteme­nt, ils vous répondront: ‘Pourquoi moi et pas lui?’ On entend souvent que demain, ceux qui n’ont pas lutté contre le réchauffem­ent climatique seront vus comme ceux qui n’ont pas lutté contre le nazisme. La comparaiso­n vous paraît-elle pertinente? Je crois que si vous dites aux gens qu’ils seront jugés par les génération­s futures, autrement dit si vous les culpabilis­ez, ça ne fonctionne pas. Moi par exemple, je vis au pays de Galles, ma femme est américaine, mes enfants le sont à moitié, et ils doivent donc parfois se rendre aux États-unis. De temps en temps, je prends aussi l’avion pour le travail et je participe au changement climatique. Nous sommes tous une partie du problème. Est-ce qu’en étant si grossièrem­ent climatosce­ptique, Trump ne fait-il pas, paradoxale­ment, beaucoup pour la

reconnaiss­ance du changement climatique? Effectivem­ent. Pourquoi le terrorisme prend-il une place aussi énorme dans nos esprits et le changement climatique si petite? Le changement climatique est une menace plus importante que le terrorisme, il a déjà tué des milliers de personnes. Mais il n’y a pas d’ennemi, pas de violence active, alors il est moins pris en compte. Les terroriste­s veulent nous tuer. Le changement climatique, c’est moi qui prends l’avion pour partir en vacances. Je pense donc que Trump apporte un ennemi. Et quand il y a un ennemi, il y a un récit puissant. – TP

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