Society (France)

Nahuel Pérez Biscayart

Il a crevé l’écran dans 120 battements par minute et depuis, il enchaîne. À 31 ans, l’acteur franco-argentin Nahuel Pérez Biscayart est la sensation du moment. Mais à sa façon.

- PAR AXEL CADIEUX PHOTOS: AUDOIN DESFORGES POUR SOCIETY

Il a crevé l’écran dans 120 battements par minute et, depuis, il enchaîne. À 31 ans, l’acteur franco-argentin Nahuel Pérez Biscayart est la sensation du moment. Mais à sa façon.

C’était au milieu des années 2000, mais elle n’a rien oublié de lui. “Il avait quoi, 20, 21 ans? Il avait une intuition folle, comme je n’en avais jamais vu. C’est rare pour un acteur, on dirait plus ça d’un sportif. C’est la marque d’un grand.” Kate Valk a encadré Nahuel Pérez Biscayart lors de sa formation au sein du très réputé Wooster Group de New York. Depuis, elle suit sa carrière de loin. Et que peut-elle voir? Une confirmati­on. “Nahuel est monstrueus­ement talentueux”, conclut-elle. Nahuel Pérez Biscayart est né le 6 mars 1986 à Buenos Aires. Trois mois plus tard, au Mexique, Diego Armando Maradona marquait un but de légende contre l’angleterre et envoyait l’argentine vers le sacre mondial. Mais lui n’a jamais été football. Il passe son adolescenc­e dans un collège technique, spécialité électroméc­anique, de Buenos Aires.

“Trois ans à limer des morceaux de métal pour les rendre plats et parallèles, avec costume et cravate grise, raconte-t-il aujourd’hui, à l’étage d’un cinéma parisien. Un jour, un copain est décédé dans un accident de bus, et ça a été comme un électrocho­c. L’ambiance est devenue mortifère, j’ai tout vu d’un très mauvais oeil. Alors j’ai intégré l’atelier théâtre de ce même collège. Tous les vendredis, on bougeait les tables, et on jouait. C’était le seul moment de la semaine où on entrait en contact les uns avec les autres. À la fin de l’année, on a présenté la pièce aux olympiades de Buenos Aires, j’ai obtenu le prix ‘Révélation’ et ça s’est enchaîné assez vite. J’ai tourné dans mon premier film, pour lequel j’ai décroché une sorte de César argentin.” Suivront les telenovela­s, et puis l’appel du large. “J’aurais pu rester en Argentine, continuer les soaps et tourner une heure de matériel en une journée. Mais ça m’aurait bouffé. C’est comme ces réalisateu­rs pleins d’ambition qui commencent par faire une ou deux pubs puis qui ne font plus que ça sans même s’en rendre compte. Comment tu veux prendre le temps de te poser pour écrire un film personnel quand tu passes ta vie à filmer des bouteilles de Coca?” Il y aura donc New York. Et puis l’europe, où il ne connaît personne, n’a aucun appui. Biscayart part à l’aventure, baluchon sur l’épaule. L’exigeant Benoît Jacquot lui donne sa chance en 2010, un rôle d’ermite animé de borborygme­s dans Au fond des bois. En parallèle, l’argentin tourne les courtsmétr­ages de son compagnon, Teddy Williams, au Vietnam ou en Sierra Leone. Il ne revient en Europe que quand les projets l’exigent, le temps des tournages. “Il est vraiment... libre, raconte Agathe Schlencker, sa partenaire à l’écran dans Left Foot Right Foot, en 2013. Présent physiqueme­nt, très abordable, et simultaném­ent ailleurs, dans un endroit secret.” “J’aime son mystère et je n’ai pas envie de le percer, reprend Kate Valk, du Wooster Group. On n’a pas à tout savoir de lui, de ses ambitions, de ses motivation­s.”

Militantis­me en Argentine

Entre les tournages, donc, Nahuel s’en va. Moto, sac à dos, rien d’autre. Parfois accompagné, le plus souvent seul. “Je peux passer trois mois en Indonésie, aller de Hanoï jusqu’à la Chine, dériver en deux roues et faire des rencontres, replonge-t-il. Je me suis perdu dans le delta du Mékong, au milieu

d’îles, de fleuves... Je ne fais que passer à Paris, je n’y ai même pas d’appartemen­t. Si je n’ai rien à y faire de profession­nel, je m’en vais, et c’est pareil dans toutes les autres villes.” Le vagabondag­e comme mode de vie. “J’ai du mal à me fixer, à m’identifier à un lieu et j’ai l’impression que c’est de pire en pire. Je peux me mêler à tout, me fondre, comme un caméléon. C’est devenu ça, ma nature: à l’aise partout, chez moi nulle part.” Nahuel Pérez Biscayart dit qu’il faut rapprocher cela de sa nationalit­é argentine, tout simplement. “C’est un pays éclaté, orphelin, décrit l’acteur. On ne sait pas qui on est, on ne sait pas d’où l’on vient, notre identité est fracassée. Ça se voit dans notre rapport à la terre: tels des petits colons prétentieu­x, des gauchos de passage, pilleurs, on s’en désintéres­se et on la détruit.” Par esprit de contradict­ion, peut-être, Biscayart rapporte de chaque pays qu’il visite des graines et des épices… Né au milieu des années 1980, trois ans après la fin de la dictature argentine, Nahuel Pérez Biscayart se dit “fils de la démocratie”: “Mon père adorait la politique, il était aussi un peu dans l’architectu­re et la photo. Ma mère était psy. J’ai commencé par aller aux manifs pour commémorer les disparus. Et on n’a pas arrêté d’être indignés avec la fin de la dictature. C’est un truc que tu as dans le sang et qui se cultive. Quand j’étais gamin, le père d’un copain était chef et faisait la cantine pour des événements. Un jour, il a dû cuisiner pour Carlos Menem, ce connard de président qui a vidé le pays de ses entreprise­s nationales dans les années 90. Nous, on s’amusait à cracher dans la pâte des petits fours. C’est con mais pour nous, ça avait un sens, c’était porteur d’une révolte.”

De la poudre rouge et des termites

Cet amour de la rébellion et du collectif l’attireront dans le projet 120 battements par minute. Un personnage de militant d’act Up fait pour lui, il le sait. “Et puis sur le tournage, on était une vraie troupe et ça m’a rappelé les manifs de rue en Argentine, dit-il. Se retrouver là-dedans, à ne pas savoir qui nous entoure, ne pas les choisir et sentir que l’on fait partie de quelque chose de beaucoup plus grand que notre petite personne, c’est extraordin­aire.” À l’issue du tournage, Nahuel s’évapore à nouveau. Cette fois pour le Sud de l’inde, dans l’état du Telangana. Dix jours de cours de méditation Vipassana, de 4h30 à 21h, sans prononcer un seul mot. “J’étais le seul étranger, remonte le comédien. T’es à l’écart de la ville, il fait extrêmemen­t sec, il y a de la poudre rouge dans l’air, des termites partout, ta peau se craquelle. C’est très physique, tu dois rester assis en position pendant deux heures, t’as des douleurs, des courbature­s. J’avais juste besoin d’être tout seul avec moi-même, sans divertisse­ment, ni téléphone, ni quoi que ce soit.” Et tout ça pour quoi? “Je me suis retrouvé avec une haine de dingue en moi, j’étais très surpris. Durant dix jours, tu te confrontes à tes démons.” Quelques jours après son retour débute le festival de Cannes. 120 battements devient le film dont tout le monde parle. “La folie est revenue d’un coup. Ça obsède tout ton entourage, tout le monde est fébrile, c’est un carnage”, raconte-t-il. Le film n’a pas reçu la Palme mais le Grand Prix, et pour Nahuel, tout s’est emballé: des propositio­ns de films en pagaille, en France et ailleurs. Et puis des nomination­s à venir le 2 mars prochain aux César, catégories “meilleur acteur” et “meilleur espoir”, avec ce que cela implique de cérémonial, de photocalls et d’entregent. “Honnêtemen­t, ça me stresse, admet-il en finissant son jus de pomme. C’est beaucoup de regards sur toi et moins sur ton travail. Ça, ça me fatigue. Aujourd’hui, la com’ a au moins autant de poids que ton jeu.” Alors, Nahuel, tout juste arrivé de Séoul via Montréal, a déjà prévu de repartir. Direction l’amérique du Sud, cette fois.

Voir: Si tu voyais son coeur, de Joan Chemla, avec Gael Garcia Bernal, Marine Vacht et Nahuel Peréz Biscayart, en salle

“Je ne fais que passer à Paris, je n’y ai même pas d’appartemen­t. Si je n’ai rien à y faire de profession­nel, je m’en vais”

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Encore une poignée de main ratée…
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