Society (France)

Nordahl Lelandais, l’ombre d’un tueur en série?

Adrien Fiorello, Jean-christophe Morin, Florent Bonnet, Malik Boutvillai­n ou Nicolas Suppo. Ces dernières années, tous ont disparu entre la Savoie, la Haute-savoie et l’isère, région montagneus­e de l’est de la France où a vécu Nordahl Lelandais, suspect n

- PAR GRÉGOIRE BELHOSTE ET WILLIAM THORP, À ÉCHIROLLES, FIRMINY, HURTIÈRES, LYON ET PASSY PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Mis en examen dans les affaires Maëlys et Arthur Noyer, Nordahl Lelandais continue à tout nier, mais les éléments compromett­ants se multiplien­t. À tel point qu’entre Le Pontde-beauvoisin et Chambéry, là où l’ancien militaire vivait discrèteme­nt, beaucoup s’interrogen­t désormais: et si le fils, le frère, l’ami qu’ils ont vu disparaîtr­e il y a quelques années avait aussi été victime de Lelandais?

C’est une vieille feuille, format A3, pliée et repliée, encore et encore. Dessus: une carte imprimée en noir et blanc de la région du massif montagneux des Bauges, à cheval sur la Savoie et la Haute-savoie. Certaines zones sont hachurées en rose, d’autres en jaune. Elle trône sur la table, mais Adeline Morin n’y jette que de brefs regards. Car cette carte, elle pourrait la reproduire les yeux fermés. Cet après-midi encore, elle l’a ressortie. “Il le faut, souffle-t-elle. Pour Jean-christophe.” D’une main assurée, elle pose son index sur un point précis: le fort de Tamié. “C’est là que mon frère a été vu pour la dernière fois.” Plus exactement, au festival électro Éléments, organisé dans la forteresse en haut de la montagne, le 9 septembre 2011. Un lieu charmant mais isolé du monde, à 907 mètres d’altitude. Vers 3h, Jean-christophe apparaît devant le fort, “complèteme­nt paniqué”. Un ami qui s’occupe des entrées s’en inquiète: “Bah alors JC, qu’est ce qui se passe?” Comme s’il était une proie poursuivie par une bête, l’homme ne prononcera qu’une seule phrase, avant de s’enfuir en courant dans la nuit noire de la forêt: “Quelqu’un m’en veut.” On ne le reverra plus. Seul son sac à dos sera retrouvé dans une pente de 200 mètres aux abords du fort. “C’était un fêtard, un galérien qui vivait dans un camion aménagé alors qu’il n’avait même pas le permis, dit Adeline, accoudée à la table de sa cuisine, à Passy, en Haute-savoie. Je me disais qu’il avait peutêtre pris le produit de trop et que cela avait dérapé dans sa tête.” Une crise de paranoïa suivie d’un accident dans les montagnes? Pas impossible. Mais il y a eu ensuite la nuit du 7 au 8 septembre 2012, pratiqueme­nt un an pile-poil après la disparitio­n de Jeanchrist­ophe: Ahmed Hamadou, Chambérien de 45 ans, s’évapore dans des conditions similaires, toujours au festival Éléments. Même lieu, même événement, et mêmes conséquenc­es. L’homme qui s’est vu refuser son entrée au festival puis a décidé de rentrer chez lui à pied ne sera jamais retrouvé. “C’est à ce moment-là que je me suis posé la question, rejoue Adeline: ‘Et si un psychopath­e rôdait dans le coin?’”

Dans le viseur d’adeline et de tous les médias ces derniers jours, la même personne: Nordahl Lelandais, ancien maître-chien dans l’armée de terre, réformé pour “troubles psychologi­ques”, mis en examen pour le meurtre de la petite Maëlys à Pont-debeauvois­in, en Isère, disparue depuis le 27 août dernier, et celui du militaire issu du 13e bataillon de chasseurs alpins, Arthur Noyer, dont le crâne a été retrouvé le 7 septembre dernier par un promeneur sur un chemin de randonnée près de Montmélian, à seize kilomètres de Chambéry. Deux affaires, mais peut-être plus. Dans ces coins montagneux de la France, entre l’isère, la Haute-savoie et la Savoie, d’autres noms commencent à refaire leur apparition. Des visages que le temps avait effacés, remontés par des proches qui ont l’espoir de trouver enfin une réponse à cette question lancinante: que s’est-il passé? Il y a par exemple Adrien Mourialmé, 24 ans, disparu le 5 juillet 2017 après une randonnée au bord du lac d’annecy ; Malik Boutvillai­n, 32 ans, disparu le 6 mai 2012 après avoir quitté son domicile à Échirolles ; Nicolas Suppo, disparu le 15 septembre 2010 pendant sa pause déjeuner ; ou encore Adrien Fiorello, 22 ans, disparu le 6 octobre 2010 à Chambéry, sur le chemin de son université. “Ce sont une vingtaine de familles potentiell­ement concernées par l’affaire Lelandais, avance Bernard Valézy, commissair­e divisionna­ire et vice-président national de l’associatio­n de recherche de personnes disparues (ARPD). La semaine dernière, on a encore reçu trois appels de familles qui voulaient connecter la disparitio­n de leur proche à l’accusé.”

“On s’accroche à tout dans cette histoire”

Adeline a encore en tête ce coup de fil du 20 décembre dernier. C’est une journalist­e au bout de la ligne. Elle l’informe des nouvelles avancées de l’affaire Maëlys. Thierry Dran, procureur de la République de Chambéry, vient d’annoncer que les portables de Nordahl Lelandais et Arthur Noyer ont déclenché les mêmes relais, lors de leur passage à Chambéry dans la nuit du 11 au 12 avril. Cette nuit où le second a disparu. Des preuves suffisante­s pour impliquer le présumé tueur de Maëlys dans une nouvelle affaire, donc. Et pour faire de lui, par la même occasion, un possible “tueur en série”. “En clair, on me disait que Nordahl pouvait être lié à la disparitio­n de mon frère, se souvient Adeline. J’étais vraiment sous le choc.” Et perplexe. Tout au long de la conversati­on, Adeline ne cesse d’appeler Nordahl par un autre prénom: Sven. “La journalist­e m’a corrigée plusieurs fois, je ne comprenais pas pourquoi je me trompais, continue-t-elle. J’ai ensuite fait des recherches sur Internet pour comprendre et là, j’ai de nouveau paniqué. Sven est le frère de Nordahl,

“J’ai fait des recherches sur Internet pour comprendre et là, j’ai de nouveau paniqué. Sven est le frère de Nordahl, et je le connaissai­s” Adeline Morin, soeur de Jean-christophe, disparu depuis 2011

et je le connaissai­s.” Ils se sont rencontrés en septembre 2016. Adeline Morin travaille alors pour l’espace saisonnier­s, une associatio­n qui s’occupe d’accompagne­r des personnes en difficulté dans diverses démarches. Sven la contacte sur Facebook pour trouver un travail. Ils se verront une seconde fois, plus tard, lors d’une soirée de saisonnier­s.

“C’est possible que tout cela ne soit qu’une coïncidenc­e, mais ça me perturbe”, dit-elle. D’autant qu’une autre circonstan­ce turlupine Adeline: Ahmed Hamadou, l’homme disparu un an après “JC”, vivait à Chambéry. À 35 minutes de voiture à peine de Domessin, là où habitait Nordahl Lelandais, un village à une heure du fort de Tamié, où les deux hommes ont disparu. “C’est tout de même un petit rayon tout cela, non?” fait-elle mine de s’interroger. Puis, d’une voix lasse: “Vous savez, on finit par s’accrocher à tout dans cette histoire.”

Chambéry. C’est aussi dans cette ville des Alpes que le portable d’adrien Fiorello a “borné” pour la dernière fois. Mariefranc­e, sa mère, vit à Firminy, au sud de Saint-étienne. Dans son salon trônent deux grands portraits de ses deux fils. Adrien est à gauche. Il a la bouche grande ouverte, comme hilare, et porte un haut noir et blanc, avec l’inscriptio­n “bébé sage” dessus. Quand Marie-france parle de lui, son regard se tourne vers la photo, comme pour s’assurer que tout cela est bien vrai, que celui dont elle raconte la disparitio­n a bien existé. De manière mécanique, elle commence par brosser son portrait. Celui d’un garçon heureux dans sa petite enfance et dont le bonheur s’est effiloché avec le temps. Sans qu’elle ne sache réellement pourquoi. La mort prématurée d’un grand-père, peut-être, ou le déménageme­nt et la perte de repères

“Quand j’ai appris pour Lelandais, j’ai appelé le policier de Grenoble qui s’était occupé de Malik. Il m’a dit que ça avait ‘tilté’ aussi de son côté et qu’il avait déjà transmis le dossier aux enquêteurs de Chambéry”

Dalila Boutvillai­n, soeur de Malik, disparu depuis 2012

qui ont suivi. “Tout ça l’a chamboulé, je pense, il a eu du mal à avoir des relations ensuite, explique la mère. À l’époque, je n’ai rien vu. On ne voit jamais rien.” De l’école primaire au collège, puis du collège au lycée, les choses n’évoluent pas. Puis arrive le temps de la faculté de droit de Saint-étienne. “Ça avait l’air d’aller mieux, mais il ne sortait jamais avec des amis le week-end, par exemple, continue-t-elle. On le taquinait de temps en temps à table, on lui disait: ‘Alors, on la voit quand ta petite copine, Adrien?’ Il souriait.” Le matin du 6 octobre 2012, à 8h45, mère et fils conviennen­t de se retrouver le soir même devant les portes de la fac. Marie-france viendra chercher Adrien à la fin de ses cours. Le garçon claque ensuite rapidement la porte d’entrée avant de se raviser et de lâcher dans l’entrebâill­ement: “Tu n’oublies pas de m’acheter ma cartouche d’imprimante, hein? Il me la faut pour ce soir!” 19h15, Marie-france est postée dans sa voiture, montre en main, devant l’université. Les élèves commencent à débouler en groupes. Pas de signe d’adrien. “Je me disais qu’il discutait peut-être avec un prof ou des camarades de classe.” 19h45, les grappes d’élèves commencent à se disperser. Marie-france envoie un message à son fils: “Je suis dehors, Adrien.” 20h, elle l’appelle. Le téléphone est éteint. Quelque chose cloche. 20h15, l’université semble vide. La femme s’y rue et rencontre un homme qui s’occupe de l’entretien. “Ça ferme, madame, lui dit-il. Il n’y a plus personne ici.” La mère patiente jusqu’à 20h45, puis décide d’appeler Salvatore, son mari, pour savoir si leur fils est rentré à la maison. Réponse négative du père. Marie-france rentre vers 22h et fonce illico au commissari­at, inquiète. “Je raconte l’histoire au policier, et il me dit: ‘Ah, mais il est juste parti boire des verres avec des copains. Vous savez, ils ne nous disent pas tout, les jeunes’, continue-t-elle. Ce n’était pas le genre d’adrien de faire ça. Je les ai vraiment harcelés et l’un d’entre eux à tout de même fini par voir ma détresse, et a appelé tous les hôpitaux et commissari­ats du coin. Personne ne l’avait vu.” Les jours suivants, elle découvre que son fils ne s’est pas rendu à la fac de droit. Grâce à la police, qui a commencé les investigat­ions, elle apprend que son portable a été localisé le jour de sa disparitio­n à 10h dans le centrevill­e de Saint-étienne, et une dernière fois, à 17h37, à plus de deux heures de route de là, à Chambéry. Chambéry, encore. Puis, c’est le trou noir. Seules restent les hypothèses, comme celle d’un jeune homme un peu tourmenté qui aurait décidé de refaire sa vie sans prévenir personne. Ou, tout simplement, celle d’un suicide. Et puis il y a la dernière hypothèse, celle de Marie-france, qui fait d’adrien un garçon qui entretenai­t une relation secrète avec une femme mariée à Chambéry et qui se serait retrouvé “au mauvais endroit, au mauvais moment”, “face à la mauvaise personne”. “On a retrouvé une boîte de préservati­fs entamée dans sa chambre. On ne comprenait pas pourquoi il ne sortait pas le week-end, eh bien peut-être est-ce parce que sa copine était mariée et qu’elle ne pouvait évidemment pas sortir avec lui autrement que la semaine en pleine journée à Chambéry, dit-elle, avant de soupirer. Et on sait aujourd’hui qui traînait dans le coin…”

Des battues dans les forêts

La tempête Eleanor fait chanter l’appartemen­t. La pluie résonne sur les fenêtres du logement, les bourrasque­s font trembler les portes vitrées du balcon. Mais il en faut plus pour arrêter Badra Boutvillai­n. Debout sur sa petite terrasse, la femme de 70 ans prend le temps de montrer du doigt chacune des différente­s sorties de la Villeneuve, dédale d’escaliers, de coursives et de béton planté à Échirolles, dans la banlieue sud de Grenoble. Le 6 mai 2012, alors que la France élisait François Hollande à la présidence de la République, son fils Malik, 32 ans, aurait emprunté l’une de ses issues. Sans jamais revenir ni laisser la moindre trace. Badra a simplement retrouvé le portable et le portefeuil­le de son cadet sur la table de la salle à manger du domicile familial, où il était revenu vivre deux ans plus tôt, après une séparation qui lui avait causé quelques problèmes psychologi­ques. Depuis, c’est l’attente, fébrile. “Sa disparitio­n, on bouffe avec, on dort avec, soupire sa grande soeur, Dalila, la petite quarantain­e, devant une pile

de photos du disparu. On ne comprend pas: on dirait qu’il a été avalé par la terre, qu’il s’est évaporé…” Après la disparitio­n, explique-t-elle, les services de police se sont contentés du strict minimum. “Trois jours après, ils ont lancé des recherches, mais l’officier de police m’a dit qu’il fallait que je me charge moimême de l’enquête de voisinage. Je l’ai supplié de faire sentir l’odeur de Malik à des chiens policiers, pour qu’ils inspectent les alentours, mais il m’a répondu qu’il y avait trop de monde dans le quartier. Elle ne voulait pas troubler la tranquilli­té publique.” La raison? Peut-être parce que la Villeneuve a connu ces dernières années une histoire mouvementé­e: deux ans plus tôt, après la mort d’un braqueur tué par la police dans le quartier, des émeutes éclataient dans ce vaste complexe immobilier sorti de terre après les Jeux olympiques d’hiver de 1968 pour accueillir des logements sociaux entre Grenoble et Échirolles. Cinq mois après l’affaire Malik, le secteur faisait la une des journaux pour une rixe sanglante ayant coûté la vie à deux habitants de 21 ans. Onze personnes interpellé­es, un quartier classé dans la foulée zone de sécurité prioritair­e. Dans ce contexte, déplorent les Boutvillai­n, il a fallu chercher soi-même le disparu, par tous les moyens, dans le labyrinthe de la Villeneuve mais aussi à plusieurs kilomètres à la ronde. Pendant près d’un an, Badra, Dalila et sa soeur Karima organisent des battues dans les environs avec les amis du quartier, ceux qui ont vu grandir Malik. “On est allés fouiller dans les collines, notamment à la Frange verte, où mon frère avait l’habitude de courir, retrace Dalila. On est aussi allés voir les forts et les barrages. Comme on m’avait dit que les suicidés enlevaient souvent leurs chaussures avant de sauter, on a fait toutes les berges pour voir s’il n’y avait pas de baskets blanches posées quelque part. C’est con: on vous dit des détails, ça vous obsède, et vous faites des kilomètres pour trouver une satanée paire de baskets blanches.” Dalila contacte l’office national des forêts pour demander à ce que l’on jette un oeil sur les bois et les cours d’eau. Chaque soir, au cas où, elle se rend au cimetière d’échirolles, où repose leur père, pour déposer un mot, le plus souvent emporté le lendemain par le vent: “Malik, appelle-nous, ne t’inquiète pas.” Six mois après la disparitio­n, le téléphone sonne. Numéro masqué. Au bout du combiné, la voix d’un anonyme: “Si c’était mon frère, je ne le laisserais pas errer comme ça.” L’inconnu dit avoir croisé le chemin de Malik à Barcelone, près des Ramblas, l’artère centrale de la ville. Mère et fille se rendent sur place, à l’adresse indiquée. Rien à signaler. Elles collent des affiches, inspectent les squats, informent la police locale. Toujours rien. Et puis, le 20 décembre dernier, Dalila Boutvillai­n a regardé sur son smartphone la conférence de presse du procureur de Chambéry, retransmis­e sur BFM-TV. Lorsque, au bout d’une dizaine de minutes, le magistrat a conclu ses propos en expliquant que “toutes les disparitio­ns inquiétant­es de la région” allaient être à nouveau examinées à travers le prisme Lelandais, son coeur a bondi. “Je me suis dit qu’ils allaient enfin véritablem­ent enquêter sur la disparitio­n de mon frère. Je n’ai

“Une vingtaine de familles sont potentiell­ement concernées par l’affaire Lelandais. La semaine dernière, on a encore reçu trois appels de familles qui voulaient connecter la disparitio­n de leur proche à l’accusé”

Bernard Valézy, commissair­e divisionna­ire et vice-président national de l’associatio­n de recherche de personnes disparues (ARPD)

pas réussi à dormir de la nuit. Le lendemain matin, à la première heure, j’ai appelé le policier de Grenoble qui s’était occupé de Malik. Il m’a dit que ça avait ‘tilté’ aussi de son côté et qu’il avait déjà transmis le dossier aux enquêteurs de Chambéry.”

Grâce à la médiatisat­ion, des affaires jusqu’ici en sommeil pourraient être relancées, avec l’arrivée de nouveaux témoignage­s, qu’ils soient liés ou non à Nordahl Lelandais. “Ça permet aussi de rediffuser la photo de Nicolas, de reparler de lui”, murmure Janine Suppo, les deux mains serrées sur un selfie imprimé de son fils, Nicolas, posant devant la grande roue de Londres. Ouvrier spécialisé pour une entreprise fabriquant du matériel paramédica­l, Nicolas Suppo, comme Malik, vivait et travaillai­t à Échirolles. Depuis qu’il a quitté son travail le 15 septembre 2010 vers 12h30 sans papiers d’identité, ni permis de conduire, ni carte bleue, sa famille est sans nouvelles de lui. Son téléphone portable, coupé, n’a pas permis de le géolocalis­er via le bornage téléphoniq­ue. En avril 2014, l’informatio­n judiciaire sur le dossier Nicolas Suppo a été fermée, faute d’éléments nouveaux pour faire avancer les recherches. Pour tenter de trouver de nouveaux indices, son père a sillonné la France à bord d’un camping-car, qui l’a mené à Sainte-maxime, où le disparu aurait été aperçu, ou sur la ZAD de Notre-dame-des-landes. En vain. Les yeux embués, Janine dit toujours espérer des nouvelles de Nicolas. Et d’ici là, de pouvoir “éliminer cette histoire avec ce monsieur”. Elle marque un temps. “Je n’arrive pas à me souvenir de son nom, ce n’est pas un hasard, dit-elle, à propos de Lelandais. Pour moi, Nicolas est en vie quelque part, il a choisi de partir, c’est ma conviction.” Dans les mémoires, les disparus sont bien vivants. Ces dernières années, tous croient avoir aperçu ici ou là la personne volatilisé­e. Un jour, dans les allées D’IKEA, à Grenoble, Dalila Boutvillai­n voit passer au loin “un grand gars, de dos, avec la même coupe de cheveux que Malik”. “J’ai couru le voir, je lui ai dit qu’il allait sûrement me prendre pour une folle mais que j’avais besoin d’entendre sa voix. Il a parlé. Ce n’était pas lui.” Un autre jour, au péage, Adeline Morin n’arrive pas redémarrer. Elle pense avoir croisé le regard de son petit frère. “Dans le rétro, je vois un monsieur barbu, comme il l’était les derniers jours. J’étais à deux doigts de descendre de ma voiture. Ridicule. Après, on se met une claque et on se dit: ‘Arrête.’” Adeline Morin a aussi, un temps, accordé sa confiance à un médium. “Un jour, quelqu’un m’a contactée pour me dire qu’il savait où était mon frère, s’agace-t-elle. Il a pointé du doigt un point précis de la carte près du fort de Tamié, et je me suis retrouvée à cet endroit dans les bois, à chercher le cadavre de Jean-christophe à cause de lui. Vous savez, je pense avoir un esprit cartésien, logique, mais à ce moment-là, j’y croyais... J’avais tellement besoin d’y croire. Tellement.”

“Tout ça fait trop de mal”

Depuis que le nom de Nordahl Lelandais hante les pages faits divers des journaux, la famille Mouzin s’est un temps remise à y croire. Le 9 janvier 2003, la petite Estelle disparaiss­ait à Guermantes, en Seine-etmarne. Cette année-là, l’actuel ennemi public n°1 vivait au sein du 132e bataillon cynophile de l’armée de terre, dans le camp militaire de Suippes, dans la Marne. À 150 kilomètres de la ville de disparitio­n de la fillette de 9 ans. Suffisant pour espérer tenir une piste. “On a l’habitude de travailler sur de longs parcours criminels, comme celui de Fourniret (Michel, violeur et tueur en série, a avoué une série d’une dizaine de meurtres entre 1987 et 2001, ndlr). Dans le cas d’estelle, Nordahl Lelandais était supposé ne pas être très loin, alors j’ai demandé que l’on vérifie où il se trouvait le 9 janvier 2003, détaille Me Herrmann, l’un des avocats de la famille, avant de préciser: En réalité, il était alors à l’étranger dans le cadre de ses fonctions militaires.” Fausse route, donc. Si l’hypothèse “Nordahl Lelandais” semble réveiller l’espoir chez certains, chez d’autres, c’est la douleur qui ressurgit. Parmi eux, Jacques Bonnet. En janvier 2014, les gendarmes de Bourg-saint-maurice ont retrouvé la moto de son fils près du tunnel de Siaix, en Savoie. Sur la Suzuki 600 était posé le casque du conducteur. Depuis, aucun signalemen­t téléphoniq­ue, aucun retrait d’argent. Silence radio. “Je m’étais fait à l’idée qu’il avait refait sa vie quelque part, peut-être en Inde. Je commençais à faire le deuil. Et puis ça revient à la surface… J’aurais préféré que cela ne ressorte pas, tout ça fait trop de mal.” D’échirolles au pays du Mont-blanc, toutes les familles veulent savoir, mais toutes craignent, en fin de compte, de se retrouver confrontée­s à l’horreur. Faire enfin le deuil, mais à quel prix? “Je dois savoir pour me reposer, pour avoir un lieu pour me recueillir, mais il y a des choses qui m’effraient, confie Marie-france Fiorello, en jetant un dernier coup d’oeil vers le portrait de son plus jeune fils. Lelandais me fait peur. Si c’est lui, il a dû faire des choses horribles à mon fils. J’ai peur de n’avoir plus que ce jour-là en tête, de ne penser qu’aux quelques heures, aux quelques jours où Adrien a souffert. Alors, je n’aurais plus que de la haine en moi.”

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 ??  ?? Nicolas Suppo, disparu le 15 septembre 2010.
Nicolas Suppo, disparu le 15 septembre 2010.
 ??  ?? Près de la salle des fêtes du Pont-de-bonvoisin, où s’est déroulé le mariage lors duquel Maëlys a disparu.
Près de la salle des fêtes du Pont-de-bonvoisin, où s’est déroulé le mariage lors duquel Maëlys a disparu.
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Dalila et Badra Boutvillai­n.
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Le fort de Tamié. Là où ont disparu Jean-christophe Morin et Ahmed Hamadou.
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Bernard Valézy.

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