Society (France)

Benjamin Biolay

Un pied dans la variét’ et l’autre dans le hip-hop. Un pied chez les snobs et l’autre dans le tweet clash. Un pied chez les bourgeois et l’autre chez les prolos. Un jour chanteur, le lendemain acteur. Un soir à dîner avec les politiques et un autre à reg

- PÉCOT ET THOMAS PITREL PHOTOS: FRANKIE & NIKKI POUR SOCIETY

Populaire mais crédible, étiqueté chanson française mais fan de hip-hop, élevé dans une famille bourgeoise mais modeste, il n’a jamais vraiment choisi son camp. Ce qui lui donne un certain recul sur les affaires du monde. Interview détente.

Comment vous êtesvous retrouvé jury de Nouvelle Star cette année, alors que vous aviez refusé plusieurs fois auparavant? On m’a proposé d’avoir les coudées assez franches. Et puis je me suis rendu compte que j’avais besoin d’un petit coup de jeune, là, quand même. Rien que les trucs qu’écoutent ma fille et son demi-frère… Il me faut du temps pour comprendre. Par exemple, tout le monde a dit que je rendais hommage à PNL sur un morceau (Hypertranq­uille, sur son dernier album, ndlr) mais dans ma tête, je rendais plutôt hommage au Doc Gynéco de Première Consultati­on. J’aime beaucoup PNL mais la première fois que je les ai écoutés, j’ai été atterré. Parce que j’avais raté plein d’épisodes. J’étais dans mon monde, avec ma guitare et mes conneries. La première fois qu’on m’a fait écouter, c’était le morceau Je vis, je visser, j’ai pas aimé, mais après, j’ai réécouté, j’ai monté le son et je me suis dit: ‘Mais ils sont bons, en fait.’ L’argot est bien, les mélodies aussi, etc. Il y a des artistes qui te sautent à la gueule direct, comme Orelsan et d’autres qui ont le son de leur époque, machin, et comme moi j’ai raté des étapes… La Nouvelle Star, je l’ai faite pour ne plus jamais dire ‘PNL, c’est nul’ avant d’avoir écouté.

Vous avez trouvé ce que vous étiez venu chercher? Ça m’a permis de me faire un petit réservoir de sons. Là, je suis en train de composer mon prochain album. Bon, ce ne sera pas un album urbain, mais quand tu as un peu de maîtrise, tu dissèques la façon dont travaillen­t les auteurs-compositeu­rs d’aujourd’hui. Je suis allé checker tout ce que faisait Maître Gims, par exemple, et ce mec a un énorme talent. Je me suis reconnecté à la musique. Plutôt qu’aller en Jamaïque comme Gainsbourg à mon âge, je suis allé en France. Je suis allé voir 600 gamins français, parfois dans la nullité totale, parfois dans le génie pur. Tu te retrouves en face de quelqu’un qui a 16 ans, qui n’a l’air de rien, qui n’a aucune culture… ‘T’aimes bien quoi?’ Il te sort deux merdes, tu as peur de ce que tu vas entendre, et là, la grâce! Avec Dany Synthé (producteur, également membre du jury, ndlr), la tentation était forte, le soir, de rappeler un candidat, monter deux ipad dans la chambre, produire un son et le faire poser dessus. J’ai voyagé dans mon pays et ça, c’était magnifique.

Vous n’en avez pas marre d’être le seul mec de la chanson française à dire dans des interviews que vous aimez le rap et que vous en écoutez beaucoup? C’est dommage car il y en a, des gens qui écoutent du rap, c’est dingue! Le rap, ça représente un tiers minimum de ce que j’écoute et ça a toujours été le cas. Mais je pense que tout ça va changer. Vianney commence à faire des trucs dans le rap, Florent Pagny a bossé avec l’équipe de Gims. Les jeunes ne font plus de différence­s entre les genres musicaux. PNL, je les mets dans des playlists un peu latino ou chill, mais pas dans le rap français.

Vous avez des playlists chill, donc. Vous avez aussi des playlists tristesse? Bah non, t’es fou ou quoi? Tu mets Mozart, concerto n°23, deuxième mouvement et tu te finis au pipi tranquille. Ça dure un quart d’heure, donc t’as pas besoin de te faire tout une playlist. Mozart. Concerto pour piano. Numéro 23. Deuxième mouvement. BLAM!

Le clip d’hypertranq­uille ressemble beaucoup à un clip de rap. C’était voulu? Évidemment, j’ai pris des vrais: Beat Bounce. Ils ont fait tous les clips de Lacrim, beaucoup de Jul aussi. Ils sont dans leur époque, ils sont parmi les premiers à avoir lâché des plans drone. Leur grand kif, ce serait qu’un jour, je fasse une ballade très triste, piano-voix, dans les quartiers nord de Marseille et qu’ils me filment avec tous les lascars derrière. Et un jour, on le fera.

Jul, ça vous parle? Bien sûr. Je ne dis pas que j’écoute beaucoup, mais je comprends très bien et j’arrive à respecter. Je sais que pour quelqu’un comme moi, ça devrait paraître un mystère absolu parce que j’ai fait le conservato­ire de musique, mais non. Le fait qu’il fasse lui-même ses sons, ça change tout. Ce n’est pas très correct de ricaner par rapport à son orthograph­e. Au début, les premiers titres que j’ai écoutés, j’avais remarqué que les intros étaient hyperlongu­es. Mais je sais pourquoi: il lance l’instru, il court dans sa cabine et c’est parti. Trois fois par an, il a 250 000 personnes qui achètent son album, et des millions qui font le signe de Jul avec leurs mains alors qu’il est tout seul. À côté de lui, moi, je galère. Nous, les chanteurs de variété, on a le cul entre deux chaises sur la façon de vendre nos albums. On a un planning promo tellement long en amont que les sorties sont très longues. Aujourd’hui, un artiste comme Drake est à un clic de dire à des millions de personnes qu’il sort un nouvel album. Qu’estce que tu veux qu’il aille s’emmerder à parler dans un talk-show à 6h du matin? Orelsan, il balance son clip Basique, boum boum, c’est réglé. Nous, on doit faire 20 000 trucs avant parce que notre public n’a pas le même mode de consommati­on…

Vous êtes-vous réconcilié avec la chanson française? À vos débuts, il y avait des mots un peu durs… Ce n’était pas du marketing, mais une façon inconscien­te de dire: ‘Ne me mettez pas là-dedans, par pitié, s’il vous plaît, je vais me suicider, ne me renvoyez pas cette image fausse de moi, c’est tout ce que je ne veux pas faire.’ Les clashs ridicules, j’en ai rien à foutre, en vérité. Je trouve ça violent et puis ça a trop de répercussi­ons sur les fans. Donc le clash avec Grégoire, c’était juste pour rigoler? Mais c’est pas un clash! Faut juste pas me prendre pour un couillon. Je me suis dit: ‘Bah tiens, puisqu’il aime tant ma chanson, je vais faire un petit coup de pub à ma chanson tout en lui mettant une hache dans sa tête’ ; parce qu’on ne vole pas les copains comme ça sans les prévenir. J’ai déjà entendu des plagiats de Jardin d’hiver, j’en ai rien à branler, mais cette chanson (Ton héritage, ndlr) est pour ma fille, il ne faut vraiment pas y toucher. Après, ce sont les réseaux sociaux: je me faisais chier, j’étais même pas bourré et il y

a deux, trois sites qui ont repris. En vérité, quand j’y pense, je me dis qu’il faut arrêter ça. Ça ne sert à rien de mettre des tacles aux gens sur les réseaux sociaux. C’est juste du buzz de merde. C’est comme Booba et Kaaris: ça t’intéresse de savoir qu’ils se clashent alors qu’ils lâcheront peut-être un feat dans quelques mois? Les clashs, ça peut être bien pour vendre des trucs. Si j’étais un simple citoyen, je te dirais peut-être un autre truc mais je suis musicien, je vois bien la stratégie marketing. Il n’y a qu’à voir le nombre de followers qu’ils gagnent à chaque fois. Que pensez-vous de l’évolution de la chanson française ces dernières années? Le niveau s’est amélioré. Les maisons de disques ont arrêté de faire chier les artistes. Nous, on se serait mis à genoux devant Pascal Nègre quand on était petits. Trois disques ont cassé le truc: Chambre avec vue d’henri Salvador, Clandestin­o de Manu Chao et Quelqu’un m’a dit de Carla Bruni. Des trucs auxquels les gars des maisons de disques ne comprenaie­nt rien et qui ont vendu deux millions. Donc ils se sont dit: ‘Laissons-les, ils savent mieux que nous.’ Il y a quand même eu une période où les maisons de disques misaient tout sur les boys bands. À cette période-là, il y a plein d’artistes qui se sont dit: ‘Les enculés, ils mettent tout leur pognon là-dessus pendant que moi, je me morfonds en première partie de Jean-patrick Capdeviell­e...’

Quel rapport entretenez-vous à la critique? Franchemen­t, c’est beaucoup plus dur pour un cinéaste que pour un musicien. Tu passes deux ans et demi de ta vie sur quelque chose et tu peux te faire déchirer en trois minutes le mercredi matin à 9h à L’UGC des Halles. C’est

“J’aime beaucoup PNL mais la première fois que je les écoutés, j’ai été atterré. La Nouvelle Star, je l’ai faite pour ne plus jamais dire ‘PNL,

c’est nul’ avant d’avoir écouté”

monstrueux, non? Les critiques ont le droit de dire leurs trucs, évidemment. Mais qu’en plus ils veuillent que tu le prennes bien, non, c’est pas possible! ‘C’est deux ans et demi de ma life, vous ne vous rendez pas compte du nombre de nuits où je n’ai pas vu mes enfants. Je me suis rendu mal pour que ça vous plaise, je crevais d’envie que ça vous plaise, je me suis saigné pour que ça vous plaise, ça ne vous plaît pas et en plus vous en faites des caisses…” La critique, c’est un exercice de style, ça doit être assez jouissif. Mais ne faire que ça, je ne comprends pas. Distribuer les bons points et les mauvais points, l’enfer. Ce n’est pas la façon dont je vis les films en tant que spectateur. Quand je vois un film que j’ai aimé ou qui m’a fait quelque chose, je suis très fermé, j’y repense. Je ne me verrais pas jacasser sur des trucs que j’ai vus il y a deux minutes. Quand t’es au jury du festival de Cannes, tu commences à débriefer pendant le générique de fin...

Justement, vous tournez dans de plus en plus de films. Ouais, et ça me permet de vivre des trucs un peu dingues. Sur La Meute, un cheval fou a failli buter Yolande Moreau. Il s’est projeté sur elle. Après, il s’est foutu dans l’eau et on a mis cinq, six heures à le sortir. C’était assez beau. Tu as toute l’équipe qui essaie de sortir un putain de cheval parce qu’il est terrorisé dans l’eau. Et sur le même film, pour une autre scène, le décor était en feu. Des figurants étaient grimés en goules et ont pris feu pour de vrai. Il y a eu au moins dix minutes d’hésitation parce que si tu coupes, tu ne peux plus refaire le plan. Et puis t’as un gars en feu qui gueule mais il est déguisé en zombie, il n’a pas l’air humain. À un moment, c’est un acteur qui a dit: ‘Allez vous faire enculer, on y va’ et tout le monde est allé secourir les gens qui étaient en train de brûler. Heureuseme­nt, il n’y a pas eu trop de séquelles, juste des brûlures superficie­lles et des mecs qui se disent: ‘C’est monstrueux, votre métier.’ Mais j’ai vécu ça dans ma vie. Ce petit moment d’hésitation...

Ça a toujours été évident que vous feriez carrière en tant que musicien ou vous avez essayé d’autres boulots? J’ai fait barman, vendeur merchandis­ing, tout ça. En fait, à 19 ans, j’aurais pu très bien gagner ma vie avec le trombone à coulisse. Mais je me suis dit que je si n’arrêtais pas maintenant, j’allais me retrouver coincé. Après une journée à jouer du trombone, t’es quand même lessivé. Tu rentres à la maison, t’as joué une symphonie de Mahler, c’est chaud d’aller prendre ta gratte. Le boulot artistique alimentair­e, ça n’existe pas. Alors, j’ai fait barman et j’ai adoré, même si c’était bien moins payé et bien plus dur physiqueme­nt. Mais au moins, je rentrais et boum! Le bar, la musique qui passe ou les discussion­s, c’est bien plus inspirant.

Il se dit qu’il y a pas mal d’alcoolisme dans les orchestres de musique classique... Pas plus que dans le théâtre ou dans le corps de ballet. Tu sais, l’orchestre national de Paris, c’est 80 Usain Bolt dans leur domaine. Les cuivres, dont je suis issu, ne peuvent pas travailler plus de deux, trois heures par jour pour des raisons musculaire­s, mais les violons, il faut qu’ils bossent huit heures, les pianos dix… Ils n’ont pas de vie. Nous, les cuivres, on fait la fête. On vient en général d’un milieu beaucoup plus populaire parce que les villes où il y a des cuivres sont des villes minières ou ouvrières, où il y a des fanfares. Le cuivre, il vient souvent du Nord ou des Cévennes. Moi, j’étais à l’union musicale de Villefranc­he-sursaône, comme mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père. Je suis issu d’une famille de cuivres et de bois. C’est souvent des gens légers, un peu moins éduqués et qui ont moins de travail à faire à la maison. Donc oui, ça se met de bonnes vieilles races. Mais au moins, on ne se cache pas. Ce qui est plus sournois, c’est le violoniste qui a l’air de M. Tout-le-monde comme dans les dessins de Sempé et qui va se la coller avec sa petite fiole en permanence sur lui. Faut quand même être tourmenté et bizarre pour jouer du hautbois cinq heures par jour. Mais après, tu es payé 8 000 euros par mois quand tu y arrives. C’est cool! Mais tu dédies ta vie au hautbois, quoi.

Quand vous écrivez un morceau, est-ce que vous réfléchiss­ez au contexte dans lequel les gens vont l’écouter? Non, mais j’ai eu des retours sur ça. Des gens m’ont dit qu’ils avaient fait leur enfant sur une chanson et d’autres qu’ils avaient enterré leurs parents sur le même morceau. Quand on te dit ça, comment veuxtu te faire une idée?

Alors à quoi pensez-vous quand vous composez une chanson? À ne pas trop foutre la honte à mes enfants. Dans le processus d’écriture, penser à au-delà de l’entourage, ça me paraît compliqué. Mais par exemple, ça fait bien longtemps que je n’écris plus pour une femme. D’habitude, les chanteurs aiment bien le concept de la muse. Mais ça n’existe plus. La notion de muse, c’est devenu dégradant pour tout le monde.

Les chefs-d’oeuvre de la chanson française sont des chansons tristes. Pourquoi ne sait-on pas chanter la joie? Cite-moi un grand hit de pop anglaise qui parle de joie! Regarde les Beatles… Help! Je me demande comment à l’époque, les gens ne se sont pas dit: ‘Ouh là là, John Lennon, il va pas fort.’ Même dans le reggaeton, ça parle souvent d’une meuf qui s’est barrée. C’est impossible de chanter la joie. J’aimerais bien, hein. Mais c’est dur.

Il y a une chanson où tu parles de ‘beaux souvenirs’ et dedans, il y a le record de points de Kobe Bryant en un match. Quand on vit la nuit, on devient automatiqu­ement accro à la NBA? Dans les années 80, j’ai regardé des Chicago Bulls-detroit Pistons en crypté, mon gars! Mes parents n’avaient pas Canal. J’étais pour les Bulls! Les Pistons étaient horribles, à part Isaiah Thomas. Quand tu t’intéressai­s à la culture américaine, Jordan était déjà un dieu. L’apogée, ce sont les JO de Barcelone en 92, où tout le monde se met à adorer ce que moi, je kiffe en cachette. Dans la NBA, il y a plein de défauts, d’un point de vue Coubertin de mes couilles, mais c’est un spectacle de fou. Et les joueurs le font pour toi. Quand ils pourraient faire un lay-up et qu’ils font un dunk, qu’ils se font mal au dos, c’est pour le public. J’ai eu la chance de vivre le rêve de l’intérieur grâce à Boris (Diaw, ndlr), qui m’a emmené aux entraîneme­nts des Phoenix Suns.

Les joueurs sont-ils venus vous voir pour vous dire qu’ils adoraient vos chansons? Tu rigoles, mais Steve Nash écoute mes chansons. La première fois que j’ai passé une soirée à discuter avec lui, c’était à Houston, au All Star Game. On n’a parlé que de cinéma. Il devait partir s’échauffer mais quelqu’un lui a dit que mon beau-père, c’était Mastroiann­i. Là, Steve est revenu et bla-bla-bla. Il était à la bourre, les mecs lui disaient: ‘Putain, tout le monde te cherche dans l’arena!’ Le cinéma italien, Steve Nash, un Canadien qui jouait au basket… Qui l’eût cru? Mais le mot ‘Mastroiann­i’ lui a vraiment fait péter les plombs.

Dans cette chanson où vous parlez des 81 points de Kobe Bryant, vous parlez aussi de l’élection de Mitterrand en 1981… Le 10 mai 1981, ce n’est pas politique. Mes parents n’étaient pas très festifs et je crois que c’est la première fois de ma vie que je les ai vus faire la fête, sortir du mousseux et être vraiment très contents. Normalemen­t, le dimanche soir, c’était Stade 2, Maguy et au lit! Là, d’un coup, lâchage total, des amis qui passent, j’entends le bouchon de champagne, je demande ce qui se passe et j’entends: ‘C’est génial, on a un nouveau président!’ plutôt que ‘Va te coucher!’ S’il y a un craquage comme ça, c’est que leur vie vient de changer.

Vous avez grandi dans un milieu modeste, alors que vos deux parents sont issus de grandes familles d’industriel­s. Comment ça se fait? Ouais, ma mère, c’est la famille Opinel, ils sont immensémen­t riches. Le problème, c’est que mon grand-père, Marius Opinel, s’est brouillé avec sa propre famille. C’était le fils de Joseph, l’inventeur des couteaux. Il a quitté la Savoie et, comme il s’appelait Opinel, il a voulu créer une deuxième coutelleri­e Opinel. Il s’est fait fracasser. Il y a eu une omerta sur ses couteaux, et il a fini ouvrier dans un garage alors qu’il avait quatorze enfants. La putain de sèremi par rapport aux autres dont la marque a connu un essor dingue.

Et dans votre famille paternelle? Dans ma famille Biolay, il n’y a plus de thunes. La distilleri­e Biolay, on m’a dit que c’était comme la liqueur blanche anisée Berger Blanc. Mon grand-père paternel a flingué l’affaire vite

fait, bien fait. À 40 ans, il n’y avait plus que des dettes. Un fêtard, quoi. Résistance, jazz, alcool. Il a tout pété. Mais ça, ce n’est pas grave, parce que mon père en avait gardé les bons stigmates. C’est relou quand t’es petit, le solfège, mais finalement j’en suis bien content. Par rapport à mes potes de quartier, je faisais des trucs qui étaient trop chelous. Quand je revenais avec un violon, ils m’appelaient Tecla parce que dans Maya l’abeille, il y avait une araignée qui jouait du violon et qui s’appelait Tecla. C’était pas du tout raccord.

Cette histoire familiale rejaillit encore sur votre image publique. Ce côté à la fois bourgeois et populaire. Mon père était supersnob alors que je viens d’un milieu populaire. Je dois lui ressembler, c’est sûr. C’est pas agréable quand on me qualifie de grand bourgeois. ‘Vous, les fils à papa pistonnés!’ Mais de quoi tu me parles? Si j’avais été pistonné, je serais rentré à la MNEF comme agent de maîtrise, c’était ce que faisait mon père. Quand je dis que mon père est snob, ce n’est pas pour le déprécier, c’était un peu l’intello de la famille. Les petites lunettes rondes, le col roulé noir, un peu existentia­liste. Mon père, il rentrait du boulot, il s’allongeait sur un tapis, il mettait un casque pour ne pas nous faire chier, et il se mettait des trucs genre Le Sacre du printemps de Stravinsky. Il n’écoutait pas Dalida, quoi. Quand tu parles de foot à mon père, le rictus de dégoût que tu vois sur son visage, c’est un truc de malade. Alors que c’est pas du tout un bourge, il n’est toujours pas propriétai­re de sa maison alors qu’il est à la retraite.

Ça ressemblai­t à quoi les fêtes de famille, sachant que votre mère a treize frères et soeurs? À ce que tu imagines. Plus de 150 cousins au sens large entre les cousins germains, leurs enfants, leurs conjoints… Une famille unie, avec une grand-mère qui est comme le pape, vraiment, un truc central. Une famille très modeste mais… La plupart de mes tantes ont épousé des mecs qui, pendant les années Mitterrand, ont accédé à un autre niveau de classe sociale. Des manuels, des mecs qui faisaient du plastique thermoform­é, des machins, mais ils ont monté des boîtes, ils ont eu plein de succès avec leurs business respectifs. Comme plein de gens, ils ont eu accès à un nouveau statut sous Mitterrand.

C’est un truc qui a bâti votre fidélité au Parti socialiste, cette ascension sous Mitterrand? Ah non, du côté de ma famille Opinel, la plupart ne sont pas du tout socialiste­s. Ils ont voté Mitterrand en 81, ils ont eu accès à la propriété et du coup, ils sont devenus des bourges. Ils ont voté Barre en 88. Comme tous les Français. T’es ouvrier en 81, tu votes Mitterrand, puis tu montes ta petite boîte, ça marche bien, t’es pété de thunes, tu votes pour Barre, meilleur économiste de France et puis en 95, il y a Jacques Chirac, et au revoir. Je ne sais pas s’il y en a qui sont allés encore plus loin à droite dans le parcours politique personnel mais forcément, statistiqu­ement...

Vous vous considérez encore comme un militant socialiste? Militant de pensée socialiste, ouais, mais pas militant du Parti socialiste. Il ne me parle plus, je n’ai plus de nouvelles de lui. Même à travers les médias, rien ne me connecte au PS. L’an dernier, j’ai voté Hamon juste parce que c’était le candidat du parti mais c’était difficile: le mec qui a été le frondeur et qui devient d’un coup la parole principale, sans transition. Tu sentais que ça allait au tapis sévère, cette affaire.

Ce n’était pas non plus la branche du parti qui vous plaisait, puisque vous aviez soutenu Hollande contre Aubry. Oui, mais comme Hollande était devenu président de la République et que j’ai continué à le fréquenter un petit peu, je m’étais bien rendu compte qu’en fait, c’étaient vraiment des conneries ces trucs de parti. Hollande, si tu avais une discussion privée avec lui, il ne te parlait pas de politicail­le française de merde, il était flippé sur El-assad ou je ne sais quoi. Donc je n’avais aucun favori en 2017. La preuve, c’est que j’ai voté pour un mec qui, normalemen­t, n’aurait pas dû avoir ma voix puisqu’il avait été dur avec Hollande.

Vous avez quand même voté Macron au second tour? J’avais vraiment envie que Marine Le Pen se fasse ratiboiser. C’est comme si elle avait passé un oral au grand débat, et je voulais qu’elle ait la vraie note. Mon rêve aurait été qu’elle fasse moins qu’au premier tour.

Et aujourd’hui, comment vous situez-vous politiquem­ent? Ça ne m’intéresse plus du tout. Je dois connaître le nom de quatre ministres actuels à tout péter. Ils m’ont perdu. Depuis l’âge de 16 ans, je regardais les questions au Parlement chaque jour. Macron a voulu tuer le game, bah il a tué le game, c’est bien, c’est son truc. Mais, moi, j’aimais bien le game old school. C’est comme s’il n’y avait plus de match nul en foot, que c’était à l’américaine, avec des pubs. Peut-être que tu continuera­is à kiffer mais moi, je n’aimerais plus.

“J’ai voté Hamon juste parce que c’était le candidat du parti mais c’était difficile. Le PS, il ne me parle plus, je n’ai plus de nouvelles de lui”

Vous aviez même lancé une pétition contre le Hollandeba­shing, à un moment. C’était surtout contre le ‘président de la République-bashing’. Il représente les institutio­ns, le gars, quand même.

Vous auriez fait la même chose pour Sarkozy? Il se faisait aussi bien défoncer… Pas sur son action. C’était toujours sur des stigmates liés à sa façon de représente­r la présidence de la République. Il n’a pas été beaucoup critiqué. Quand il faisait un truc bien, il était plutôt salué par la classe politique. Après, c’est pas ma famille politique. Moi, je m’étais fait Chirac à l’époque, chez Pascale Clarke sur Canal+, et je l’avais bien senti passer. J’avais dû dire que Chirac était malhonnête. C’était à peine terminé que le contrôle fiscal était déjà lancé. Ça allait vite, à l’époque.

Au fil des années, est-ce que vous avez l’impression de vous être embourgeoi­sé? Je m’en bats les couilles, tant que l’école est payée, qu’il y a à bouffer. J’ai eu des problèmes d’argent que je ne peux pas raconter, liés à des mauvais business. Je me suis retrouvé un peu dans la merde et j’ai géré. J’ai eu des sommes équivalent­es au Smic pendant un petit moment, c’était très dur, surtout à Paris. Après, j’ai remonté la pente. Le jour où j’ai arrêté le trombone, de toute façon, j’ai su que je n’étais pas quelqu’un de matérialis­te attaché au confort. Il y a des moments, à 17 ans, où je gagnais 10 000 francs par mois.

Vous avez fait quoi avec vos premières paies? Je les ai claquées. Mais bien: soit des restos, soit des disques. Une R25 toute pourrie, aussi, parce qu’il me fallait une bagnole. Mais je n’ai évidemment rien mis sur des comptes.

Vous étiez à l’hommage à Johnny, le 9 décembre dernier? J’étais parmi les gens, oui. Je le connaissai­s un peu, je connais bien des gens de sa famille, mais je ne sais pas, j’avais envie d’être au milieu des gens. D’où j’étais, c’était cool. Je traversais à pied l’assemblée nationale, les gens chantaient à pleins poumons, le président se faisait gentiment siffler, ça avait un côté rock, quoi. Johnny.

Ça représente quoi, pour vous, Johnny? La France. Mais toutes les France. C’est un des mecs qui a vraiment fait le tour du propriétai­re. Le jour où il est mort, on a tous regardé dans nos ipod, entre gros snobinards, pour voir si on avait du Johnny, et on en avait tous trois ou quatre. Moi, ça m’a fait de la peine. Je pensais à Giscard, je sais pas pourquoi, je suis sûr qu’il se disait: ‘Les enculés, à tous les coups, ils ne me feront pas pareil.’ Sacré Johnny, il a réussi à ringardise­r l’enterremen­t.

Ce n’est plus possible de faire une carrière comme Johnny aujourd’hui? Non, c’est un enfant de la guerre et du baby boom. Même au cinéma, ça va être compliqué de créer des stars. Même à l’échelle d’hollywood. Les stars baby boomers ont connu en même temps le développem­ent du divertisse­ment de masse, des médias, de la société de consommati­on, elles ont eu tous les facteurs qui faisaient d’elles des monstres. Ce qui m’a le plus frappé avec la mort de Johnny, c’est que ça a fait un effet dingue aux gens, comme Coluche qui prend son camion à 41 ans. Alors qu’il est mort à 73 ans et qu’en plus, de manière ignoble, il y a eu chronique d’une mort annoncée. Quelque part, je pense que c’est la Ve République qui est cannée ce jour-là dans la tête •TOUS des gens. PROPOS RECUEILLIS PAR MP ET TP Voir: La Douleur, d’emmanuel Finkiel, avec Mélanie Thierry et Benjamin Biolay, en salle le 24 janvier.

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Coquillage­s et crustacés. Vous l’avez?
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En terrasse, chez lui.
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