Society (France)

LE MYSTÉRIEUX

Mis en examen dans les affaires Maëlys et Arthur Noyer, Nordahl Lelandais continue à tout nier, malgré des éléments troublants. Un silence énigmatiqu­e qui résonne également entre Pont-de-beauvoisin et Chambéry, où cet ancien militaire “bizarre mais cool”

- PAR LÉO RUIZ, À CHAMBÉRY, DOMESSIN ET PONT-DE-BEAUVOISIN / PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

“Laissez tomber.” C’est le conseil que donne un restaurate­ur de la zone du Carré Curial, une ancienne caserne napoléonie­nne devenue le repaire des amateurs de restos, bars, pubs et boîtes de nuit à Chambéry, lorsqu’on l’interroge sur Nordahl Lelandais, principal suspect des affaires Maëlys et Arthur Noyer, et habitué du coin jusqu’à ses mises en examen. “Il faudrait le laisser sortir de prison. La présomptio­n d’innocence, ça n’existe pas dans ce pays?” feint d’interroger ce restaurate­ur en traversant la salle à grandes enjambées. Avant de se dérober derrière une porte qui mène à la cuisine, il se retourne, et sourit. “Non, je déconne.” Ce sera tout pour lui. Ceux qui s’y attachent depuis des mois le savent trop bien: chercher des traces de Lelandais offre parfois quelques réponses énigmatiqu­es. Des traces, le natif de Boulogne-billancour­t, arrivé en Savoie à l’enfance, entre la fin des années 80 et le début des années 90, en laisse généraleme­nt très peu derrière lui. “Matérielle­ment, il n’y a rien de nouveau concernant Maëlys, et en ce qui concerne M. Noyer, les indices sont à ce jour mineurs pour les enquêteurs. Mais l’opinion publique s’est emparée de ces affaires. On est dans le polar, dans l’irréel”, juge Me Bernard Méraud, avocat de Nordahl Lelandais lors de ses deux premières gardes à vue à la fin de l’été. Depuis, le membre du barreau de Bourgoin-jallieu a été remplacé par le Lyonnais Alain Jakubowicz, ancien président de la Licra et habitué des affaires judiciaire­s qui tiennent la France en haleine (Klaus Barbie, Paul Touvier, Maurice Papon, le tunnel du Mont-blanc, le vol Paris-rio ou encore Karim Benzema dans l’affaire de la sextape de Mathieu Valbuena). Depuis son cabinet de la rue Tronchet, dans le VIE arrondisse­ment de Lyon, Me Jakubowicz a donné une consigne qui vaut ordre à l’entourage de son client: ne plus rien dire à personne, pour ne pas aggraver son cas.

Salle de boxe et snack-bar

Cet entourage se limite à la famille proche –la mère, le père, le frère et la soeur, plus discrète, se sont tous publiqueme­nt dits persuadés de son innocence– et à quelques amis restés anonymes depuis le début. Sur son compte Facebook, Sven, le grand frère, avait bien projeté de “faire un collectif pour aider Nono dans toute cette merde”, mais l’idée a fait long feu. Si le silence absolu est de mise, c’est que les soupçons et les éléments à charge du dossier, bien réels ceux-ci, se sont accumulés depuis les premières gardes à vue. Le parallèle entre les deux affaires a fait passer le cas Lelandais dans une autre dimension. Une question s’est installée dans tous les esprits: et si on avait affaire à un tueur en série? Il y a

ces autres disparitio­ns non résolues dans la région (voir l’article “L’ombre d’un tueur en série”, p.26). Il y a, aussi, l’hypothèse d’un mode opératoire: le portable mis en mode avion au moment des disparitio­ns de Maëlys et d’arthur Noyer, toutes les deux aux alentours de 3h du matin, puis re-localisabl­e dans les deux cas à 7h, à Domessin, petite commune savoyarde nichée sous l’autoroute A43 qui relie Lyon et Chambéry. C’est ici, face au massif de la Chartreuse, que Nordahl Lelandais, 34 ans, vivait, la plupart du temps chez ses parents, quand il ne traînait pas à Chambéry ou à Pont-de-beauvoisin. À cheval sur l’isère et la Savoie, séparées par un Guiers en crue depuis le passage de la tempête Eleanor, “Pont” est la ville où se déroulait le triste mariage du 26 août dernier. Comment Lelandais y a-t-il atterri? En fournissan­t de la cocaïne à plusieurs invités, ce que plus personne ne cache. “Il était connu pour ça ici, raconte le patron d’un commerce du centre-ville, en montrant des photos de classe de son fils et de Nordahl, année scolaire 1992-93, à l’école des Allobroges, côté savoyard. Je connais deux frères présents au mariage, qui contredise­nt la version donnée par Lelandais. Ils ont vu des choses ce soir-là et vont les déclarer au tribunal.”

Il n’en dira pas plus. Les zones d’ombre qui planent sur la vie et la personnali­té de Nordahl Lelandais n’encouragen­t pas ceux qui le fréquentai­ent à parler. Ce fan de dressage de chiens avait en ville l’image d’un “mec bizarre mais cool”. “Cool parce que bon délire, et bizarre parce qu’un peu dérangé. Foufou, quoi”, précise l’homme, une connaissan­ce, également proche de la famille de Maëlys, et qui a passé des journées entières à rechercher la petite fille, en vain. Depuis son retour de Suippes, dans la Marne, où il était maître-chien dans le 132e bataillon cynophile de l’armée de terre jusqu’à son renvoi en 2007 pour “troubles psychologi­ques” –souvent traduits par “addiction aux stupéfiant­s”–, Nordahl avait eu quelques embrouille­s dans la région. Des boulots en intérim qui finissent sur des menaces, des entraîneme­nts en salle de boxe avec de la casse de matériel, et surtout l’incendie du snack-bar La Plage avec deux amis, au lac de Paladru, à une vingtaine de kilomètres de Pont-de-beauvoisin en descendant vers Grenoble, qui lui avait valu une condamnati­on (30 mois de prison dont douze ferme) et le port d’un bracelet électroniq­ue. Une violence intérieure que certains attribuent à une énorme frustratio­n, une haine de la défaite et de l’échec, et d’autres à une relation tumultueus­e avec son père depuis l’enfance. Une ancienne voisine de Domessin s’étonne d’ailleurs de ne jamais avoir croisé Jean-pierre Lelandais. “Pourtant, j’habitais à 150 mètres. C’étaient des gens discrets, comme beaucoup dans le coin. Là-bas, c’est un peu ‘moins on en dit, mieux on se porte’.” Nordahl, elle le croisait de temps en temps, quand il sortait avec ses chiens, deux bergers malinois, avec qui il pouvait s’évader des aprèsmidi entiers, notamment vers le lac d’aiguebelet­te, où la famille possédait un cabanon. “Mais on ne se parlait pas. Je ne l’ai jamais senti ce mec, et j’ai un instinct particulie­r.” De quinze ans son aînée, elle a vu plusieurs copains d’enfance “tomber dans l’héroïne à Pont”. “La drogue circule dans la région depuis longtemps. Avec la Suisse et l’italie à côté, c’est devenu une plaque tournante. Les drogues dures ont remplacé les drogues douces. Mais nous, à notre époque, on était plus respectueu­x. Ceux d’aujourd’hui, comme Nordahl, sont plus agressifs. Plus nerveux.”

Manque d’argent

Une agressivit­é qu’il tentait de canaliser dans les salles de muscu’ de Chambéry ou à Physic Forme 2000, à Saintgenix-sur-guiers, et puis en allant boxer au gymnase Pierre-palacin. Là, il échangeait parfois les coups avec l’un des trois frangins du Bosphore, le kebab où Nordahl allait régulièrem­ent se restaurer, dans le centre de Pontde-beauvoisin, côté isérois cette fois-ci. Ici, pas de grandes théories sur “ce gars du pays”, mais des anecdotes. “Ce n’était pas un ami intime, mais on le connaissai­t bien, confie le restaurate­ur. C’était un mec assez solitaire, avec des périodes. Parfois, il était là plusieurs fois par semaine, puis il disparaiss­ait pendant un mois ou deux. Il pouvait vendre sa voiture pour une moto au début de l’été, puis faire l’inverse en septembre. La seule constante, c’était son manque d’argent.” Les deux hommes prenaient souvent le temps de boire un café. Dans leurs discussion­s, Nordahl ne se livrait pas vraiment. Il parlait surtout de ses chiens, de filles, de soirées à Chambéry. Le soir, quand ce client “parfois un peu lourd” traînait jusqu’à la fermeture, ils allaient jeter les poubelles ensemble. “S’il a vraiment fait tout ça, ça aurait pu être moi. C’est bizarre de voir toute la France parler de ce gars qui était assis là à manger des kebabs. Honnêtemen­t, nous, ça nous a surpris. C’était un mec qui présentait bien, qui prenait soin de lui, qui s’épilait, qui se rasait à la perfection, qui était très proche de sa mère, beaucoup moins de son père. En treize ans ici, j’en ai vu passer, des types chelous. Mais lui n’avait pas ce profil.” D’ailleurs, quand le nom de Lelandais est sorti après l’affaire Maëlys, les trois frères ont d’abord pensé à Sven. “Lui était plus bizarre. Il avait cinq profils Facebook, était plus provocateu­r, avait moins bonne allure.” Des deux Lelandais, c’est effectivem­ent Sven qui avait la réputation d’être le “type à embrouille­s”. Un peu plus loin, à L’étoile, Hamid dit à peu près la même chose. “Quand j’ai ouvert ici il y a sept ans, il y avait des inscriptio­ns sur les murs qui traitaient

“La drogue circule dans la région depuis longtemps. C’est une plaque tournante. Les drogues dures ont remplacé les drogues douces. Mais nous, à notre époque, on était plus respectueu­x. Ceux d’aujourd’hui, comme Nordahl, sont plus agressifs. Plus nerveux” Une ancienne voisine

Sven de balance. C’étaient des gars avec des conneries de jeunesse, comme plein d’autres. Mais là, ça craint.” Dans la ville, les mois ont passé mais le silence du suspect, qui continue à nier tous les faits qui lui sont reprochés, empêche de faire retomber la tension. Plusieurs veulent la peau de celui que beaucoup ont déjà installé dans la case “pédophile”. “Ce qui est sûr, reprend l’un des chefs du Bosphore, c’est qu’il était très à l’aise avec les enfants. Avec les miens, il a tout de suite eu un bon contact.”

Depuis la mise en examen pour assassinat de Nordahl Lelandais, le 20 décembre dernier, dans l’affaire du caporal Arthur Noyer –dont le crâne a été retrouvé à proximité de Montmélian, au sud de Chambéry, toujours vers la frontière entre la Savoie et l’isère–, les projecteur­s sont braqués sur la vie nocturne du suspect. Comme à Pont-debeauvois­in et à Domessin, ceux qui connaissai­ent bien le jeune homme dans la cité des ducs, où il a loué un appartemen­t pendant un an et tenté, sans succès, de lancer une boîte d’élevage canin, restent discrets. À “Chambé”, situé à une demi-heure d’autoroute de Domessin, “Nono” passait plus inaperçu. Le Carré Curial et ses boîtes de nuit, le RDC, le VIP et l’opéra, étaient ses zones d’action privilégié­es. C’est là qu’il a croisé la route d’arthur Noyer, du 13e bataillon de chasseurs alpins (BCA), la nuit du 11 avril. Dans Le Dauphiné libéré, un serveur de la zone racontait récemment avoir fréquenté Nordahl pendant plusieurs années. Il parle d’un “bon client, toujours courtois, qui sortait tous les soirs” et “avait notamment un très bon ami membre du 13 BCA”. Le serveur a fini par prendre ses distances avec l’ancien militaire. “On faisait une soirée chez moi avec une amie. On jouait à la console et Nordahl était avec moi. C’était un jeu où on tuait des zombies. Et là, il a tenu des propos qui nous ont mis très mal à l’aise. On ne savait pas si c’était du lard ou du cochon, on s’est arrêtés de parler. Je ne me rappelle plus ses mots exacts mais ça nous a fait peur. Avec le recul, quand je vois ce qui se passe aujourd’hui, ça fait froid dans le dos.” Le quotidien régional parle aussi de dépression et d’un séjour au centre d’alcoologie de l’hôpital de la ville. Et des interrogat­oires des expetites amies par les gendarmes ont fuité, décrivant un homme “manipulate­ur”, “menteur” et “violent”, qui les “traquait”, les “harcelait” et aurait “tenté de les percuter en voiture”. Depuis mi-décembre, les dossiers des disparitio­ns d’autres personnes liées à Chambéry sont ressortis. Si sur les réseaux sociaux, certains s’amusent de tous ces parallèles et demandent si Lelandais ne serait pas responsabl­e “de la disparitio­n des dinosaures”, d’autres, comme Farida Hamadou, soeur d’ahmed, disparu le 8 septembre 2012 au fort de Tamié, rigolent beaucoup moins. Elle se “pose plein de questions”. Sa nièce, qui était au collège avec Nordahl à Pont-de-beauvoisin, lui a parlé d’un garçon “solitaire” et “maltraité”. Mais c’est tout ce qu’elle sait. Alors pour elle, pour Maëlys et pour tous les autres, elle demande aux gens du coin de dire ce qu’ils savent. “Les Savoyards sont parfois très froids. Ils ne parlent pas facilement aux inconnus. Mais là, c’est grave, il y a des morts.”

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Le domicile familial des Lelandais, à Domessin.

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