Où est l’alcool cette semaine?
David Nutt, scientifique anglais renommé et iconoclaste, veut supprimer l’alcool. Il vient même de mettre au point un produit alternatif.
Àintervalles réguliers depuis septembre 2016, la même prophétie fait le même chemin, des médias britanniques vers leurs homologues d’outre-manche: plus personne ne boira d’alcool en 2050. Alors que 2017 touchait à sa fin, l’annonce de ce drôle de futur a fait son retour à travers les mots du même homme, David Nutt, dans
l’international Business Times. “Encore dix ou vingt ans et les sociétés occidentales ne boiront plus d’alcool qu’en de très rares occasions”, promettait cette fois ce titulaire d’une chaire de neuropsychopharmacologie au très réputé Imperial College London. Nutt et sa petite équipe auraient en effet mis au point un produit, l’alcosynth, susceptible selon eux de rendre obsolètes vin, bière et autre spiritueux, en procurant les mêmes effets sans aucun impact pour la santé. Objectif: mettre fin aux ravages d’un produit qui tue 3,3 millions de personnes par an et intervient dans la formation de 200 maladies, selon L’OMS. “Nous avons identifié l’endroit du cerveau où l’alcool produit ses bons effets comme la joie, la relaxation, la socialisation, et l’endroit où il produit ses mauvais effets, la gueule de bois, la perte d’équilibre, les vomissements, l’agressivité, tricote-t-il au téléphone. Ensuite, nous avons cherché une molécule qui agit sur les bons effets et pas sur les mauvais.” Un principe a priori simpliste que David Nutt a pourtant mis des lustres à faire germer, entre sa découverte d’un “antidote à l’alcool chez le rat” lors de son doctorat en 1979 et le début de ses recherches sur l’alcool de synthèse il y a huit ans.
Une nouvelle drogue?
Dans deux ans, le temps de procéder à des tests de sécurité alimentaire drastiques, on devrait donc pouvoir se mettre une cuite à l’alcosynth. Car l’inventeur n’a pas l’intention de commercialiser son bébé en pharmacie. “Les aliments sont déjà pleins de produits chimiques comme les colorants, donc il n’y a pas de raison pour que l’alcosynth ne soit pas considéré comme un aliment. Vous pourrez l’inclure à un cocktail comme vous y mettriez du brandy, le goût sera le même. Personne ne boit d’alcool pur, si vous y réfléchissez, ce sera pareil.” David Nutt n’a pas l’air inquiet des barrières culturelles qui pourraient se dresser sur son chemin. “Si vous aimez le vin aujourd’hui, c’est juste parce que vous associez son goût au
plaisir que vous procure l’alcool”, blasphème-t-il. Selon lui, l’alcool de synthèse sera adopté par ceux qui recherchent ce plaisir mais sans risque, de la même manière que la cigarette électronique et les boissons light ont trouvé preneurs. Il permettra aussi de supprimer les impacts de la gueule de bois sur la productivité. Reste tout de même à savoir si les gouvernements ne considèreront pas ce produit comme une nouvelle drogue chimique. “Ce serait stupide, mais c’est vrai que les gouvernements sont souvent assez stupides”, claque David Nutt. Car Nutt garde une rancoeur vieille de quelques années. En 2008, nommé président du Conseil consultatif sur les méfaits de la drogue, un organisme lié au gouvernement britannique, il se lance dans une grande classification des drogues selon leur dangerosité, qui conclut que le tabac et l’alcool sont bien plus nocifs que le cannabis, le LSD ou encore les champignons hallucinogènes. En janvier 2009, il est viré après avoir écrit que prendre de l’ecstasy est statistiquement beaucoup moins dangereux que de monter à cheval. “Les politiques sont influencés par des médias comme le Sun ou le Daily News, eux-mêmes dirigés par de vieilles personnes qui détestent la drogue. À cause des lois anti-drogue, aucune recherche sur ces produits n’a pu se faire depuis 50 ans. C’est la zpire censure de l’histoire. Les champignons hallucinogènes pourraient soigner la dépression et le LSD l’alcoolisme. Le cannabis a tué moins de personnes que la morphine, c’est un médicament extraordinaire avec lequel il est impossible de faire une overdose, mais il est très difficile d’avoir les licences pour l’étudier.” Lorsqu’il pourra commercialiser son Alcosynth, David Nutt pense se tourner d’abord vers des pays qui “ont compris les ravages de l’alcool et ont un intérêt pour la technologie”, comme les Étatsunis, la Russie ou la Chine. Et l’angleterre? “Nous ne nous intéressons pas aux pays qui ont une vision antiscientifique de la question, coupet-il. L’angleterre est dirigée par des gens qui n’ont même pas compris l’intérêt de l’europe, alors je ne vous parle pas de la science…”