Society (France)

Le ver était dans l’apple

Et si, plutôt que l’histoire d’un détourneme­nt par les méchants GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), les problèmes actuels d’internet étaient la conséquenc­e de décisions originelle­s prises avec les meilleures intentions?

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L’architectu­re d’internet

Créé par l’anglais Tim Berners-lee en 1989, le web amène URL et liens hypertexte pour permettre aux internaute­s de naviguer plus efficaceme­nt dans la masse de données présentes sur le réseau. En outre, il met en place un nouveau protocole fondamenta­l pour l’internet tel que nous le connaisson­s aujourd’hui: le modèle clientserv­eur. Dirk Trossen, vieux routard de l’informatiq­ue et

ancien chercheur au MIT, explique: “Avec ce modèle, pour avoir accès à une informatio­n, l’utilisateu­r doit demander l’autorisati­on à un serveur sur lequel elle est stockée et qui fonctionne souvent comme un portail fermé.”

Le problème, selon lui? “Avec seulement quelques dizaines de milliers d’ordinateur­s sur le réseau, celui-ci a l’air en théorie décentrali­sé. Seulement, alors que des millions, puis des milliards d’appareils sont arrivés, certains serveurs sont devenus des points cruciaux du réseau, et Internet est devenu hautement centralisé.” D’où une certaine propension d’internet à concentrer les pouvoirs. D’où, aussi, la préférence des utilisateu­rs pour des alternativ­es, comme le peer-to-peer.

La philosophi­e

La méfiance des pionniers du Net à l’égard des régulation­s, qu’elles soient étatiques ou exercées par eux-mêmes, vient de leur appartenan­ce à la contrecult­ure. “Une partie des hippies se sont intéressés à la technologi­e pour créer de nouvelles communauté­s alternativ­es, mais en ligne, pour échapper aux gouverneme­nts, à la bureaucrat­ie”, explique Fred Turner, professeur de communicat­ion à l’université de Stanford. Sauf que “ce que nous n’avons pas compris à l’époque,

poursuit l’expert Douglas Rushkoff, c’est qu’en construisa­nt le réseau pour en exclure le gouverneme­nt et toute forme de régulation, il deviendrai­t un terrain de jeu pour les corporatio­ns, et un eldorado pour une nouvelle forme de capitalism­e”. La Silicon Valley devient ainsi le centre de l’innovation et des investisse­ments dans le domaine. Développeu­rs, entreprene­urs, génies, marlous et milliards de dollars de venture capital prennent la direction de la côte ouest. Et les pionniers, sans défense, ne peuvent plus rien faire.

Le business model

Lorsque Lou Montulli codait le tout premier cookie pour le navigateur Netscape, l’idée était de faire gagner du temps à l’internaute pour qu’il n’ait pas à taper de nouveau ses informatio­ns de connexion à chaque visite sur un site. Il s’est par ailleurs assuré que les cookies ne soient pas échangeabl­es entre différents services. “Mais très vite, les entreprise­s ont compris comment détourner l’outil pour suivre les utilisateu­rs”, souffle Lou Montulli. Et le tracking est né. D’autant qu’à l’époque, les premières entreprise­s du Net se cherchaien­t un modèle économique. Ethan Zuckerman était développeu­r pour l’un des premiers réseaux sociaux, Tripod. “On a tout essayé pour monétiser le site: des abonnement­s, des t-shirts, un magazine, énumère-t-il. La seule solution qui a marché: la publicité.” Très vite, les développeu­rs rivalisent de créativité pour accroître la valeur de ces annonces. Pour Tripod, Ethan Zuckerman développer­a le tout premier pop-up. Il résume: “La publicité est devenue le business model par défaut sur Internet. C’était le modèle le plus convaincan­t auprès des investisse­urs. L’enjeu devenait alors de construire une grosse audience et de lui coller des pubs sous les yeux.”

Pour lui, il s’agit du “péché originel d’internet”. Vingt ans plus tard, Lou Montulli admet, de son côté, “réfléchir

souvent” aux conséquenc­es de sa création. – AM

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