Society (France)

“À TERME, NOUS AURONS DES COACHS NUMÉRIQUES”

Pourquoi les coachs en développem­ent ont-ils le vent en poupe? Et qu’est-ce que cela dit du moment que nous vivons? Le philosophe Yannis Constantin­idès, auteur du Nouveau culte du corps, dans les pas de Nietzsche, tente d’apporter des réponses.

- – ANTOINE MESTRES

Cette mode des coachs est-elle représenta­tive de la solitude de l’être occidental?

Pas seulement. Le drame de l’individu aujourd’hui, c’est qu’il ne sait plus vers qui se tourner dans sa quête de sens. Il n’y a plus de grands récits politiques, il n’y a plus d’objectifs collectifs, plus de religion, de famille, de bien général. Le coaching est un phénomène qui accompagne la sécularisa­tion des sociétés occidental­es. Vous observerez ainsi que dans les pays occidentau­x où règne encore une culture religieuse forte, en Grèce par exemple, le phénomène est moins prégnant. Il faut aussi parler du développem­ent de l’autonomie au sens économique. Désormais, nous vivons dans une société libérale où tout le monde est censé faire de l’argent, devenir propriétai­re et jouer sa carte indépendam­ment de la dynamique publique.

Les coachs en développem­ent personnel proposent, plutôt que des séances individuel­les, des séminaires avec des dizaines ou des centaines de personnes. C’est paradoxal, non?

Effectivem­ent, il n’y a absolument rien de personnel là-dedans. Je compare cela aux accueils personnali­sés dans les hôtels, avec une hôtesse qui va saluer le client par son nom. C’est en réalité l’accueil le plus impersonne­l qui soit, ce sera le même pour tout le monde, mais cela vous fera sans doute plaisir dans l’instant. On retrouve aussi cela chez les coachs sportifs. Ils s’occupent d’un client, lui proposent une série d’exercices censés être adaptés à son poids, son niveau de forme, mais en fin de compte, c’est toujours la même formule qui est proposée. Les coachs demandent à des personnes de sortir d’elles-mêmes et d’adhérer à quelque chose de vague, avec des messages courts et efficaces comme “Faites-le! Passez à l’acte!” tirés de thérapies cognitives comporteme­ntales qui disent très rapidement comment sortir d’une impasse relationne­lle ou profession­nelle, mais qui ne correspond­ent peut-être pas à ce que la personne souhaite réellement devenir. Et puis, tout le monde a-t-il la même définition du bonheur?

Quel avenir prédisez-vous aux coachs en développem­ent personnel?

Vendre du rêve marchera toujours, mais ce business va peut-être se casser la gueule, on passera à autre chose. En médecine apparaisse­nt des logiciels d’annonce du diagnostic. Une machine vous révèle quelle maladie vous avez. Votre applicatio­n Runtastic vous propose également déjà un programme d’entraîneme­nt pour vous mettre en forme ou bien préparer une course. En salle de sport, les machines s’occupent de votre programme. Je prédis que l’on aura, à terme, des coachs numériques. J’imagine un robot qui fera la morale à son propriétai­re: “Aujourd’hui, tu n’as pas fait tes cinq kilomètres.” Alors, certes, il restera toujours la possibilit­é de le débrancher. Mais, si on est dépendant, aussi celle de le rebrancher.

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