Society (France)

Une vie de sicario

- PAR PIERRE SAUTREUIL / ILLUSTRATI­ONS: LUCAS HARARI POUR SOCIETY

À Chilpancin­go, capitale de l’état le plus violent du Mexique, “El Licenciado” dirige les sicarios du cartel du Sud. La peur, la drogue, les meurtres… Il raconte tout.

À Chilpancin­go, capitale de l’état le plus violent du Mexique, “El Licenciado” dirige le cartel du Sud. En neuf ans, il a vu la guerre contre la drogue décimer ses amis et changer la face du pays. Mais aujourd’hui, la lassitude le gagne. Posé dans l’une de ses planques, il se raconte, et tourne les pages du journal intime dans lequel il documente son quotidien glaçant et ses rêves d’évasion.

“El Licenciado”, 35 ans, le corps las dans un polo bleu marine, cernes bistre sous les yeux, téléphone entre les doigts, débite des ordres d’une voix froide en contemplan­t depuis sa terrasse les lumières de Chilpancin­go aux pieds des versants noirs de la Sierra Madre. La grippe l’a saisi hier, alors qu’il rentrait tard par la route d’acapulco, au terme d’une journée à essayer d’amortir dans l’urgence un coup de boutoir dont les conséquenc­es pourraient ébranler les fondations mêmes du cartel du Sud. Il n’est revenu à Chilpancin­go qu’à 2h du matin, avec une barre au front et la gorge enflée, et encore des dizaines d’appels à passer. Depuis, il n’a pas quitté cette maison où il traîne en pyjama, enchaînant les coups de fil pour recueillir les instructio­ns auprès des chefs, transmettr­e les ordres à ses sbires, coordonner les groupes de sicarios (les hommes de main du cartel) répartis dans les différente­s planques

des quartiers nord, commander aux hommes de se tenir prêts à frapper, ne dormant pas, perdant presque la notion du temps. La dernière fois qu’il a donné un ordre d’exécution? Hier, ou peut-être aujourd’hui. Il ne sait pas trop. “C’est trivial.” Une tempête approche. Hier matin, la police fédérale a arrêté Martín Piña Gómez, le numéro deux du cartel du Sud, en charge de l’ensemble des sicarios, de l’extorsion des commerces et de plusieurs labos clandestin­s d’héroïne. El Licenciado, chef de groupe du cartel, a perdu son supérieur hiérarchiq­ue direct, et il a des raisons de craindre pour la suite. La rumeur dit que Los Ardillos et Los Jefes, les deux autres organisati­ons qui se disputent le contrôle de Chilpancin­go, s’apprêtent à en profiter pour passer à l’offensive et chasser le cartel du Sud de la ville. Les cartes vont être une nouvelle fois rebattues dans la capitale du Guerrero, l’état le plus violent du Mexique avec 2 529 meurtres en 2017. El Licenciado se frotte les yeux en se dirigeant vers la table du salon, sur laquelle son garde du corps a disposé des gobelets en plastique et deux bouteilles de Fanta. Malgré les bruits qui courent, il pense que la guerre n’est pas pour tout de suite. Depuis la disparitio­n de sept étudiants au mois de janvier –une affaire des plus sordides dans laquelle la police municipale est mouillée jusqu’à l’os–, c’est l’armée qui assure le maintien de l’ordre à Chilpancin­go. Mauvais temps pour une guerre des gangs. “On va rester tranquille­s le temps que le gouverneme­nt se calme et que les soldats retournent dans leurs casernes”, énonce posément El Licenciado. D’ici là, il restera reclus dans cette villa discrète aux finitions imparfaite­s. Des fils électrique­s pendent du plafond et le long des murs, quelques vitres manquent au cadre des fenêtres. Comme tant d’autres choses, il n’a pas pu achever la constructi­on de cette maison, entamée il y a six ans. Son travail lui prend tout son temps et toute son énergie. Le sommeil est rare, la drogue aide à tenir. La plupart de ses journées, il les passe suspendu au téléphone, enfermé dans une planque ou une autre. Cela fera bientôt dix ans qu’il ne dort plus, depuis qu’il a rejoint son premier cartel et commis son premier meurtre. C’était en 2009. Soixante-dix personnes ont péri par sa main l’année suivante. À partir de 2011, il a cessé de compter. Bientôt dix ans qu’il a sommeil. Pourtant, El Licenciado parvient parfois à grappiller quelques instants pour coucher ses souvenirs et ses sentiments dans des carnets, car il a toujours aimé écrire ; fantaisie à laquelle il doit son surnom dans le milieu: “le Diplômé”, “l’intello”. Mais depuis quelque temps, le loisir a laissé place à un sens de la nécessité. El Licenciado a peur de mourir. “Je veux écrire mes mémoires pour laisser quelque chose après ma mort”, confie-t-il en ouvrant son ordinateur portable. La lumière du rétroéclai­rage creuse encore ses traits tirés pendant qu’il parcourt le document Word sur lequel il a commencé à recopier le contenu de ses carnets. Il dit vouloir livrer une autre version de l’histoire des cartels, une version qui donnerait à voir la corruption des autorités qui prétendent les combattre. Peut-être veut-il aussi donner sa version personnell­e des faits, et par là même, se justifier un peu. Il tourne l’écran, et révèle un texte au titre provisoire: “Ma vie depuis quelques années / Une histoire parmi tant d’autres”.

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Cette histoire a-t-elle véritablem­ent commencé, comme il l’écrit, en 2009, quand trois hommes lui ont appuyé le canon d’un pistolet sur la poitrine? Ou n’était-ce que l’impulsion qui devait tôt ou tard le précipiter vers un destin depuis longtemps décidé, celui d’arracher ce que la vie ne lui a pas donné? El Licenciado n’a jamais voulu exercer de métier en particulie­r. Il est né de parents pauvres, en 1983, dans un village de la Sierra. Son père, enseignant, insiste pour qu’il aille au bout de l’école secondaire, après quoi il enchaîne les petits boulots à Chilpancin­go. Petit, il voudrait un matelas plus confortabl­e, et rêve d’un vélo. Adolescent, il apprécie les vêtements et lorgne sur les belles voitures qui circulent la nuit dans les rues pleines de bruit et de mouvement, mais il faut bientôt faire une croix sur ses envies: papa à 17 ans, il doit nourrir son premier enfant. Le Guerrero est pauvre, la crise du peso et l’entrée en vigueur de L’ALENA en 1995 ont laminé les opportunit­és économique­s. La criminalit­é augmente mais, pour l’heure, la violence demeure distante, éloignée du quotidien du plus grand nombre. Il faudra attendre 2004 et une offensive des Zetas dans la région pour qu’el Licenciado entende pour la première fois les mots “cartel de la drogue”. Cette année-là, il survit laborieuse­ment en vendant des DVD piratés. Un jour, des policiers viennent détruire son stand de fortune, et exiger 300 pesos par semaine, sous peine de finir au trou. Incapable de s’acquitter de la somme, il se résigne à la dernière option qui lui reste. Il franchit illégaleme­nt la frontière étasunienn­e et s’installe à Denver, où il dégote un travail de jardinier au black. Dans cette ville fondée un siècle et demi plus tôt par une poignée de chercheurs d’or, il croit lui aussi un temps avoir trouvé l’eldorado. Il déchante en découvrant les conditions misérables dans lesquelles vivent les clandestin­s. Désabusé et aigri, incapable de joindre les deux bouts, il est finalement expulsé au bout d’un an, et se retrouve à la case départ, vendeur à la sauvette dans les rues de Chilpancin­go, une police toujours plus avide sur le dos. Trois années de galère s’écoulent encore, jusqu’à ce qu’en juillet 2009, trois sicarios le forcent à monter dans une camionnett­e sous la menace d’une arme. El Licenciado est amené dans une planque et roué de coups. Ses ravisseurs lui écrasent la tête contre le sol, le noient presque dans une bassine d’eau, exigent de l’argent, menacent de le tuer. Il se voit déjà mort quand soudain un téléphone sonne. Au bout du fil, quelqu’un ordonne de le remettre en liberté sur le champ.

Les jeunes du Guerrero rêvent de devenir sicarios. “Plus ils sont jeunes, plus ils sont tarés. Ils rêvent de pouvoir et d’argent. Ils ignorent combien la vie d’un sicario est merdique en réalité”

El Licenciado ne reconnaît pas la voix de “Z”, un ami d’enfance perdu de vue et qui a pris du galon au sein de Los Rojos, le bras armé du puissant cartel Beltran Leyva au Guerrero. Les tempes en sang, il est reconduit dans la camionnett­e, puis abandonné sur une bretelle d’autoroute. Quand il rentre enfin chez lui, il trouve devant sa porte deux hommes adossés à une luxueuse voiture bleue: “Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle ce numéro.” El Licenciado a besoin d’argent. Los Rojos lui proposent très vite du travail. “Je voulais des voitures, de l’argent, des maisons, des femmes”, explique El Licenciado dans sa planque de Chilpancin­go. J’ai besoin de montrer que j’ai plus que les autres ; je crois que ça vient de l’enfance. Quand j’étais petit, je voulais faire de belles fêtes, pleines de cadeaux, de gâteaux et d’invités qui poseraient leurs yeux sur moi, mais je n’ai jamais eu de quoi me payer une bouteille d’eau. Je pense que l’on désire toujours adulte ce dont on a manqué enfant.” El Licenciado a 26 ans quand il intègre Los Rojos. Dès son premier jour au sein de l’organisati­on, on lui présente les gens employés par le cartel. À lui d’apprendre leurs codes, leurs signaux, leurs usages et la manière de travailler avec eux. D’abord les “faucons”, informateu­rs de tout poil qui sont les yeux et les oreilles du cartel: laveurs de pare-brise aux carrefours routiers, vieilles vendeuses sur les marchés, glandeurs des rues, policiers de tous niveaux, rémunérés 10 000 pesos par mois (400 euros). D’anciens militaires, ex-policiers et gros bras de la Sierra boostés à la cocaïne séquestren­t, menacent, torturent et assassinen­t pour 15 000 pesos par mois (600 euros). Au-dessus d’eux, les chefs de groupe dirigent des territoire­s de la taille d’un quartier. Plus haut dans la hiérarchie, les chefs de place tiennent des villes entières. Ils répondent aux ordres de Jésus Nava Romero, “El Rojo”, l’homme fort du cartel au Guerrero. Au sommet de la pyramide enfin, le “chef des chefs” Arturo Beltran Leyva, un colosse hirsute surnommé “la Barbe”, domine sans partage l’organisati­on depuis que lui et ses trois frères ont tourné le dos à leur ancien patron du cartel de Sinaloa, Joaquín “El Chapo” Guzmán. Recruté comme sicario, El Licenciado se voit confier pour mission de veiller sur les planques d’armes et de munitions, et est très vite repéré comme un élément intelligen­t et prometteur. “Comme j’étais bon conducteur, on m’a désigné pour être le chauffeur d’un chef de place surnommé ‘le Farceur’, écrit-il. C’est lui qui m’a tout appris, du déroulemen­t d’un enlèvement à la structure des cartels rivaux.” Quand a-t-il tué pour la première fois ? Cet épisode n’est pas décrit dans son journal, car il le hante. Sa victime était menottée, c’était une exécution. Membre de cartel rival ou otage malheureux? Il ne le dira pas. El Licenciado lui a tiré une balle dans la tête, avant de l’enterrer dans un trou quelconque, par là dans la Sierra. “On n’oublie jamais son premier meurtre. Tu imagines sa douleur, sa peur, son agonie et, pire, le pourrissem­ent de son corps, les animaux qui viennent le ronger.” Il s’interrompt, attrape par les ailes une guêpe posée sur le bord d’un gobelet, la regarde quelques instants se débattre entre son pouce et son index, et l’écrase lentement. “On l’a fait disparaîtr­e, mais qu’est ce que son corps est devenu? C’est à ça que je rêve chaque fois que je m’endors.” Mais sur le moment, El Licenciado n’a pas le loisir de s’appesantir sur ses états d’âme. À la dispositio­n du chef de groupe à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, il carbure à la cocaïne, et enchaîne les missions comme une machine. Interdicti­on de dormir ailleurs que dans l’une ou l’autre des planques du cartel, où les sicarios s’entassent à quatre ou six par chambre sur des tapis de sol pour quelques rares heures de sommeil avant de repartir extorquer, kidnapper, tuer, torturer ou mutiler. La plupart de ses collègues sont des jeunes hommes de 20 ans que l’absence de sommeil, l’alcool et la drogue ont insensibil­isé à l’ultraviole­nce de leurs actes. Quand bien même leur conscience viendrait les tourmenter, ce ne serait de toute façon pas pour longtemps. Depuis un an maintenant, le cartel Beltran Leyva est en guerre totale contre celui de Sinaloa. Les fusillades sont quotidienn­es. Rares sont les sicarios à survivre à leur première année dans le métier.

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À quoi tient la survie? Pendant deux décennies, les frères Beltran Leyva avaient compté parmi les lieutenant­s les plus fidèles du cartel de Sinaloa et joué un rôle considérab­le dans l’établissem­ent de la domination d’el Chapo sur la frontière américaine, mais l’arrestatio­n en janvier 2008 du plus jeune des quatre frères va mettre un terme à cette entente. Les Beltran Leyva accusent El Chapo d’avoir donné Alfredo. Entraînés par leur aîné, Arturo, ils décident de se venger. En mai 2008, Edgar Guzman, âgé de 22 ans, discute tranquille­ment sur un parking de Culiacan, quand quinze tueurs font irruption et le criblent de centaines de balles de kalachniko­v. On raconte qu’el Chapo, le coeur brisé, fit apporter 50 000 roses de tout le nord-ouest pour couvrir la tombe de son fils adoré. Une fois Edgar enterré, il précipita le Guerrero dans des abîmes de violence. Mais pour les frères Beltran Leyva, l’irréparabl­e a déjà été commis. Quelques heures seulement avant qu’une équipe de sicarios ne trucide le fils du trafiquant le plus puissant du Mexique, un autre tueur envoyé par la Barbe assassinai­t le commandant de la police fédérale Edgar Millan. Choquées par ce meurtre, les autorités font d’arturo Beltran Leyva l’ennemi public numéro 1, et vont progressiv­ement resserrer leur étau, jusqu’à ce que, le 16 décembre 2009, il soit localisé en compagnie de Jésus Nava Romero dans un immeuble de Cuernavaca. Deux cents militaires mexicains prennent d’assaut le bâtiment. Refusant de se rendre, la Barbe et El Rojo trouvent la mort au terme d’une fusillade aussi furieuse que désespérée. Cinq mois seulement après son entrée dans la criminalit­é, cet évènement va tout changer pour El Licenciado. Dès l’annonce de la disparitio­n des chefs du cartel, les organisati­ons rivales se lancent à la conquête du Guerrero pour faire main basse sur le territoire des Rojos, ses ports lucratifs, ses routes de la cocaïne. Plus encore sur son “or rouge”, le pavot d’opium, et ses labos clandestin­s, d’où provient plus de la moitié de toute l’héroïne produite au Mexique. El Licenciado bute à tour de bras, en moyenne un meurtre tous les cinq jours, et manque plus d’une fois de tomber sous les balles des Zetas. Mais le danger ne vient pas que de l’extérieur. “C’est la mort d’el Rojo qui a déclenché la fragmentat­ion de la criminalit­é dans la région, écrit-t-il. Dans tout le Guerrero, chaque ville a vu apparaître des organisati­ons indépendan­tes ou alliées à nos rivaux. La compétitio­n était d’une brutalité folle, nos tueurs et nos chefs de groupe tombaient les uns après les autres. Alors, pour combler les besoins, on m’a offert une promotion.”

“La police nous remet souvent des types pour qu’on les fasse disparaîtr­e. On liquide des gens gênants et, en général, on s’arrange pour que ça ait l’air d’une banale agression de rue”

Après un an en tant que sicario, El Licenciado passe chef de groupe. “Avant, je tuais, j’enlevais, je torturais, raconte-t-il. Tout à coup, j’ai eu 60 hommes qui me donnaient du si señor.” À lui désormais de commander les sicarios. Enfermé le plus clair de son temps dans une planque sous haute protection, il passe ses journées au téléphone, à s’informer auprès de ses “faucons”, transmettr­e les ordres d’exécution que lui donnent les pontes du cartel, demander à un commandant de police corrompu de libérer un de ses hommes ou d’éloigner ses patrouille­s du lieu où ses sicarios feront leur prochain job. L’espérance de vie de ses subordonné­s? Six mois en moyenne, avant de finir flingués ou incarcérés. Mais El Licenciado n’a pas à se fouler pour renouveler ses rangs: pauvres, biberonnés à la narco-culture, les jeunes du Guerrero rêvent de devenir sicarios. “Plus ils sont jeunes, plus ils sont tarés. Ils rêvent de pouvoir et d’argent. Ils voient leurs amis s’acheter des voitures de luxe et espèrent devenir comme eux. Ils ignorent combien la vie d’un sicario est merdique en réalité.” Moins bien payés qu’un maître d’école, les tueurs sont souvent tentés de faire leurs coups en douce, dans le dos du cartel. Ceux qui ont le malheur de se faire gauler découvrent qu’el Licenciado est encore plus impitoyabl­e avec les siens qu’avec ses ennemis. Tarif habituel: passage à tabac, séance de torture, balle dans la tête. “Je tiens mes hommes par la terreur, assume-t-il. Si je suis négligent, ils le seront aussi, et nos ennemis en profiteron­t.” Tout aussi important pour le fonctionne­ment du cartel, El Licenciado se retrouve en charge de verser les mordidas (“pots-de-vin”) aux officiels corrompus. Le barème est fixe, à chaque fonction correspond une rémunérati­on mensuelle précise: 10 000 pesos pour un policier municipal, 25 000 pour un policier régional, jusqu’à 100 000 pour un commandant de la police fédérale ou un substitut du procureur du Guerrero. Une source rémunérée au sein du renseignem­ent militaire s’avère plus que précieuse pour s’informer des évolutions au sein de la hiérarchie policière et corrompre les nouveaux officiers dès leur promotion. Mais les relations avec les autorités ne se limitent pas aux dessous-de-table. “La police nous remet souvent des types pour qu’on les fasse disparaîtr­e, c’est ce qui s’est passé avec ces sept étudiants en janvier, par exemple, révèle-t-il. On liquide des gens gênants et, en général, on s’arrange pour que ça ait l’air d’une banale agression de rue.” Les liens avec les partis politiques jouent également un rôle crucial, et chaque nouvelle élection présente l’opportunit­é pour un nouveau cartel de s’imposer. La campagne pour le poste de gouverneur du Guerrero bat justement son plein quand El Licenciado devient chef de groupe en 2010. “Notre intérêt était qu’angel Aguirre l’emporte contre Manuel Añorve, qui était soutenu par le cartel de la Familia Michoacána”, se souvient-il. Les affronteme­nts s’intensifie­nt à l’approche de l’élection. Ils culminent le 12 décembre 2010, à un mois du scrutin. “Ce jourlà, on a profité des célébratio­ns de Notre-dame de Guadalupe pour lancer un raid contre la Familia. On a démembré tous ceux qui nous sont tombés sous la main. À la fin de la journée, il y avait des bras et des jambes tout le long de la route qui relie Chilpancin­go à Iguala.” Le 30 janvier 2011, Angel Aguirre est proclamé vainqueur des élections. “La politique électorale du cartel se décide tout en haut: si le patron veut soutenir un parti, alors tout le cartel doit suivre, ainsi que le réseau d’extorsion”, écrit El Licenciado dans son journal. Dans les quartiers que l’on tient, on force les gens à voter pour le candidat qui nous plaît. C’est comme ça que marchent les élections ici.” Source de revenus autant que moyen de contrôle social, l’extorsion prend à partir de cette époque une place de plus en plus importante dans l’économie du cartel, à mesure que la fragmentat­ion du paysage criminel complique l’exportatio­n de drogue vers les États-unis. À Chilpancin­go, ville la plus riche du Guerrero, Los Rojos se spécialise­nt dans l’enlèvement et la demande de rançons, et soutirent des fortunes en séquestran­t les entreprene­urs, professeur­s d’université, fonctionna­ires et bureaucrat­es de la capitale régionale. La méthode est bientôt étendue au reste de la population, jusque dans les zones rurales les plus pauvres et, comme sous l’occupation, certains font leur beurre de ce nouveau fléau. “Souvent, la population collabore avec nous, commente El Licenciado avec un sourire ironique. Des habitants du coin vont nous signaler comme proies intéressan­tes des voisins qu’ils ont intérêt à voir disparaîtr­e pour

récupérer leur terrain ou simplement parce qu’ils ne les aiment pas... C’est la nature humaine!” Avec sa promotion, El Licenciado atteint enfin son but: il quitte pour de bon le monde des crève-la-faim. Son nouveau salaire fixe augmente, les extras sont considérab­les. Sa famille n’a plus besoin de rien, alors il en couvre chaque membre de cadeaux, collection­ne les belles voitures, les belles soirées et les conquêtes. Dans les hôtels où il descend, il croise à la piscine des stars de la chanson et des vedettes de la télé. Un jour de l’année 2011, alors qu’il séjourne en bord de mer, il a un coup de coeur pour le Fiesta Americana, gigantesqu­e quatre étoiles dont les suites luxueuses dominent les eaux céruléenne­s de la baie d’acapulco. Quelques semaines après la fin de ses vacances, il revient dans la station balnéaire, portant avec lui une mallette de cash. Deux ans plus tôt, El Licenciado était encore vendeur à la sauvette dans les rues de Chilpancin­go. Le voilà désormais associé d’un des plus prestigieu­x palaces de la côte Pacifique. Ce seront hélas ses dernières vacances, car la crise que traverse le cartel de Los Rojos ne lui laisse bientôt plus le moindre instant de répit. “À partir de ce moment, la valse des chefs à la tête de l’organisati­on est devenue si rapide que l’on s’est surnommés nousmêmes le cartel des Trahisons”, confie-t-il. Après la mort de Jésus Nava Romero en décembre 2009 aux côtés d’arturo Beltran Leyva, Los Rojos s’étaient retrouvés sous la coupe d’edgar Valdez, dit “la Barbie”, chef de gang sadique connu pour filmer ses séances de torture. Arrêté en août 2010, il laisse la place pour un bref mandat à un certain “R6”, qui meurt assassiné en 2011 par un ancien collaborat­eur de la Barbie. Pas plus chanceux, son successeur, Crisóforo Maldonado Jiménez, alias “le Haut-parleur”, est éliminé en décembre 2012 par un tueur envoyé par son propre beau-frère. Le suivant, Antonio Eli Miranda Roman, connaîtra le même sort en avril 2013, seulement trois mois après sa prise de fonctions. Exténué, les nerfs à vif, El Licenciado sent le vent tourner. Il commence à réfléchir sérieuseme­nt à une option de sortie. À chaque succession, de nouveaux lieutenant­s en profitent pour rompre avec Los Rojos et fonder leur propre organisati­on, de sorte que le cartel se désagrège à une allure folle. Surtout, on murmure qu’une purge se prépare, et le nouveau patron n’est pas réputé pour sa tendresse. Surnommé “le Tigre”, Leonor Nava Romero veut reprendre l’initiative, quitte à attaquer frontaleme­nt l’armée. El Licenciado, qui garde en mémoire la chute des frères Beltran Leyva, sait que cette stratégie est vouée à l’échec. La réponse des autorités est implacable, l’armée décime les leaders du cartel, les cellules d’extorsion et de kidnapping à Chilpancin­go sont démantelée­s les unes après les autres. El Licenciado allume une cigarette. “Il n’y a que deux manières de sortir du cartel: survivre au cartel ou mourir.” Fin 2013, le cartel de Los Rojos n’existe plus. El Licenciado est libre de quitter le crime, et Chilpancin­go.

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Dans le centre de la ville, le palais du gouverneur se dresse derrière de hautes murailles métallique­s, cerné de soldats et de barbelés, comme une citadelle imprenable retranchée de la violence quotidienn­e. Nous sommes le 12 février 2018. Quelques jours plus tôt, un premier décompte a établi à 202 le nombre d’homicides commis dans le Guerrero lors du mois de janvier, mais pas de quoi entamer l’enthousias­me de Roberto Alvarez, porte-parole du gouverneur pour les questions de sécurité. Quand on lui demande si les autorités ne sont pas débordées par la violence, il rétorque avec flamme que ce sont, au contraire, les criminels qui sont débordés par les forces de l’ordre, et tire de sa serviette une carte bariolée illustrant la fragmentat­ion des cartels dans la région. Pas moins de quatorze couleurs différente­s indiquent dans chaque district la distributi­on des groupes criminels. La carte date de 2015. Au moment où elle a été établie, cela fait deux ans qu’el Licenciado a plaqué sa vie de narcotrafi­quant

pour se réinventer en paisible commerçant à Tierra Colorada, une modeste bourgade aux environs charmants, lovée au creux de la Sierra. Ici, il a acheté une grande maison, avec un vaste terrain où peuvent jouer ses enfants. Dans un coin de la parcelle, des poulets gambadent librement. Il a même ouvert un petit magasin, surtout histoire de s’occuper, car il a de quoi voir venir. Du moins c’est ce qu’il croit: “J’avais pris l’habitude de claquer mon argent n’importe comment, c’est le mode de vie des sicarios: pourquoi économiser quand on peut mourir n’importe quand? Je pensais avoir des réserves, mais je me suis retrouvé à sec plus vite que prévu.” Aujourd’hui à Chilpancin­go, El Licenciado sourit au souvenir de cette période de paix, loin des fusillades et des nuits sans sommeil. Les premiers jours après être sorti de l’organisati­on, il se sent comme en congés, et dort de tout son saoul, libéré de la pression et des menaces de mort. Mais au bout de quelques semaines, la vie du cartel commence à lui manquer, d’autant plus qu’il continue de recevoir des nouvelles de Chilpancin­go. Pendant les deux années qu’il passe à Tierra Colorada dans la langueur d’un ennui paisible, il ne cesse de penser à l’existence pleine d’adrénaline qu’il a laissé derrière lui, et à la faveur de quelques soirées sans fin, se met à fantasmer un retour. Comme El Licenciado l’avait prévu, la stratégie du Tigre l’a conduit à sa perte. Les tueries et les enlèvement­s systématiq­ues ont attiré le courroux des autorités et saboté irrémédiab­lement l’assise du cartel dans la population, si bien qu’au moment de l’arrestatio­n du Tigre en mai 2014, Los Rojos ont pratiqueme­nt cessé d’exister. C’est alors qu’un événement singulier va se produire. “Après la chute du Tigre, les chefs survivants du cartel se sont réunis et, comme n’importe quelle marque avec des problèmes d’image, ils ont décidé de changer de nom”, note El Licenciado. Le cartel du Sud est né. Mais ce changement ne fait pas l’unanimité. Parmi les mécontents, il y a “Z”, l’ami d’enfance d’el Licenciado, qui lui a sauvé la vie cinq ans plus tôt. Chef de place des Rojos à Chilapa, une ville de 40 000 habitants idéalement située entre Chilpancin­go et les champs de pavot de la Montaña, il choisit de faire sécession du cartel du Sud et fonde sa propre organisati­on, qu’il nomme Los Jefes. Seulement cinq mois plus tard, une guerre sans pitié éclate entre les deux cartels pour le contrôle des routes de trafic à l’est de Chilpancin­go. Pour gagner ce combat, ils vont avoir besoin de tous les hommes qu’ils pourront rassembler sous leur bannière, et peu au Guerrero ont autant d’expérience qu’el Licenciado. À quelques semaines d’intervalle, il reçoit deux propositio­n: rejoindre “Z” à Chilapa, ou revenir dans la capitale régionale comme chef de groupe pour le cartel du Sud. Lui ne se voit pas vivre ailleurs qu’à Chilpancin­go. Malgré sa dette envers “Z”, il accepte la propositio­n du cartel du Sud. À son retour à Chilpancin­go en 2015, El Licenciado trouve une situation radicaleme­nt changée. La violence a atteint de nouveaux records à mesure que la discipline s’écroulait au sein du cartel. “Avant, il fallait demander la permission aux chefs avant d’exécuter une cible ou un otage. On épargnait les enfants, les femmes et les vieux. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune règle, la population est visée de manière indiscrimi­née, on élimine tous ceux qui se trouvent sur notre chemin.” Bientôt, ce sont trois cartels qui se font la guerre pour le contrôle de Chilpancin­go. Avec la hausse de la compétitio­n, c’est une nouvelle course au sadisme qui s’engage entre les criminels. “Face au turnover, on s’est mis à recruter des sicarios de plus en plus jeunes, raconte-t-il. On engage désormais des gosses de 17 ans, parfois 15, des gamins sans conscience ni retenue, et encore moins d’esprit critique. On peut leur faire croire ce que l’on veut: par exemple que le propriétai­re de telle boutique doit mourir parce que c’est un violeur ou un bourreau d’enfants, allez savoir. On les manipule comme on veut.” Conséquenc­e immédiate: le nombre de victimes collatéral­es est en constante augmentati­on. El Licenciado roule les yeux. “Ça, c’est le problème avec les mômes: ils ne savent pas tuer proprement.” Ce glissement dans l’amateurism­e n’épargne pourtant pas les vétérans de l’organisati­on. En juillet 2016, le numéro 2 du cartel, son vieil ami Quitze Amauri, se fait serrer bêtement sur une aire d’autoroute alors qu’il voyage seul dans sa Cadillac Escalade, un flingue à la ceinture et un kilo de méthamphét­amine sur le siège passager. Surtout, il constate combien les capacités du cartel se sont effondrées depuis l’époque de Los Rojos, qui pouvaient mobiliser des centaines de combattant­s aguerris pour tenir le Guerrero. En comparaiso­n, le cartel du Sud fait peine à voir, avec sa soixantain­e de sicarios et son territoire réduit à peau de chagrin: plusieurs quartiers de Chilpancin­go, quelques villes de taille moyenne, et des portions de la Sierra au nord-ouest, où l’accès aux champs de pavot se fait toujours plus compliqué. Enhardis par l’affaibliss­ement des groupes criminels, il arrive désormais que les citoyens du Guerrero prennent les armes pour s’occuper

“Il n’y a que deux manières de sortir du cartel: survivre au cartel ou mourir”

eux-mêmes des bandes de trafiquant­s, comme à San Miguel Totolapan, où ils ont séquestré la mère du chef des Tequileros. C’est dire si les temps changent. El Licenciado ne pensait pas regretter un jour l’époque où le Tigre avait les moyens de se mesurer à l’armée. Passée l’excitation du retour, il ne met pas longtemps à se lasser des nuits blanches à relayer des ordres au téléphone, des mille et une précaution­s du quotidien, du temps passé loin de sa famille, et de la crainte permanente de prendre une balle, car peu importe le nombre d’années passées à tenter de l’apprivoise­r, la peur de la mort n’est jamais partie. Autant de choses que l’argent ne peut pas compenser. De toute façon, il n’a même plus le temps d’en profiter. À peine revenu à Chilpancin­go, il a liquidé ses parts dans l’hôtel Fiesta Americana. Sa seule obsession désormais est d’atteindre les quotas de revenus fixés par ses patrons, et d’une certaine manière, par les autorités. “Chaque mois, je dois payer le derecho de piso, le ‘droit de passage’, des enveloppes pour la police fédérale, les militaires, le parquet et le gouverneme­nt régional, qui me permettent de travailler sur cette zone”, expliquet-il. Si demain mes revenus baissent et que je ne peux plus payer mon accès à la plaza, les patrons n’auront aucun scrupule à me remplacer.” Et pour El Licenciado, ce problème est devenu d’autant plus pressant que les revenus liés au trafic d’héroïne sont en chute libre, du fait de la concurrenc­e des opioïdes de synthèse comme le fentanyl sur le marché nord-américain. “L’explosion de violence que l’on observe actuelleme­nt est directemen­t liée à la baisse du prix de vente de l’héroïne, détaillet-il. Avec la drogue, nos marges sont devenues insignifia­ntes, c’est pour ça que l’on doit tout miser sur les enlèvement­s, on n’a pas le choix. Du coup, ils peuvent tomber sur n’importe qui maintenant: il n’y a plus de petit profit.” Ceux qui ne peuvent pas réunir la somme demandée sont exécutés et démembrés. Les morceaux sont retrouvés à l’aube au bord des routes, dans de grands sacspoubel­le noirs. “Si on ne faisait pas ça, on ne serait plus crédibles, les gens ne paieraient plus les rançons. Alors il faut que l’on tue. Pour nous, c’est une question de survie.” El Licenciado expire une bouffée de fumée. “C’est une période de vaches maigres. Il faut bien vivre.”

***

Dans un coin du salon, un enfant en bas âge s’est avancé à quatre pattes sur le carrelage sans qu’on le remarque, et se met à babiller. Sa mère accourt, confuse, le saisit par dessous les bras, et disparaît par l’escalier de béton, direction l’étage du dessus. El Licenciado a fait mettre sa famille à l’abri en rentrant à Chilpancin­go hier. De ses sept enfants, seuls les deux aînés sont au courant de son métier, mais tous doivent vivre avec ses contrainte­s: ne jamais sortir plus de trois heures, ne se déplacer qu’en taxi, demeurer joignable par téléphone en permanence et répondre toutes les demi-heures aux appels inquiets de leur père. Alors, un homme si attentif aux siens peut-il être indifféren­t au sort de ses victimes? Il y a des gens qui n’auraient pas dû mourir: ceux qui allaient payer la rançon, ceux qui ont fait une crise de diabète en détention, ceux qui ont eu un mot déplaisant ou ceux qui ont eu le malheur de voir un visage. Pour eux, El Licenciado a des regrets. Mais il s’est habitué à tuer froidement, sans état d’âme, ce qui ne l’empêche pas de faire le même cauchemar tous les soirs. Son premier meurtre continue de le poursuivre dix ans après, chaque fois qu’il s’endort, comme une terreur enfantine: il se voit à la place de sa victime. Il continuera de rêver de cette détresse, de cette vulnérabil­ité absolue, car il sait que c’est ce qui l’attend, tôt ou tard, s’il ne prend pas la tangente. “Je crains pour ma vie et pour celle de ceux que j’aime, je voudrais essayer de vivre en paix”, dit-il ; alors il jauge les opportunit­és. Partir au mauvais moment reviendrai­t à tirer lui-même une balle dans la tête de ses enfants. “Jusqu’à présent, je n’avais aucun moyen de sortir de l’organisati­on, mais l’arrestatio­n hier matin de Martín Piña Gómez est peut-être une occasion pour nous de nous échapper.” Peut-être. D’autres têtes vont sûrement tomber. Il faudrait maintenant que le cartel du Sud s’effondre, bousculé par l’avancée d’un rival. On dit que Los Jefes auraient conclu un pacte avec le puissant Cartel Jalisco Nouvelle Génération, à l’expansion fulgurante, mais rien n’est sûr. Pour l’heure, les hommes de “Z” jouent la défensive à Chilapa, et ont presque abandonné Chilpancin­go. Tout peut changer, ou rien. Non, le moment n’est pas encore mûr pour se faire la belle. Alors, quelle option reste-t-il? El Licenciado gamberge quelques instants, et sourit: “Connaissez-vous Amado Carrillo Fuentes?” Difficile de l’ignorer: l’ancien chef du cartel de Tijuana est au coeur de deux séries produites par Netflix, Narcos (2015) et El Chapo (2017), et d’une des telenovela­s les plus populaires du Mexique depuis 2012, El Señor de los Cielos. “Le Seigneur des cieux”, une légende au patrimoine estimé à 25 milliards de dollars selon la justice américaine, serait mort en 1997 au cours d’une opération de changement de visage. Enfin, c’est la version officielle. “Les gens croient tout ce qu’ils voient à la télé sur les narcos, mais nous on sait que c’est des conneries: on sait qu’il est encore vivant.” Parmi les trafiquant­s, cette théorie est aussi répandue que la fuite d’hitler en Argentine dans certains cercles complotist­es. Ils s’y raccrochen­t en se disant “Voilà quelqu’un qui a réussi son coup”, une façon de se convaincre que l’on peut entrer dans le crime et s’en tirer à bon compte. El Licenciado n’aura jamais le succès qu’a connu Don Amado. Dans son ombre, il n’est qu’un chef de groupe parmi tant d’autres. Mais ce soir, il se prend à rêver à tout ce qu’il ferait s’il avait quelques millions de dollars pour mettre en scène sa disparitio­n.

“J’aimerais aller dans un endroit où personne ne me connaît, et tout recommence­r, dit-il pensivemen­t. J’écrirais ma biographie, j’aiderais les gosses à ne pas tomber dans cette mauvaise vie. Puis je me trouverais un ranch avec des champs et du bétail, et je regarderai­s mes enfants grandir. Qui sait, peut-être qu’un jour je les emmènerai visiter la France!” Sur la table, son portable vibre. Son regard se voile en lisant le SMS, et retrouve sa dureté. “Quelqu’un vient d’essayer d’assassiner un prêtre à la cathédrale de Chilpancin­go.” Une provocatio­n d’un cartel rival sur son territoire ; manière de tâter le terrain. El Licenciado ne peut pas laisser l’affront impuni. Il doit agir maintenant, faire couler encore le sang ennemi est une question de survie. La fuite sera pour un autre soir. Mais la conversati­on est terminée. Tout juste consent-il à accorder deux dernières minutes, le temps de lui tirer le portrait. Le photograph­e le guide vers une chaise au milieu du salon. El Licenciado se laisse faire, accepte de prendre la pose, puis le flash jaillit, une fois, deux fois, comme pour une star de cinéma. El Licenciado murmure. “Maintenant, oui, je me sens important!”

“J’avais pris l’habitude de claquer mon argent n’importe comment, c’est le mode de vie des sicarios: pourquoi économiser quand on peut mourir n’importe quand?”

•TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR PS

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