Society (France)

Marc Dutroux

Alors que Marc Dutroux entame sa 22e année de prison, son avocat, Bruno Dayez, sort Pourquoi libérer Dutroux?, un livre qui s’attaque à la peine à perpétuité et souhaite la libération du pédophile. De quoi faire réagir.

- – WILLIAM THORP

Dans un nouvel essai, l’avocat belge Bruno Dayez plaide pour la libération de Marc Dutroux. Il s’explique ici.

Votre livre est sorti en février. Comment a-t-il été accueilli? Il y a une ligne de fracture entre ceux qui le lisent et qui le cautionnen­t ou pas et ceux qui ne le lisent pas et qui me critiquent. Eux sont légion. La preuve: je suis sous protection policière depuis que quelqu’un a publié sur Facebook une vidéo où il brûle mon bouquin et qui a fait 110 000 vues en deux jours. On m’a menacé de mort par téléphone, j’entends et lis des personnes qui m’insultent, me méprisent, trouvent que je suis quelqu’un d’ignoble, et mon nom est sali par des torrents de boue sur les réseaux sociaux. Qu’estce que vous voulez que je vous dise? Cela ne m’empêchera pas de défendre mes conviction­s.

Vous dites utiliser le cas de Marc Dutroux comme fer de lance pour une réforme du système judiciaire et pénitentia­ire belge. C’est-à-dire? En Belgique, l’affaire Dutroux a été le point de départ d’une série de modificati­ons législativ­es qui ont consisté à durcir le système judiciaire, que ce soit au niveau de la libération conditionn­elle ou de la durée des peines. On a adopté un virage sécuritair­e et notre justice est devenue de plus en plus répressive. Il y a eu un avant et un après Dutroux. Je pense qu’il faut évacuer de l’arsenal répressif les peines perpétuell­es. À partir du moment où la peine de mort a été abolie, elles deviennent un non-sens sur le plan philosophi­que. Personne ne devrait rester détenu avec comme seul espoir de décéder en prison, comme c’est le cas pour 45 000 personnes aux États-unis. Je plaide pour que l’on ne puisse plus prononcer des peines excédant les 25 ans de prison. C’est subjectif, mais je me dis qu’au niveau d’une existence humaine, 25 ans, c’est déjà énorme en termes de punition. Ça fait plus de 10 000 jours d’enfermemen­t.

Mais pourquoi avoir utilisé le cas de Marc Dutroux comme symbole de votre lutte? C’est mon neuvième livre, j’ai 350 articles derrière moi et, sauf dans un petit groupe de gens qui lisent mes écrits, tous mes livres ont servi de pied de table. Si j’avais écrit Pourquoi libérer Van der Machin?, personne ne s’en serait préoccupé. Là, j’ai toute la presse européenne qui vient me voir. Certains disent que j’instrument­alise Marc Dutroux, mais c’est faux. Je ne l’utilise pas à d’autres fins que les siennes, je le défends à la faveur d’une défense générale.

Certains critiquent votre manque d’empathie à l’égard des victimes. Pendant deux siècles, on a évacué la victime du prétoire en disant que ce n’est pas elle qui juge et que l’on ne peut juger l’accusé selon son point de vue. Aujourd’hui, la victime est devenue prédominan­te et on considère que la justice ne sera jamais mieux rendue que de son point de vue. On ne cesse, à la fin des procès, de tendre le micro aux victimes, en leur demandant si elles sont satisfaite­s de la sauce à laquelle les coupables ont été mangés. En Belgique, avec le cas Dutroux, sans qu’ils l’aient voulu, les parents des victimes ont été mis sur un piédestal, sont devenus des icônes intouchabl­es, des leaders d’opinion avec une très forte influence. Ce n’est pas normal. Le point de vue des victimes est partial. Il est tout à fait légitime, et il est compréhens­ible que, pour une victime, aucune peine ne sera jamais jugée suffisante. Mais c’est un point de vue partial, et ce ne peut être le point de vue de la justice.

L’affaire Marc Dutroux tient-elle encore une place médiatique importante en Belgique? Dutroux n’a jamais cessé d’être à la une des médias puisque chaque année, on salue l’anniversai­re de son arrestatio­n, de son évasion, de telle ou telle chose. On est toujours dans la même ébullition médiatique. Marc Dutroux est, et reste, le coupable absolu, l’homme le plus haï de Belgique, celui qui mériterait de mourir mais qui doit avant tout souffrir. Il y a clairement un fond de sadisme dans tout cela. Pour reprendre l’expression de Didier Fassin (anthropolo­gue français, ndlr), il doit y avoir une ‘part maudite’ du châtiment. On voit bien que dans la population, il y a une certaine jouissance à savoir que sa détention est pénible. Aujourd’hui, il est privé de tout contact avec les autres. Il va à la salle de sport une fois par semaine quand personne n’y est, et il va nettoyer le préau à l’aube quand personne ne s’y trouve. Il vit reclus dans sa propre prison, il est ‘détenu au carré’, c’est-à-dire qu’il est dans une boîte à chaussures, qui est elle-même dans une plus grosse boîte à chaussures. Et quand il sort de sa geôle pour me voir, tout le monde doit rentrer dans sa cellule pour que personne ne l’aperçoive. On en a fait un monstre.

Admettons que Marc Dutroux soit libéré. Que fait-on du risque de récidive? Il est clair qu’un individu comme Dutroux ne peut être relâché comme ça dans la nature. La perspectiv­e de sa libération reste très hypothétiq­ue. Simplement, si on ne fait rien, on n’aura rien. Si libération il devait y avoir un jour, il ne serait évidemment pas question de le laisser ouvrir un magasin de crêpes ou qu’il devienne le voisin de quelqu’un. Il faudrait un cadre. Personne n’aura le courage de l’accueillir chez lui.

Vous pourriez envisager de le faire, vous? Si ça ne tenait qu’à moi, si j’étais célibatair­e, si je n’avais pas d’enfants ni de comptes à rendre à personne, je pense. Vous savez, à l’époque de la guillotine, l’avocat devait accompagne­r son client jusqu’au moment où on lui coupait la tête. Dans un film de Joseph Losey, Pour l’exemple, Dirk Bogarde joue l’avocat d’un type qui a déserté pendant la Première Guerre mondiale. Il le défend, mais l’homme est tout de même condamné à être exécuté ‘pour l’exemple’. Quand le peloton lui tire dessus, les soldats le ratent exprès pour le blesser et le faire souffrir. C’est Bogarde qui se dirige vers lui et lui tire une balle dans la bouche pour l’achever. Pour moi, c’est la figure ultime de l’avocat. On doit être prêt à en prendre plein la figure.

Lire: Pourquoi libérer Dutroux?, de Bruno Dayez (éditions Samsa)

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