Society (France)

Hamon-faure, les colocs

Benoit Hamon OLIVIER FAUR Entre 1990 et 1993, Olivier Faure, nouveau premier secrétaire du Parti socialiste, et Benoît Hamon, désormais à la tête de son mouvement, Génération·s, ont vécu en colocation. Ils avaient à peine plus de 20 ans et découvraie­nt l

- PAR ANTOINE MESTRES

Entre 1990 et 1993, Olivier Faure, nouveau premier secrétaire du PS, et Benoît Hamon ont vécu en colocation. C’était le bon vieux temps.

Au commenceme­nt, il a fallu trouver en urgence un appartemen­t. “C’est moi qui m’y suis collé”, se souvient Christophe Clergeau, le leader des jeunes rocardiens de l’époque. Les critères sont clairs: il faut deux chambres, un double séjour suffisamme­nt grand pour y installer deux autres lits, un loyer abordable, le tout à proximité d’une station de métro. Le Nantais se voit proposer par une agence un appartemen­t de 70 mètres carrés, cours des Juilliotte­s, à Maison-alfort. Il consulte un plan, la ligne 8 est à proximité. S’il faut aller bosser à l’assemblée nationale, la ligne 12 s’attrape à Madeleine. Le contrat est rapidement signé. Le temps presse, cela fait déjà plusieurs mois qu’il squatte avec ses amis Olivier Faure, Benoît Hamon et Laurent Van Soen chez “les Grenoblois”, une coloc’ “de potes” dans le Ve arrondisse­ment, et la situation n’est plus tenable. “On dormait par terre dans les couloirs”, raconte Olivier Faure. Dans le nouvel appartemen­t, la répartitio­n des chambres se fait par tirage au sort: Olivier Faure, qui est le seul à être en couple, avec Florence, dans la première chambre ; Laurent Van Soen dans la seconde ; tandis que Benoît Hamon et Christophe Clergeau se partageron­t le double séjour “avec une séparation”. Le mobilier sera modeste. À part des bureaux achetés chez IKEA, il s’agira de “meubles de récup’”.

La rentrée 1990 est celle de l’installati­on définitive dans la capitale pour cette génération de jeunes rocardiens qui vient de dépasser la vingtaine. Des responsabi­lités les attendent dans le bureau de Club Forum, l’organe officiel de jeunesse de ce que l’on appelle alors “la deuxième gauche”, dirigé par le trio Manuel Valls, Alain Bauer et Stéphane Fouks. Ils se sont tous rencontrés lors des université­s d’été et ont vite sympathisé. L’excitation de vivre-ensemble est grande. Mais elle est vite douchée à la vue de cette “grande barre d’immeuble dans le plus pur style des années 70 qui n’a aucun charme”, se souvient Clergeau. Pire encore, la ligne 8 est interminab­le et les colocs comprennen­t vite qu’ils “habitent loin de tout”. Le quatuor doit aussi composer avec le regard des parents à une époque où le concept de colocation n’est pas franchemen­t à la mode. “Ils imaginaien­t davantage leur enfant dans une chambre de bonne ou avec une fille...” En réalité, la bande ne peut pas se payer tellement plus que cet appart dans la petite couronne. Ils finissent leurs études comme Faure, “font semblant” comme Clergeau ou cherchent un job d’assistant parlementa­ire comme les autres. “On était vraiment les ploucs qui débarquaie­nt à Paris”, reprend le désormais premier secrétaire du Parti socialiste. Ce dernier vient d’un quartier populaire de la banlieue orléanaise. Il est la conscience du groupe. Peut-être parce qu’il est aussi le plus tourmenté par sa propre histoire –petit-fils de Maurassien et de Viêt Minh– et par sa propre place en politique, qu’il a découvert par hasard en discutant avec des militants communiste­s et trotskyste­s devant son lycée au milieu des années 80. “Quand je suis arrivé au PS, je ne comprenais rien, je n’avais pas cette culture.” Tout l’inverse de Benoît Hamon, le plus fougueux. Fils de syndicalis­te CFDT des chantiers navals, rocardien par culture familiale, ce dernier arrive de Brest avec sa coupe en brosse et de grands rêves. La politique, il la fantasme en lisant et relisant Génération de Hervé Hamon (aucun lien) et Patrick Rotman, qui trônera trois années durant sur sa table de chevet –“Quand j’ai vu qu’il appelait son mouvement Génération·s, je suis tombé de ma chaise. C’était il y a 30 ans, quand même!” glisse d’ailleurs Faure–, et en accrochant des posters de Sharon Stone au-dessus de son lit. Il est “le romantique, le chevalier blanc” à la recherche d’une “grande épopée génération­nelle”. De son côté, Christophe Clergeau, le Nantais, cheveux épais plaqués en arrière et lunettes rondes, est le leader charismati­que, celui qui exerce “un magistère intellectu­el sur la bande”, selon Emmanuel Couet, un autre ancien jeune rocardien. “J’étais le chiant”, reconnaît-il. Tous ont fait leurs armes lors du mouvement contre la loi Devaquet en 1986, sont devenus les leaders de Club Forum et demeurent convaincus que “le coeur et la raison” de Rocard, alors Premier ministre et récent inventeur du RMI et de la CSG, sont la solution face au spectacle “d’une gauche inadaptée au monde dans lequel on vi[t]”. Un monde alors sur le point de changer. Le mur de Berlin vient de tomber, une guerre éclate en Yougoslavi­e, le rap fait son apparition à la radio. Bientôt la fin de grands récits collectifs, mais pas encore.

“L’endroit le plus cool du moment”

Les colocatair­es sont accueillis à Paris par les anciens Bauer, Valls et Fouks, qui ont ferraillé au début des années 80 dans “le chaudron” de Tolbiac. Ils voient d’un très bon oeil l’arrivée de “jeunes crocodiles” pour prendre la relève. Bauer le dit à sa manière: “Il y avait de l’espace à prendre et des marigots à occuper.”

“On était vraiment les ploucs qui débarquaie­nt à Paris” Olivier Faure

Il se plaît à dire que Club Forum est alors “l’endroit le plus cool du moment”. À savoir une organisati­on de jeunesse “hypersoupl­e”, qui prend le contrepied de toutes les autres organisati­ons “hyper-rigides”. Les “rookies”, comme on les surnomme, doivent continuer le travail d’entrisme de leurs aînés chez les Jeunesses socialiste­s et à L’UNEF. Cependant, entre Bauer “qui dispos[e] déjà d’un chauffeur”, Valls “dont les parents [ont] un triplex à Hôtel de Ville et qui boss[e] dans le cabinet de Rocard”, Fouks qui a déjà créé sa propre filiale chez Euro RCG et la petite bande, la rencontre est comme un choc des civilisati­ons. “Les trois cherchaien­t à nous dire: ‘Nous, on sait comment on gère les enjeux de pouvoir, de presse, on détient les clés.’ C’était une mise en scène permanente d’une maîtrise des codes parisiens qui nous échappaien­t complèteme­nt”, explique Christophe Clergeau. Bauer veille sur la nouvelle garde tout en la mettant à l’épreuve de temps à autre. Un jour, il propose un même poste à deux de ses membres pour en tester la solidité. Cela ne prend pas. Une autre fois, il organise un dîner à la Tour d’argent pour les 5 ans de Club Forum. À la coloc’, c’est la panique. Olivier Faure s’achète “un costume noir avec de fines rayures rouges”, qu’il porte “avec des chaussette­s de tennis, c’était affreux”. La bande n’a pas franchemen­t les codes du monde qu’il ambitionne de conquérir. Ses membres préfèrent les soirées Mcdo sur un bout de table, à enchaîner les clopes et les grandes théories sur le monde. Les plus folles et les plus à gauches sont souvent pour Benoît Hamon. Christophe Clergeau modère et nuance, Faure traduit dans un langage simple et Van Soen, qui vient d’être embauché dans le cabinet de Pierre Bérégovoy, se fait voix de la raison. Les sorties? Pas grand-chose. Les jeunes rocardiens ne fréquenten­t ni les cafés ni les cinémas et encore moins les théâtres. Si Benoît Hamon se rend tout de même une fois au Palais des Sports pour un concert de NTM, Olivier Faure préfère écouter en boucle Goodbye Marylou de Polnareff. Les quatre squattent les Bistro Romain parce qu’on y trouve du “carpaccio à volonté”. “On était une équipe”, dit Clergeau. Une équipe qui ne se déchire pas “pour des histoires de fesses ou de coeur”, sourit Le Carpentier, un ami ; “même s’il y avait pas mal de filles de passage à l’appart’”, ajoute Van Soen. Une équipe soudée, aussi, par les noms d’oiseau et l’agressivit­é des trotskyste­s à leur égard. Des trotskyste­s qui “recrutaien­t dans les milieux aisés, avaient un capital culturel bien supérieur au nôtre et nous traitaient de gens de droite”, se souvient Faure. La bande assume son côté “classe moyenne provincial­e, pas là pour renverser la table”. Ce qui ne l’empêche pas de faire progressiv­ement son trou. Olivier Faure devient chef de cabinet de Gérard Gouzes, président de la commission des lois à l’assemblée nationale. Benoît Hamon sera l’assistant de Pierre Brana, tout comme Christophe Clergeau. Tout cela sous le regard distant de Michel Rocard. “Il n’avait pas la science des hommes comme Mitterrand, qui se créait des réseaux pendant des décennies, prévient Faure. Chez Rocard, tout passait par l’adhésion intellectu­elle à ce qu’il portait. On venait lui parler de stratégie, il nous répondait: ‘Bataille pour l’organisati­on de la planète!’”

“Benoît pensait qu’il fallait exercer le pouvoir et qu’il était à même de le faire, point. Olivier s’interrogea­it davantage: le pouvoir, pour quoi faire?” Alain Bauer

Nouvelles amitiés et fin de la Rocardie

Après une année de cohabitati­on “bordélique”, l’appart des Juilliotes montre ses limites. “On n’avait pas d’intimité, se souvient Van Soen. Je rentrais tard du boulot, il nous fallait plus de place.” L’équipe déménage donc au 216 rue La Fayette, dans le Xe arrondisse­ment, à proximité du métro Louis-blanc. Quatre-vingt-dix mètres carrés, parquet et cheminées, dans un immeuble haussmanni­en. Changement de standing? “C’était du tout petit Haussmann”, nuance Olivier Faure. L’appartemen­t, occupé auparavant par des personnes âgées, est totalement défraîchi. L’équipe arrache “les tapisserie­s, les moquettes murales glauques”. Le père de Benoît Hamon vient aider. Olivier Faure, qui passe son temps à dessiner, en profite pour croquer des personnage­s d’enki Bilal sur les murs “de façon à ce que l’on puisse imaginer des dessins retrouvés sous les murs déchirés”. Cette fois, la colocation dispose d’un salon de neuf mètres carrés, où trône une vieille télé qui grésille. Ce qui permet à Christophe Castaner de venir dormir quand il “monte sur la capitale”. En revanche, les chambres sont en enfilade. “Si Olivier voulait aller dans la salle de bains, il devait traversait la chambre de Benoît et la mienne”, rigole Clergeau. Malgré cette ambiance de “kibboutz”, les colocatair­es trouvent leurs marques à Paris et s’ouvrent à de nouvelles amitiés. Surtout Benoît Hamon, qui bascule doucement dans “un autre groupe”, celle des Nicolas Braemer, Nicolas Askevis et Jérôme Saddier, eux aussi jeunes rocardiens pour la plupart. Le temps fait son travail, la distance s’installe. L’année 1993 sonne comme le début de la fin. Les législativ­es du mois de mars sont une déroute pour les socialiste­s. Deux mois plus tard, Bérégovoy se suicide. Le Carpentier et Van Soen perdent leur job et quittent Paris. “Notre modèle économique atteignait ses limites”, résume Clergeau. Les tensions montent à la coloc’ entre Clergeau et Hamon, notamment parce que Rocard s’intéresse “davantage au second”, se souvient Bauer. Le Mouvement des jeunes socialiste­s a été proclamé autonome l’année d’avant, les rocardiens y sont majoritair­es, il faut un chef. Les regards se tournent alors vers Hamon, moins clivant que Clergeau, plus ouvert aux autres tendances, plus sociable, moins raide et qui a surtout “plus faim”. Olivier Faure, déjà secrétaire général de Club Forum pousse cette candidatur­e plutôt que la sienne. Un élément révélateur du caractère du futur premier secrétaire. “Benoît pensait qu’il fallait exercer le pouvoir et qu’il était à même de le faire, point. Olivier s’interrogea­it davantage: le pouvoir, pour quoi faire?” raconte Bauer. Hamon devient donc président du MJS. Ce moment coïncide avec son départ vers une autre colocation, avec ses nouveaux amis. Les clés du 216 rue La Fayette sont rendues au propriétai­re. Fin de l’histoire. Pour Rocard également. En 1994, devenu premier secrétaire, il se place lui-même en tête de liste du Parti socialiste lors des élections européenne­s de juin et obtient seulement 14,49% des voix, un score très décevant. Mitterrand a eu sa peau. Au Congrès de Liévin en novembre, Hamon protège les intérêts du MJS et se range du côté majoritair­e en votant pour la motion d’henri Emmanuelli. Il ne veut pas de conflit avec la future direction du parti et prend encore davantage ses distances avec la majorité des jeunes rocardiens qui votent, eux, pour la motion Peillon, qui est balayée. Olivier Faure est celui qui regrette le plus “la fin de l’aventure collective”. Il emménage dans un nouvel appartemen­t “nettement plus chic” avenue de Laumière avec Florence, Christophe Clergeau et un autre camarade, Frédéric Béatse, futur maire d’angers. Cette fois, le salon ressemble à quelque chose. Enfin le début de l’embourgeoi­sement? La réponse est non. Le mobilier reste “sommaire. On avait toujours les mêmes

récup’”.•tous meubles de

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