Society (France)

Toni Nadal

C’est fini. Après des décennies de collaborat­ion, Rafael Nadal se présentera cette année à Rolandgarr­os sans son ombre de toujours, son oncle et entraîneur, Toni. Lequel revient ici sur une associatio­n qui aura marqué l’histoire du sport.

- – LÉO RUIZ

L’oncle, et coach historique, raconte les secrets de Rafael, roi de Roland-garros.

Vous avez dédié une bonne partie de votre vie à faire de votre neveu Rafael un champion d’exception. Qu’est-ce qui vous motivait? Au départ, j’avais juste cette envie qu’un de mes joueurs devienne un excellent joueur. Avant Rafael, j’avais déjà eu du succès avec d’autres sportifs et sportives que j’entraînais: le numéro 2 espagnol chez les hommes (Toni Llodra, ndlr), une fille qui était la numéro 4 ou 5 (Pilar Muñoz, ndlr), d’autres encore... Et il s’est simplement avéré que le meilleur d’entre tous était mon neveu. Mais j’étais le même avec chacun d’entre eux.

C’est-à-dire? Je n’ai jamais travaillé en me disant: ‘Je veux gagner ci ou ça.’ Que Rafael et les autres soient exigeants avec eux-mêmes, c’était ça mon idée. Il fallait toujours chercher un peu plus, et encore un peu plus. Tout simplement parce que je ne conçois pas de faire les choses sans essayer de les faire le mieux possible. Je pense que le bonheur est plus dans le travail que dans la diversion. La recherche de l’améliorati­on te donne une satisfacti­on.

En plus d’être l’un des plus grands joueurs de tennis de l’histoire, Rafael Nadal est souvent décrit comme un gentleman en dehors des cours. C’est aussi quelque chose que vous avez travaillé avec lui? Avec moi, c’est très dur que quelqu’un se prenne pour plus important que ce qu’il n’est. J’ai une qualité: je ne suis pas du genre à compliment­er. Je n’aime pas trop ça. Concernant Rafael, je sais que c’est quelqu’un de spécial quand il joue au tennis, mais c’est tout. C’est un très bon joueur, mais quand on est au restaurant ou ailleurs, il n’a rien de particulie­r. Mon frère (Miguel Angel Nadal, ndlr) était footballeu­r profession­nel, il jouait au Barça, et c’était un type complèteme­nt normal. Il ne se pensait pas extraordin­aire parce qu’il savait se servir d’un ballon. Rafa, c’est pareil. Je n’ai jamais pensé que mon neveu était extraordin­aire et je n’ai jamais cherché à ce qu’il ait plus d’attention que la normale.

Vous venez d’une famille de champions mais vous-même n’avez pas fait de grande carrière. N’était-ce pas un handicap? Tu peux ne pas avoir été un grand joueur et comprendre ton sport. Je pense avoir une intelligen­ce suffisante pour comprendre le jeu. Quand je travaillai­s sa technique avec Rafael, je m’appuyais sur les autres sports. Parce qu’il y a quelque chose de commun à tous les sports: la coordinati­on. Quand tu frappes au foot, tu t’appuies sur un pied et l’autre va derrière le ballon. Au tennis, le bras doit aller derrière la balle, la raquette doit prendre cette balle et l’accompagne­r dans la bonne direction. C’est tout. Ce n’est pas très compliqué. Je ne fais pas d’un jeu de la physique quantique ou une théorie de la relativité. Nous, on joue au tennis. Après, bien sûr, il faut s’adapter au joueur. Quand Rafael était petit, j’essayais d’analyser ses caractéris­tiques physiques et mentales. Et à partir de ça, de lui dessiner un jeu et un entraîneme­nt qui lui correspond­aient. Si j’avais entraîné Dimitrov ou Gasquet, j’aurais fait les choses différemme­nt.

Vous avez étudié la psychologi­e? J’ai étudié le bon sens et la logique. Des gens qui connaissen­t la théorie, les concepts, il y en a beaucoup. Mais très peu les appliquent. Il y a de nombreuses années, le père d’un joueur qui s’entraînait avec Rafael m’a dit: ‘Tu as tout compris de ton neveu.’ Je lui ai répondu: ‘Non, j’ai compris comme toi, mais moi, je l’ai appliqué. Toi aussi tu savais que

quand ton fils balançait sa raquette, ce n’était pas bien. Mais tu lui trouvais une excuse. Il avait mal dormi, ou je ne sais quoi. Moi, non.’ En début d’année, après le match contre Schwartzma­n à l’open d’australie (en huitième de finale, victoire de Nadal 6-3, 6-7, 6-3, 6-3, ndlr), Rafael m’a appelé. Je lui ai dit: ‘Félicitati­ons, tu as gagné! Mais tu n’as pas très bien joué.’ Il m’a répondu: ‘Il faisait très chaud.’ J’ai alors pensé: ‘Il ne devait faire très chaud que sur une moitié du cours, parce que ton adversaire, lui, a très bien joué.’ J’ai toujours dit à Rafael: ‘Si tu cherches une excuse, on va en trouver une. Mais autant ne pas le faire, parce que ça ne te fera rien gagner.’

Ça ne l’a pas soûlé? Un peu, si. Moi, non. J’ai mes principes et je m’y tiens. J’applique des règles très faciles. Je sais que 2+2 font 4. Est-ce que ça sert d’être stupide? Non. D’être hautain? Non. De ne pas se battre à l’entraîneme­nt? Non, parce que après, tu ne te battras pas en match.

Cette exigence, vous pensez que c’est quelque chose qui se perd dans le tennis aujourd’hui? De mon point de vue, les nouvelles génération­s sont peu constantes et irrégulièr­es à cause d’un problème d’attention. Ces tennismen jouent bien un jour, mal le lendemain. Pas de passion, pas d’engagement suffisant. Une des vertus principale­s des meilleurs du monde –et je le disais déjà à Rafael quand il était petit–, c’est qu’ils gagnent même quand ils jouent mal. Rafael ou Djokovic l’ont fait plein de fois. C’est le problème des joueurs français, à mon avis. Ils jouent très bien dans les bons jours, mais ils gagnent peu dans les mauvais. Ça, c’est le mental. Tu dois accepter que tu ne vas pas toujours bien jouer. Dans ces moments-là, tu dois trouver des solutions, tu dois lutter.

Quand vous discutez avec d’autres coachs, vous vous sentez proches d’eux? Un jour, l’un d’eux m’a dit: ‘Notre rôle, c’est de faire en sorte que tout aille bien pour notre joueur.’ Je lui ai dit que pour moi, non. Je n’ai jamais porté les raquettes de Rafael, je n’ai jamais fait son cordage. Le joueur est jeune, il doit avoir plus de respect pour moi que l’inverse. Je ne veux pas être un serviteur. Je veux être une aide. Et je ne veux pas changer mes concepts parce que je suis avec quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent. Mais bien sûr, le tennis a ce problème: celui qui paye, c’est le joueur. Quand tu es le chef, c’est compliqué d’accepter que l’on te dise que tu fais ci ou ça mal.

“Tu dois accepter que tu ne vas pas toujours bien jouer. C’est un peu le problème des joueurs de tennis français. Ils jouent très bien dans les bons jours, mais ils gagnent peu dans les mauvais”

Votre neveu restera comme le plus grand joueur de l’histoire sur terre battue. C’est une fierté? Je n’aime pas quand on joue sans penser. J’aime la stratégie mélangée à l’habileté physique. Le sport est un complément de l’activité mentale. Mon concept de jeu est donc plus approprié à la terre battue, où la tactique est plus importante que sur les autres surfaces. Au basket, mon joueur préféré a toujours été Larry Bird. Parce que ce qui faisait de lui un grand joueur, ce n’étaient pas ses grandes capacités physiques, mais le fait qu’il pensait. Aujourd’hui, dans le tennis, il y a chaque jour un peu moins de stratégie, on tape de plus en plus fort dans la balle. Je n’aime pas trop ça.

Vous avez des regrets sur ces années passées aux côtés de Rafael? J’ai parfois été trop exigeant avec lui, je pense. Alors bien sûr que si je devais recommence­r, je ferais certaines choses autrement. Mais bon, comme on dit, le lundi, tout le monde connaît les résultats du Loto.

Lire: La story Toni Nadal à Manacor, dans Roland, magazine de la FFT.

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