Society (France)

Le Who’s Who de l’investigat­ion à la française.

- •PROPOS RECUEILLIS PAR FA ET JB

Il vous reproche, vous qu’il nomme ‘police médiatique’, d’avoir recours à des méthodes interdites aux forces de police. En bafouant notamment le droit au silence… FA: Me Vey souhaite-t-il, en réciprocit­é, donner aux journalist­es les moyens de coercition dont jouissent les pouvoirs enquêteurs: placement sur écoute, privation de libertés, perquisiti­on? On voit bien, en renversant sa propositio­n, que sa position est tout simplement absurde. Chacun son métier. Comme l’a dit un jour son mentor, Me Dupond-moretti: ‘Mon métier n’est pas de faire triompher la vérité mais de faire triompher la vérité de celui que je défends.’ EL: Et puis, nous, on est un média grand public, donc on espère avoir du monde devant la télé. On espère même faire venir des gens qui n’iraient pas lire Mediapart. C’est quand même… FA: …payant. EL: Oui! Et puis, des gens se disent ‘Mediapart, c’est trop compliqué pour moi.’ Alors que sur France 2 en prime time, ils vont peut-être être tentés. Est-ce que le style de narration de l’émission est fait pour ramener le plus d’audience possible? Oui. Je le revendique complèteme­nt.

Quand vous courez après des gens qui refusent de parler, vous pouvez laisser penser qu’ils ont obligatoir­ement quelque chose à cacher, alors que ce n’est pas forcément le cas. Ils peuvent juste ne pas avoir envie de répondre à la sortie d’un conseil d’administra­tion… EL: Ce n’est pas du tout ce que l’on dit. Prenons Sarkozy: c’est quand même le minimum d’aller chercher son avis contradict­oire alors que plusieurs témoins le mettent en cause. On a montré toute la progressio­n de cette logique. On l’a appelé, on a envoyé des mails, essayé de convaincre sa directrice de com’ –qui a refusé– et ça se finit à l’assemblée générale du groupe Accor à lui courir après, parce qu’il faut bien, à un moment, incarner son refus de parler. On fait de la télévision. Et quelqu’un qui refuse de nous parler, cela ne veut pas dire qu’il est coupable, mais cela veut dire qu’il ne veut pas nous parler à ce moment précis sur ce dossier. C’est tout, et je le regrette. On lui a tout proposé: interview enregistré­e, interventi­on en direct, etc. On a enquêté pendant un an et demi et il a refusé pendant un an et demi. Il fallait le montrer.

Fabrice, vous dites que vous n’aimez pas le scoop, que vous préférez la révélation. C’est quoi, la différence? FA: Un scoop, c’est sortir une informatio­n parce qu’elle est inédite et uniquement parce qu’elle est inédite. Je trouve que cela n’a aucun intérêt, si ce n’est de satisfaire quelques pulsions égotistes. En revanche, j’aime bien le mot révélation, que j’associe à la photo argentique. Le bain dans lequel on mettait la pellicule pour que tout devienne visible. Je crois que c’est ça, notre métier. Montrer au plus grand nombre ce qui est déjà là et lui appartient. Ensuite, charge à nous d’en faire la pédagogie. Ce que l’on raconte, ça a du sens. Un jour, j’ai écrit un livre qui s’appelle Le Sens des affaires, voyage au bout de la corruption. Parce que j’ai toujours considéré les affaires comme un crash test démocratiq­ue. Quand on met des bagnoles sur le marché, on place un mannequin à l’intérieur pour vérifier la solidité de la carrosseri­e. Et bien, les affaires, c’est pareil sauf que le mannequin, c’est nous et cela permet de vérifier la solidité des institutio­ns, de la loi, du monde politique, des citoyens, leur appétence pour ces questions. Parce qu’en France, il faut que l’on se regarde en face, on a un CV judiciaire honteux. Un ex-président condamné, son successeur mis en examen plusieurs fois, un ex-premier ministre –Édouard Balladur– mis en examen, François Fillon mis en examen, l’actuelle présidente du FMI condamnée. La liste est interminab­le. Ils sont une trentaine aujourd’hui, et ce n’est pas fini. On peut se moquer des Grecs, des Africains, mais on a un bilan judiciaire effroyable. EL: Les affaires que l’on traite, ce n’est pas: ‘Tiens, je vais faire tomber quelqu’un de connu.’ C’est regarder un système, comment il fonctionne de l’intérieur, et ce que l’on veut nous cacher. Ce n’est pas un concours de tir aux pigeons.

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