Society (France)

Jason Schreier

- NICOLAS FRESCO

Le rédacteur en chef du site Kotaku, site américain de référence dans l’univers du jeu vidéo, raconte une industrie au bord du burn-out.

Rédacteur en chef de Kotaku, site américain de référence dans l’univers du jeu vidéo, Jason Schreier a mené l’enquête dans les coulisses d’une industrie florissant­e, mais encore largement méconnue. Il en est revenu avec un livre intitulé Du sang, des larmes et des pixels. Qui dit assez bien ce qu’il a trouvé.

L’industrie du jeu vidéo est peu connue. Comment la décririez-vous? On pourrait comparer la création d’un jeu vidéo à celle d’un film. Les deux sont des oeuvres d’art chères, risquées et difficiles à produire, qui nécessiten­t la participat­ion de beaucoup de personnes, dont des investisse­urs, ainsi que de nombreuses heures de travail. À la différence près que quand vous créez un jeu vidéo, en même temps que vous filmez, vous êtes aussi en train de construire la caméra. Et au-delà de raconter une histoire, un jeu doit aussi, et surtout, être ludique, ce qui complique encore plus les choses. Par ailleurs, créer un jeu vidéo prend beaucoup plus de temps que de faire un film –généraleme­nt deux, trois, voire quatre ans. C’est en définitive un engagement bien plus important, et qui peut être bien plus onéreux.

Vous décrivez des conditions de travail assez dures. Comment l’expliquer? Il y a beaucoup de burn-out et de démissions. Encore plus quand les gens vieillisse­nt et construise­nt une famille. La plupart du temps, les salariés de ces entreprise­s sont juste des gens qui, au départ, aimaient les jeux vidéo et voulaient faire partie de l’aventure. Une fois en place, ils se disent que même s’ils y passent des heures, cela reste amusant, une passion. Et c’est en outre un travail qui leur permet de se sentir créatifs. Mais après un énième burn-out, les gars finissent par se dire que ce n’est plus de leur âge. Quand vous parlez à des développeu­rs, ils ont tous des histoires de crunch (des périodes allant de quelques semaines à plusieurs mois durant lesquelles les développeu­rs multiplien­t les heures de travail, allant jusqu’à quatorze heures par jour, cinq à sept jours par semaine, ndlr) à vous raconter. Ils appellent ça des ‘récits de guerre’.

Est-ce qu’il serait possible d’éviter ces périodes de crunch? Il faudrait. Mais certaines personnes vous diront que les jeux vidéo ne pourraient pas être créés sans, parce qu’il est vraiment difficile de savoir à l’avance combien de temps chaque tâche va prendre. Quand vous créez un jeu vidéo, vous allez vous dire: ‘Là, on va faire en sorte de pouvoir conduire une voiture et que ça soit vraiment cool de le faire.’ Mais comment savoir à quel moment cela va être amusant? Il faut choisir de quelle façon vous devez tourner le volant ou alors comment régler le moteur pour que ce soit agréable d’accélérer… Ce qui peut prendre deux semaines, deux mois, un an ou plus... La plupart le temps, c’est l’argent qui décide. Si une équipe disposait de fonds illimités, alors ses membres travailler­aient aussi longtemps qu’ils en auraient besoin… et le jeu ne sortirait sans doute jamais! (rires)

Vous déplorez également la trop faible présence de femmes dans le secteur, alors qu’elles représente­nt aujourd’hui la moitié des gamers… Je pense que la principale raison à cette situation est que l’industrie du jeu vidéo s’est au début construite autour d’une culture des frat houses, un monde de mecs adolescent­s ou post-adolescent­s qui habitent ensemble, codent, créent des jeux vidéo et mangent des pizzas en buvant des sodas. Les jeunes heures de l’industrie, c’était vraiment ça. Elle ne s’est profession­nalisée que récemment.

On entend aussi régulièrem­ent des critiques à propos de l’image des femmes dans les jeux vidéo. Est-ce que vous diriez que c’est une industrie

sexiste? Je dirais plutôt que l’industrie du jeu vidéo a définitive­ment un problème avec le sexisme, mais que les choses s’améliorent. Il y a, notamment, de plus en plus d’entreprise­s qui adoptent des valeurs progressis­tes et tentent de se dire qu’elles devraient avoir une représenta­tion égalitaire des hommes et des femmes, avec des armures aussi réalistes pour les femmes que pour les hommes, par exemple. Mais oui, c’est sûr, les hommes dans l’industrie du jeu vidéo ont eu besoin de grandir un peu au cours des dernières années. Il y a eu pas mal de conflits. Et je pense que le pire se situe entre les joueurs. J’ai entendu tellement d’histoires de gameuses qui recevaient des messages obscènes et sexistes lorsqu’elles jouaient en ligne! Il y a encore énormément de chemin à faire. –

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Chez Quantic Dream, studio de jeux vidéo français.

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