Society (France)

Amir Naderi

Figure majeure du cinéma iranien, Amir Naderi vit hors d’iran depuis 33 ans. Son tort: avoir, avec sa caméra, cherché à “découvrir la vérité”. Le Centre Pompidou, à Paris, lui consacre une rétrospect­ive.

- – PIERRE BOISSON / PHOTO: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Alors que le Centre Pompidou lui consacre une rétrospect­ive, le réalisateu­r iranien vante le mérite de la censure. Si, si.

Parmi vos films projetés au Centre Pompidou figure notamment La Recherche 1, qui s’intéresse aux personnes ayant disparu pendant la révolution islamique en 1979. Comment avezvous procédé à l’époque pour le tourner? Vous avez mené votre propre enquête? Je n’étais pas en Iran au moment de la révolution, je suis rentré un mois après. À l’époque, mon film Harmonica était diffusé à la télé tous les deux ou trois jours, et ce film rassemblai­t tout le pays. Toutes les familles, tous les enfants trouvaient dedans quelque chose à quoi s’identifier. Ce n’était pas de la propagande mais plutôt comme de la glu pour le pays. Alors, j’ai été appelé: ‘S’il vous plaît, revenez, on a besoin de vous, bla-bla-bla.’ Les gens de la télé voulaient me confier quelque chose à faire. Peu après mon retour, je me suis rendu compte que tous les jours, à 15h ou 16h, étaient montrées à la télé des photos de personnes, juste des photos, avec une voix qui disait: ‘Ce jeune homme, 32 ans, appelé Hassan, est sorti de la maison à 5h le 20 décembre, et il n’est jamais revenu.’ Et on n’en savait pas plus. Je me suis dit: ‘Qui sont ces gens? La révolution est finie, mais c’est quoi ça?’ J’ai dit: ‘OK, je veux retrouver ces gens et en faire un film.’ On m’a laissé faire, peut-être parce que ça semblait être une plaisanter­ie ou impossible à réaliser. J’ai eu un laissez-passer, j’ai cherché partout et j’ai trouvé. Bon Dieu! Quatre ou cinq mille personnes étaient mortes et personne n’avait vu les corps. J’ai découvert qu’on les avait mis dans des camions, jetés dans des trous et qu’on avait recouvert le tout d’ordures. Environ 80 mètres de déchets. Mais, dessous, j’ai trouvé des restes d’humains. C’est la nature du cinéma: grâce à nos objectifs, on peut découvrir la vérité.

Vous avez aussi retrouvé les bourreaux? Non, je n’ai jamais trouvé qui a fait ça! Ça m’a rendu fou. On a tourné pendant quatre mois et ce film a rendu fou tout le monde. Que vous ont dit les gens de la télé qui avaient commandé le film quand vous leur avez montré les images? Ils n’ont pas aimé! (Rires) C’était très noir pour eux. Ils étaient en colère. J’ai dû partir d’iran. Mais je ne m’en plains pas. Je m’en fous, même.

Ne pensez-vous pas qu’il est important pour les Iraniens de pouvoir voir ces films? Je n’éprouve pas de colère, je suis triste. Mais vous savez, une des choses les plus importante­s dans mon pays aujourd’hui, plus que dans n’importe quel autre pays du monde, c’est le cinéma. Les jeunes veulent et font du cinéma. On a plus de 1 000 putains d’incroyable­s réalisateu­rs et réalisatri­ces. La moitié sont des femmes. Tous les jours, il y en a cinq nouveaux. Le cinéma dans mon pays est… pfiouuu.

La censure peut être créative? Carrément! La censure, c’est génial! (rires) Pas pour la vie, mais pour l’art, c’est très bon. La censure vous fixe des limites et vous oblige à imaginer une manière de les dépasser.

Vous avez pu rentrer en Iran depuis votre départ? Non, jamais. Je n’ai pas revu mon pays depuis 33 ans.

Vous avez été orphelin très jeune et vous avez dit que le cinéma avait été votre ‘premier amour’. Aujourd’hui, vous avez 71 ans. Vous en avez connu d’autres? Je n’ai qu’une seule relation. Je n’ai pas de vie hors du cinéma. Je suis comme un prêtre. Si je mange, c’est parce que j’ai besoin de manger. Si je vais aux toilettes, c’est parce que j’ai besoin d’aller aux toilettes. Je crois qu’il est très difficile d’avoir une vie personnell­e quand on est réalisateu­r. Quand vous filmez, vous ne savez jamais où vous allez. Ni quand vous revenez. Et vous devez composer avec d’autres personnes. C’est pour ça que la vie personnell­e… Je ne sais pas. Scorsese s’est marié quatre fois, Spielberg aussi (en vrai, Scorsese s’est marié cinq fois, Spielberg deux, ndlr). C’est une question délicate!

“Une des choses les plus importante­s en Iran aujourd’hui, plus que dans n’importe quel autre pays du monde, c’est le cinéma. On a plus de 1 000 putains d’incroyable­s réalisateu­rs et réalisatri­ces”

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